X‑Internat l’excellence pour tous

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°740 Décembre 2018
X‑Internat est un des dispositifs du Pôle Diversité et Réussite (PDR) de l’École polytechnique mis en place à la rentrée 2016 pour tenter de combattre l’effet de reproduction sociale des élites, et ouvrir l’École à plus de diversité. La Jaune et la Rouge est allée rencontrer Alice Carpentier, responsable du Pôle et Sarah Pouyaud-Ely, chargée de mission diversité au PDR.

« La ques­tion de la diver­si­té sous toutes ses formes est aujourd’hui très pré­sente dans la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne. Le manque de diver­si­té, notam­ment sociale, n’a pas tou­jours été aus­si visible qu’il l’est deve­nu, et cela inter­pelle les anciens car eux-mêmes ont connu une époque où l’ascenseur social fonc­tion­nait mieux. Nom­breux sont donc les anciens élèves de Poly­tech­nique qui choi­sissent d’aider le PDR. Ils sont per­sua­dés que ce n’est pas l’École qui est dis­cri­mi­nante, mais plu­tôt que le manque de diver­si­té résulte d’un sys­tème qui fonc­tionne mal en amont. Cepen­dant, l’École dis­pose de plu­sieurs leviers de réus­site avec notam­ment la capa­ci­té à mobi­li­ser des élèves pour nous aider, qu’ils soient béné­voles ou rému­né­rés sur la base de « colles » ou encore au titre de leurs affec­ta­tions civiles (stage FHM). L’engagement des élèves est très visible à l’École. La com­mu­nau­té des anciens nous sou­tient à tra­vers la Fon­da­tion et nos propres cam­pagnes de levée de fonds.

Genèse du programme X‑Internat

Le rap­port Atta­li avait pré­co­ni­sé de mon­ter un inter­nat d’excellence à l’École poly­tech­nique. Nous nous sommes ren­du compte que les besoins étaient à concen­trer sur les week-ends et les vacances sco­laires. Pour entrer à l’X, il y a des pré­pas « sources » qui pré­parent mieux comme Hoche et Louis-le-Grand. Mais elles sont fer­mées pen­dant les vacances sco­laires, et Hoche l’est aus­si le week-end. Or, pour des élèves qui ont du poten­tiel et ont réus­si à inté­grer ces pré­pas, nous nous sommes aper­çus qu’il res­tait un petit del­ta pour inté­grer des écoles de rang 1, à cause des condi­tions de tra­vail le week-end et les vacances sco­laires. Cer­tains élèves choi­sissent de ne pas aller dans ces pré­pas à cause de ces para­mètres ; ou bien, quand ils intègrent, ils ne se retrouvent pas dans de bonnes condi­tions de tra­vail. Quand on est en pré­pa, toute la famille est en pré­pa. Or, nous voyons des élèves qui doivent aider leurs parents dans l’entreprise fami­liale le week-end, ou bien qui sont mis à contri­bu­tion pour s’occuper de leurs petits frères et sœurs.

Mise en place des partenariats

Au fil des dis­cus­sions avec les éta­blis­se­ments, Yves Demay, alors direc­teur géné­ral de l’École, a mis en place un par­te­na­riat avec Hoche qui per­met d’accueillir ces élèves, qui n’auraient pas inté­gré Hoche sans le dis­po­si­tif. Louis-le-Grand nous envoie aus­si des élèves pour que nous leur don­nions des condi­tions de tra­vail opti­males pour réus­sir les concours. Car les familles qui ont connu la pré­pa ou dont les parents sont profs savent com­ment entou­rer et accom­pa­gner au mieux leurs enfants. Mais pas les autres. Avoir de bonnes condi­tions de tra­vail, être en contact tous les week-ends avec des élèves poly­tech­ni­ciens dans le cadre des colles et pen­dant les vacances contri­bue à pal­lier ces dif­fé­rences. Nous avons com­men­cé à 15, en recru­tant sur de plus petites pré­pas. Main­te­nant, nous concen­trons notre recru­te­ment sur Hoche et Louis-le-Grand.

