François Walraet (95), le paysan

Dossier : AtypiXMagazine N°François Walraet (95), le paysan

Mais ensuite… Bache­lier brillant, il quitte les sœurs de Cus­set pour inté­grer direc­te­ment Ginette, bel exploit à dire vrai. Deux ans plus tard, à 19 ans, il intègre l’X. Il y ren­contre une jeune Mar­seillaise de sa pro­mo, Emma­nuelle, avec laquelle il fon­de­ra son foyer.

Suit une entrée des plus clas­siques dans la vie active : elle, admi­nis­tra­trice de l’INSEE, y com­mence sa car­rière ; lui se lance dans un doc­to­rat en phy­sique des plas­mas au CEA à Bruyères-le-Châ­tel. Le sujet est hau­te­ment sen­sible : il s’agit de simu­ler les explo­sions nucléaires, inter­dites gran­deur nature depuis la déci­sion pré­si­den­tielle d’abandonner Muru­roa. Il par­ti­cipe à cette fin à la concep­tion du laser méga­joule de Bor­deaux. Il sou­tient une thèse sur la pro­pa­ga­tion des fais­ceaux laser dans les plasmas.

Le couple part ensuite à Nantes où il res­te­ra dix ans, de 2003 à 2013. Direc­tion régio­nale de l’INSEE puis ser­vice des retraites de l’Etat pour elle, PSA pour lui. Ses hori­zons intel­lec­tuels y sont moins flam­boyants : il a alors pour mis­sion de com­prendre pour­quoi les véhi­cules sous garan­tie coûtent de plus en plus cher à la socié­té – et de les rame­ner à des niveaux plus acceptables.

Fran­çois se livre à quelques simu­la­tions numé­riques, bien médiocres au regard de celles qui avaient bali­sé son séjour de thé­sard au CEA. Il s’ennuie un peu. Heu­reu­se­ment, la petite famille se construit.

Et voi­la qu’en 2010, son père, 68 ans alors, convoque un conseil de famille. « Je vais bien­tôt rac­cro­cher, l’un d’entre vous vou­drait-il reprendre la ferme ? ». Fran­çois est à cent lieues de se voir dans la peau de son père. Si la petite sœur, diplô­mée des Mines de Nan­cy et par­tie aux États-Unis, n’est pas dans le coup, sa sœur aînée est diplô­mée de l’ISAB à Beau­vais, elle a épou­sé un agri­cul­teur du Vexin : c’est elle qui devrait logi­que­ment reprendre. Or elle a fait sa vie là-bas, sur la ferme de son mari.

Fran­çois réflé­chit, inter­roge lon­gue­ment son père. Fina­le­ment, en 2011, il se décide : c’est oui. Pen­dant encore deux ans, ils sont en tui­lage, sans que Fran­çois aban­donne son métier à Nantes. En 2013, il fait le grand saut et devient sala­rié de son père. Il suit par cor­res­pon­dance la pré­pa­ra­tion au BPREA, sésame indis­pen­sable pour pou­voir pré­tendre aux aides fis­cales et aux primes. « On a quand même accep­té de me dis­pen­ser de l’épreuve de maths », concède-t-il.

Le 1er jan­vier 2015, il prend la tête de la SCEA fami­liale. Le voi­la chef d’une belle entre­prise qui s’étend sur 325 hec­tares de maïs, de blé et d’orge, adhé­rente à la coopé­ra­tive Val Limagne. « Ce fut un peu dif­fi­cile avec mon père, car je vou­lais tout com­prendre, et lui fai­sait tout à l’intuition. Mais à ses côtés, j’ai vrai­ment appris mon métier. »

Ce métier, Fran­çois en a fait sa pas­sion. Il par­tage aujourd’hui sa vie entre Paris (intra muros), où son foyer est éta­bli, et la ferme, où il se rend chaque semaine et où il éta­blit ses quar­tiers d’été. « Nos trois filles adorent ce pays, elles y viennent avec plai­sir pen­dant les grandes vacances. Elles y passent leur temps à jouer au volant des trac­teurs et dans le centre équestre voi­sin, et pas seule­ment pour y mon­ter : elles s’occupent de bou­chon­ner les che­vaux, de faire le ménage dans les écu­ries… de vraies petites paysannes. »

Pas ques­tion évi­dem­ment pour le pay­san de Paris qu’il est de faire de l’élevage. Il a donc mis en grande culture tout son domaine, avec l’aide d’un sala­rié de confiance. Mais dans son nou­veau métier, l’esprit poly­tech­ni­cien le taraude. « Ce que j’ai appris durant ma sco­la­ri­té, c’est : essayer, essayer, essayer ; ne jamais se repo­ser sur des sché­mas vieux de 40 ans. »

Il s’est ain­si lan­cé dans la culture sans labour. Quand les anciens labou­raient, ils n’aéraient que la sur­face du sol, ce qui lui était béné­fique. Aujourd’hui, les socs retournent sur plu­sieurs déci­mètres et font bas­cu­ler les hori­zons super­fi­ciels et les hori­zons pro­fonds, asphyxiant à la fois la flore aéro­bie de la sur­face et la flore anaé­ro­bie des pro­fon­deurs, les­quelles sont longues à renaître ensuite, per­tur­bant les vers de terre.

La culture sans labour pré­serve ces mul­tiples vies. Inci­dem­ment, en étant dis­pen­sé de pas­ser la char­rue, Fran­çois a vu ses fac­tures de gazole divi­sées par 6. Modeste ran­çon : il faut pas­ser du Roun­dup. Mais là encore, le pro­fes­sion­nel qu’il est gère mieux le dosage que le jar­di­nier du dimanche. Pour maî­tri­ser cette tech­no­lo­gie, Fran­çois s’est docu­men­té auprès des pion­niers, des ven­deurs de machines agri­coles (amé­ri­cains) ; il a potas­sé des revues d’agronomie de haut niveau : un vrai tra­vail de thé­sard, ou d’ingénieur.

Fran­çois ne cache pas les dif­fi­cul­tés du métier. Dif­fi­cul­tés finan­cières, alors que les primes – contes­tées par Bruxelles – sont juste au niveau de l’excédent brut d’exploitation. Soli­tude de celui qui n’a guère de voi­sins proches avec les­quels échan­ger sur ces tech­niques culturales.

Mais sur­tout, un car­can de règles sou­vent absurdes qui bloque les ini­tia­tives et le déve­lop­pe­ment de l’agriculture. « On n’a pas le droit de sto­cker l’eau qui, en hiver, des­cend libre­ment et inuti­le­ment à la mer ; on doit suivre une cir­cu­laire d’une cin­quan­taine de pages pour curer nos fos­sés ; les contraintes éco­lo­giques suivent une clas­si­fi­ca­tion tel­le­ment rigide qu’elles ne cor­res­pondent à aucune réa­li­té sur le ter­rain, les rela­tions avec cer­taines admi­nis­tra­tions en charge de l’application de ces règles s’en retrouvent par­fois tendues. »

Pour­tant, Fran­çois aime faire par­ta­ger sa pas­sion pour le métier d’agriculteur qui le porte avec sa famille. Avis aux amateurs !

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