Vers une agriculture plus durable : L’agriculture biologique (AB)

Dossier : Agriculture et environnementMagazine N°657 Septembre 2010

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3.1.1.Développement de l’AB en France et en Europe

Trois cou­rants prin­ci­paux ont contri­bué à la nais­sance de l’AB en Europe : le mou­ve­ment anthro­po­so­phique de l’Au­tri­chien Rudolf Stei­ner appa­ru dans les années 1920 ; celui en faveur de l’a­gri­cul­ture orga­no-bio­lo­gique ins­pi­ré du cou­rant de pen­sée du Suisse Hans Mül­ler vers 1930 ; et celui, né après la seconde guerre mon­diale, à par­tir des théo­ries du Bri­tan­nique Albert Howard, à l’o­ri­gine de la Soil Asso­cia­tion et de l’a­gri­cul­ture dite organique.

En France, l’AB émerge dans les années 1950 et, très rapi­de­ment, deux mou­ve­ments se des­sinent : un cou­rant agri­cole lié à la socié­té com­mer­ciale Lemaire-Bou­cher appro­vi­sion­nant les agri­cul­teurs en semences et amen­de­ments cal­caires ; et un mou­ve­ment asso­cia­tif d’a­gri­cul­teurs et de consom­ma­teurs, Nature et Progrès.

Dans les années 1970, l’é­mer­gence de nou­veaux cou­rants d’i­dées et des chan­ge­ments socio­lo­giques impor­tants (résis­tance au pro­duc­ti­visme agri­cole et à la socié­té de consom­ma­tion, prise de conscience des limites des res­sources de la pla­nète et crise pétro­lière) ont beau­coup influen­cé le déve­lop­pe­ment de l’AB et pro­vo­qué des scis­sions mul­tiples au sein des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles. En 1972, l’In­ter­na­tio­nal Fede­ra­tion of Orga­nic Move­ments (IFOAM) est créée à Ver­sailles à l’i­ni­tia­tive du pré­sident de Nature et Pro­grès. A par­tir des années 1990, des crises sani­taires impu­tées à des pro­duits d’u­sage cou­rant, des atteintes à la bio­sphère, des inter­dic­tions plus ou moins jus­ti­fiées de nom­breux pro­duits entraînent des mou­ve­ments d’o­pi­nion en faveur de l’AB et un accrois­se­ment de la demande de pro­duits qui en sont issus.

La nor­ma­li­sa­tion de l’AB débute en France par l’a­dop­tion de la Loi d’o­rien­ta­tion agri­cole de 1980 qui, bien que n’u­ti­li­sant pas le vocable « agri­cul­ture bio­lo­gique », pré­cise dans son article 14 que « les cahiers des charges défi­nis­sant les condi­tions de pro­duc­tion de l’a­gri­cul­ture n’u­ti­li­sant pas de pro­duits chi­miques de syn­thèse peuvent être homo­lo­gués par arrê­té du ministre de l’A­gri­cul­ture ». Le décret rela­tif à cette homo­lo­ga­tion est pris en 1981. Dès 1990 la France, pion­nière en ce point, valide un cahier des charges public pour les pro­duc­tions ani­males. A par­tir de 1991, l’AB fait l’ob­jet de cahiers des charges pour les pro­duc­tions végé­tales régis au niveau euro­péen, et, en 2000 pour les pro­duc­tions animales.

