… c’est la finance

« Mon ennemi c’est la finance ! »
Mais quand elle est durable ?
Autant l’avouer, par le problème d’a contrario qu’elle pose, son caractère modérément scientifique et à la fois indiscutable par principe, la notion de finance durable appelle une mise en garde méthodologique. Tant mieux si La Jaune et la Rouge s’y colle et s’attache à présenter les choses de façon panoramique pour éclairer notre lanterne sur la diversité, la technicité et l’importance d’une finance au service d’investissements et d’entreprises qui font œuvre utile.
Question épineuse en soi, matière à débat, elle prend une teinte particulière au moment où l’ordre mondial occidental se fissure. Comment prendre en compte les critères d’une finance plus vertueuse lorsque le cadre de l’économie mondialisée est en cause ; faut-il continuer à lui reconnaître la même importance lorsque la notion de régulation est violemment contestée au profit de la loi du plus fort ?
Dans les économies, en particulier anglo-saxonnes, où les financements sont davantage apportés par des fonds d’investissement que par les prêts bancaires, la question n’est pas récente de savoir comment éclairer les bailleurs sur le fléchage de leurs apports : comment leur fournir une forme de garantie que leur argent ne servira pas à soutenir des causes contestées.
Le concept de développement durable a fait sa place dans les années 90 avant de se mondialiser et de se codifier autour des objectifs des Nations unies. Puis le consensus s’est établi (on voudrait en être sûr) autour de l’idée que l’ennemi d’une planète durablement hospitalière, c’était non pas la finance mais le trop-plein de dioxyde de carbone d’origine anthropique. L’ensemble des causes contestables s’est élargi, non plus cantonné aux trafics divers, d’armes ou de stupéfiants.
“Faire simple, si possible. Ce serait le vœu, pieux, pour une finance durable qui soit durable.”
Au même moment se développait, dans les pays occidentaux témoins des effets collatéraux dérangeants du capitalisme mondialisé en hypercroissance, l’ESG (environnement, social, gouvernance) et sa sous famille hexagonale RSE (responsabilité sociétale et environnementale). L’idée est de s’assurer, par une architecture de normes nouvelles, que les sociétés commerciales, fondamentalement associations à but lucratif, se développent en ayant à cœur de ne pas en rabattre sur les fondamentaux humains : soigner ses salariés, ses sous-traitants, son empreinte environnementale, ses parties prenantes, la place relative des hommes et des femmes, bénéficier aux territoires, disposer d’une gouvernance codée par des fondamentaux de bonne gestion, de bonne morale aussi.
Celles et ceux qui ont participé à des organes de gouvernance ces vingt dernières années sont probablement frappés par la place que l’ESG-RSE a prise dans les agendas, et le temps qui y est consacré en comparaison des questions financières, de stratégie de marchés ou de gestion de risques opérationnels.
La discipline du reporting non financier (au service en particulier de l’investissement durable) pâtit du fait qu’elle est encore jeune et qu’elle s’est ancrée dans le paysage avec une ambition de rigueur scientifique que les outils à disposition ne permettaient pas réellement de soutenir.
L’épisode récent est instructif, qui a vu les États-Unis nouvelle manière envoyer ad patres ces considérations, et en réaction les pays de l’Union européenne se convaincre que les rédacteurs de la dernière directive (CSRD, 4 lettres bien connues désormais dans les entreprises) avaient peut-être eu la main lourde (« un délire bureaucratique », glissait un patron français), poussant la Commission européenne à un recul partiel qui ne satisfera pas grand monde.
Faire simple, si possible. Ce serait le vœu, pieux, pour une finance durable qui soit durable.
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En écho à cet article.
Financement des investissements pour la transition écologique et énergétique et dans le domaine de la Défense.
Politiques budgétaire et monétaire de l’Union Européenne.
1. L’avenir de l’humanité ‚voire sa survie ‚est menacé par le changement climatique et par les tensions géopolitiques internationales.
Répondre à ces menaces exige des investissements vitaux ‚considérables et urgents ‚pour la transition écologique et énergétique et dans le domaine de la Défense.
Les investissements annuels supplémentaires nécessaires pour la transition écologique et énergétique peuvent être estimés à environ 2% du PIB de l’Union Européenne à l’horizon 2030 pour atteindre la neutralité carbone en 2050 (Rapport Pisani – Ferry) .
