fonction publique au Royaume-Uni

Civil Service, la fonction publique au Royaume-Uni autonome et décentralisée

Dossier : La Haute fonction publique de l'ÉtatMagazine N°776 Juin 2022
Par Nicolas DROGI (X93)

La fonc­tion publique au Roy­aume-Uni emploie des agents à majorité sous con­trats régis par le droit com­mun du tra­vail. Seuls 10 % d’entre eux béné­fi­cient d’un cadre juridique pro­pre. Ces par­tic­u­lar­ités induisent un mode de recrute­ment des agents ouvert et diver­si­fié mais qui peine à attir­er l’expertise tech­nique dont a besoin l’action publique britannique.

Il n’existe pas dans le sys­tème bri­tan­nique d’équivalent aux corps tech­niques français. Il n’y a pas de statut ou de groupes de per­son­nel dont la voca­tion prin­ci­pale soit la seule ges­tion de pro­grammes tech­niques ou de con­trats indus­triels, que ce soit au prof­it du min­istère de la Défense ou au prof­it d’un autre min­istère en particulier. 

Le Civil Service, la fonction publique britannique

Les 10 % d’agents publics qui ne sont pas sous con­trat de droit com­mun, les Civ­il Ser­vants, dépen­dent d’un cadre juridique unique fixé au niveau du Cab­i­net Office (équiv­a­lent des ser­vices du Pre­mier min­istre en France). Ce cadre leur inter­dit par exem­ple de siéger dans des organ­ismes à car­ac­tère poli­tique et les soumet à divers­es oblig­a­tions, notam­ment un code de con­duite fondé sur des valeurs d’intégrité, d’honnêteté, d’objectivité et d’impartialité. Le Cab­i­net Office gère égale­ment un cadre com­mun de com­pé­tences et s’efforce d’harmoniser les éval­u­a­tions et de pilot­er les ressources par grand type de pro­fes­sion (juriste, acheteur, direc­tion de pro­gramme, etc.). Cepen­dant, la ges­tion des agents du Civ­il Ser­vice est large­ment décen­tral­isée. Chaque min­istère et chaque organ­isme gère les recrute­ments néces­saires au pour­voi de ses pro­pres postes. Chaque entité est aus­si directe­ment respon­s­able de la ges­tion RH des agents qu’il emploie (for­ma­tion con­tin­ue, éval­u­a­tions, promotions).


REPÈRES

Le secteur pub­lic représente au Roy­aume-Uni un peu plus de 5,5 mil­lions d’agents publics (enseigne­ment, san­té, sécu­rité, admin­is­tra­tions nationales et locales…). 90 % de cet effec­tif sont des agents sous con­trat. Leur sit­u­a­tion juridique est régie par le droit com­mun du tra­vail, avec des codes pro­pres à chaque employeur pub­lic qu’est un min­istère, une agence ou une autre insti­tu­tion publique et qui a sa pro­pre poli­tique de recrute­ment. Les agents du secteur pub­lic sont liés à ces employeurs par des con­trats de tra­vail, par­fois négo­ciés indi­vidu­elle­ment. Le reste cor­re­spond essen­tielle­ment au Civ­il Ser­vice, la fonc­tion publique bri­tan­nique : 450 000 agents, un peu moins de 10 % env­i­ron du secteur public.


Le seul cas de ges­tion cen­tral­isée est le dis­posi­tif dit Grad­u­ate Fast Stream qui per­met aux jeunes diplômés, en général des uni­ver­sités les plus pres­tigieuses et après un exa­m­en sélec­tif, d’accéder à des par­cours pro­fes­sion­nels accélérés et d’atteindre plus rapi­de­ment les postes de plus haut niveau. Ce dis­posi­tif cou­vre une péri­ode de 3 à 4 ans au début de la car­rière, pen­dant laque­lle l’agent va enchaîn­er des postes très dif­férents sur des cour­tes durées (en général pas plus de 6 mois) afin d’obtenir une con­nais­sance accélérée du min­istère et de son envi­ron­nement. La ges­tion de ces par­cours est cen­tral­isée au niveau d’une équipe dédiée, mais cette ges­tion s’arrête à l’issue du par­cours ini­tial : c’est à chaque agent de val­oris­er ensuite au mieux l’expérience acquise pour accéder à des postes à fortes responsabilités.

