Au cœur de la guerre pour l’importation des masques

Au cœur de la guerre pour l’importation des masques

Dossier : Covid-19Magazine N°758 Octobre 2020
Par Colin DUCROTOY (2014)
Par Jean LANGLOIS-MEURINNE (X14)

Durant la période de confi­ne­ment, les auteurs ont tra­vaillé au sein d’une équipe de la direc­tion géné­rale des entre­prises (DGE) pour faci­li­ter les impor­ta­tions de masques pour les entre­prises. Ils reviennent ici sur leur mis­sion et la manière dont l’État s’est sai­si du sujet de l’approvisionnement en masques des acteurs économiques.

En mars 2020, la flam­bée de l’épidémie de Covid-19 en France et dans le monde pro­voque l’explosion de la demande de masques de pro­tec­tion. Les pays atteints cherchent à se four­nir en maté­riel sani­taire (masques, ther­mo­mètres, etc.). D’importantes capa­ci­tés de pro­duc­tion sont ins­tal­lées en Chine où l’épidémie est désor­mais conte­nue. Afin d’équiper en prio­ri­té le per­son­nel soi­gnant, le gou­ver­ne­ment fran­çais réqui­si­tionne l’ensemble des stocks de masques dis­po­nibles sur le ter­ri­toire fran­çais le 13 mars 2020.


REPÈRES

Les masques uti­li­sés dans le cadre de l’épidémie relèvent de trois caté­go­ries différentes : 

  • Les dis­po­si­tifs médi­caux dits « masques chi­rur­gi­caux » pro­tègent l’environnement des pro­jec­tions du porteur.
  • Les équi­pe­ments de pro­tec­tion indi­vi­duelle (EPI) incluent notam­ment les masques FFP2 dont le port est recom­man­dé pour le per­son­nel soi­gnant expo­sé à des patients malades. Ces masques cor­res­pondent habi­tuel­le­ment à une uti­li­sa­tion dans un cadre indus­triel régi par le droit du tra­vail (pro­tec­tion contre des aéro­sols ou par­ti­cules fines).
  • Les masques « grand public », le plus sou­vent en tis­su, lavables et réuti­li­sables, dont l’Afnor a défi­ni les spé­ci­fi­ca­tions et dont la DGA et le LNE (Labo­ra­toire natio­nal de métro­lo­gie et d’essais) cer­ti­fient les per­for­mances, pro­tègent contre les pro­jec­tions du porteur. 

Les deux pre­mières répondent à des normes har­mo­ni­sées euro­péennes. La troi­sième est une créa­tion fran­çaise dans le cadre de la lutte contre la Covid.


Entre réquisitions et importations

Ain­si les entre­prises qui ont besoin de masques pour assu­rer la conti­nui­té de leurs acti­vi­tés (agroa­li­men­taire, logis­tique, etc.) doivent s’adresser à l’État pour accé­der aux stocks réqui­si­tion­nés. Face à l’interruption des impor­ta­tions de masques par les entre­prises que pro­voquent les réqui­si­tions, la Secré­taire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances modi­fie, une semaine après sa paru­tion, le décret du 13 mars pour relan­cer les impor­ta­tions. Un com­mu­ni­qué de presse des douanes fai­sait état le 1er mai d’une aug­men­ta­tion des impor­ta­tions de masques de 3 000 % par rap­port à 2019. Cepen­dant, il n’existe ini­tia­le­ment pas de véri­table mar­ché du masque et les entre­prises ont de grandes dif­fi­cul­tés à se fournir.

De son côté l’État est sol­li­ci­té simul­ta­né­ment par des acteurs offrant des masques impor­tés et par des entre­prises dési­reuses d’équiper leurs employés. La DGE met alors en place une cel­lule d’appui à l’importation dont la mis­sion est de mettre en rela­tion ache­teurs et ven­deurs ain­si que de faci­li­ter les démarches d’approvisionnement. Pen­dant deux mois, cette petite équipe de trois à cinq per­sonnes recense les offres d’importation qu’elle com­mu­nique ensuite régu­lièrement à près de 300 entre­prises et 60 fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles, tout en assu­rant la coor­di­na­tion des dif­fé­rents ser­vices de l’État concernés.

Faciliter les commandes de masques auprès d’importateurs fiables

Alors que San­té publique France fina­lise des contrats pour quelques mil­liards de masques à des­ti­na­tion des hôpi­taux, la cel­lule d’appui aux impor­ta­tions de la DGE reçoit plu­sieurs dizaines de pro­po­si­tions d’importation par jour pour des pro­duc­tions quo­ti­diennes de 100 000 à 5 mil­lions de masques. Celles-ci font suite aux appels lan­cés par les poli­tiques et relayés par les médias et asso­cia­tions, dont l’AX.

