COMMENT RAISONNENT LES ÉCONOMISTES

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°667 Septembre 2011Par : Bernard Walliser (65)Rédacteur : Jacques Lesourne (48)Editeur : Éditions Odile Jacob : 15, rue Soufflot, 75005 Paris.

Bernard Wal­lis­er oeu­vre dis­crète­ment, mais effi­cace­ment à appro­fondir les bases de la sci­ence économique, notam­ment dans les domaines de la méthodolo­gie et des com­porte­ments individuels.

Il a dirigé récem­ment un excel­lent livre des édi­tions de l’EHESS qui com­pare la manière dont s’accumule le savoir dans les divers­es sci­ences sociales1. Aujourd’hui, il pub­lie aux édi­tions Odile Jacob, sous le titre Com­ment raison­nent les écon­o­mistes, un ouvrage qui exam­ine tous les rôles joués par les mod­èles en sci­ence économique. Il avait déjà pub­lié chez le même édi­teur L’Économie cog­ni­tive en 2000 et L’Intelligence de l’économie en 1994.

Bernard Wal­lis­er énumère six fonc­tions des modèles :

  1. La fonc­tion iconique (l’image d’une divinité) repose sur la cor­re­spon­dance que pos­tule le mod­élisa­teur entre les pro­priétés du sys­tème étudié et celles du mod­èle associé.
  2. La fonc­tion syl­lo­gis­tique (a entraîne b) est employée par le mod­élisa­teur pour déduire des con­clu­sions per­ti­nentes des hypothès­es retenues.
  3. La fonc­tion empirique (le test) se traduit par la mise à l’épreuve du résul­tat du mod­èle au regard des don­nées des observations.
  4. La fonc­tion heuris­tique (l’élaboration d’un mod­èle est créa­tion) rap­pelle l’effort d’imagination demandé au mod­élisa­teur pour engen­dr­er un mod­èle orig­i­nal et pertinent.
  5. La fonc­tion praxéologique (du mod­èle à l’action) est liée à l’utilisation du mod­èle par le mod­élisa­teur comme instru­ment au ser­vice d’une politique.
  6. La fonc­tion rhé­torique (le mod­èle comme out­il péd­a­gogique) se traduit par l’usage que peut en faire le mod­élisa­teur pour dif­fuser la com­préhen­sion du sys­tème étudié.

La finesse et la pré­ci­sion avec lesquelles Bernard Wal­lis­er analyse ces fonc­tions font pénétr­er le lecteur au coeur des préoc­cu­pa­tions des écon­o­mistes et per­me­t­tent de com­pren­dre com­ment avance la sci­ence économique.

Mais, comme toute sci­ence, cette dernière pro­gresse avec des essais et des erreurs et Bernard Wal­lis­er aurait pu réu­nir dans un chapitre final des remar­ques qu’il fait tout au long du livre sur la manière qu’ont les écon­o­mistes de se tromper à par­tir des modèles.

J’en prendrai un exem­ple : à par­tir notam­ment d’hypothèses sur l’indépendance des prévi­sions faites par les dif­férents acteurs, on peut con­clure à l’optimalité des cours des actions en Bourse, compte tenu des infor­ma­tions disponibles, et en con­clure que, dans le bilan d’une entre­prise, toutes les actions pos­sédées doivent être éval­uées à leur cours de Bourse. Mais que se passe-t-il s’il existe des phénomènes de con­ta­gion et de mimétisme entre les agents ? Or, ce phénomène engen­dre des mécan­ismes cumu­lat­ifs de mon­tée ou de baisse des cours. Une telle règle d’évaluation des act­ifs con­tribue alors à désta­bilis­er les marchés et à propager les crises.

Pourquoi des écon­o­mistes de valeur ont-ils été les défenseurs de ces mod­èles d’optimalité ? Parce qu’à l’origine ils avaient incon­sciem­ment une représen­ta­tion de la « réal­ité », un marché où les opéra­teurs agis­saient indépendamment.

Cet exem­ple suf­fit à mon­tr­er com­bi­en la réflex­ion de Bernard Wal­lis­er sur les mod­èles économiques peut être utile à ses lecteurs.

1. La cumu­la­tiv­ité du savoir en sci­ences sociales sous la direc­tion de B. Wal­lis­er, Enquête, édi­tions de l’École des hautes études en sci­ences sociales, 2009.

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