Comprendre la volatilité des marchés financiers

Dossier : Économie numérique : Les succèsMagazine N°675 Mai 2012
Par Patrice FONTAINE
Par Bernard RAPACCHI

Les crises finan­cières ont souligné la fragilité des mod­èles économiques

L’Europe, et la France en par­ti­c­uli­er, ont un énorme poten­tiel de recherche en économie et finance, grâce à une tra­di­tion d’excellence en math­é­ma­tiques et en sta­tis­tiques. Ce poten­tiel n’est pas encore pleine­ment exploité en rai­son d’un manque de travaux empiriques se con­cen­trant sur les marchés financiers européens. Les récentes crises finan­cières ont souligné la fragilité des bases empiriques des mod­èles économiques et financiers d’analyse util­isés pour con­stru­ire les prévi­sions des acteurs, les inno­va­tions finan­cières ou les modal­ités de régu­la­tion. Ce déficit est par­ti­c­ulière­ment fort au niveau européen.

REPÈRES
Aujourd’hui, les chercheurs ont à leur dis­po­si­tion les bases de don­nées améri­caines pro­duites par le Cen­ter for Research on Secu­ri­ty Prices (uni­ver­sité de Chica­go). Ces bases enreg­istrent tous les jours les prix et les div­i­den­des pour les actions cotées sur la Bourse New York Stock Exchange et les autres marchés bour­siers des États-Unis depuis 1926. Les chercheurs ne dis­posent pas d’un équiv­a­lent sur les marchés européens, ce qui empèche toute com­préhen­sion des par­tic­u­lar­ités de ces marchés et le développe­ment des mod­èles ana­ly­tiques et des pro­duits financiers adaptés.

Bases de données homogènes

Plusieurs ini­tia­tives au niveau européen ont été dévelop­pées pour remédi­er à ce prob­lème, notam­ment par l’Association française de finance, avec la créa­tion d’une base de don­nées française quo­ti­di­enne des Bours­es, ain­si que par dif­férents cen­tres de recherche à Anvers, Berlin et Lon­dres avec le développe­ment de bases nationales de don­nées de marché sur les actions.

Agré­ga­teur de données
Eurofidai est impliquée dans un agré­ga­teur de don­nées finan­cières au niveau européen récem­ment mis en place par la société IODS. Le pro­jet, soutenu par le pôle de com­péti­tiv­ité mon­di­al Finance Inno­va­tion, tend à recréer au niveau européen l’initiative dévelop­pée par la Whar­ton School de l’université de Penn­syl­vanie. Une seule et même plate-forme réu­nit des don­nées sur le marché européen des actions (fournies par Eurofidai), sur les entre­pris­es, sur les fonds d’investissement et sur l’intermédiation finan­cière, avec pour objec­tif de les met­tre à dis­po­si­tion des pro­jets de R&D.

L’objectif d’Eurofidai (Euro­pean Finan­cial Data Insti­tute, unité pro­pre de ser­vice du CNRS) est de con­stituer des bases de don­nées bour­sières européennes homogènes. Eurofidai joue le rôle d’intermédiaire entre les four­nisseurs privés de don­nées et les chercheurs, en négo­ciant le coût d’acquisition des don­nées et en con­trôlant et véri­fi­ant toutes les don­nées fournies afin de les ren­dre exploita­bles dans un but de recherche.

Eurofidai pro­pose actuelle­ment, via un abon­nement sur son site Web (www.eurofidai.org), dif­férentes bases de don­nées quo­ti­di­ennes sur les actions et indices européens, les cours de change, les fonds mutuels et les opéra­tions sur titres. Ces pre­mières réal­i­sa­tions ont été réal­isées grâce à l’aide fournie par le CNRS et le pro­gramme de finance­ment à long terme du min­istère français de la Recherche (PPF), dans le cadre de dif­férents accords passés avec des four­nisseurs de don­nées finan­cières tels que la Bourse NYSE-Euronext pour les marchés belges, français, néer­landais et por­tu­gais, et la société finan­cière suisse Telekurs.