Le cahier des charges du règle­ment (CE) n°834/2007, qui rem­place celui de 1991 peut être résu­mé très sché­ma­ti­que­ment ain­si : l’u­ti­li­sa­tion de pro­duits chi­miques de syn­thèse est inter­dite tant pour la fer­ti­li­sa­tion que pour la défense des cultures et le trai­te­ment des ani­maux. Il peut y avoir des excep­tions, en par­ti­cu­lier en éle­vage, et il peut y avoir des déro­ga­tions au cas par cas. Des pro­duits chi­miques qui ne sont pas de syn­thèse, selon une liste éta­blie par règle­ment, peuvent être uti­li­sés. Les semences et plants uti­li­sés doivent être issus de l’AB. La dura­bi­li­té du sys­tème est fon­dée sur des rota­tions plu­ri­an­nuelles. L’é­le­vage hors sol est inter­dit ; les ani­maux doivent être nés sur l’ex­ploi­ta­tion ou pro­ve­nir d’une exploi­ta­tion en AB ; ils doivent être nour­ris avec au moins 50% d’a­li­ments pro­duits sur l’ex­ploi­ta­tion, ou en coopé­ra­tion avec des opé­ra­teurs de la même région selon le prin­cipe du lien au sol. La charge ani­male par uni­té de sur­face est limi­tée. Les orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés (OGM) tant en pro­duc­tion végé­tale qu’a­ni­male sont inter­dits. Notons enfin que l’AB est sou­mise à une obli­ga­tion de moyens et non à une obli­ga­tion de résul­tats, que ce soit sur la qua­li­té des pro­duits ou sur l’environnement.

Ces contraintes régle­men­taires ont, dans les condi­tions actuelles de la tech­no­lo­gie, un impact cer­tain sur la pro­duc­ti­vi­té agri­cole, impact rela­ti­ve­ment bien éva­lué en grande culture et en arbo­ri­cul­ture frui­tière, mais plus dif­fi­cile à appré­hen­der en culture légu­mière ain­si qu’en éle­vage, du fait de la grande varia­bi­li­té des sys­tèmes de pro­duc­tion. Par exemple, les dimi­nu­tions de ren­de­ment en France sont en moyenne de l’ordre de 50% en blé et de 35% en maïs, l’é­cart étant plus grand lorsque les ren­de­ments en agri­cul­ture conven­tion­nelle sont plus éle­vés. En arbo­ri­cul­ture frui­tière les dimi­nu­tions de ren­de­ments sont en moyenne de 30%, mais la varia­bi­li­té est très grande et, dans des condi­tions de pres­sion para­si­taire très forte, la récolte peut être com­pro­mise. De même la pro­duc­ti­vi­té est géné­ra­le­ment plus faible en pro­duc­tion ani­male, par exemple de l’ordre de 30% par vache lai­tière en Nor­man­die si on la com­pare à un éle­vage lai­tier intensif.

Ce dif­fé­ren­tiel de pro­duc­ti­vi­té, joint à des réseaux de col­lecte et de dis­tri­bu­tion encore insuf­fi­sam­ment déve­lop­pés, contri­bue à un dif­fé­ren­tiel de prix moyen à la consom­ma­tion, éva­lué à 20 à 70% selon les pro­duits, les filières de dis­tri­bu­tion et les enquêtes.

Mal­gré son rôle pion­nier dans le déve­lop­pe­ment de l’AB dans les années 1980, la France n’a pas vu le pour­cen­tage de ses sur­faces en AB aug­men­ter comme dans d’autres pays euro­péens au cours des deux der­nières décennies.

Le Gre­nelle de l’En­vi­ron­ne­ment a envoyé un mes­sage très favo­rable à l’AB en pré­co­ni­sant « un repas bio par semaine dans la res­tau­ra­tion col­lec­tive » et en pré­voyant d’aug­men­ter les sur­faces cer­ti­fiées AB en France pour atteindre 6% de la sur­face agri­cole utile en 2012 et 20% en 2020. De plus, la consom­ma­tion en pro­duits « bio » aug­men­tant, il est néces­saire de faire appel à des impor­ta­tions essen­tiel­le­ment en fruits et légumes et pro­duits trans­for­més. D’a­près l’A­gence Bio, l’an­née 2008 a été une année char­nière car, après quelques années de stag­na­tion, les sur­faces en AB ont recom­men­cé à aug­men­ter de façon signi­fi­ca­tive (+ 4,8% par rap­port à 2007) et la consom­ma­tion a bon­di de 25%. La demande des consom­ma­teurs est donc crois­sante. Le der­nier baro­mètre de consom­ma­tion et de per­cep­tion des pro­duits bio­lo­giques en France de l’A­gence Bio donne les moti­va­tions d’a­chat sui­vantes : pré­ser­ver la san­té : 95%, pré­ser­ver l’en­vi­ron­ne­ment : 94%, qua­li­té et goût des pro­duits : 87%, rai­sons éthiques : 72%.

