Le changement progressif et lLe changement radical dans l'entreprise

Comment réussir le changement ?

Dossier : Les consultantsMagazine N°539 Novembre 1998
Par Michel CHEVALIER

A la fin des années 80 plusieurs études ont ren­du compte du fait que les sociétés améri­caines les plus per­for­mantes ne dis­po­saient pas d’un ser­vice de plan­i­fi­ca­tion ou avaient réduit sen­si­ble­ment cette fonc­tion dans leur organ­i­sa­tion et redis­tribué les spé­cial­istes dans des struc­tures plus opéra­tionnelles. Cela devrait faire réfléchir sur le rôle de la plan­i­fi­ca­tion dans l’en­tre­prise, sur la manière de la pren­dre en compte et sur le phénomène du changement.

En fait ce qui a égale­ment frap­pé ces obser­va­teurs, c’est que les sociétés les plus per­for­mantes géraient le change­ment de façon dif­férente des autres et se préoc­cu­paient tout par­ti­c­ulière­ment de faire évoluer leurs organ­i­sa­tions de manière con­tin­ue. Ce qui appa­raît c’est que la plan­i­fi­ca­tion priv­ilégie un seul type de change­ment, le change­ment pro­gres­sif, alors que d’autres formes sont sou­vent plus néces­saires ou plus efficaces.

L’ob­ser­va­tion des groupes per­for­mants mon­tre une remise en cause con­tin­ue de leur déploiement stratégique et de leur mode d’ac­tions : ces­sion d’ac­tiv­ités con­sid­érées comme moins stratégiques, ou moins renta­bles, acqui­si­tion par des groupes de sociétés de taille quelque­fois équiv­a­lente ou supérieure dans le même méti­er, mod­i­fi­ca­tion rad­i­cale des équili­bres géo­graphiques : ces change­ments rapi­des, majeurs et sou­vent dif­fi­cile­ment prévis­i­bles sont le lot de nom­breuses entre­pris­es. C’est en tout cas un phénomène très car­ac­téris­tique des années 90.

Cette ges­tion du change­ment sup­pose des con­di­tions par­ti­c­ulières pour être effi­cace. Il ne faut agir ni trop tôt, ni trop tard ; ni trop fort ni trop faible ; ni de façon trop évi­dente ni de façon trop secrète : il doit s’a­gir d’un proces­sus logique, mesuré et con­trôlé, même s’il est très rapi­de dans sa mise en œuvre.

Il doit s’a­gir aus­si d’une action résul­tant d’une analyse pré­cise et appro­fondie de l’en­vi­ron­nement. Il sem­ble en effet que le change­ment est par déf­i­ni­tion la meilleure façon de faire évoluer une entre­prise, la seule façon de ne pas reculer et la seule façon de coller à un marché offrant à tout moment de nou­velles opportunités.

I. Les différentes formes de changement

Il n’y a rien de bien nou­veau à dire qu’une organ­i­sa­tion se mod­i­fie de façon con­tin­ue. Ce qui est nou­veau, c’est de con­sid­ér­er cette mod­i­fi­ca­tion comme le prin­ci­pal moteur de la réus­site et de la per­for­mance. C’est aus­si les formes que ce change­ment prend dans l’entreprise.

Tra­di­tion­nelle­ment le change­ment se réal­i­sait de façon pro­gres­sive, c’est-à-dire par l’in­ter­mé­di­aire de mod­i­fi­ca­tions organ­isées et lentes qui résul­taient d’ailleurs dans cer­tains cas du principe même de la plan­i­fi­ca­tion. Dans le cadre le plus habituel de la plan­i­fi­ca­tion, il s’ag­it de définir une évo­lu­tion réduite, ou un pas­sage d’un point A à un point B sans qu’il y ait rup­ture majeure entre les deux.

Le change­ment rad­i­cal est dans bien des cas plus effi­cace car il mobilise la total­ité de l’en­tre­prise dans un temps rel­a­tive­ment court et pour un pro­jet glob­al. C’est ce type de change­ment qui a été réal­isé par exem­ple pour British Air­ways lorsque Mar­garet Thatch­er déci­da en 1982 de pri­va­tis­er cette société, qui con­nais­sait une perte de trois mil­liards de francs et un cul­ture bureau­cra­tique et tra­di­tion­nelle. Un plan d’ensem­ble fut organ­isé sur qua­tre ans pour amen­er la société à une forte rentabil­ité. Ce plan ne com­pre­nait pas moins de trente activ­ités pré­cis­es des­tinées à pass­er d’une sit­u­a­tion à l’autre. Le tableau 1 mon­tre la dif­férence entre le change­ment pro­gres­sif et le change­ment rad­i­cal avec les con­séquences qui en découlent.

