Chine : le programme d’industrie nucléaire le plus ambitieux au monde

Dossier : Le nucléaireMagazine N°780 Décembre 2022
Par Tony d’ALETTO

La Chine s’est appuyée d’abord sur des tech­nolo­gies étrangères pour dévelop­per son nucléaire civ­il. À présent elle est autonome et le développe­ment de ses capac­ités la place non seule­ment à la tête des nations nucléaires, mais encore comme un expor­ta­teur de pre­mier plan. 

À par­tir des années 1980, la Chine s’est lancée dans un pro­gramme nucléaire civ­il, avec l’aide notable de la Russie et de la France. Son pre­mier réac­teur de tech­nolo­gie chi­noise (300 MWe) a divergé en 1991, mais le pays s’est beau­coup appuyé durant les années 1990–2010 sur les tech­nolo­gies étrangères, français­es (M310 puis EPR), russ­es (VVER) et améri­caines (AP1000). 

Le parc nucléaire chinois

Aujourd’hui, la Chine dis­pose d’un parc élec­tronu­cléaire de 54 réac­teurs en fonc­tion­nement pour une puis­sance totale instal­lée de 56 GWe, ce qui fait d’elle le 3e pays nucléaire en ter­mes de puis­sance instal­lée. Elle a pro­duit en 2021 l’équivalent de 407 TWh d’électricité nucléaire, ce qui la place en sec­onde posi­tion, der­rière les USA certes, mais pour la deux­ième année con­séc­u­tive devant la France. Le parc nucléaire chi­nois est jeune (neuf ans de moyenne d’âge) et il s’agrandit à grande vitesse : ces cinq dernières années, la Chine a mis en ser­vice 21 réac­teurs et 38 durant la dernière décen­nie. Elle prévoit que sa puis­sance instal­lée sera de 70 GWe à l’issue du plan quin­quen­nal en cours, ce qui cor­re­spond peu ou prou à la mise en ser­vice d’une ving­taine de nou­veaux réac­teurs, sur un rythme annuel de 4 à 5 nou­velles unités. Et, pour cette seule année 2022, 10 nou­veaux pro­jets ont été annoncés.

Une double ambition politique de neutralité carbone et d’indépendance technologique

La Chine a le pro­gramme nucléaire le plus ambitieux au monde. 23 tranch­es sont actuelle­ment en con­struc­tion et les autorités annon­cent avoir la capac­ité de men­er de front plus de 30 chantiers de réac­teurs nucléaires. Même si la fis­sion compte encore peu dans son bilan énergé­tique (2,3 % de l’énergie pri­maire et 5 % de l’électricité), l’énergie nucléaire dis­pose pour l’avenir de deux atouts majeurs dans ce pays. Il par­ticipe d’une part à la tran­si­tion énergé­tique mise en avant au plus haut niveau de l’État ; les régions, les mégapoles et les entre­pris­es décli­nent comme un seul homme les nou­veaux objec­tifs du pays. Dans cette volon­té de neu­tral­ité car­bone, le nucléaire est porté par les instances poli­tiques comme une énergie de la tran­si­tion, au même titre que les renou­ve­lables. D’autre part la Chine a tra­vail­lé de longue date à la sin­i­sa­tion des con­cepts importés : leur nou­veau réac­teur Hua­long est certes dérivé des mod­èles français, mais il est main­tenant con­sid­éré comme 100 % chi­nois dans sa con­cep­tion et béné­fi­cie d’un taux de local­i­sa­tion supérieur à 90 %. Dans sa forte volon­té poli­tique d’indépendance tech­nologique, c’est aus­si un atout majeur pour le développe­ment de l’énergie nucléaire. 

Le réacteur Hualong

Il ne fait aucun doute que le Hua­long, réac­teur à eau pres­surisée de 3e généra­tion, dont le pre­mier exem­plaire a démar­ré en jan­vi­er 2021, con­stituera la grande majorité des futurs réac­teurs chi­nois. D’ailleurs, onze sont actuelle­ment en con­struc­tion et cinq autres en phase pro­jet. Dis­posant d’une durée de vie de soix­ante ans, ces réac­teurs sont l’avenir nucléaire de la Chine pour le XXIe siè­cle et pour l’accompagner dans sa tran­si­tion énergé­tique, puisqu’ils fonc­tion­neront au-delà de 2080. La Chine a con­som­mé en 2020 plus de deux fois plus d’énergie que l’Europe des Vingt-Sept, à 85 % basée sur des éner­gies fos­siles. Son besoin en éner­gies de rem­place­ment non pro­duc­tri­ces de CO2 est donc gigan­tesque. En com­plé­men­tar­ité du solaire et de l’éolien, plutôt implan­tés dans le nord-ouest du pays aux con­di­tions météorologiques favor­ables et peu peu­plé, c’est d’une pro­duc­tion d’énergie con­cen­trée dont la Chine a besoin dans l’ouest du pays, le long de ses côtes, pour laque­lle seules de gross­es unités de pro­duc­tion – des Hua­long de 1 150 MWe – peu­vent répon­dre. 

Des SMR pour remplacer les centrales à charbon

Pour autant, au-delà de la pro­duc­tion d’électricité, la Chine compte égale­ment sur le nucléaire – les SMR en par­ti­c­uli­er — pour répon­dre à d’autres besoins et elle déploie des moyens humains et tech­niques con­sid­érables pour par­venir à ses fins. Ain­si les petits réac­teurs mod­u­laires (SMR) sont étudiés pour le rem­place­ment de cen­taines de cen­trales à char­bon vieil­lis­santes (plus de 3 000 cen­trales à char­bon sont en fonc­tion­nement en Chine), pour la pro­duc­tion d’hydrogène, pour des implan­ta­tions dans l’ouest du pays qui est isolé des prin­ci­pales lignes élec­triques ou dans le nord du pays pour le chauffage urbain.