3.1.2.Fertilisation en AB

A prio­ri, les méca­nismes de nutri­tion miné­rale des plantes sont les mêmes qu’en agri­cul­ture conven­tion­nelle (AC), de même que les besoins quan­ti­ta­tifs en élé­ments nutri­tifs, sous réserve que les varié­tés choi­sies soient éga­le­ment les mêmes, ce qui n’est pas tou­jours le cas.

Cepen­dant, alors qu’en AC, le rai­son­ne­ment de la fer­ti­li­sa­tion est très lié à la culture à venir pour laquelle on cal­cule les apports sui­vant le prin­cipe : fumure = besoins – four­ni­ture du sol, en AB en revanche, la fer­ti­li­té du sol, et donc les pré­lè­ve­ments pos­sibles des cultures, sont for­te­ment déter­mi­nés par la suc­ces­sion cultu­rale, en par­ti­cu­lier par la pré­sence de légu­mi­neuses et par le régime des rési­dus de culture. Dans ce cas, la nutri­tion miné­rale des plantes est plu­tôt une consé­quence de l’é­tat du milieu sol.

Dans les sys­tèmes de poly­cul­ture avec éle­vage de bovins ou d’o­vins, l’as­so­le­ment fait en géné­ral la place à des légu­mi­neuses (luzerne, trèfle, sain­foin, pois four­ra­ger) contri­buant à la four­ni­ture d’a­zote miné­ral aux cultures sui­vantes. L’emploi rai­son­né des engrais de ferme pro­duits sur l’ex­ploi­ta­tion (fumier, fumier com­pos­té) com­plète le niveau d’a­zote orga­nique du sol, dont la miné­ra­li­sa­tion aug­mente la four­ni­ture d’a­zote miné­ral aux cultures. La dif­fi­cul­té de pré­voir la dyna­mique de miné­ra­li­sa­tion des engrais de ferme devrait conduire à les réser­ver aux cultures autres que céréales, comme les plantes racines, ou les cultures four­ra­gères. S’il s’a­git d’un éle­vage de porcs, la pré­sence de légu­mi­neuses dans la suc­ces­sion cultu­rale est plus rare. Les seules res­sources orga­niques sont alors le lisier ou un mélange lisier-paille pro­duit sur l’ex­ploi­ta­tion ou impor­té des voi­sins pra­ti­quant éga­le­ment l’AB. On est donc face au pro­blème géné­ral de l’emploi des effluents d’é­le­vage : éva­lua­tion de la valeur fer­ti­li­sante, contrôle des doses épan­dues, tech­niques d’épandage.

L’im­por­tance du phos­phore dans l’a­li­men­ta­tion miné­rale de la plante n’est plus à démon­trer. Le niveau phos­pha­té auquel sont par­ve­nus la plu­part des sols fran­çais à la fin du siècle der­nier per­met le plus sou­vent une four­ni­ture cor­recte des cultures en cet élé­ment, et ceci prin­ci­pa­le­ment en poly­cul­ture avec éle­vage, où les apports au sol par les fer­ti­li­sants (sco­ries, phos­phates…) ont été com­plé­tés par le phos­phore conte­nu dans les ali­ments du bétail, en grande par­tie impor­té sous forme de soja. Le phos­phore appor­té sous toutes ces formes a fina­le­ment été retour­né en grande par­tie au sol. Cepen­dant, ce « bruit de fond » phos­pha­té masque le risque d’é­pui­se­ment à terme, si aucun retour suf­fi­sant de phos­phore n’est prévu.

