Christophe Bureau : AlchiMedics, une innovation qui révolutionne les dispositifs médicaux

Christophe Bureau : AlchiMedics, une innovation qui révolutionne les dispositifs médicaux

Dossier : Vie des entreprises - HealthtechMagazine N°804 Avril 2025
Par Christophe BUREAU

Chris­tophe Bureau, fon­da­teur et pré­sident d’AlchiMedics, revient sur son par­cours d’ingénieur et d’entrepreneur. Après avoir essuyé les plâtres de la créa­tion de start-up en France, il se consacre aujourd’hui au déve­lop­pe­ment d’une tech­no­lo­gie bio­mé­di­cale inno­vante, axée sur les mala­dies car­dio­vas­cu­laires. Une his­toire qui mêle audace, rési­lience, et quête d’excellence scientifique.

Votre parcours est marqué par une entrée précoce dans l’entrepreneuriat scientifique. Pouvez-vous revenir sur vos débuts ?

Après ma thèse en phy­sique quan­tique à l’ENS/Paris VI, j’ai été recru­té au CEA pour tra­vailler sur la réac­tion d’électro-greffage, un pro­cé­dé élec­tro­chi­mique ini­tia­le­ment étu­dié pour faire des revê­te­ments anti­cor­ro­sion. Cette recherche fon­da­men­tale a débou­ché sur des résul­tats éton­nants, mais per­sonne ne com­pre­nait vrai­ment pour­quoi la tech­no­lo­gie fonc­tion­nait si bien. J’ai été recru­té pour faire la modé­li­sa­tion théo­rique des méca­nismes réac­tion­nels de l’électro-greffage. C’est à par­tir de cette décou­verte que j’ai créé en 2001 ma pre­mière start-up, Alchi­mer, avec pour objec­tif de déve­lop­per des revê­te­ments indus­triels inno­vants. À l’époque, la loi Allègre venait d’être pro­mul­guée qui per­met­tait à des cher­cheurs d’être action­naires de leur star­tup, et le concept même de start-up scien­ti­fique en France était bal­bu­tiant. Nous avons dû dépo­ser dix bre­vets en un an pour struc­tu­rer l’entreprise et atti­rer des inves­tis­seurs, une démarche tota­le­ment nou­velle pour les labo­ra­toires du CEA issus de la recherche fondamentale.

Était-il difficile de convaincre les investisseurs ?

Abso­lu­ment. Le cadre régle­men­taire et admi­nis­tra­tif était mal adap­té à l’entrepreneuriat scien­ti­fique. J’ai même dû hypo­thé­quer mes biens per­son­nels pour garan­tir les bre­vets auprès des inves­tis­seurs. C’était une période de grande impro­vi­sa­tion. Pour­tant, nous avons levé 4,8 mil­lions d’euros en 2003, en pleine crise finan­cière, avant un second tour à 12 mil­lions d’euros avec des par­te­naires pres­ti­gieux comme Intel Capi­tal et Rothschild.

Comment êtes-vous passé des revêtements industriels à la médecine cardiovasculaire ?

L’idée est venue en explo­rant les appli­ca­tions bio­mé­di­cales des revê­te­ments. Nous avons déve­lop­pé une tech­no­lo­gie pour les stents coro­naires — ces petits dis­po­si­tifs qui main­tiennent les artères ouvertes. En 2006, une crise majeure a tou­ché ce sec­teur : des stents relar­guant des médi­ca­ments pro­vo­quaient des throm­boses tar­dives, jusqu’à plu­sieurs années après implan­ta­tion, sur un pour­cen­tage inquié­tant de patients, avec des taux de mor­ta­li­té élevés.