Mettre toutes les chances de leurs côtés

Le plus gros tra­vail pour nous a été de savoir com­ment accueillir ces publics à l’École le week-end. Plu­sieurs ques­tions se posaient, notam­ment rela­tives au loge­ment, et nous ne dis­po­sions pas d’expérience dans ce domaine avant le lan­ce­ment du bache­lor dont les élèves, pour cer­tains mineurs, sont aus­si héber­gés le week-end. Cer­taines choses se sont en revanche mises en place très faci­le­ment, comme la mobi­li­sa­tion des élèves qui sont très pré­sents dans le dis­po­si­tif : une quin­zaine de col­leurs qui tournent les week-ends, avec l’aide d’Élie Ber­mot (2017), un élève réfé­rent très pré­sent et impli­qué pour recru­ter des élèves et suivre le dis­po­si­tif. Sur notre pre­mière pro­mo­tion de 15 élèves, nous avons des élèves qui sont entrés aux Mines, un qui est entré à l’ESPCI, une des élèves a même été reçue à Cen­trale, mais elle est allée en 52 car elle ne veut que l’X… Nous étions un peu impres­sion­nés d’avoir sus­ci­té une telle ambi­tion, quand elle nous a appris sa déci­sion de refu­ser Centrale !

“Nous revenons aux fondamentaux
de l’École, à l’image du tour de France que Monge organisait pour recruter
les premières promotions”

Tous ambassadeurs

Les élèves découvrent le dis­po­si­tif X‑Ambassadeurs lors de leur affec­ta­tion civile car plu­sieurs font leur stage FHM dans les lycées concer­nés. À Hoche, les élèves font du sui­vi pour les élèves bour­siers, ceux de l’internat en par­ti­cu­lier. Ils sont aus­si volon­taires dési­gnés lorsque nous orga­ni­sons des séminaires.

L’idée à moyen ou long terme serait de mobi­li­ser ceux qui sont en affec­ta­tion mili­taire pour qu’ils jouent un rôle d’ambassadeur du pro­gramme et qu’ils aillent visi­ter les lycées pour par­ler de nos actions, faire la pro­mo­tion de nos « colos de maths », de nos Science camps, de nos tuto­rats en ligne, de notre inter­nat. Tout le monde devrait être ambas­sa­deur, ce qui per­met­trait un excellent maillage au niveau natio­nal. En réa­li­té, nous reve­nons aux fon­da­men­taux de l’École à l’image du tour de France que Monge orga­ni­sait pour recru­ter les pre­mières pro­mo­tions. Il s’agit d’un levier de recru­te­ment très effi­cace. Quand le PDR envoie un cour­rier aux lycées pour faire connaître son pro­gramme, le lycée lui-même fait sou­vent de l’autocensure en esti­mant que ce dis­po­si­tif n’est pas du niveau de ses élèves, alors qu’il y en a peut-être un pour qui une sen­si­bi­li­sa­tion serait per­ti­nente. Mais si les élèves et les cadres ren­contrent des jeunes X qui sortent de pré­pa, cela devient humain, plus concret lorsque l’on offre un inter­nat ou des cours en ligne…

Les bourses de la Fon­da­tion consti­tuent un levier de réus­site pri­mor­dial, au même titre que les outils que nous déve­lop­pons pour repé­rer et accom­pa­gner les talents en amont. Cela passe par l’internat, par le fait de don­ner des res­sources aux pro­fes­seurs qui vont pré­pa­rer ces élèves en pro­vince. L’idée, c’est que les pro­fes­seurs, qui détectent des élèves brillants dans leurs effec­tifs, sachent qui contac­ter et com­ment les pré­pa­rer au mieux aux concours étoi­lés. C’est un autre moyen pour l’X de des­cendre de sa montagne.

Cibler la diversité sociale

Pour béné­fi­cier du dis­po­si­tif, le pre­mier cri­tère exa­mi­né est le sta­tut de bour­sier. Nous prê­tons ensuite atten­tion au niveau de diplôme des parents. Nous avons reçu des demandes de bour­siers pour inté­grer l’internat, mais ils venaient de familles dont les parents avaient par­fois un niveau d’études bac + 5 voire bac + 8 : à l’évidence, ce n’était pas le public ciblé. Notre cœur de cible est les élèves bour­siers dont les parents n’ont pas fait d’études dans le supérieur.

Toutes les actions du PDR sont regrou­pées sous un même cha­peau : la cam­pagne X‑Talents de détec­tion et d’accompagnement des talents. Et alors que le fait d’être bour­sier peut être per­çu comme un peu dégra­dant, nous nous sommes ren­du compte récem­ment que, à l’étranger, le fait de béné­fi­cier d’une bourse d’excellence, d’avoir été dis­tin­gué et choi­si par la com­mu­nau­té des anciens est au contraire consi­dé­ré comme une fier­té, un plus. À nous de faire évo­luer les men­ta­li­tés ici ! »


Le Pôle Diversité et Réussite

Lan­ce­ment en 2013 de trois thé­ma­tiques : l’égalité (sociale) des chances dans l’éducation ; l’égalité femmes-hommes ; le han­di­cap. Le fonc­tion­ne­ment est fon­dé essen­tiel­le­ment sur fonds propres à 79 %.