L’emploi régu­lier de fumier contri­bue à recy­cler une part impor­tante du potas­sium conte­nu dans les récoltes. Cepen­dant, le bilan peut ne pas être bou­clé, et il convien­dra d’ap­por­ter des sels de potas­sium, accep­tés par le cahier des charges, tels que kaï­nite (sul­fate de magné­sium et chlo­rure de potas­sium) ou patent­ka­li, sul­fate double de potas­sium et de magnésium.

Dans les sys­tèmes de poly­cul­ture seule, la suc­ces­sion cultu­rale prend ici toute son impor­tance en ce qui concerne l’a­zote. La pré­sence de légu­mi­neuses est sou­hai­table, mais, a prio­ri, il ne peut s’a­gir que des cultures de vente : légu­mi­neuses à graines (pois, féve­roles, len­tilles), éven­tuel­le­ment luzerne pour la déshy­dra­ta­tion, voire four­rage. Dans ce cas, il peut être pos­sible d’or­ga­ni­ser un échange avec des fumiers ou com­posts en retour. Plu­sieurs leviers sont envi­sa­geables pour amé­lio­rer la four­ni­ture d’a­zote aux cultures les plus exigeantes :

  • l’ap­port de com­post réa­li­sé à la ferme à par­tir des déchets végé­taux récol­tés sur place ou récu­pé­rés du voi­si­nage : déchets verts, paille, etc. appor­tés avant céréales ou cultures légu­mières. L’é­va­lua­tion de la richesse en azote orga­nique du com­post et la connais­sance de la dyna­mique de miné­ra­li­sa­tion sont des condi­tions essen­tielles à la prise en compte de ce fertilisant ;
  • l’in­tro­duc­tion d’en­grais verts dans la suc­ces­sion cultu­rale, dont l’en­fouis­se­ment contri­bue à sti­mu­ler la miné­ra­li­sa­tion. La fai­sa­bi­li­té de cette pra­tique est à exa­mi­ner cas par cas, car elle est sou­vent déli­cate tech­ni­que­ment, et coû­teuse en temps et en carburant ;
  • l’u­ti­li­sa­tion de sous-pro­duits orga­niques accep­tés par le cahier des charges AB tels que les vinasses de sucre­ries dans les régions de grande culture ;
  • l’emploi éven­tuel d’en­grais orga­niques natu­rels, tels que fientes de volailles de plein air, sang des­sé­ché, farine de viande, corne broyée, farine de plume hydro­ly­sée, et autres sous-pro­duits orga­niques auto­ri­sés. Le prix de ces fer­ti­li­sants ne les auto­rise que sur des pro­duc­tions bien valo­ri­sées. On les trou­ve­ra sur­tout en pro­duc­tion légu­mière et culture maraîchère.

Pour les cultures exi­geantes en azote, comme les céréales, il ne sera pas pos­sible de répondre cor­rec­te­ment à leur besoins en début de cycle, ce qui indui­ra une baisse des rendements.

Pour le phos­phore, et contrai­re­ment aux exploi­ta­tions de poly­cul­ture-éle­vage, qui peuvent recy­cler celui des ali­ments impor­tés, la poly­cul­ture, dans la plu­part des cas, vit sur les réserves du sol. Lorsque la recon­ver­sion à l’AB s’est faite récem­ment sur des sols culti­vés en AC, ces réserves sont en géné­ral rela­ti­ve­ment impor­tantes et le phos­phore ne consti­tue pas un fac­teur limi­tant. Notons qu’en AC, les agri­cul­teurs, qui, pour des rai­sons éco­no­miques, ont sup­pri­mé les apports d’en­grais phos­pha­tés et potas­siques depuis quelques années, n’ont en géné­ral pas obser­vé de baisse signi­fi­ca­tive des ren­de­ments, mal­gré le main­tien de fer­ti­li­sa­tion azo­tée éle­vée. On peut donc pen­ser qu’a­vec le niveau d’in­ten­si­té modé­ré qui carac­té­rise l’AB les réserves du sol peuvent suf­fire pen­dant quelque temps, mais ne peuvent que bais­ser iné­luc­ta­ble­ment si des apports com­plé­men­taires en phos­phates natu­rels ne sont pas réalisés.