Nous avons pré­sen­té notre solu­tion à une spé­cia­liste mon­diale, le Dr Renu Vir­ma­ni, ancienne ana­to­mo-patho­lo­giste de l’armée amé­ri­caine : c’est elle qui a — la pre­mière — com­pris que les throm­boses tar­dives étaient dues à une cica­tri­sa­tion incom­plète de l’artère suite à la pose de l’implant, à cause de la drogue relar­guée. Nous étions dans nos petits sou­liers quand on a pu décro­cher un ren­dez-vous avec elle à Bal­ti­more pour lui pré­sen­ter nos résul­tats si pré­li­mi­naires ! Elle a immé­dia­te­ment vu le poten­tiel de notre revê­te­ment pour résoudre le pro­blème, et nous a pro­po­sé de réa­li­ser pour nous des essais ani­maux pour le démon­trer. Ce fut un tour­nant. Nous avons scin­dé l’entreprise en deux et créé Alchi­Me­dics pour nous concen­trer exclu­si­ve­ment sur cette technologie.

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Les tests réa­li­sés avec le Dr Vir­ma­ni ont mon­tré dès 2007 que notre revê­te­ment per­met­tait une cica­tri­sa­tion des artères post-implan­ta­tion à la fois bien plus rapide et moins inflam­ma­toire : elle avait donc bien le poten­tiel atten­du de résoudre la throm­bose tar­dive. Aujourd’hui, notre tech­no­lo­gie équipe plus de 2 mil­lions de patients à tra­vers le monde, et pro­cure les sta­tis­tiques cli­niques de sûre­té patient les meilleures du monde mal­gré une thé­ra­pie anti­coa­gu­lante courte. Le stent « HT Suprême » de la socié­té Sino­med (Chine) par exemple, por­teur de la tech­no­lo­gie d’AlchiMedics, affiche les sta­tis­tiques de throm­bose tar­dive les plus basses jamais obte­nues. Il est dis­tri­bué en Asie, en Europe et bien­tôt aux États-Unis.

Votre nouvelle technologie semble prometteuse. Pouvez-vous la décrire ?

Nous tra­vaillons, en col­la­bo­ra­tion avec l’INSERM, sur un revê­te­ment bio­mi­mé­tique basé sur la pro­téine CD31, qui joue un rôle clé dans l’hémostase et la régu­la­tion de la réac­tion inflam­ma­toire du sang : les pro­téines CD31 recouvrent la sur­face des pla­quettes et des leu­co­cytes de notre sang, ain­si que des cel­lules endo­thé­liales qui tapissent nos artères saines. C’est grâce à l’interaction des « cils » CD31 que les pla­quettes ou les leu­co­cytes « recon­naissent » les cel­lules endo­thé­liales des parois, et concluent que « tout est nor­mal ». Nous ins­pi­rant de cela, nous avons réa­li­sé des revê­te­ments d’implants à base de pep­tides CD31 qui miment un endo­thé­lium sain : on « bluffe » ain­si les pla­quettes en leur fai­sant croire que l’implant est un tis­su natu­rel, empê­chant ain­si l’inflammation et les com­pli­ca­tions comme les throm­boses ou les réac­tions immunitaires.

“Nous travaillons sur un revêtement biomimétique basé sur la protéine CD31, qui joue un rôle clé dans l’hémostase et la régulation de la réaction inflammatoire du sang.”

En quoi cette innovation est-elle différente ?

Contrai­re­ment aux stents tra­di­tion­nels qui relarguent des médi­ca­ments pour limi­ter les effets d’une inflam­ma­tion qu’on laisse se déployer, notre tech­no­lo­gie n’a pas recours à des molé­cules actives. Elle agit direc­te­ment sur le com­por­te­ment des cel­lules, en imi­tant les signaux bio­lo­giques natu­rels, et elle empêche le démar­rage de l’inflammation. Cela per­met une cica­tri­sa­tion rapide et une réduc­tion signi­fi­ca­tive, très supé­rieures à tout ce qui a exis­té jusqu’ici, des risques pour les patients. C’est vrai en par­ti­cu­lier pour les 30 à 40 % de patients à Haut Risque Hémor­ra­gique pour les­quels le trai­te­ment anti­coa­gu­lant est source de graves com­pli­ca­tions post-implantation.