Pour en savoir plus et soutenir les actions du Pôle Diversité et Réussite :

Contac­ter Alice Carpentier
01 69 33 38 99
06 89 71 78 99
alice.carpentier@polytechnique.edu


Romane (2018), Nadir et Ahsan.

Rencontre avec deux « internes » Ahsan et Nadir et une des tutrices du dispositif, Romane (2018)

Ahsan et Nadir sont élèves en classes pré­pa­ra­toires, à Hoche pour Ahsan et Louis-le-Grand pour Nadir. Ahsan vient du lycée Edmond-Ros­tand à Saint-Ouen‑l’Aumône tan­dis que Nadir vient du lycée Notre-Dame de Mantes-la-Jolie. Ils sont en 32 et béné­fi­cient du dis­po­si­tif X‑Internat. C’est par leurs pro­fes­seurs qu’ils ont enten­du par­ler de la pré­pa et qu’ils ont été orien­tés vers les éta­blis­se­ments sus­cep­tibles de leur ouvrir les plus grandes écoles, avec le sou­tien d’X‑Internat. Nadir a été recru­té à l’occasion du pas­sage de jeunes ambas­sa­deurs poly­tech­ni­ciens dans son lycée en pre­mière, lorsque ceux-ci effec­tuaient leur stage FHM civil. De l’aveu des deux « tau­pins », les six pre­miers mois en pré­pa ont été très durs. Le rythme de tra­vail mais aus­si la décou­verte du milieu social assez homo­gène de la pré­pa, dif­fé­rent du leur, ont consti­tué un vrai choc. Mais main­te­nant, en deuxième année, ça va, nous ont-ils assu­ré. Leur par­cours en pré­pa ne semble pas leur poser de pro­blème pour gar­der le contact avec leurs amis, même si, selon eux, ils ne com­prennent pas for­cé­ment ce qu’ils font. Néan­moins, nous les sen­tons confiants et sereins, et ambi­tieux aus­si. Ahsan vise une École des mines tan­dis que Nadir n’ambitionne rien de moins que l’X.

Romane (2018), très enga­gée dans le dis­po­si­tif, vient des Mureaux (78) et a connu elle aus­si ce choc. D’abord élève en hypo­khâgne B/L à Hen­ri-IV, elle s’est réorien­tée en sciences à Saint-Louis, d’où elle intègre Poly­tech­nique. Elle aus­si a gar­dé ses amis du lycée, mais recon­naît res­sen­tir par­fois un cer­tain déca­lage cultu­rel dans les passe-temps et les loi­sirs, très limi­tés et très ciblés quand on est en pré­pa, ce qui n’est pas for­cé­ment bien com­pris, mais aus­si dans son absence de contraintes finan­cières pen­dant ses études, quand ses amis devaient tra­vailler pour étu­dier. Elle a donc plu­sieurs groupes d’amis, ceux du

lycée, ceux d’Henri-IV, ceux de Saint-Louis et main­te­nant ceux de l’X, mais ces sphères ne se ren­contrent pas vrai­ment. Actuel­le­ment, elle effec­tue son stage civil dans le lycée de Mantes-la-Jolie, où elle rem­plit un rôle d’accompagnement, de sou­tien et aus­si de témoi­gnage : « Mon par­cours m’empêche d’ignorer l’existence de classes entières de la popu­la­tion qui ont très peu accès à ces par­cours d’excellence. Nous savons que nous ne pou­vons pas seuls pal­lier les phé­no­mènes sociaux qui mènent à ces dis­pa­ri­tés. Et il ne fau­drait pas faire de l’outil de mesure l’objectif en lui-même. La diver­si­té n’est pas une fin en soi, elle n’est que la mesure d’un sys­tème juste et intel­li­gent qui garan­tit à l’École son excel­lence. Je suis heu­reuse d’observer qu’il y a une réelle volon­té d’œuvrer pour cette diver­si­té à l’École polytechnique. »

Pro­pos recueillis par Alix Verdet

Poster un commentaire