Christophe Bureau : AlchiMedics, une innovation qui révolutionne les dispositifs médicaux

Christophe Bureau, fondateur et président d’AlchiMedics, revient sur son parcours d’ingénieur et d’entrepreneur. Après avoir essuyé les plâtres de la création de start-up en France, il se consacre aujourd’hui au développement d’une technologie biomédicale innovante, axée sur les maladies cardiovasculaires. Une histoire qui mêle audace, résilience, et quête d’excellence scientifique.
Votre parcours est marqué par une entrée précoce dans l’entrepreneuriat scientifique. Pouvez-vous revenir sur vos débuts ?
Après ma thèse en physique quantique à l’ENS/Paris VI, j’ai été recruté au CEA pour travailler sur la réaction d’électro-greffage, un procédé électrochimique initialement étudié pour faire des revêtements anticorrosion. Cette recherche fondamentale a débouché sur des résultats étonnants, mais personne ne comprenait vraiment pourquoi la technologie fonctionnait si bien. J’ai été recruté pour faire la modélisation théorique des mécanismes réactionnels de l’électro-greffage. C’est à partir de cette découverte que j’ai créé en 2001 ma première start-up, Alchimer, avec pour objectif de développer des revêtements industriels innovants. À l’époque, la loi Allègre venait d’être promulguée qui permettait à des chercheurs d’être actionnaires de leur startup, et le concept même de start-up scientifique en France était balbutiant. Nous avons dû déposer dix brevets en un an pour structurer l’entreprise et attirer des investisseurs, une démarche totalement nouvelle pour les laboratoires du CEA issus de la recherche fondamentale.
Était-il difficile de convaincre les investisseurs ?
Absolument. Le cadre réglementaire et administratif était mal adapté à l’entrepreneuriat scientifique. J’ai même dû hypothéquer mes biens personnels pour garantir les brevets auprès des investisseurs. C’était une période de grande improvisation. Pourtant, nous avons levé 4,8 millions d’euros en 2003, en pleine crise financière, avant un second tour à 12 millions d’euros avec des partenaires prestigieux comme Intel Capital et Rothschild.
Comment êtes-vous passé des revêtements industriels à la médecine cardiovasculaire ?
L’idée est venue en explorant les applications biomédicales des revêtements. Nous avons développé une technologie pour les stents coronaires — ces petits dispositifs qui maintiennent les artères ouvertes. En 2006, une crise majeure a touché ce secteur : des stents relarguant des médicaments provoquaient des thromboses tardives, jusqu’à plusieurs années après implantation, sur un pourcentage inquiétant de patients, avec des taux de mortalité élevés.
Nous avons présenté notre solution à une spécialiste mondiale, le Dr Renu Virmani, ancienne anatomo-pathologiste de l’armée américaine : c’est elle qui a — la première — compris que les thromboses tardives étaient dues à une cicatrisation incomplète de l’artère suite à la pose de l’implant, à cause de la drogue relarguée. Nous étions dans nos petits souliers quand on a pu décrocher un rendez-vous avec elle à Baltimore pour lui présenter nos résultats si préliminaires ! Elle a immédiatement vu le potentiel de notre revêtement pour résoudre le problème, et nous a proposé de réaliser pour nous des essais animaux pour le démontrer. Ce fut un tournant. Nous avons scindé l’entreprise en deux et créé AlchiMedics pour nous concentrer exclusivement sur cette technologie.
Quels résultats avez-vous obtenus ?
Les tests réalisés avec le Dr Virmani ont montré dès 2007 que notre revêtement permettait une cicatrisation des artères post-implantation à la fois bien plus rapide et moins inflammatoire : elle avait donc bien le potentiel attendu de résoudre la thrombose tardive. Aujourd’hui, notre technologie équipe plus de 2 millions de patients à travers le monde, et procure les statistiques cliniques de sûreté patient les meilleures du monde malgré une thérapie anticoagulante courte. Le stent « HT Suprême » de la société Sinomed (Chine) par exemple, porteur de la technologie d’AlchiMedics, affiche les statistiques de thrombose tardive les plus basses jamais obtenues. Il est distribué en Asie, en Europe et bientôt aux États-Unis.
Votre nouvelle technologie semble prometteuse. Pouvez-vous la décrire ?