Fréquence insuffisante

Pre­mière mondiale
Les bases de don­nées à haute fréquence du pro­jet BEDOFIH seraient uniques puisque même CRSP, qui est la référence dans ce domaine, ne four­nit pas encore de don­nées his­toriques à haute fréquence (intra­day). Quelques ini­tia­tives privées recensent des don­nées à haute fréquence mais il y manque de nom­breuses vari­ables utiles pour les chercheurs uni­ver­si­taires et les autorités réglementaires.

La fréquence de toutes ces bases de don­nées est au mieux quo­ti­di­enne. Or, souhai­tant étudi­er au plus près la volatil­ité des marchés financiers, un nom­bre crois­sant de chercheurs européens comme améri­cains ressen­tent aujourd’hui le besoin de se fonder sur des don­nées à haute fréquence (à une frac­tion de sec­onde ou mieux encore). Ces don­nées sont en effet l’un des moyens les plus effi­caces pour éval­uer avec pré­ci­sion la façon dont fonc­tion­nent les marchés de titres. Elles seront égale­ment utiles pour les respon­s­ables gou­verne­men­taux et les autorités régle­men­taires pour les aider à réguler les marchés à la lumière des récentes crises financières.

Mal­heureuse­ment, les don­nées de ce type sont encore rarement disponibles et ne sont pas stock­ées sur de longues péri­odes en rai­son du vol­ume énorme de stock­age néces­saire à long terme.

C’est dans ce con­texte qu’Eurofidai a ini­tié le pro­jet BEDOFIH (Base européenne de don­nées finan­cières à haute fréquence), qui vise à créer une base de don­nées à haute fréquence européenne des valeurs mobil­ières de marchés (pour les actions ordi­naires, mais aus­si pour d’autres titres tels que les options et con­trats à terme). L’objectif prin­ci­pal du pro­jet est de stock­er des don­nées, de les struc­tur­er et de les met­tre à dis­po­si­tion des chercheurs.

Un progrès considérable

Les chercheurs ressen­tent le besoin de se fonder sur des don­nées à haute fréquence

Pour le monde académique et les autorités de marché, la disponi­bil­ité de ces don­nées représente un pro­grès con­sid­érable vers la com­préhen­sion de la façon dont fonc­tion­nent les marchés. Entre autres, cela per­me­t­trait d’évaluer l’impact de l’emploi crois­sant d’outils automa­tiques de trad­ing util­isés dans le cadre d’activités d’arbitrage et de trad­ing haute fréquence. Les trans­ac­tions générées par ces auto­mates représen­tent plus de la moitié de toutes les trans­ac­tions effec­tuées sur les marchés régle­men­tés. L’utilisation de ces auto­mates a sou­vent été soupçon­née d’être à l’origine de proces­sus de cota­tion diver­gents menant à des vari­a­tions exces­sives des prix, mais il n’y a pas de preuve formelle à ce jour.

Investisse­ment d’avenir
Le pro­jet BEDOFIH a été retenu par le gou­verne­ment comme un des 36 lau­réats de la sec­onde vague des Equipex (Équipements d’excellence), pro­jets financés dans le cadre du pro­gramme Investisse­ments d’avenir par le grand emprunt national.

Par exem­ple, l’analyse des événe­ments du 6 mai 2010, qui ont induit en quelques min­utes seule­ment une chute de 5,7 % de l’indice Dow Jones, ne peut être réal­isée que si l’on pos­sède des don­nées his­toriques à haute fréquence. Une base de don­nées telle que BEDOFIH devrait per­me­t­tre de répon­dre à un grand nom­bre des ques­tions posées par cette désta­bil­i­sa­tion brusque d’un marché et d’évaluer les risques de propagation.

Ce pro­jet rejoint les pri­or­ités de plusieurs gou­verne­ments européens sur la mise en œuvre d’un cadre de régu­la­tion des marchés financiers. Il s’intègre égale­ment aux réflex­ions en cours sur une meilleure régu­la­tion du High Fre­quen­cy Trad­ing dans le cadre de la révi­sion des direc­tives européennes sur les marchés d’instruments financiers et sur les abus de marché. Cela explique que des insti­tu­tions de régu­la­tion telles que l’Autorité des marchés financiers et la direc­tion générale du Tré­sor du min­istère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie soient intéressées par ce projet.

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