Changement climatique : un risque industriel aussi

Depuis plusieurs années, le climat s’invite fortement dans les dossiers de sécurité industrielle. Submersions, tempêtes, canicules, feux de forêt : les aléas naturels peuvent constituer des menaces pour les sites industriels. Au cœur de cette mutation, la Direction générale de la Prévention des Risques (DGPR), administration technique de référence, pilote l’adaptation du tissu industriel français. Entretien avec Cédric Bourillet (X97), directeur général.
Pouvez-vous présenter brièvement la DGPR et ses missions ?
La DGPR est une direction du ministère de la Transition écologique. Elle regroupe plus de 250 agents en administration centrale et coordonne plus de 3000 agents dans les territoires. Sa mission est d’évaluer, d’anticiper, de mettre à disposition les informations, de sensibiliser, de réglementer, de contrôler les acteurs afin de maîtriser les risques (ou leurs conséquences potentielles), que ces risques soient industriels ou naturels. Nous intervenons sur ce qui peut impacter la santé humaine ou les écosystèmes : pollutions, aléas climatiques, accidents industriels, déchets, produits chimiques, bruit, ondes…
Quel est votre parcours, et comment êtes-vous arrivé à la tête de cet organisme ?
Je suis X97, passé par plusieurs postes dans la sphère publique, notamment sur les sujets de risques et d’environnement. Avant de rejoindre la DGPR, j’ai dirigé des services régionaux de l’État. Ce poste est un point de convergence entre expertise technique, enjeux de politiques publiques au niveau national ou international.
En quoi le changement climatique a-t-il transformé votre champ d’action ?
Il nous oblige à nous adapter. Nos référentiels méthodologiques sont robustes, mais doivent être dimensionnés avec des hypothèses climatiques. Or les prévisions d’évolution du climat changent. Les aléas se multiplient, deviennent plus violents, moins prévisibles. Cela oblige à modifier les calculs des risques, les niveaux de protection attendus et à faire évoluer les méthodes de gestion de crise. Nous devons rester souples, agiles et prospectifs.
“Le changement climatique nous oblige à nous adapter. Nos référentiels méthodologiques doivent être dimensionnés avec des hypothèses climatiques, et les prévisions d’évolution climatiques changent.”
Les industriels ont-ils pleinement pris conscience de cette nouvelle donne ?
Les plus exposés, oui. Beaucoup de grands groupes anticipent ces sujets depuis plusieurs années, via leurs plans stratégiques ou leurs engagements RSE. Sur le terrain, d’autres acteurs ou exploitants, notamment des entreprises plus petites, ont plus de difficultés à se projeter. Le rôle de l’État, ici, c’est de faire prendre conscience et d’adapter le niveau d’exigence, tout en facilitant l’accès à l’information et aux outils de préparation.
Pourquoi est-ce un sujet clé pour la France aujourd’hui ?
Parce que notre pays est dense, industrialisé, et exposé à des aléas variés : mer, montagne, littoral, forêt. En outre, la compétitivité industrielle de demain passe aussi par la robustesse face au climat.
Quels sont les impacts les plus visibles du changement climatique sur les risques industriels aujourd’hui ?
Le plus marquant, c’est l’augmentation des phénomènes naturels extrêmes : submersions marines, inondations, incendies, tempêtes. Tous peuvent déstabiliser des sites industriels, provoquer des accidents, ou gêner les secours. Nous avons vu, par exemple, des feux de forêt traverser des sites classés Seveso, sans conséquences graves grâce aux mesures en place. Il faut s’adapter partout sur notre territoire, même là où ces aléas étaient auparavant rares.
Un autre aspect est la raréfaction de l’eau dans certains territoires, pendant des périodes longues de l’année. Or beaucoup de sites industriels ont besoin d’eau pour des réserves de sécurité, éliminer des calories (c’est-à-dire se refroidir) ou éliminer des résidus de production.