Le recrutement des Civil Servants

La loi de 2010 sur la réforme con­sti­tu­tion­nelle et la gou­ver­nance (Con­sti­tu­tion­al Reform and Gov­er­nance Act 2010) exige que les nom­i­na­tions au sein de la fonc­tion publique bri­tan­nique soient faites sur le fonde­ment d’une con­cur­rence loyale et ouverte. En con­séquence, le pour­voi des postes du Civ­il Ser­vice repose sys­té­ma­tique­ment sur des com­péti­tions qui doivent être menées de façon juste et trans­par­ente. Ces com­péti­tions peu­vent être lim­itées au per­son­nel de l’entité, de la direc­tion, voire du min­istère con­cerné ; il s’agit alors de mobil­ités internes. Elles peu­vent aus­si être com­plète­ment ouvertes et con­duire le cas échéant à des recrute­ments externes ; tout le monde peut alors can­di­dater, les Civ­il Ser­vants quel que soit leur min­istère d’appartenance comme les can­di­dats extérieurs. Les recrute­ments externes peu­vent inter­venir à tout niveau, même si en majorité les entrées dans le Civ­il Ser­vice se font plutôt en début de car­rière ou sur les postes de haut niveau. Ils ne sont pas lim­ités à un type de for­ma­tion ini­tiale ou à un groupe d’écoles ou d’universités en par­ti­c­uli­er. À l’inverse, les postes de niveau inter­mé­di­aire sont en général pourvus par des mobil­ités internes.

Une grande diversité de profils

Les principes d’ouverture et de trans­parence des com­péti­tions per­me­t­tent d’accéder à une grande diver­sité de pro­fils. Chaque can­di­dat est éval­ué sur la base de critères de com­pé­tences et de savoir-être objec­tifs et préal­able­ment défi­nis. Les CV sont sys­té­ma­tique­ment anonymisés. Les com­pé­tences de man­age­ment et de lead­er­ship ten­dent à être prépondérantes par rap­port aux com­pé­tences tech­niques, en par­ti­c­uli­er pour les postes de plus haut niveau et de direc­tion, afin d’accroître le vivi­er de can­di­dats disponibles pour chaque poste. À titre d’illustration, l’actuel directeur chargé des futurs pro­grammes d’armement du min­istère de la Défense bri­tan­nique a fait l’essentiel de sa car­rière au min­istère des Finances après avoir obtenu un Bach­e­lor en droit. Il a donc été recruté sans con­nais­sance tech­nique préal­able en matière de pro­grammes d’armement, mais en rai­son d’une car­rière réussie dans un autre min­istère. Un précé­dent directeur de DE&S a été recruté à l’extérieur, après une car­rière essen­tielle­ment réal­isée dans l’industrie aéro­nau­tique civile et dans le domaine mar­itime, sans expéri­ence directe dans le domaine de l’armement.

La mobilité des Civil Servants

D’une façon générale, la mobil­ité est encour­agée ; mais elle se heurte à plusieurs freins. La frag­men­ta­tion de l’administration bri­tan­nique con­duit à des dis­par­ités de rémunéra­tions ou de con­di­tions salar­i­ales qui peu­vent rapi­de­ment devenir prob­lé­ma­tiques et néces­siter des traite­ments au cas par cas. Cer­tains organ­ismes pos­sè­dent égale­ment des dis­posi­tifs de ges­tion des emplois et com­pé­tences qui intro­duisent un cer­tain nom­bre de spé­ci­ficités qui com­plex­i­fient les mobil­ités en dehors de ces organ­i­sa­tions, compte tenu des écarts avec le dis­posi­tif général. Cer­tains min­istères représen­tent des valeurs et des sym­bol­es spé­ci­fiques qui con­stituent un fac­teur d’attachement du per­son­nel. C’est notam­ment le cas du min­istère de la Défense dont le per­son­nel est donc glob­ale­ment jugé moins mobile que dans les autres ministères.

Une faible réactivité

Le proces­sus de sélec­tion par com­péti­tion présente par ailleurs l’inconvénient d’une assez faible réac­tiv­ité. Un délai de trois mois est en général néces­saire pour recruter quelqu’un dans le cadre d’une com­péti­tion interne et ce délai peut mon­ter jusqu’à neuf mois pour une com­péti­tion externe. La mobil­ité est donc red­outée par le man­age­ment, car le départ d’un agent peut con­duire à plusieurs mois de vacance, même lorsque le départ a été anticipé. Et dans le cas d’un rem­place­ment interne, pour­tant plus rapi­de qu’une com­péti­tion ouverte, c’est toute une chaîne de recrute­ments et de vacances de poste qui peut être impactée pen­dant de nom­breux mois.