Les investissements annuels supplémentaires nécessaires dans le domaine de la Défense peuvent être estimés à environ 2 ou 3% du PIB de l’Union Européenne pour passer de 2% actuellement à 4 ou 5% du PIB le plus vite possible ‚compte tenu de l’accroissement des tensions et menaces géopolitiques et des risques de désengagement des Etats-Unis vis à vis de l’Europe.
Soit au total une augmentation annuelle des investissements vitaux de 4 ou 5% du PIB de l’Union Européenne ‚soit 700 à 850 G€ par an (1).
2. La politique budgétaire actuelle de l’Union Européenne ne permettra pas de financer ces suppléments d’investissements au niveau requis et avec le degré d’urgence nécessaire.
En effet ‚cette politique impose des contraintes – critères de Maastricht – qui ont conduit à sacrifier depuis plusieurs années non seulement les investissements vitaux ‚mais aussi des investissements publics indispensables ( renouvellement ou rénovation des infrastructures routières ‚ferroviaires , fluviales et portuaires ‚sanitaires ‚éducatives et carcérales ‚dont la vétusté n’est plus à démontrer ).
Le sous-investissement dans ces infrastructures publiques exigerait même un effort annuel de rattrapage qui peut être estimé à environ 1% du PIB de l’Union Européenne ‚soit 170 G€/an ( en France ces investissements s’élèvent à environ 4% du PIB en 2023 ).
Ni un rebond de la croissance économique qui résulterait de nouvelles politiques commerciale et industrielle ‚de la ré-industrialisation et de la croissance des investissements publics et qui permettrait d’augmenter les recettes publiques ‚ni les économies qui résulteraient d’une diminution des dépenses publiques de fonctionnement ‚ne seraient suffisantes pour financer les investissements vitaux (700 à 850 G€/an) et le rattrapage nécessaire pour les infrastructures publiques (170 G€/an ).
Quant à l’augmentation des taux d’imposition des ménages et des entreprises elle ne peut être que très limitée et très ciblée pour ne pénaliser ni les revenus du travail et les investissements des ménages ‚ni la compétitivité ‚l’autofinancement et les investissements des entreprises.
3. La politique monétaire conventionnelle de la BCE ‚interdisant le financement direct des Etats par la BCE ‚les conduirait à se soumettre aux humeurs des marchés financiers et des banques et aux conditions qu’ils imposent ‑taux d’intérêt et remboursement – et à s’endetter très au-delà des critères de Maastricht.
Que les emprunts soient souscrits par chaque Etat ou au niveau de l’Union Européenne ‚le poids de cette dette supplémentaire pèserait indirectement sur les ménages et sur les entreprises.
Quant aux mesures non conventionnelles mises en oeuvre par la BCE pour faire face à la crise financière de 2008 puis à la crise sanitaire de 2020 ‚elles ont inondé le système financier de liquidités mais ont laissé les banques totalement libres de leur usage – financer les déficits publics ou alimenter la spéculation financière – au lieu d’en cibler l’usage.
Il conviendrait donc soit de renoncer durablement aux critères de Maastricht ‚soit de déroger durablement au Traité de l’Union Européenne qui interdit le financement direct des Etats par la BCE.
Mais il est pathétique de s’en remettre aux banques et aux marchés financiers et de se soumettre à leurs choix d’investissements et à leurs exigences pour financer des investissements vitaux.
Et il est pitoyable de voir la BCE implorer la BEI et les banques pour qu’elles accordent des crédits destinés à la transition écologique – c’est‑à dire de créer de la monnaie – et de voir le Conseil Européen se tordre les méninges pour financer l’aide militaire à l’Ukraine ‚l’indispensable réarmement de l’Europe et même le minuscule Fonds Européen de Défense.
3. Une proposition consisterait à financer directement tout ou partie des investissements vitaux par la création de monnaie centrale par la BCE .
Cette monnaie :
1° Serait réservée exclusivement aux investissements vitaux
2° Ne transiterait pas par les banques (i.e.financerait directement les Etats ‚charge à eux de financer en tout ou partie certains investissements vitaux réalisés par les entreprises ‚les ménages ou les collectivités territoriales)
3° Serait « gratuite » pour les Etats (i.e.sans intérêts à payer)
4° Ne serait pas plafonnée (i.e.pourrait dépasser 3 % du PIB) .
Cette proposition rejoint en partie les propositions de « don de monnaie centrale aux Etats » formulées par certains économistes et banquiers (2) .