Par ailleurs, il est pos­sible que la « bio­dis­po­ni­bi­li­té » de phos­phore du sol de par­celles AB, riches en azote orga­nique, soit amé­lio­rée. La vie micro­bienne pour­rait aug­men­ter la part de phos­phore orga­nique dans le phos­phore total. Une autre hypo­thèse, qui reste à véri­fier, serait que les myco­rhizes sont plus abon­dantes en conduite AB. Il a d’ailleurs été remar­qué que les teneurs en phos­phore mesu­rées dans les par­celles AB étaient sou­vent à des niveaux qui sont consi­dé­rés comme très insuf­fi­sants en AC, sans que les cultures n’en paraissent affec­tées. Tou­te­fois, il est clair qu’à terme, un apport de phos­phore sera obligatoire.

Pour le potas­sium et le magné­sium, le pro­blème est le même qu’a­vec le phos­phore. Les récoltes expor­tées contiennent des teneurs nor­males en ces élé­ments four­nis par les réserves du sol. Sans res­ti­tu­tion, celui-ci ne peut que s’ap­pau­vrir. Le retour des pailles peut limi­ter les sor­ties de ces élé­ments, mais les cultures de vente sont en géné­ral assez riches. Là encore, l’en­tre­tien des par­celles néces­si­te­ra l’ap­port rai­son­né de sels de potas­sium et/ou de magné­sium tels que le sul­fate de potas­sium, ou le patent­ka­li cité plus haut. Ces pro­duits accep­tés par la charte AB contiennent du soufre, ce qui peut contri­buer à entre­te­nir la fertilité.

D’une manière géné­rale, les situa­tions fré­quentes de bilan défi­ci­taire en élé­ments fer­ti­li­sants dans les sys­tèmes de poly­cul­ture bio­lo­gique peuvent ne pas se tra­duire par des pertes de ren­de­ment immé­diates si les sols sont bien pour­vus au départ. Mais cette situa­tion n’est pas durable. Il convient de sur­veiller sérieu­se­ment le sta­tut nutri­tif du sol par des ana­lyses régu­lières. Se pose alors la ques­tion de l’in­ter­pré­ta­tion des résul­tats dans ce type d’a­gri­cul­ture qui néces­site la mise en place d’ex­pé­ri­men­ta­tions de longue durée.

La com­plexi­té de la suc­ces­sion cultu­rale et l’im­por­tance des rési­dus dans les cultures légu­mières et le maraî­chage contri­buent natu­rel­le­ment à l’a­mé­lio­ra­tion du taux humique du sol, et par consé­quent du niveau de la miné­ra­li­sa­tion. La pra­tique des com­posts y est fré­quente, lors­qu’une res­source cel­lu­lo­sique ou ligneuse se trouve dis­po­nible. Dans les régions où l’on pra­tique tra­di­tion­nel­le­ment le maraî­chage, l’emploi des engrais orga­no-miné­raux s’est repor­té sou­vent sur celui des engrais orga­niques clas­siques, sang, farine de viande, corne etc. Le niveau des ren­de­ments plus faible est en géné­ral com­pen­sé par une meilleure valo­ri­sa­tion des pro­duits, pour autant que leur pré­sen­ta­tion soit accep­tée. Le niveau de richesse miné­rale de ces sols est en géné­ral très satis­fai­sant. Il convient cepen­dant de le surveiller.

