Xavier Debonneuil (68), 1948–2002

Dossier : ExpressionsMagazine N°587 Septembre 2003
Par Jacques BONGRAND (68)

Le 26 décembre 2002, Xavier Debon­neuil, X 68, éco­no­miste renom­mé et direc­teur adjoint de la Socié­té Géné­rale, se tuait avec sa fille Anne dans un acci­dent de la route. Je remer­cie La Jaune et la Rouge de me per­mettre d’é­vo­quer ici la car­rière et la vie, à la fois brillantes et simples, de celui qui fut pour moi un cama­rade et un ami d’une qua­li­té rare. Sa réus­site pro­fes­sion­nelle et humaine mérite d’ins­pi­rer nos pen­sées et de res­ter dans nos mémoires. 

À la sor­tie de l’É­cole, Xavier Debon­neuil a choi­si l’IN­SEE. Il faut rap­pe­ler qu’à l’é­poque, encore toute impré­gnée des idées de Mai 1968, la voie de l’é­co­no­mie appa­rais­sait à beau­coup un moyen pri­vi­lé­gié pour s’in­té­res­ser à l’homme et construire un monde plus juste. 

C’est alors qu’il était élève à l’É­cole natio­nale de la sta­tis­tique et de l’ad­mi­nis­tra­tion éco­no­mique que Xavier épou­sa Michèle qui sui­vait les mêmes études. Leur pre­mière affec­ta­tion fut à Reims où il prit la tête du Ser­vice des études de la région Cham­pagne-Ardennes de l’IN­SEE. Mal­gré son clas­se­ment, il avait opté pour ce poste en pro­vince, alors peu deman­dé, afin de rendre pos­sible une répar­ti­tion à l’a­miable pour sa promotion. 

Cette pre­mière expé­rience sur le ter­rain lui a appor­té une com­pré­hen­sion concrète des méca­nismes éco­no­miques qui j’en suis cer­tain – et la suite ne contre­dit pas cette impres­sion – don­nait à sa réflexion une richesse et une soli­di­té qu’il n’au­rait pu acqué­rir dans un bureau d’ad­mi­nis­tra­tion centrale. 

Cinq ans plus tard, en 1979, Xavier Debon­neuil revient à Paris pour se consa­crer à la recherche macroé­co­no­mique, plus pré­ci­sé­ment à la mise au point et à l’ex­ploi­ta­tion du modèle DMS (dyna­mique mul­ti­sec­to­riel). Il s’a­gis­sait de mettre à la dis­po­si­tion du gou­ver­ne­ment un outil de pré­vi­sion des­ti­né à le gui­der dans l’é­la­bo­ra­tion de sa poli­tique éco­no­mique. L’in­no­va­tion prin­ci­pale qu’ap­por­tait DMS par rap­port aux modèles anté­rieurs était une prise en compte des inves­tis­se­ments phy­siques, au-delà des masses finan­cières globales. 

En 1981, l’ad­mi­nis­tra­teur de l’IN­SEE décide de don­ner à sa car­rière une orien­ta­tion plus opé­ra­tion­nelle. Il rejoint alors la Banque de France pour y déve­lop­per l’ac­ti­vi­té d’a­na­lyse scien­ti­fique en tant que direc­teur du ser­vice des études éco­no­miques et conseiller du gouverneur. 

Il aborde en 1985 le monde de l’en­tre­prise au dépar­te­ment des changes et mar­chés moné­taires de la Socié­té Géné­rale, dont il devient direc­teur géné­ral adjoint en 1999. Dans ce domaine nou­veau pour lui, il prouve sa com­pé­tence et son ingé­nio­si­té en déve­lop­pant des ins­tru­ments finan­ciers qui connaissent un grand suc­cès, per­met­tant à sa socié­té d’at­teindre un niveau d’ex­cel­lence mon­diale. Il se montre aus­si un chef sou­cieux de trai­ter jus­te­ment ses col­la­bo­ra­teurs et de leur mar­quer sa consi­dé­ra­tion y com­pris quand l’in­té­rêt géné­ral impose des mesures rigou­reuses. Je me sou­viens encore de confi­dences qu’il m’a faites sur ce sujet, il y a quelques années, et qui témoi­gnaient de ses scrupules. 

Paral­lè­le­ment à cette remar­quable car­rière, sa vie per­son­nelle pré­sente au moins deux traits qui méritent d’être sou­li­gnés. Le pre­mier est sa sim­pli­ci­té. Jeune étu­diant, il était natu­rel­le­ment sen­sible à l’i­déal chré­tien comme à la géné­ro­si­té d’i­dées sociales en vogue. Il a su expri­mer ses convic­tions par des actes simples, par sa manière d’être, plu­tôt que par un mili­tan­tisme exubérant. 

Par la suite, il a conser­vé cette modes­tie et cette droi­ture alors même que ses qua­li­tés et son tra­vail l’é­le­vaient à une situa­tion dont il n’a­vait sans doute pas rêvé. Le deuxième trait est la part qu’il a tou­jours consa­crée à sa famille, en par­ti­cu­lier son épouse et ses enfants Chris­tophe et Anne dont les qua­li­tés d’ou­ver­ture et la réus­site sco­laire mani­festent la valeur de l’é­du­ca­tion reçue. 

Comme ami, j’ai par­fois regret­té la dif­fi­cul­té qu’il y avait à arra­cher sa pré­sence pour une soi­rée. Mais je crois qu’il avait rai­son, quand les contraintes pro­fes­sion­nelles lui impo­saient comme à beau­coup d’entre nous une ges­tion par­ti­cu­liè­re­ment rigou­reuse de son temps, de don­ner une haute prio­ri­té à ses devoirs fami­liaux les plus proches. 

En conclu­sion, Xavier Debon­neuil fait hon­neur à notre com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne – et en par­ti­cu­lier à la pro­mo­tion 1968 – parce qu’il a été l’homme d’une triple fidé­li­té, à la science d’a­bord, en contri­buant au déve­lop­pe­ment des théo­ries éco­no­miques et au suc­cès de leurs appli­ca­tions pra­tiques, à ses proches ensuite, qu’il n’a jamais sacri­fiés aux exi­gences de son métier, à lui-même enfin, en gar­dant tout au long de sa vie l’es­prit de sa jeunesse.

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