La ten­sion sur le mar­ché des masques est inédite : la demande explose, les four­nis­seurs tra­di­tion­nels sont satu­rés, si bien qu’une grande par­tie de l’offre est assu­rée par des pro­duc­teurs chi­nois de tex­tile, de maté­riel élec­tro­nique ou de mobi­lier d’intérieur recon­ver­tis à l’occasion de la crise. Tout d’abord, en col­la­bo­ra­tion avec les autres admi­nis­tra­tions concer­nées : direc­tion géné­rale du tra­vail (DGT), direc­tion géné­rale de la san­té (DGS) et direc­tion géné­rale des douanes et droits indi­rects (DGDDI), des équi­va­lences entre normes inter­na­tio­nales et normes har­mo­ni­sées euro­péennes sont éta­blies, per­met­tant notam­ment l’importation de masques répon­dant à des normes chi­noises. Puis il est néces­saire d’identifier les impor­ta­teurs fiables. La cel­lule étu­die donc cha­cune des offres, prend sys­té­ma­ti­que­ment contact avec les ven­deurs et véri­fie l’authenticité des docu­ments trans­mis (rap­ports d’essais, cer­ti­fi­cats de confor­mi­té CE, etc.).

Gérer l’offre et la demande

En com­plé­ment, des véri­fi­ca­tions d’honorabilité des impor­ta­teurs sont effec­tuées. Étant don­né le volume d’offres qui lui par­vient par mail, la cel­lule met en ligne un for­mu­laire pour en accé­lé­rer le trai­te­ment grâce au site demarches-simplifiees.fr qui déma­té­ria­lise les démarches admi­nis­tra­tives. La liste d’importateurs recen­sés est mise à jour quo­ti­dien­ne­ment et est com­mu­ni­quée aux entre­prises et fédé­ra­tions sus­cep­tibles de pro­cé­der à des com­mandes impor­tantes de masques (au-delà de 100 000 masques, afin d’éviter de satu­rer les impor­ta­teurs avec une mul­ti­tude de demandes pour des petites quan­ti­tés). C’est ain­si que la cel­lule de crise orchestre, en urgence et dans un contexte de mar­ché chao­tique, la ren­contre entre offre et demande de masques : plus de 150 offres d’importation jugées fiables ont été mises à dis­po­si­tion de plus de 300 entre­prises, 18 filières et 50 fédérations.

En paral­lèle, l’équipe accom­pagne de nom­breuses entre­prises dans l’analyse de leurs four­nis­seurs afin de pré­ve­nir d’éventuels blo­cages en douane.

L’ambassade de France en Chine entre en jeu

Après avoir mis en rela­tion entre­prises et four­nis­seurs fiables, la DGE fait appel à l’aide pré­cieuse de l’ambassade de France en Chine. Celle-ci a éga­le­ment for­mé une cel­lule de crise pour infor­mer les entre­prises fran­çaises des condi­tions d’exportation depuis la Chine, four­nir un appui diplo­ma­tique si néces­saire et assu­rer le lien avec l’aviation civile chi­noise pour les auto­ri­sa­tions de vol. En effet, les moda­li­tés d’exportation de maté­riel sani­taire chi­nois se dur­cissent au fur et à mesure des semaines, à la suite de quelques scan­dales révé­lant l’exportation de maté­riel de mau­vaise qua­li­té. Ces déci­sions ne font que désta­bi­li­ser encore davan­tage le mar­ché des masques. Les auto­ri­tés chi­noises restreignent d’abord les expor­ta­tions de maté­riel médi­cal aux usines dis­po­sant d’une licence idoine et recen­sées sur une liste blanche. Quelques jours plus tard, elles imposent des contrôles doua­niers sup­plé­men­taires des pro­duits en sor­tie d’usine.

Fina­le­ment, fin avril, la Chine étend le concept de liste blanche aux EPI et publie une liste noire de four­nis­seurs inter­dits à l’exportation. Les évo­lu­tions des pro­cé­dures admi­nis­tra­tives entraînent de nom­breux retards (cer­tains colis res­te­ront blo­qués plu­sieurs semaines) et ren­forcent la crainte d’une fer­me­ture des fron­tières chi­noises. Mal­gré la com­plexi­té et l’inédit de la situa­tion, le tra­vail conjoint de l’ambassade et des équipes de Ber­cy per­met d’apporter une infor­ma­tion juste et pré­cise en temps qua­si réel aux entre­prises importatrices.

“Le transport par avion
au plus fort
de la crise représentait environ
10 centimes par masque !”