Elle est en phase avec la thèse keynésienne de « non neutralité » de la monnaie sur l’économie réelle et s’oppose au dogme monétariste.
Elle rejoint une proposition de la Théorie Monétaire Moderne mais en la limitant strictement et exclusivement aux investissements vitaux.
Elle rappelle le recours aux avances de la Banque de France au Trésor pratiqué jusqu’en 1993.
Cette proposition serait accompagnée de trois dispositions
1° Les budgets nationaux hors dépenses d’investissements vitaux devraient être strictement équilibrés (zéro déficit)
2° Les investissements vitaux seraient définis après concertations approfondies avec les acteurs économiques ‚politiques ‚syndicaux et militaires ( en France ‚à travers le CESE ‚le Haut Commissaire au Plan et France Stratégie)
3° Ces investissements seraient très strictement contrôlés financièrement ‚au niveau des projets et au niveau de leur réalisation.
Les instruments de politique monétaire dont dispose la BCE permettraient de maîtriser les risques d’inflation qui pourraient résulter d’un excès de création monétaire et d’assurer la stabilité financière.
4. Cette proposition rompt avec le dogme monétariste et avec l’orthodoxie budgétaire qui brident la croissance économique de l’Union Européenne à court et moyen termes et qui compromettent son avenir à long terme .
Notons que les Etats-Unis se sont affranchis de ce dogme et de cette orthodoxie et que le décrochage économique de l’Union Européenne par rapport aux Etats-Unis depuis plus de 15 ans (3) résulte essentiellement de politiques budgétaire et monétaire ayant conduit les Etats-Unis à des déficits publics interdits en Europe (4) et à un endettement public atteignant 100 % du PIB américain en 2023.
Cette proposition permettrait donc :
1° De s’affranchir des capacités de financement ‚des exigences et des humeurs des marchés financiers et des banques
2° De réserver ces capacités de financement aux entreprises (ré-industrialisation massive) et aux ménages (logement) qui sont considérables
3° De remplacer la politique monétaire non ciblée de la BCE par une politique ciblée
4° De remplacer une politique budgétaire restrictive et maltusienne par une politique expansive
5° De relancer vigoureusement la croissance économique
6° D’alléger le poids des charges d’intérêts sur la dette des Etats
7° D’alléger le coût des investissements vitaux du poids des charges d’intérêts.
Une TVA réduite voire une exemption de TVA pourrait être envisagée.
Pour le remboursement des dettes publiques on pourra se référer aux propositions de Jean Tirole (monétisation) ou d’Olivier Blanchard (roulement).
Par ailleurs ‚l’augmentation des investissements vitaux et la ré-industrialisation entraîneraient une croissance économique de 2 à 3% par an ‚une augmentation des recettes publiques et une inflation d’au moins 2% par ‚ce qui faciliteraient ce remboursement.
En cohérence avec cette nouvelle politique monétaire 3 objectifs seraient ajoutés dans les Statuts de la BCE ‚en sus de l’objectif de stabilité des prix : le plein emploi ‚la stabilité financière et le financement de la transition écologique et énergétique.
Les politiques monétaire et budgétaire de l’Union Européenne devraient donc être remises en cause pour des raisons vitales mais aussi pour la croissance et le rattrapage économiques par rapport aux Etats-Unis.
(1) Sans compter les investissements stratégiques dans le domaine de l’IA ( Rapport de Mario Draghi ) ‚dont la part la plus importante sera assurée par des capitaux privés.
(2) Jézabel Couppey-Soubeyran ‚Pierre Delandre et Augustin Sersiron (« Le pouvoir de la monnaie ») ‚André Peters (« Le don monétaire pour compléter le système monétaire ») ‚Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean (« La monnaie écologique ») ‚Jézabel Couppey-Soubeyran et Thomas Renault (« Monnaie,Banques ‚Finance »).
(3) PIB par habitant (US $ constant 2010)
Etats-Unis 52.963 en 2010 ‚62.789 en 2022 soit +18,55 %
U.E 35.638 en 2010 ‚38.816 en 2022 soit + 8,91 %
(4) Déficits moyens en % du PIB
– 3,4 % de 2001 à 2009 (Bush)
– 5,6 % de 2009 à 2017 (Obama)
– 6,6 % de 2017 à 2021 (Trump)
– 7,9 % de 2021 à 2023 (Biden)