Barrages levés ?

L’hydroélectricité est un secteur riche de technicité et d’enjeux géopolitiques. Fabriquer de l’énergie électrique grâce au cycle de l’eau revêt un caractère aussi magique (re-nou-ve-lable) que de le faire à partir du vent ou de la lumière. Si l’on comprend les limites de ces procédés, consommateurs de foncier, intermittents, gourmands en matières d’importation et gros producteur de déchets, on peut trouver plus de vertus à l’électricité hydraulique. Son empreinte environnementale est également une limite, mais sa chaîne industrielle hautement contrôlable voire purement locale, et la pilotabilité sur le réseau électrique sans comparaison avec celle des autres EnR. On pourrait penser, en des temps de repli stratégique, que l’hydroélectricité est une filière à pousser particulièrement.
Or l’examen de la longue durée – ou du journal que vous tenez dans les mains – ne dit pas cela.
On sait que la Chine est devenue à la fin du XXe siècle l’atelier manufacturier planétaire, que les pays riches se sont désindustrialisés pour s’y approvisionner moins cher et qu’au XXIe siècle les positions qu’elle a prises dans le haut de la chaîne de valeur ont fini par lui faire jouer jeu égal avec l’hégémon étatsunien.
Mais pour parvenir à cela il fallait à l’empire du Milieu du carburant dans le moteur que toutes les sources d’énergie possibles n’étaient pas de trop pour fournir. On est tout de même frappé de constater qu’en 30 ans c’est d’un facteur 10 que la Chine a multiplié sa puissance hydroélectrique disponible (cf. p. 28), pendant que celle de l’Europe augmentait d’un 1⁄3 seulement et celle de l’Amérique du Nord d’1/6 : à part en Asie, et en dépit de besoins en croissance forte, l’hydroélectricité a tenu un rôle mineur dans l’ajustement entre l’offre et la demande d’énergie électrique dans le monde.
C’est particulièrement vrai en France, où la puissance hydroélectrique installée est à peu près constante au fil du temps, en dépit des avantages qu’il y aurait à la voir grossir.
Le développement de l’hydro est un révélateur de la maturité des infrastructures du pays comme de la capacité politique à mettre en œuvre des grands programmes d’équipement. Qu’il s’agisse de barrages-réservoirs classiques ou des stockages dynamiques (STEP) qui gardent l’énergie potentielle pour adapter leur relâche à la demande, ce sont toujours des projets lourds, avec une empreinte localisée mais massive, qui appellent des compromis environnementaux moins faciles à faire advenir en France qu’en Chine ou qu’en 1960.
S’agissant de la situation hexagonale, on a aussi en tête que le secteur électrique est régi par le droit de l’Union européenne, communauté traversée d’agendas nationaux distincts et que la France, avec un acteur dominant et la place centrale du nucléaire, est en butte à une adversité plus ou moins explicite. La querelle autour de l’hydroélectricité est masquée par celles des tarifs régulés et du partage de l’accès à la production nucléaire mais elle est vive.
La majorité des grands barrages français sont contrôlés par EDF, au travers de contrats de concession de longue durée dont certains ont même dépassé leur échéance, si bien que la France est placée sous l’injonction communautaire depuis une douzaine d’années d’en ouvrir certains à la concurrence. Sujet compliqué politiquement et socialement, depuis des années et sans résultat opérationnel il occupe les ministères successifs et les cabinets de juristes. Ne doutons pas que la fièvre obsidionale qui pourrait s’emparer de l’Europe, prise entre les États-Unis, la Chine et la Russie, l’aidera à sortir de certaines impasses communautaires comme celle-là. Et qu’alors l’hydroélectricité pourra trouver en France la voie d’un certain renouveau.
À propos, permettez-moi de saluer ici Yves Demay, qui après de nombreuses années de service, dont les huit dernières comme délégué général de l’AX, a souhaité ouvrir une nouvelle page personnelle et remettre son tablier dans les mois qui viennent. Camille Laborie reprendra le flambeau. Elle dirige aujourd’hui l’association des anciens de l’École des ponts et nous sommes ravis de lui voir prendre la suite d’Yves qui a tant fait pour l’animation et l’amitié au sein de notre communauté. Avec nos remerciements et notre amitié, et bienvenue à Camille !