En arbo­ri­cul­ture frui­tière, s’il s’a­git de plan­ta­tion récente, on peut ima­gi­ner qu’elle aura fait l’ob­jet, à la mise en place, d’un apport de fumier et éven­tuel­le­ment de phos­phates natu­rels. Puis, en cours de déve­lop­pe­ment et en phase de pro­duc­tion, l’es­sen­tiel des apports sera consti­tué des rési­dus de plantes de cou­ver­ture lais­sées sur place et enfouies. De même, le broyage et l’en­fouis­se­ment des tailles sont pos­sibles si la pré­sence de para­sites ne les contre-indique pas. Le com­pos­tage en inter­lignes est sou­vent pra­ti­qué en uti­li­sant des sous-pro­duits végé­taux dis­po­nibles sur l’ex­ploi­ta­tion ou son voi­si­nage. Les sols et sous-sols de ver­ger n’ayant pas la richesse des sols de cultures légu­mières, il est impor­tant de les suivre ana­ly­ti­que­ment ; et aus­si de pra­ti­quer des ana­lyses foliaires répé­tées pour déce­ler en par­ti­cu­lier d’é­ven­tuels dés­équi­libres en élé­ments traces. Par ailleurs, les sul­fates de potas­sium et de magné­sium uti­li­sables en AB peuvent satis­faire l’exi­gence des cultures frui­tières pour ces deux éléments.

La limi­ta­tion des ren­de­ments recher­chée en viti­cul­ture faci­lite quelque peu l’a­dap­ta­tion de la conduite du vignoble en AB, tout au moins en termes de fer­ti­li­sa­tion. Les apports sont sou­vent inexis­tants, à l’ex­cep­tion de com­post si l’ex­ploi­tant peut en faire ou en trou­ver. La pré­do­mi­nance des pro­blèmes de pro­tec­tion contre les para­sites, occulte sou­vent les pré­oc­cu­pa­tions liées au sol.

Pour conclure sur la dura­bi­li­té de l’AB en termes de fer­ti­li­té des sols et de la part du ren­de­ment des cultures liée à celle-ci, on retiendra

  • qu’elle dépend sur­tout de la suc­ces­sion cultu­rale, de l’im­por­tance des rési­dus recy­clés, y com­pris fumiers et com­posts, et de la place des légu­mi­neuses, les apports d’en­grais orga­niques n’é­tant dans ce type d’a­gri­cul­ture que des com­plé­ments pour des pro­duc­tions bien valorisées ;
  • que, cepen­dant, les cultures exi­geantes, comme les céréales, ont leurs ren­de­ments péna­li­sés par l’in­suf­fi­sance de la nutri­tion azo­tée en début de cycle végé­ta­tif, et qu’elles se prêtent donc moins bien à l’AB ;
  • que si les exploi­ta­tions en AB béné­fi­cient sou­vent des réserves du sol en phos­phore, et aus­si en d’autres élé­ments (potas­sium, magné­sium, cal­cium et soufre), elles peuvent les épui­ser plus ou moins rapi­de­ment ; et qu’il est donc indis­pen­sable pour le pro­duc­teur de suivre l’é­vo­lu­tion des teneurs en ces élé­ments de ses sols ;
  • enfin, que des expé­ri­men­ta­tions de longue durée doivent être pour­sui­vies afin de suivre com­pa­ra­ti­ve­ment les évo­lu­tions des sols et des com­po­si­tions des cultures.

3.1.3.Protection des plantes en AB

Tous les végé­taux sont sou­mis à des pres­sions anta­go­nistes d’a­gents patho­gènes (cham­pi­gnons, bac­té­ries, virus, …), de rava­geurs (insectes, néma­todes, …) et de plantes adven­tices (dont les « mau­vaises herbes ») en concur­rence avec eux. De par leur concen­tra­tion dans l’es­pace et dans le temps, et leur sélec­tion pro­gres­sive, les plantes culti­vées subissent les pres­sions les plus fortes qui ont conduit à l’a­ban­don de quelques unes d’entre elles, au moins dans cer­taines zones. Depuis la nais­sance de l’a­gri­cul­ture, les agri­cul­teurs, consta­tant les dégâts induits, ont su à toute époque en tirer les consé­quences, comme en attestent, par exemple, les nom­breux écrits des agro­nomes latins d’il y a deux mille ans environ.