Coordonner le transport 

Les obs­tacles liés aux for­ma­li­tés doua­nières en Chine se doublent d’une pénu­rie de trans­port aérien. En l’absence de pas­sa­gers, les capa­ci­tés aériennes sont réduites et désor­ga­ni­sées et la ten­sion sur le mar­ché des masques se pro­page aux chaînes logis­tiques. Les dif­fi­cul­tés ren­con­trées pour ache­mi­ner les masques depuis la Chine sont d’autant plus impor­tantes que ceux-ci ne tran­sitent habi­tuel­le­ment pas en avion, car leur faible coût com­pa­ré à leur volume impor­tant rend ce mode trans­port non com­pé­ti­tif : en temps nor­mal, le coût d’un masque (hors trans­port) est de quelques cen­times d’euro. Le trans­port par avion au plus fort de la crise repré­sen­tait envi­ron 10 cen­times par masque ! Tou­te­fois l’urgence pré­vaut et seule la solu­tion aérienne per­met une livrai­son mas­sive et rapide de masques.

Avec la direc­tion géné­rale des infra­struc­tures, des trans­ports et de la mer (DGITM), la DGE s’est assu­rée de la mobi­li­sa­tion des com­mis­sion­naires de trans­port afin d’augmenter les capa­ci­tés de fret aérien. Les offres de trans­por­teurs sont relayées vers les impor­ta­teurs dont les mar­chan­dises sont en attente après avoir pas­sé la douane chi­noise. Les équipes des douanes fran­çaises par­ti­cipent à l’effort sept jours sur sept. Tout cela per­met aux entre­prises de mettre en place une chaîne d’approvisionnement depuis la Chine. Cer­tains impor­ta­teurs vont même jusqu’à louer des avions sur quelques semaines pour ache­mi­ner eux-mêmes plu­sieurs dizaines de mil­lions de masques jusqu’en France.

Organiser la distribution

Pen­dant la crise, les usines chi­noises pro­duisent en flux ten­du et prio­risent les volumes de com­mandes impor­tants et payés d’avance. Les grandes entre­prises par­viennent donc en majo­ri­té à s’approvisionner alors que les PME et ETI ren­contrent des dif­fi­cul­tés à se four­nir pour des volumes plus faibles. L’enjeu est double : il s’agit de mas­si­fier la demande en conso­li­dant des com­mandes plus petites et de dis­tri­buer les masques à toutes les entre­prises, quelle que soit leur taille. Dès le décret qui relance les impor­ta­tions de masques, le minis­tère de l’Économie cherche à faire naître une logique d’approvisionnement par filière éco­no­mique. Toutes les filières sont invi­tées à grou­per des com­mandes via des fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles (par exemple France Chi­mie), notam­ment par un réfé­rent PME char­gé d’agréger leurs besoins ou au niveau d’un don­neur d’ordre (par exemple Naval Group).

Les solutions digitales

En paral­lèle, la pla­te­forme Stopcovid19 est lan­cée en par­te­na­riat avec Mirakl, entre­prise spé­cia­li­sée dans la concep­tion d’applications web de places de mar­ché, pour ser­vir les entre­prises de plus de 250 sala­riés. La Poste et Cdis­count mettent éga­le­ment en place des solu­tions per­met­tant aux entre­prises de moins de 250 sala­riés de se four­nir en masques. Ain­si, les dis­po­si­tifs mis en place conjoin­te­ment par la DGE et par les acteurs pri­vés per­mettent à toutes les entre­prises de dis­po­ser de masques en vue de la sor­tie du confi­ne­ment le 11 mai 2020.

Face aux besoins mas­sifs en masques et à la désor­ga­ni­sa­tion du mar­ché, l’État a mobi­li­sé l’ensemble de son admi­nis­tra­tion, en pui­sant même par­mi les actuels élèves des corps de l’État. Avec les fédé­ra­tions pro­fes­sion­nelles, les logis­ti­ciens et les dis­tri­bu­teurs, la cel­lule d’appui aux impor­ta­tions a coor­don­né l’ensemble des ser­vices de façon à assu­rer l’approvisionnement en masques des entre­prises fran­çaises. Si cer­taines ont réus­si à s’approvisionner de façon auto­nome, l’action de la DGE a été saluée par de nom­breux res­pon­sables d’entreprise qui ren­con­traient des dif­fi­cul­tés pour se four­nir. Cette mobi­li­sa­tion intense a ain­si faci­li­té la sor­tie du confi­ne­ment et la reprise de l’activité économique. 

2 Commentaires

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Chan­des­risrépondre
6 octobre 2020 à 21 h 36 min

Il eut été de bon ton de sou­li­gner le tra­vail de la DGA pour toute l’ex­per­tise tech­nique en sou­tien de la DGE, l’a­na­lyse des normes et les équi­va­lences, ain­si que le déve­lop­pe­ment de toute une filière natio­nale en un temps record (masques bar­rière UNS1 & 2).

Alexandre Moat­ti (X78)répondre
16 novembre 2020 à 10 h 27 min

Il est tout à fait dom­ma­geable que pas un mot ne soit dit sur le sujet des « masques pour le grand public » en mars-avril-mai, ne serait-ce que pour dire qu’il était exclu du champ de la mission.

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