Comment les entreprises doivent-elles adapter leurs dispositifs ?
D’abord, en connaissant mieux les risques auxquels elles sont exposées localement. Ensuite, en prévoyant des parades techniques et organisationnelles : rehaussement des installations sensibles, plans d’évacuation, autonomie énergétique en cas de rupture d’alimentation, etc. Et enfin, en intégrant l’adaptation climatique dans leur culture de sécurité. Nous ne pouvons plus nous contenter d’attendre l’alerte météo pour réfléchir aux actions de protection à mener.
Avez-vous des exemples récents de sites impactés ?
Oui : des stockages de produits chimiques ont connu des échauffements anormaux, des départs d’incendie ont été observés. Le feu de végétation est parfois entré sur les sites industriels : le système d’alerte a fonctionné, mais tous les sites industriels ne sont pas encore préparés à de telles situations.
La réglementation actuelle est-elle suffisante ?
Elle s’adapte. Les textes européens et nationaux créent un cadre méthodologique solide, qui doit ensuite être décliné en fonction de la réalité chiffrée des phénomènes.
Il faut aussi faire évoluer les pratiques au quotidien, pas seulement les textes.
Quelles sont les grandes priorités de la DGPR aujourd’hui ?
Premièrement, cartographier les risques climatiques pour chaque territoire d’implantation. Deuxièmement, transmettre ces données aux exploitants et les accompagner dans leur adaptation. Troisièmement, renforcer la préparation à la crise : exercices, coordination avec les secours, capacités d’autonomie des sites.
Enfin, préparer les conditions d’un retour rapide à la normale après crise pour éviter des effets de longue durée sur la vie économique et sociale.
Les Plans de Prévention des Risques Technologiques sont-ils appelés à évoluer ?
De façon marginale. Ce sont essentiellement des règles d’urbanisme autour des sites industriels, pour éviter la coexistence de bâtiments vulnérables avec les sites industriels. Ces plans étaient conçus, après l’accident AZF, pour traiter les situations héritées du passé. Pour les projets industriels nouveaux ou en extension, nous utilisons plutôt les servitudes d’utilité publique, souples et adaptées. Le but est le même : maîtriser l’urbanisation autour des sites à risque.
Faut-il investir uniquement dans le matériel ?
Non. La résilience repose autant sur la culture du risque, la préparation et les exercices que sur l’ingénierie. Il faut que chaque salarié comprenne les risques liés au climat, sache comment réagir, comment maîtriser le site industriel et ainsi protéger l’environnement et les populations.
La décarbonation et l’adaptation peuvent-elles avancer ensemble ?
Elles doivent. Les synergies sont nombreuses : recyclage de l’eau, efficacité énergétique, choix de matériaux plus résilients, etc.
Comment gérer les tensions sur les ressources ?
La gestion des risques industriels doit anticiper les tensions hydriques ou énergétiques. Il existe des méthodologies, pour cela. Une pénurie d’eau peut compromettre un système de refroidissement, une panne électrique désactiver un dispositif de sécurité. C’est pourquoi nous travaillons aussi sur des scénarios de rupture de flux.
Quels partenariats sont les plus efficaces pour renforcer la résilience ?
Au niveau local : entre exploitants, collectivités et services de l’État. Nous incitons les industriels à partager leurs organisations de crise avec les maires, les pompiers, le public. Au niveau international : avec l’UE, l’OCDE et d’autres encore, pour harmoniser les règles et tirer parti des meilleures pratiques.
Pourquoi un jeune polytechnicien devrait-il s’intéresser à ces questions ?
Parce que c’est un sujet de science, de technique, mais aussi de société, avec du sens. Il faut comprendre les phénomènes physiques, interagir avec les industriels, les élus, les citoyens, arbitrer entre contraintes réglementaires, exigences écologiques et réalités économiques. C’est passionnant, utile et profondément moderne.