En agri­cul­ture conven­tion­nelle, on est par­ve­nu aujourd’­hui à une bonne ges­tion des prin­ci­paux cham­pi­gnons patho­gènes, et de la plu­part des insectes et des mau­vaise herbes. Mais cela s’est fait au prix d’une réduc­tion dras­tique du nombre d’es­pèces culti­vées – les autres, mineures, ne repré­sen­tant pas des mar­chés suf­fi­sants pour que la phy­to­phar­ma­cie s’y inté­resse -, et de l’u­ti­li­sa­tion régu­lière, sou­vent sys­té­ma­tique, de pro­duits chi­miques de syn­thèse dont les effets sur les auxi­liaires4 et l’en­vi­ron­ne­ment sont loin d’être négli­geables. Cette situa­tion a connu un stade de déve­lop­pe­ment par­ti­cu­liè­re­ment abou­ti à la fin du siècle dernier.

Il y a lieu de sou­li­gner tou­te­fois que le recours aux pes­ti­cides s’ins­crit dans un double cadre : celui de la pro­tec­tion rai­son­née qui cor­res­pond à des inter­ven­tions par voie chi­mique appli­quées seule­ment dans les cas bien éva­lués de néces­si­té. Et celui de la « pro­tec­tion inté­grée » – dans l’en­semble plus vaste du sys­tème dit de « pro­duc­tion inté­grée » -, judi­cieuse com­bi­nai­son de :

  • pro­cé­dés cultu­raux : plants sains, culti­vars5 résis­tants ou tolé­rants, tech­niques de faux-semis6, périodes de culture déplacées, … ;
  • actions sur l’en­vi­ron­ne­ment des plantes culti­vées : tra­vail du sol, fumure équi­li­brée de façon à réduire leur sen­si­bi­li­té aux insectes et agents patho­gènes et à mini­mi­ser les fac­teurs favo­rables au parasitisme ;
  • inter­ven­tions sur les enne­mis des cultures : méthodes pro­phy­lac­tiques avec inter­ven­tions sur les rési­dus, rota­tions suf­fi­santes, fac­teurs favo­ri­sant les auxiliaires, … ;
  • méthodes phy­siques : cap­tures, façons cultu­rales, uti­li­sa­tion de filets, … ;
  • pro­cé­dés bio­lo­giques pour favo­ri­ser les auxi­liaires et les orga­nismes anta­go­nistes (« lutte bio­lo­gique »), ou recou­rant aux OGM ;
  • uti­li­sa­tion de pro­duits chi­miques com­pre­nant notam­ment le soufre, des déri­vés du cuivre, mais aus­si des matières dites « natu­relles » (pyrèthre, répul­sifs, …), et, sur­tout, des matières de syn­thèse dont les plus dan­ge­reuses ne sont plus autorisées.

Cette com­bi­nai­son d’in­ter­ven­tions, aus­si judi­cieuse et cohé­rente qu’elle puisse être, trouve cepen­dant ses limites face à cer­tains anta­go­nistes, notam­ment par­mi les bac­té­ries, virus et néma­todes. Elle doit aus­si répondre à l” »appa­ri­tion » de nou­veaux para­sites, rava­geurs et adven­tices, ou à ceux dont l’a­gres­si­vi­té ou la viru­lence se sont accrues : un exemple actuel de ce der­nier cas est celui de la rouille noire des céréales due à un cham­pi­gnon connu de longue date, mais oublié suite aux sélec­tions et à la lutte chimique.

En agri­cul­ture bio­lo­gique, la situa­tion se pré­sente quelque peu dif­fé­rem­ment puisque les cahiers des charges ne per­mettent pas de faire appel à des molé­cules de syn­thèse. Il faut donc uti­li­ser la palette des autres méthodes d’in­ter­ven­tion indi­recte (sur­tout) et directe. Le recours à celles-ci se heurte, d’une part, aux dif­fé­rentes sen­si­bi­li­tés des divers acteurs concer­nés, et, d’autre part, aux dif­fi­cul­tés régle­men­taires concer­nant cer­taines sub­stances qui ne doivent être uti­li­sées qu’en cas de menace grave et immi­nente. L’emploi des her­bi­cides est géné­ra­le­ment pros­crit en AB, laquelle doit donc uti­li­ser, préa­la­ble­ment à la culture, des pro­cé­dés méca­niques adé­quats, et, en culture, s’ap­puyer sur des sar­clages, au moins lors­qu’ils sont phy­si­que­ment pos­sibles (plantes en ligne).

