Baptiste Jamin, CEO de Crisp voit l’IA comme une opportunité IA : « La France doit maintenant s’imposer »

Avec 600 000 clients dans le monde (75 % en dehors de la France) et 120 millions d’utilisateurs par mois, vous l’avez sûrement croisée sans le savoir. L’entreprise française Crisp utilise l’IA pour canaliser l’information au même endroit. Entretien avec Baptiste Jamin, CEO et cofondateur de Crisp.
Quel est le rôle de l’IA chez Crisp ?
Crisp est un système de relation client qui permet à 600 000 entreprises partout dans le monde de communiquer avec leurs clients, que ce soit via le tchat, l’email, WhatsApp, Instagram, Messenger, Telegram… Crisp unifie tous les canaux de communication externe d’une entreprise au même endroit. C’est le moyen de résoudre automatiquement les questions les plus récurrentes, grâce à l’intelligence artificielle. Beaucoup d’internautes ne font pas l’effort d’aller chercher les informations. Ils se tournent alors vers les services clients pour parfois les assaillir de questions basiques : une adresse, un tarif, un horaire… Crisp se sert alors de l’IA pour aller chercher l’information là où elle se trouve. On a découvert ça il y a quelques années avec les chatbots, mais on ne va pas se mentir : ce n’est pas très au point.
On a tous eu une expérience avec un chatbot qui vous dit « je ne comprends pas, veuillez préciser votre propos… ». Avec Crisp, nous sommes capables d’apporter une réponse pertinente de manière personnalisée, même si elle est posée dans une autre langue, même si elle n’est pas très bien formulée.
Une intelligence artificielle qui comprend et qui interprète : une révolution ?
Aujourd’hui, l’intelligence artificielle est la même révolution que ce qu’on a pu avoir avec la machine à vapeur, l’électricité ou la micro-informatique des années 1980. Nous entamons seulement ce virage. Il y a quelques années, l’IA avait le niveau d’un stagiaire. Aujourd’hui elle vous répond comme un bon technicien. Ce virage, nous l’avons pris très tôt chez Crisp. En peu de temps, tout le monde a pu se rendre compte de cette innovation technologique aux possibilités infinies. Le robot arrive à se faire passer pour un humain.
Mais c’est loin d’être fini. À titre de comparaison, lorsque dans les années 1980 nous avons eu accès à l’informatique avec des ordinateurs capables de faire énormément de choses, le premier usage a été la bureautique et le stockage sur disquette. Quarante ans plus tard, on comprend que la technologie peut apporter bien plus.
Quelle est la place de la France ?
La France, historiquement a fait beaucoup de recherches dans le domaine des intelligences artificielles, du traitement de la parole et des réseaux de neurones. Parce que c’est là le cœur de l’IA. La différence avec la Chine et surtout les États-Unis, c’est qu’ils ont su déployer des milliards de dollars dans cette recherche et créer des produits utilisables par tout le monde. Quand la France était au stade de l’étude et de l’innovation, les Américains étaient déjà en train de vendre leur produit… et en plus avec un bel emballage.
En France, on a perdu la guerre du cloud, des réseaux sociaux ou encore du mobile. L’IA est une nouvelle chance pour nous et un nouveau départ.
De quoi la France a‑t-elle besoin pour se démarquer ?
Ce qui nous manque dans cette course, c’est un peu de panache. En France, quand on a compris qu’on n’avait pas de pétrole, on est devenu leader dans l’énergie nucléaire. Quand on a voulu devenir un modèle dans les transports, on a fait le TGV. Quand Paris a promis de légendaires Jeux Olympiques, il les a offerts. Il faut avoir exactement la même approche sur l’IA et ne surtout pas copier le modèle américain. La France peut tirer son épingle du jeu grâce au rôle de l’État, dans des domaines comme l’armée ou la santé. Ces secteurs sont de gros portefeuilles et permettraient d’innover pour servir le bien commun et créer des technologies qui serviront ensuite dans le monde de l’entreprise. C’est l’exemple de la carte à puce : on l’a inventée et puis on a créé la carte vitale. La France était la première à faire ça. On aurait pu faire pareil avec le Minitel, mais on n’a pas transformé l’essai. Maintenant, il faut y croire.
Le combat est-il à armes égales ?
En France, on a quelque chose de très bien, mais qui malheureusement nous freine, c’est le règlement général de protection des données (RGPD). Notre principal adversaire, l’Amérique, ne s’embête pas avec ça. Les États-Unis ont, dès le début, mis l’IA à disposition en mode gratuit. Tout le monde s’est mis à se servir de l’intelligence artificielle et donc à fournir des données pour l’entraîner et l’améliorer. La rendant hyperpuissante. Mais ce n’est pas le problème numéro 1. En France, nous ne sommes pas d’assez bons vendeurs. Notre principal frein, c’est nous-mêmes ! On n’exporte pas assez, alors qu’on serait excellents avec un peu plus de storytelling.
La réticence du public n’est-elle pas un autre frein ?
Quand on ne connaît pas, on a peur. On a eu peur que l’électricité nous tue. Les Parisiens ont peur du métro à cause des Catacombes.
À chaque innovation, il y a des réticences. Même pour ma génération, où les documentalistes nous disaient par méconnaissance : « Ne te renseigne pas sur Wikipédia, regarde dans Encarta ». Maintenant, il faut surtout penser aux bénéfices. Dans le domaine de la santé, l’IA va nous permettre d’aller mieux. Ou dans l’éducation, où les IA vont améliorer l’apprentissage. Rien qu’avec Crisp, la pénibilité au travail a été considérablement combattue. Imaginez la fatigue mentale pour un agent du service client qui répond dix fois par jour à la même question. Crisp va le délester. Le refrain était : « L’IA va supprimer des emplois ». Ce n’est pas tout à fait vrai. Ici, elle a amélioré la qualité de travail de l’humain, en lui permettant de se concentrer sur la valeur ajoutée dans l’accompagnement de ses clients.
L’intelligence artificielle, c’est une chance qu’il faut saisir avec notre vision de Français,
d’Européen. Sans essayer de faire comme les autres : s’emparer de cette transformation et la faire nôtre.
… Sans avoir peur de se faire dépasser par la machine
L’IA sait mieux croiser des quantités d’informations et les synthétiser qu’un humain. Elle manipule les informations et les langages de façon déconcertante pour beaucoup. Mais n’oublions pas que l’IA nous fait croire qu’elle a saisi le sens de notre question et qu’elle y répond. Elle simule l’intelligence. Les modèles pré entraînés ne sont en rien similaires avec la connaissance de l’humain, qui apprend en fonction de l’environnement dans lequel il évolue. Nous n’avons pas la réponse à tout immédiatement. Pour que l’IA dépasse l’humain et devienne littéralement « ’intelligente »’, il faudrait qu’elle sache par elle-même, en découvrant et en s’adaptant à tout ce qui gravite autour d’elle à court, moyen et long terme.
L’humain devra toujours faire preuve de discernement…
L’IA cherche, compile, synthétise et livre un résultat. Si elle est mal renseignée, l’information rendue peut être bancale. Il faut faire preuve de discernement. Ne pas tout prendre pour argent comptant. On a longtemps eu une confiance sans faille aux médias, aux livres, aux savants. La génération des 60–70 ans a été habituée à avoir une information de qualité. La génération actuelle est sujette aux fake news. On ne peut plus avoir le même raisonnement : « Je l’ai vu sur internet, donc c’est vrai ». Il est important aujourd’hui de se créer un esprit de jugement. Mais je pense qu’aujourd’hui les jeunes, principaux utilisateurs de la technologie, sont plutôt armés face à ça.