Nous travaillons, en collaboration avec l’INSERM, sur un revêtement biomimétique basé sur la protéine CD31, qui joue un rôle clé dans l’hémostase et la régulation de la réaction inflammatoire du sang : les protéines CD31 recouvrent la surface des plaquettes et des leucocytes de notre sang, ainsi que des cellules endothéliales qui tapissent nos artères saines. C’est grâce à l’interaction des « cils » CD31 que les plaquettes ou les leucocytes « reconnaissent » les cellules endothéliales des parois, et concluent que « tout est normal ». Nous inspirant de cela, nous avons réalisé des revêtements d’implants à base de peptides CD31 qui miment un endothélium sain : on « bluffe » ainsi les plaquettes en leur faisant croire que l’implant est un tissu naturel, empêchant ainsi l’inflammation et les complications comme les thromboses ou les réactions immunitaires.
“Nous travaillons sur un revêtement biomimétique basé sur la protéine CD31, qui joue un rôle clé dans l’hémostase et la régulation de la réaction inflammatoire du sang.”
En quoi cette innovation est-elle différente ?
Contrairement aux stents traditionnels qui relarguent des médicaments pour limiter les effets d’une inflammation qu’on laisse se déployer, notre technologie n’a pas recours à des molécules actives. Elle agit directement sur le comportement des cellules, en imitant les signaux biologiques naturels, et elle empêche le démarrage de l’inflammation. Cela permet une cicatrisation rapide et une réduction significative, très supérieures à tout ce qui a existé jusqu’ici, des risques pour les patients. C’est vrai en particulier pour les 30 à 40 % de patients à Haut Risque Hémorragique pour lesquels le traitement anticoagulant est source de graves complications post-implantation.
Vous avez mentionné une transition vers la biologie moléculaire. Comment cela a‑t-il influencé votre travail ?
En tant qu’ingénieur en matériaux, j’abordais les surfaces de manière physique : charges électriques, hydrophilie, etc. Mais ma femme, biologiste, m’a aidé à comprendre que les cellules interagissent comme des entités vivantes, en « dialoguant » entre elles via des signaux moléculaires. Cela a totalement changé ma vision. Aujourd’hui, nous travaillons à traduire ces interactions complexes en solutions applicables à l’échelle industrielle.
Quel est le modèle économique d’AlchiMedics ?
Nous ne fabriquons pas directement de dispositifs médicaux. Notre technologie est intégrée dans les produits de nos partenaires. Nous vendons des licences et transférons notre savoir-faire pour qu’ils puissent l’appliquer dans leurs usines. Cela nous permet de générer des revenus dès la signature des contrats, avec des paiements progressifs selon les étapes du développement, des tests précliniques aux essais cliniques et jusqu’à la commercialisation. Ce modèle assure une viabilité financière tout en maintenant notre rôle d’expert technologique.
Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?
Nous voulons étendre l’utilisation de notre technologie à d’autres implants médicaux, comme les valves cardiaques ou les dispositifs intracrâniens. Nous travaillons également à renforcer notre équipe et à déménager dans des locaux plus spacieux. L’objectif est de signer plusieurs partenariats majeurs en 2025, tout en accélérant le développement industriel et réglementaire de nos solutions.
Avez-vous besoin de lever des fonds ?
Nous ne sommes pas dans l’urgence grâce aux revenus générés par nos licences existantes, mais une levée de fonds nous permettra peut-être d’accélérer certains projets, notamment pour avancer sur des homologations internationales et étoffer notre capacité à accompagner nos partenaires.
Votre engagement dans ce domaine semble très personnel. Pourquoi ?
En 2021, j’ai moi-même subi une intervention avec des stents. Je porte d’ailleurs — par choix — des stents HT Supreme et j’ai donc la technologie d’électro-greffage tout contre mon cœur ! Sans être un patient HRH, j’ai quand même souffert des traitements anticoagulants. Cette expérience m’a convaincu de l’urgence d’innover pour améliorer les traitements. Je ressens une responsabilité particulière à rendre ces technologies accessibles et efficaces pour tous les patients, surtout ceux à haut risque.
Pour en savoir plus, visitez https://alchimedics.com
Chiffres clés d’AlchiMedics
- Année de création : 2007
- Effectif : 5 permanents et plusieurs freelances
- Technologie : revêtement biomimétique CD31
- Utilisation : stents coronaires, dispositifs vasculaires périphériques, valves cardiaques et occluders
- Marchés : Europe, Asie, Amérique