Le cas du ministère de la Défense

Les effec­tifs du min­istère de la Défense sont com­posés d’environ : 140 000 mil­i­taires rat­tachés à l’une des trois armées (Roy­al Air Force, Roy­al Navy et British Army), 55 000 Civ­il Ser­vants et un peu moins de 5 000 agents publics qui ne relèvent pas du Civ­il Ser­vice et qui occu­pent des emplois très spé­ci­fiques (médecins, for­ma­teurs, etc.).
Les Civ­il Ser­vants sont prin­ci­pale­ment employés sur des fonc­tions de ges­tion finan­cière, pro­gram­ma­tique ou tech­nique et représen­tent l’essentiel de l’effectif des agences chargées des pro­jets tech­niques et indus­triels relat­ifs aux équipements de défense. Au sein de DE&S (Defence Equip­ment & Sup­port), l’agence bri­tan­nique équiv­a­lente de la direc­tion générale de l’armement en France, 85 % du per­son­nel, soit 10 500 per­son­nes, sont des Civ­il Ser­vants. Ils sont 3 700 sur un effec­tif total de 3 800 au sein du DSTL (Defence Sci­ence & Tech­nol­o­gy Lab­o­ra­to­ry), l’établissement regroupant les ingénieurs et experts tech­niques du min­istère de la défense.


Des échanges limités avec l’industrie

Enfin, si la mobil­ité vers l’industrie est encour­agée, celle-ci est finale­ment assez peu dévelop­pée compte tenu des écarts de salaires entre le secteur pub­lic et le secteur privé. Le min­istère de la Défense dis­pose d’une cer­taine marge de manœu­vre pour fix­er les salaires, mais ceux-ci doivent rester cohérents par rap­port à une échelle établie glob­ale­ment pour l’ensemble de l’administration bri­tan­nique, par rap­port à des niveaux et des cota­tions de poste. La capac­ité à adapter une propo­si­tion de salaire en fonc­tion de l’expérience de la per­son­ne à recruter est donc assez lim­itée et ne per­met pas d’être vrai­ment com­péti­tif par rap­port au privé. Les principes de déon­tolo­gie ten­dent égale­ment à lim­iter cer­tains départs vers l’industrie. Des exem­ples d’allers et retours avec l’industrie exis­tent, mais ils con­cer­nent surtout le plus haut niveau du man­age­ment : l’actuel directeur de DE&S a eu dans le passé une car­rière d’officier mil­i­taire, puis est par­ti tra­vailler dans le privé, avant de revenir au poste de directeur général de DE&S comme Civ­il Ser­vant.

“Un cadre juridique unique fixé au niveau du Cabinet Office.”

La gestion des emplois et des compétences

La val­ori­sa­tion des com­pé­tences général­istes est sou­vent jugée exces­sive et de nom­breuses études ont recon­nu le manque d’expertise tech­nique des fonc­tion­naires bri­tan­niques. Cepen­dant les emplois et com­pé­tences au sein du Civ­il Ser­vice sont glob­ale­ment bien défi­nis et struc­turés. À titre d’exemple, les postes relat­ifs au méti­er de direc­tion de pro­jet sont encadrés par un dis­posi­tif appelé Project Deliv­ery Capa­bil­i­ty Frame­work qui pré­cise : les com­pé­tences tech­niques et com­porte­men­tales jugées néces­saires en fonc­tion du niveau visé au sein d’un même méti­er ; les pro­gres­sions de car­rière pos­si­bles ; les out­ils de développe­ment et de for­ma­tion per­me­t­tant au per­son­nel de s’inscrire dans le par­cours de car­rière qui lui con­vient. Les dif­férents niveaux de respon­s­abil­ités de référence (directeur de pro­gramme, ges­tion­naire de risques, ges­tion­naire de plan­i­fi­ca­tion, etc.) peu­vent être acces­si­bles en fonc­tion du grade atteint au sein du Civ­il Ser­vice. Ils néces­si­tent égale­ment l’acquisition pro­gres­sive d’un cer­tain nom­bre de com­pé­tences qui doivent être de mieux en mieux maîtrisées au fur et à mesure que l’on monte en respon­s­abil­ité, que ce soit dans le domaine tech­nique ou dans le domaine du man­age­ment et du leadership. 

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