Baptiste Jamin, CEO de Crisp voit l’IA comme une opportunité IA : « La France doit maintenant s’imposer »

Baptiste Jamin, CEO de Crisp voit l’IA comme une opportunité IA : « La France doit maintenant s’imposer »

Dossier : Vie des entreprises - Transformation numérique et intelligence artificielleMagazine N°805 Mai 2025
Par Baptiste JAMIN

Avec 600 000 clients dans le monde (75 % en dehors de la France) et 120 mil­lions d’utilisateurs par mois, vous l’avez sûre­ment croi­sée sans le savoir. L’entreprise fran­çaise Crisp uti­lise l’IA pour cana­li­ser l’information au même endroit. Entre­tien avec Bap­tiste Jamin, CEO et cofon­da­teur de Crisp.

Quel est le rôle de l’IA chez Crisp ?

Crisp est un sys­tème de rela­tion client qui per­met à 600 000 entre­prises par­tout dans le monde de com­mu­ni­quer avec leurs clients, que ce soit via le tchat, l’email, What­sApp, Ins­ta­gram, Mes­sen­ger, Tele­gram… Crisp uni­fie tous les canaux de com­mu­ni­ca­tion externe d’une entre­prise au même endroit. C’est le moyen de résoudre auto­ma­ti­que­ment les ques­tions les plus récur­rentes, grâce à l’intelligence arti­fi­cielle. Beau­coup d’internautes ne font pas l’effort d’aller cher­cher les infor­ma­tions. Ils se tournent alors vers les ser­vices clients pour par­fois les assaillir de ques­tions basiques : une adresse, un tarif, un horaire… Crisp se sert alors de l’IA pour aller cher­cher l’information là où elle se trouve. On a décou­vert ça il y a quelques années avec les chat­bots, mais on ne va pas se men­tir : ce n’est pas très au point.

On a tous eu une expé­rience avec un chat­bot qui vous dit « je ne com­prends pas, veuillez pré­ci­ser votre pro­pos… ». Avec Crisp, nous sommes capables d’apporter une réponse per­ti­nente de manière per­son­na­li­sée, même si elle est posée dans une autre langue, même si elle n’est pas très bien formulée.

Une intelligence artificielle qui comprend et qui interprète : une révolution ? 

Aujourd’hui, l’intelligence arti­fi­cielle est la même révo­lu­tion que ce qu’on a pu avoir avec la machine à vapeur, l’électricité ou la micro-infor­ma­tique des années 1980. Nous enta­mons seule­ment ce virage. Il y a quelques années, l’IA avait le niveau d’un sta­giaire. Aujourd’hui elle vous répond comme un bon tech­ni­cien. Ce virage, nous l’avons pris très tôt chez Crisp. En peu de temps, tout le monde a pu se rendre compte de cette inno­va­tion tech­no­lo­gique aux pos­si­bi­li­tés infi­nies. Le robot arrive à se faire pas­ser pour un humain.

Mais c’est loin d’être fini. À titre de com­pa­rai­son, lorsque dans les années 1980 nous avons eu accès à l’informatique avec des ordi­na­teurs capables de faire énor­mé­ment de choses, le pre­mier usage a été la bureau­tique et le sto­ckage sur dis­quette. Qua­rante ans plus tard, on com­prend que la tech­no­lo­gie peut appor­ter bien plus.

Quelle est la place de la France ? 

La France, his­to­ri­que­ment a fait beau­coup de recherches dans le domaine des intel­li­gences arti­fi­cielles, du trai­te­ment de la parole et des réseaux de neu­rones. Parce que c’est là le cœur de l’IA. La dif­fé­rence avec la Chine et sur­tout les États-Unis, c’est qu’ils ont su déployer des mil­liards de dol­lars dans cette recherche et créer des pro­duits uti­li­sables par tout le monde. Quand la France était au stade de l’étude et de l’innovation, les Amé­ri­cains étaient déjà en train de vendre leur pro­duit… et en plus avec un bel emballage.

En France, on a per­du la guerre du cloud, des réseaux sociaux ou encore du mobile. L’IA est une nou­velle chance pour nous et un nou­veau départ.

De quoi la France a‑t-elle besoin pour se démarquer ?

Ce qui nous manque dans cette course, c’est un peu de panache. En France, quand on a com­pris qu’on n’avait pas de pétrole, on est deve­nu lea­der dans l’énergie nucléaire. Quand on a vou­lu deve­nir un modèle dans les trans­ports, on a fait le TGV. Quand Paris a pro­mis de légen­daires Jeux Olym­piques, il les a offerts. Il faut avoir exac­te­ment la même approche sur l’IA et ne sur­tout pas copier le modèle amé­ri­cain. La France peut tirer son épingle du jeu grâce au rôle de l’État, dans des domaines comme l’armée ou la san­té. Ces sec­teurs sont de gros por­te­feuilles et per­met­traient d’innover pour ser­vir le bien com­mun et créer des tech­no­lo­gies qui ser­vi­ront ensuite dans le monde de l’entreprise. C’est l’exemple de la carte à puce : on l’a inven­tée et puis on a créé la carte vitale. La France était la pre­mière à faire ça. On aurait pu faire pareil avec le Mini­tel, mais on n’a pas trans­for­mé l’essai. Main­te­nant, il faut y croire.

