Banque de réseau, banque virtuelle, antagonistes ou complémentaires ?

Dossier : Les consultantsMagazine N°539 Novembre 1998
Par Thierry PASCAULT
Par Vincent ROUXEL (68)

Une analyse appro­fondie des dynamiques de marché et des rap­ports de force entre les acteurs con­duit à prévoir l’émer­gence de deux mod­èles égale­ment “robustes”, util­isant cha­cun à leur prof­it les tech­nolo­gies de com­mu­ni­ca­tion et de traite­ment de l’information.

Le pre­mier mod­èle est celui bien con­nu de la banque de prox­im­ité aux par­ti­c­uliers. La con­fi­ance en sa péren­nité est telle que leur appré­ci­a­tion sur les marchés financiers peut représen­ter cinq à sept fois leur valeur nette. Loyds Bank, autre­fois par­mi les lead­ers sur les grands marchés inter­na­tionaux de ban­ques d’in­vestisse­ment et de ban­ques d’af­faires, fusionne avec TSB, l’équiv­a­lent de nos Caiss­es d’É­pargne, et s’est recen­trée en quelques années sur une offre aux par­ti­c­uliers à par­tir d’un réseau clas­sique de guichets. Bank Amer­i­ca, repris par Nations­bank, ou Bank of Chica­go racheté par Banc One, suiv­ent la même évolution.

La banque de prox­im­ité sera encore longtemps néces­saire. Elle est celle où l’on domi­cilie son salaire et qui assume les vire­ments automatiques.

À par­tir du ser­vice de base de tenue du compte, les étab­lisse­ments pro­posent une panoplie large de pro­duits, crédit, épargne, assur­ance… Le client est servi et géré dans la durée. Cer­tains pro­duits comme le crédit immo­bili­er ser­vent de fix­a­teurs. À la source de pro­grammes de fidéli­sa­tion, ils sont ven­dus à perte, si les con­di­tions de marché l’imposent.

Le “data min­ing” ouvre un champ d’ex­pan­sion con­sid­érable à ce mod­èle tra­di­tion­nel. Un client mieux prospec­té devient un client plus act­if. Con­nais­sance et valeur du client vont de pair. Les avancées tech­nologiques en matière de traite­ment et d’ex­ploita­tion des bases de don­nées con­tribueront ain­si à val­oris­er et péren­nis­er les réseaux de proximité.

Le nou­veau mod­èle, véri­ta­ble­ment con­cur­rent, trou­ve son orig­ine dans la carte, ou plutôt les cartes, qu’elles soient mono­en­seignes ou mul­ti­en­seignes, qu’elles don­nent droit ou non à trans­ac­tions ban­caires ou finan­cières, de toute orig­ine, grande dis­tri­b­u­tion, voy­ages, télé­com, assur­ances… Les plates-formes ban­caires et finan­cières du futur s’ap­puieront sur ces immenses bases de clien­tèle pour délivr­er un ser­vice économique et attirant.

Leur univers est celui des pro­duits ban­caires et financiers, ven­dus à des multitudes.

Ces plates-formes con­stituent un véri­ta­ble con­den­sé des tech­nolo­gies de com­mu­ni­ca­tion asso­ciées au traite­ment de l’in­for­ma­tion. Sélec­tives, elles tra­vail­lent les bases de don­nées dont elles dis­posent pour en déduire les meilleures propo­si­tions com­mer­ciales. Effi­caces, elles décom­posent tout ser­vice en proces­sus élé­men­taires, per­me­t­tant un traite­ment hor­i­zon­tal à grande échelle. Mon­di­ales, elles sous-trait­ent d’un con­ti­nent à l’autre leur charge de tra­vail et leur capac­ité disponible, béné­fi­ciant ain­si de per­for­mances opti­males en ter­mes de coûts d’exé­cu­tion et de rapid­ité de réaction.

De la même façon que la tenue du compte offre à une banque le moyen priv­ilégié de con­naître ses clients et donc d’an­ticiper ses besoins, les cartes con­stituent un canal puis­sant d’information.

Les traite­ments seront con­solidés au niveau européen, en réseau avec des capac­ités mon­di­ales. La carte, comme le compte ban­caire, sera la source priv­ilégiée de pro­duits de fidélisation.

Des pro­grammes d’affinité bien ciblés offriront des argu­ments con­va­in­cants pour choisir son crédit immo­bili­er chez GE Cap­i­tal, Finaref, Cofino­ga ou S2P, plutôt que chez son ban­quier traditionnel.

Ces cartes devien­dront, à terme, com­pat­i­bles entre elles et leur nom­bre dimin­uera car les acteurs des plates-formes pousseront à une ratio­nal­i­sa­tion des mar­ques commerciales.

Les plates-formes sont aujour­d’hui conçues et mis­es en place par des indus­triels autant que par des ban­quiers. Pour GE Cap­i­tal, G Mac, l’en­jeu est de con­clure des parte­nar­i­ats ouvrant accès à de larges bases de clien­tèle, d’ac­quérir les com­pé­tences, non encore disponibles, sur de nou­veaux pro­duits (crédit immo­bili­er, assur­ance…), de con­stru­ire les pro­grammes d’affinité et de fidél­ité…, en s’étab­lis­sant pro­gres­sive­ment sur les prin­ci­paux marchés dans le monde.

Une course de vitesse entre ces indus­triels et les sociétés de finance­ment spé­cial­isées (Cetelem, Finaref…) est en cours pour le lead­er­ship de ces grandes plates-formes de demain. Mais les uns et les autres s’u­niront prob­a­ble­ment pour com­pléter leurs savoir-faire et offrir un ser­vice com­plet, mondial.

Nul doute que ces deux mod­èles banque de réseau, banque virtuelle ne se pré­par­ent à une lutte sévère. Aux USA, Nations­bank et Banc One jouent la stratégie de réseaux. Travelers/Citibank se fix­ent comme objec­tif d’at­tein­dre un mil­liard de clients, con­quis et gérés par la carte. Ils rejoin­dront ain­si l’am­bi­tion stratégique des pio­nniers indus­triels du crédit à la consommation.

Cet affron­te­ment sera-t-il aus­si bru­tal en France ? Oui et non. Oui, car les enjeux financiers et stratégiques sont tels qu’ils con­duiront à une con­fronta­tion entre ces mod­èles alter­nat­ifs. Non, car la carte poly­va­lente, de paiement, de prélève­ment et de crédit existe depuis longtemps en France, con­trôlée par les ban­ques clas­siques de manière remar­quable­ment prag­ma­tique. Ain­si, le vrai défi des grandes ban­ques français­es pour­rait être de rechercher une inté­gra­tion des deux mod­èles afin de cumuler leurs ver­tus respec­tives et de con­stru­ire par les cartes et non par des réseaux leur développe­ment européen, voire mondial.

Poster un commentaire