A la fin de l’an­née der­nière, la France a pris un arrê­té sur les « pré­pa­ra­tions natu­relles peu pré­oc­cu­pantes à usage phy­to-phar­ma­ceu­tique » : il s’a­git de sim­pli­fier la mise en mar­ché de sub­stances natu­relles, sans OGM, et aisé­ment obte­nues par l’u­ti­li­sa­teur final. On trouve là des com­plé­ments inté­res­sants. D’une manière géné­rale, cepen­dant, les inter­dic­tions de cer­taines inter­ven­tions qui sont impo­sées par les cahiers des charges de l’AB conduisent à frei­ner, si ce n’est à aban­don­ner des pro­duc­tions comme celle du blé à cause de la résur­gence de sa mala­die de la « carie », ou celle du col­za du fait de la pul­lu­la­tion d’in­sectes rava­geurs de cette plante. Et encore, les par­celles en ques­tion sont-elles situées dans un envi­ron­ne­ment « trai­té ». Qu’en serait-il sinon ?

Au total, la, pro­tec­tion des plantes s’ins­crit dans une évo­lu­tion conti­nue des dif­fé­rents fac­teurs en jeu : contraintes cultu­rales et néces­si­tés éco­no­miques, dis­po­ni­bi­li­tés et pos­si­bi­li­tés d’u­ti­li­sa­tion de cer­taines méthodes de lutte, sur­tout chi­miques, pro­grès des connais­sances en matière de bio­lo­gie et de phy­sio­lo­gie des végé­taux culti­vés et de leurs para­sites, … . Les dif­fi­cul­tés et les défis à sur­mon­ter à l’a­ve­nir par la recherche et le déve­lop­pe­ment agri­coles en manquent pas, d’au­tant que les besoins ali­men­taires et autres que l’a­gri­cul­ture doit satis­faire vont conti­nuer à croître fortement.

3.1.4.Utilité de l’AB pour les progrès en agriculture durable

Par­mi les sys­tèmes de pro­duc­tion orien­tés vers le déve­lop­pe­ment d’une agri­cul­ture durable, l’AB est le seul qui soit label­li­sé, orga­ni­sé, et valo­ri­sé depuis les années 1990. Ce modèle, qui peut être consi­dé­ré comme pion­nier et moteur de démarches en faveur de la dura­bi­li­té, peut ser­vir de labo­ra­toire pour la recherche agro­no­mique et l’in­no­va­tion en agri­cul­ture. Il faut donc pro­fi­ter de la demande socié­tale et du sou­tien des gou­ver­ne­ments pour inten­si­fier la recherche sur la dimi­nu­tion d’in­trants, le déve­lop­pe­ment de varié­tés encore mieux adap­tées aux stress bio­tiques et abio­tiques, le main­tien de la fer­ti­li­té des sols et le res­pect de la bio­di­ver­si­té tant au niveau de la par­celle que du ter­ri­toire. Cette recherche devrait per­mettre d’a­mé­lio­rer les per­for­mances de l’AB et sur­tout de déve­lop­per une « agri­cul­ture inté­grée de bonne pro­duc­ti­vi­té et durable, agri­cul­ture inté­grée qui a déjà fait ses preuves dans cer­taines situa­tions et apporte les prin­ci­paux avan­tages de l’AB sans ses trop fortes contraintes.

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4 En agri­cul­ture, on désigne par « auxi­liaires » les enne­mis natu­rels des rava­geurs des cultures et les insectes pollinisateurs.
5 Varié­tés obte­nues en culture, géné­ra­le­ment par sélection
6 Le faux-semis consiste à pré­pa­rer le sol, méca­ni­que­ment ou chi­mi­que­ment, pour faire ger­mer les mau­vaises herbes et les détruire dès qu’elles ont germé.

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