Le combat est-il à armes égales ?

En France, on a quelque chose de très bien, mais qui mal­heu­reu­se­ment nous freine, c’est le règle­ment géné­ral de pro­tec­tion des don­nées (RGPD). Notre prin­ci­pal adver­saire, l’Amérique, ne s’embête pas avec ça. Les États-Unis ont, dès le début, mis l’IA à dis­po­si­tion en mode gra­tuit. Tout le monde s’est mis à se ser­vir de l’intelligence arti­fi­cielle et donc à four­nir des don­nées pour l’entraîner et l’améliorer. La ren­dant hyper­puis­sante. Mais ce n’est pas le pro­blème numé­ro 1. En France, nous ne sommes pas d’assez bons ven­deurs. Notre prin­ci­pal frein, c’est nous-mêmes ! On n’exporte pas assez, alors qu’on serait excel­lents avec un peu plus de storytelling.

La réticence du public n’est-elle pas un autre frein ? 

Quand on ne connaît pas, on a peur. On a eu peur que l’électricité nous tue. Les Pari­siens ont peur du métro à cause des Catacombes.
À chaque inno­va­tion, il y a des réti­cences. Même pour ma géné­ra­tion, où les docu­men­ta­listes nous disaient par mécon­nais­sance : « Ne te ren­seigne pas sur Wiki­pé­dia, regarde dans Encar­ta ». Main­te­nant, il faut sur­tout pen­ser aux béné­fices. Dans le domaine de la san­té, l’IA va nous per­mettre d’aller mieux. Ou dans l’éducation, où les IA vont amé­lio­rer l’apprentissage. Rien qu’avec Crisp, la péni­bi­li­té au tra­vail a été consi­dé­ra­ble­ment com­bat­tue. Ima­gi­nez la fatigue men­tale pour un agent du ser­vice client qui répond dix fois par jour à la même ques­tion. Crisp va le déles­ter. Le refrain était : « L’IA va sup­pri­mer des emplois ». Ce n’est pas tout à fait vrai. Ici, elle a amé­lio­ré la qua­li­té de tra­vail de l’humain, en lui per­met­tant de se concen­trer sur la valeur ajou­tée dans l’accompagnement de ses clients.

L’intelligence arti­fi­cielle, c’est une chance qu’il faut sai­sir avec notre vision de Français,
d’Européen. Sans essayer de faire comme les autres : s’emparer de cette trans­for­ma­tion et la faire nôtre.

… Sans avoir peur de se faire dépasser par la machine

L’IA sait mieux croi­ser des quan­ti­tés d’informations et les syn­thé­ti­ser qu’un humain. Elle mani­pule les infor­ma­tions et les lan­gages de façon décon­cer­tante pour beau­coup. Mais n’oublions pas que l’IA nous fait croire qu’elle a sai­si le sens de notre ques­tion et qu’elle y répond. Elle simule l’intelligence. Les modèles pré entraî­nés ne sont en rien simi­laires avec la connais­sance de l’humain, qui apprend en fonc­tion de l’environnement dans lequel il évo­lue. Nous n’avons pas la réponse à tout immé­dia­te­ment. Pour que l’IA dépasse l’humain et devienne lit­té­ra­le­ment « ’intel­li­gente »’, il fau­drait qu’elle sache par elle-même, en décou­vrant et en s’adaptant à tout ce qui gra­vite autour d’elle à court, moyen et long terme.

L’humain devra toujours faire preuve de discernement…

L’IA cherche, com­pile, syn­thé­tise et livre un résul­tat. Si elle est mal ren­sei­gnée, l’information ren­due peut être ban­cale. Il faut faire preuve de dis­cer­ne­ment. Ne pas tout prendre pour argent comp­tant. On a long­temps eu une confiance sans faille aux médias, aux livres, aux savants. La géné­ra­tion des 60–70 ans a été habi­tuée à avoir une infor­ma­tion de qua­li­té. La géné­ra­tion actuelle est sujette aux fake news. On ne peut plus avoir le même rai­son­ne­ment : « Je l’ai vu sur inter­net, donc c’est vrai ». Il est impor­tant aujourd’hui de se créer un esprit de juge­ment. Mais je pense qu’aujourd’hui les jeunes, prin­ci­paux uti­li­sa­teurs de la tech­no­lo­gie, sont plu­tôt armés face à ça.

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