Aux origines du paiement sans contact : l’aventure Navigo/Calypso

Le projet Calypso a enfanté en France le passe Navigo et le paiement sans contact qui sont entrés dans la vie courante, mais ils sont aussi devenus la norme dans nombre de pays. André Ampelas (X66) relate la création française méconnue de cette innovation de rupture au sein d’une entreprise publique, la RATP.
Au début des années 1990, la RATP s’est engagée dans une modernisation ambitieuse de ses systèmes de billetterie. Cette stratégie, portée par la direction des systèmes d’information (DSI) que je dirigeais, visait à créer un télépéage piéton, à l’instar des télépéages routiers naissants, tout en identifiant de manière certaine le porteur. Dans la pratique un support unique, sécurisé, sans contact, utilisable pour le transport et les paiements de la vie courante était recherché. C’est ainsi que sont nés deux projets européens d’envergure : Icare et Calypso, dont j’ai été l’initiateur et le chef de projet.

Icare et Calypso : l’universalité à l’échelle européenne
Le projet Icare, centré sur les transports, a été mené en partenariat avec les villes de Venise, Constance, Lisbonne, Bruxelles et Paris, la SNCF nous ayant alors rejoints. Il a posé les fondements du projet Calypso, plus ambitieux encore, pour mettre en service un porte-monnaie électronique sans contact européen dans la perspective de l’arrivée de l’euro. L’objectif était de prouver l’interopérabilité de la technologie dans des contextes urbains et culturels diversifiés, afin d’en faire un standard de fait. La technique ainsi mise au point a été nommée Calypso : elle proposait dès le début une transmission sans contact par induction, assortie d’un applicatif transport et d’un porte-monnaie électronique.
1992 : premiers paiements sans contact à Noisy-le-Grand
Les premières expérimentations ont débuté en 1992 à Noisy-le-Grand, au siège du service informatique de la RATP. La solution, développée en partenariat avec Innovatron (la société de Roland Moreno, l’inventeur de la carte à puce), utilisait alors une carte à puce à contact, insérée dans un petit boîtier qui permettait la transmission : une première mondiale.
Dès 1996, il était possible de régler son transport dans nombre de stations de Paris, mais aussi à Noisy-le-Grand : son café, ses journaux, son pain, son repas ou son stationnement ou une voiture en libre-service avec cette carte, dans un environnement réel, et même de la recharger sur un automate par débit d’une carte bancaire (à contact) ou grâce à un téléphone portable produit par Sagem.
C’était bien avant l’émergence des cartes ou smartphones sans contact que nous connaissons aujourd’hui. En 1998, STMicroelectronics était le premier au monde à produire une puce sans contact à microprocesseur, c’est-à-dire dotée d’un logiciel et de grande sécurité, sur spécification Calypso. Cette avancée marquait une rupture technologique déterminante.

Une technologie souveraine à l’origine du NFC
Calypso a été conçue comme une solution ouverte (spécifications accessibles à tous moyennant licence), interopérable et européenne, en opposition avec les technologies fermées de type Mifare achetées et promues par Philips. Elle reposait sur une authentification mutuelle entre la carte et le lecteur, garantissant sécurité et fiabilité. Cette architecture fut reprise par le standard international ISO 14443, qui régit la base des transmissions de proximité à induction. Ce dernier a ensuite été utilisé pour le sans contact des nouveaux passeports et des serrures d’hôtel mais aussi par les banques dans le standard EMV et dans la norme NFC, aujourd’hui répandus mondialement pour les paiements sans contact.
Plus précisément dès 1996 les banques françaises, qui avaient été les premières au monde à se doter de cartes à puce à contact, se sont associées aux transporteurs et à France Télécom qui les avait rejoints pour tester autour de Montparnasse et à Noisy-le-Grand avec de vrais clients des cartes Calypso permettant de voyager et de payer sans contact des petits montants (projets Moneo limité à 3 banques, puis Modeus étendu à toutes les banques à la fin 1990). Mais ces banques, qui n’avaient pas encore amorti leurs investissements pour se doter de cartes à contact, ont ensuite préféré attendre.
C’est alors qu’a commencé à apparaître le standard bancaire sans contact EMV, promu par VISA, Mastercard et Europay, qu’elles ont retenu pour leur sans contact à partir de 2006, en utilisant des cartes à microprocesseur. Par ailleurs, Philips et Sony (ce dernier avait développé pour Hong Kong une technique sans contact) se sont associés pour publier en 2006 le standard NFC (Near Field Communication) qui englobait également le standard ISO 14443 pour uniformiser les approches sans contact sur les téléphones, qui est depuis lors largement utilisé.
À Paris, le passe Navigo, ouvert au public seulement depuis 2003 après d’innombrables difficultés administratives, est une déclinaison concrète de la technologie Calypso, qui en constitue le socle technique.
Une reconnaissance internationale
Les démonstrations menées à Noisy-le-Grand ont attiré les délégations d’opérateurs du monde entier, ainsi que la presse internationale. Calypso a ainsi influencé des déploiements dans nombre de pays, et aujourd’hui plus de 200 villes de 26 pays l’utilisent. Certaines nations l’ont même adopté à l’échelle nationale : c’est le cas notamment de la Belgique (Bruxelles et le reste du pays), du Portugal (Lisbonne, Porto, Madère…), d’Israël, de l’Italie (Venise, Milan, Turin…), du Mexique. En France, Calypso est utilisé dans toutes les grandes agglomérations.

Distinctions, controverses et convictions
En 2002, j’ai été nommé au prix Chéreau-Lavet pour cette innovation majeure et en 2003 mes pairs m’ont élu meilleur DSI de France, des reconnaissances que je dois clairement en grande partie à l’engagement des équipes qui m’entouraient au service de l’intérêt général. Début 2004, la direction de la RATP d’alors a décidé de renouveler à fonctionnalité identique les automatismes de conduite sur près de la moitié du réseau de métro (contrôle mais non suppression du conducteur, comme l’avaient fait nos brillants anciens trente ans auparavant). J’ai alors proposé, après avoir contacté des syndicalistes qui n’y étaient pas opposés compte tenu des délais prévus, une automatisation intégrale du quart du réseau de métro parisien – pour notamment minimiser l’impact des grèves.
Ce projet prolongeait mes convictions de 1989 comme chef de projet de la ligne 14 de Paris, première ligne de métro de grand gabarit sans conducteur au monde, après avoir participé au VAL, premier métro automatique de petit gabarit mis en service en 1983. J’ai alors dû quitter la RATP mais j’ai néanmoins eu la satisfaction de voir se multiplier de tels projets dans nombre de pays et de les voir enfin mis en œuvre sur la ligne 1 puis sur la ligne 4 de Paris.
“Une technologie aujourd’hui universelle.”
Un patrimoine technologique français
À l’heure où le sans contact est devenu banal, il est important de rappeler que cette révolution mondiale a trouvé ses racines à Noisy-le-Grand, au sein d’une entreprise publique française. Calypso, appelé Navigo à Paris, a ouvert la voie à une technologie aujourd’hui universelle. Il est temps de faire connaître cette histoire et de lui donner la place qu’elle mérite dans la mémoire collective et dans l’histoire de l’innovation.