“L’innovation n’est pas recherchée à tout prix.”

Les élec­triciens chi­nois, CNNC (Chi­na Nation­al Nuclear Cor­po­ra­tion), CGN (Chi­na Gen­er­al Nuclear) et SPIC (State Pow­er Invest­ment Cor­po­ra­tion), se livrent une com­péti­tion sur le sujet et une dizaine de mod­èles dif­férents sont à l’étude, cou­vrant une gamme de puis­sance allant de 25 à 400 MW ther­miques. La Chine tra­vaille de front sur tous les types de SMR, des plus inno­vants comme les réac­teurs à sels fon­dus, aux plus con­ven­tion­nels comme ceux directe­ment dérivés des cen­trales à eau sous pres­sion. L’innovation n’est pas recher­chée à tout prix et, sur cette dernière gamme, l’impératif est avant tout de maîtris­er les coûts, avec un dou­ble objec­tif : rem­plac­er les cen­trales à char­bon sans renchérir le prix de l’électricité et dis­pos­er de SRM chi­nois très com­péti­tifs à l’export. 

Les recherches et innovations chinoises

Les uni­ver­sités et l’Académie des sci­ences chi­noise s’impliquent égale­ment dans le nucléaire du futur. L’université Tsinghua – grande uni­ver­sité péki­noise qui a joué his­torique­ment un rôle dans le développe­ment de la propul­sion nucléaire en Chine – investit depuis de nom­breuses années dans les réac­teurs à haute tem­péra­ture. Elle dis­pose sur son site à Pékin d’un petit réac­teur expéri­men­tal à haute tem­péra­ture de 10 MW et elle vient de met­tre en ser­vice, en col­lab­o­ra­tion avec l’électricien CNNC, le pre­mier réac­teur à haute tem­péra­ture chi­nois situé sur le site de Shi­daowan, dans la province du Shan­dong. D’une puis­sance de 210 MWe, ce réac­teur de 4e généra­tion à lit de boulets et refroi­di à l’hélium fait par­tie des mod­èles que la Chine souhaite ultérieure­ment exporter. L’Académie des sci­ences chi­noise tra­vaille de son côté sur la fil­ière des réac­teurs à sels fon­dus où le com­bustible est liq­uide – en l’occurrence du tho­ri­um dis­sous dans un sel de flu­o­rure – met­tant en avant le car­ac­tère plus sûr, plus pro­pre (le retraite­ment est réal­isé en ligne) et plus économe des ressources naturelles, le tho­ri­um étant abon­dant en Chine. Un pro­jet est en cours pour cou­pler ce type de réac­teur à de la pro­duc­tion d’hydrogène, tan­dis qu’un autre con­sor­tium vient de se créer en vue de pro­mou­voir la pro­duc­tion d’hydrogène à par­tir de réac­teurs à gaz à haute tem­péra­ture. La CNNC tra­vaille égale­ment dans le développe­ment des réac­teurs à neu­trons rapi­des refroidis au sodi­um. Un pre­mier réac­teur expéri­men­tal de 20 MW a divergé en 2014, et l’entreprise, qui dis­pose de moyens con­sid­érables, s’est aus­si engagée dans la réal­i­sa­tion de deux réac­teurs de 600 MWe, dont le pre­mier devrait démar­rer en 2023. 

Une vision à long terme

Ce ne sont là que quelques exem­ples qui vien­nent démon­tr­er que la Chine croit et investit dans le nucléaire. Au-delà des pre­miers réac­teurs de 3e généra­tion qui vien­nent de démar­rer en Chine (Hua­long, AP1000 et EPR), des SRM et des réac­teurs de 4e généra­tion seront bien­tôt en ser­vice dans le pays pour répon­dre à une gamme plus large d’applications. Le gou­verne­ment chi­nois encadre avec prag­ma­tisme (plans quin­quen­naux) le développe­ment du nucléaire et suit les dif­férentes ini­tia­tives pour les fil­ières du futur, se réser­vant d’infléchir sa poli­tique en fonc­tion des résul­tats obtenus. Il est clair qu’en Chine le nucléaire n’est pas con­sid­éré comme une énergie du passé, mais comme une énergie du présent et du futur, à même d’apporter une con­tri­bu­tion aux besoins énergé­tiques gigan­tesques du pays sans émet­tre de gaz à effet de serre et sans pol­lu­tion de l’air, par oppo­si­tion notable au char­bon vis-à-vis duquel le pays va devoir réduire sa dépen­dance. 

L’industrie nucléaire est un secteur d’activité à temps long, dans lequel il est beau­coup plus rapi­de de per­dre des acquis que d’en con­stituer de nou­veaux. Dans ce domaine, la Chine dis­pose aujourd’hui d’un tis­su indus­triel unique au monde, per­for­mant et capa­ble de met­tre en ser­vice dix à douze réac­teurs par an, en toute autonomie. Elle dis­pose égale­ment d’un poten­tiel humain dans la R & D qui va la plac­er d’ici peu à l’avant-garde pour les généra­tions futures de réac­teurs, avec la capac­ité d’en maîtris­er les coûts et les délais. Ses atouts indus­triels et humains poussent doré­na­vant la Chine à exporter ses mod­èles, comme elle le fait déjà au Pak­istan où deux réac­teurs Hua­long sont en ser­vice ou en Argen­tine où elle vient d’en ven­dre un, clés en main. Ces con­trats nucléaires ne sont rien de moins qu’une nou­velle décli­nai­son de leur Belt and Road Ini­tia­tive 

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