Tableau 1
Le change­ment progressif Le change­ment radical
(pré­pa­ra­tion dite en “ arête de poisson ”)
D’après Col­in Price et Eamon Mur­phy, Orga­ni­za­tion­al Devel­op­ment in British Tele­com, Train­ing and Devel­op­ment, July 1987, pages 45 à 48.


Nous réal­isons mal en France que l’Alle­magne avec la Treu­hand a pri­vatisé 12 000 entre­pris­es en Alle­magne de l’Est en qua­tre ans soit presque 15 entre­pris­es par jour. On se trou­ve bien là aus­si dans le cas d’un change­ment rad­i­cal… et con­clu­ant, car si cer­tains sig­na­lent des défi­ciences ou des ratés dans le proces­sus, il ne faut pas oubli­er la per­for­mance glob­ale et surtout imag­in­er ce qui aurait pu se pass­er si cela n’avait pas été fait.

Une autre forme de change­ment, le change­ment cor­rec­tif est néces­saire pour tenir compte de ce que cer­tains appel­lent la dérive stratégique. Il sem­ble que par sim­ple iner­tie ou parce que la stratégie élaborée demande plus d’ef­forts à cer­taines per­son­nes qu’à d’autres, le cap fixé est sou­vent rem­placé après quelques mois par un nou­veau cap plus con­fort­able pour l’en­tre­prise. Dans ce cas, le pre­mier cap devient de plus en plus dif­fi­cile à atteindre.

Il est alors néces­saire de remet­tre com­plète­ment en cause les fonde­ments de la stratégie et de définir un proces­sus brusque de change­ment rad­i­cal qui puisse agir comme un nou­veau change­ment de cap per­me­t­tant à son tour de se rap­procher davan­tage et pro­gres­sive­ment de l’ob­jec­tif ini­tial, légère­ment réa­justé ou non. Ce sché­ma appa­raît dans le tableau 2.

Ce qui importe en tout cas, c’est d’ou­vrir la réflex­ion générale. Ce n’est pas parce qu’un change­ment a été décidé au som­met qu’il est vrai­ment réal­isé au niveau de l’or­gan­i­sa­tion et que les objec­tifs d’o­rig­ine sont tous maintenus.

2. Les méthodes de réalisation du changement

Tableau 2
Exemple de réactions organisées à des dérives stratégiques dans l'entreprise
Exem­ple de réac­tions organ­isées à des dérives stratégiques
Pour une entre­prise, main­tenir le cap fixé de A à B n’est pas facile. À tout moment des dérives stratégiques éloignent l’organisation de l’objectif comme< de A à C. Il faut alors créer une péri­ode de change­ment pour mod­i­fi­er les règles du jeu et ensuite con­duire l’entreprise de D à E. On réori­ente alors le cap de E à F puis l’on tente à nou­veau un change­ment cor­rec­tif à par­tir de F pour se replac­er sur l’objectif en direc­tion de B.
D’après un con­cept de Ger­ry John­son, Process­es of Man­ag­ing Strate­gic Change. Man­age­ment Research News, 1980, pages 43 à 46.

Pour cer­tains, l’équa­tion de la réal­i­sa­tion du change­ment est assez sim­ple, il y a change­ment chaque fois que
(A + B + D) > X avec :

A = insat­is­fac­tion au sujet du sys­tème actuel
B = souhait de changement
D = facil­ité du pas­sage d’une sit­u­a­tion à l’autre
X = coût du changement.

Mais dans cette for­mu­la­tion, les qua­tre vari­ables sont toutes liées à la seule impres­sion des dif­férents acteurs du change­ment, à leur moti­va­tion, à leurs souhaits et à leur état d’e­sprit. On voit bien que le principe est essen­tielle­ment sub­jec­tif et dépen­dant des per­cep­tions des uns et des autres. D’où l’im­por­tance des méth­odes mis­es en œuvre pour y conduire.

Analyse du processus
Il se décom­pose en trois phas­es dis­tinctes et qu’il y a intérêt à indi­vid­u­alis­er au max­i­mum : une phase de déblocage, qui sup­pose le change­ment des alliances, la mod­i­fi­ca­tion du sché­ma et des rit­uels et qui fait sou­vent appel à des inter­ven­tions extérieures, puis un plan de flu­id­ité qui cor­re­spond à un proces­sus de change­ment non défi­ni où les gens sont main­tenus dans l’ex­pec­ta­tive et dans l’am­biguïté et enfin une phase de clar­i­fi­ca­tion ou de rigid­i­fi­ca­tion où le change­ment aboutit à une nou­velle déf­i­ni­tion de règles du jeu et de mode de fonc­tion­nement et d’or­gan­i­sa­tion. Cette dernière phase est indis­pens­able pour que l’en­tre­prise retrou­ve un mode d’opéra­tion nor­mal et que les objec­tifs soient à nou­veau clar­i­fiés pour le plus grand nom­bre de collaborateurs.