Vous avez mentionné une transition vers la biologie moléculaire. Comment cela a‑t-il influencé votre travail ?

En tant qu’ingénieur en maté­riaux, j’abordais les sur­faces de manière phy­sique : charges élec­triques, hydro­phi­lie, etc. Mais ma femme, bio­lo­giste, m’a aidé à com­prendre que les cel­lules inter­agissent comme des enti­tés vivantes, en « dia­lo­guant » entre elles via des signaux molé­cu­laires. Cela a tota­le­ment chan­gé ma vision. Aujourd’hui, nous tra­vaillons à tra­duire ces inter­ac­tions com­plexes en solu­tions appli­cables à l’échelle industrielle.

Quel est le modèle économique d’AlchiMedics ?

Nous ne fabri­quons pas direc­te­ment de dis­po­si­tifs médi­caux. Notre tech­no­lo­gie est inté­grée dans les pro­duits de nos par­te­naires. Nous ven­dons des licences et trans­fé­rons notre savoir-faire pour qu’ils puissent l’appliquer dans leurs usines. Cela nous per­met de géné­rer des reve­nus dès la signa­ture des contrats, avec des paie­ments pro­gres­sifs selon les étapes du déve­lop­pe­ment, des tests pré­cli­niques aux essais cli­niques et jusqu’à la com­mer­cia­li­sa­tion. Ce modèle assure une via­bi­li­té finan­cière tout en main­te­nant notre rôle d’expert technologique.

Quels sont vos objectifs pour les années à venir ?

Nous vou­lons étendre l’utilisation de notre tech­no­lo­gie à d’autres implants médi­caux, comme les valves car­diaques ou les dis­po­si­tifs intra­crâ­niens. Nous tra­vaillons éga­le­ment à ren­for­cer notre équipe et à démé­na­ger dans des locaux plus spa­cieux. L’objectif est de signer plu­sieurs par­te­na­riats majeurs en 2025, tout en accé­lé­rant le déve­lop­pe­ment indus­triel et régle­men­taire de nos solutions.

Avez-vous besoin de lever des fonds ?

Nous ne sommes pas dans l’urgence grâce aux reve­nus géné­rés par nos licences exis­tantes, mais une levée de fonds nous per­met­tra peut-être d’accélérer cer­tains pro­jets, notam­ment pour avan­cer sur des homo­lo­ga­tions inter­na­tio­nales et étof­fer notre capa­ci­té à accom­pa­gner nos partenaires.

Votre engagement dans ce domaine semble très personnel. Pourquoi ?

En 2021, j’ai moi-même subi une inter­ven­tion avec des stents. Je porte d’ailleurs — par choix — des stents HT Supreme et j’ai donc la tech­no­lo­gie d’électro-greffage tout contre mon cœur ! Sans être un patient HRH, j’ai quand même souf­fert des trai­te­ments anti­coa­gu­lants. Cette expé­rience m’a convain­cu de l’urgence d’innover pour amé­lio­rer les trai­te­ments. Je res­sens une res­pon­sa­bi­li­té par­ti­cu­lière à rendre ces tech­no­lo­gies acces­sibles et effi­caces pour tous les patients, sur­tout ceux à haut risque.

Pour en savoir plus, visi­tez https://alchimedics.com


Chiffres clés d’AlchiMedics

  • Année de créa­tion : 2007
  • Effec­tif : 5 per­ma­nents et plu­sieurs freelances
  • Tech­no­lo­gie : revê­te­ment bio­mi­mé­tique CD31
  • Uti­li­sa­tion : stents coro­naires, dis­po­si­tifs vas­cu­laires péri­phé­riques, valves car­diaques et occluders
  • Mar­chés : Europe, Asie, Amérique

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