Ce qui est essen­tiel, pour que le change­ment soit aus­si bien accep­té, c’est que l’or­gan­i­sa­tion soit la plus récep­tive pos­si­ble à ce proces­sus. Cette récep­tiv­ité est d’au­tant plus grande que les pres­sions de l’en­vi­ron­nement sont recon­nues et analysées et que l’ex­plo­ration qui en con­state le besoin est réal­isée par des équipes mul­ti­fonc­tion­nelles, con­sti­tuées non pas par des experts ou des plan­i­fi­ca­teurs, mais par des opérationnels.

Chaque indi­vidu perçoit le change­ment comme un déracin­e­ment et une oblig­a­tion d’ou­bli­er le passé ou de couper tous les moyens de retourn­er au passé : c’est le rôle du leader de créer ce mou­ve­ment et de ménag­er ses efforts pour aboutir à ce résultat.

Ce qui est frap­pant, compte tenu de l’adage selon lequel “c’est le pois­son qui est le dernier à voir l’eau”, c’est que la néces­sité du change­ment et la mise en œuvre du change­ment sont les plus évi­dentes pour un inter­venant extérieur.

C’est pourquoi EIM (Exec­u­tive Inter­im Man­age­ment) peut être con­sid­érée comme un véri­ta­ble agent de change­ment. Créée en 1987, cette société inter­na­tionale de con­seil opéra­tionnel accom­pa­gne les entre­pris­es au cours des change­ments et des muta­tions aux­quels elles se trou­vent con­fron­tées, le plus sou­vent, dans des con­di­tions d’urgence.

Après une déf­i­ni­tion d’un prob­lème pré­cis, EIM présente à l’en­tre­prise un ou plusieurs man­agers de tran­si­tion adap­tés au besoin de l’en­tre­prise et dans un délai très court. Ce man­ag­er est sélec­tion­né avec l’en­tre­prise selon plusieurs critères : expéri­ence recon­nue dans le domaine d’ac­tiv­ité con­cerné ou un domaine proche, surqual­i­fi­ca­tion par rap­port au poste et disponi­bil­ité immé­di­ate. Il est salarié d’EIM mais passe la total­ité de son temps dans l’en­tre­prise cliente, le plus sou­vent dans des postes directe­ment opérationnels.

Ce man­ag­er de tran­si­tion dis­pose de tous les atouts pour favoris­er le change­ment. Extérieur à l’en­tre­prise et chargé d’une mis­sion à durée déter­minée à l’a­vance, il dis­pose d’une totale indépen­dance de vue et d’ac­tion. Ayant con­nu des sit­u­a­tions com­pa­ra­bles dans d’autres entre­pris­es il peut immé­di­ate­ment dégager les pri­or­ités et met­tre en œuvre le véri­ta­ble change­ment. Il a une capac­ité d’adap­ta­tion impor­tante à la cul­ture et à l’en­vi­ron­nement de dif­férentes entre­pris­es et un grand recul par rap­port à la tâche qui lui est con­fiée et donc la pos­si­bil­ité de la replac­er dans un cadre plus général.

Ces man­agers de tran­si­tion et de pro­jet sont de plus en plus fréquents dans les entre­pris­es. Ils sont aus­si de plus en plus nom­breux à souhaiter inter­venir sur des mis­sions de durée lim­itée plutôt que dans des postes fix­es. Il s’ag­it en général de cadres âgés d’au moins 45–50 ans et qui préfèrent con­sacr­er du temps à une série de mis­sions entre­coupées par des péri­odes de loisirs. Ils sont pour la plu­part autonomes finan­cière­ment et se con­sacrent à ces mis­sions plus par intérêt et par curiosité intel­lectuelle que par néces­sité économique. Ils font par­tie d’une nou­velle généra­tion de man­agers plus flex­i­bles et plus disponibles que leurs aînés et appor­tant une con­tri­bu­tion très impor­tante au renou­veau et au change­ment dans l’entreprise.

En con­clu­sion si la stratégie de change­ment et de rup­ture est très sou­vent celle qui est la plus adap­tée à l’en­vi­ron­nement actuel, alors c’est en pré­parant ce change­ment, et en met­tant en œuvre des struc­tures très flex­i­bles et néces­saire­ment très com­pé­tentes que l’on peut opti­miser la réac­tiv­ité aux oppor­tu­nités du marché. Le man­ag­er de tran­si­tion tel qu’il a été conçu et dévelop­pé par EIM con­stitue un nou­v­el out­il très impor­tant de ce proces­sus car il apporte son expéri­ence et son lead­er­ship dans cette péri­ode déli­cate dif­fi­cile à gér­er par les man­agers en place.

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