Vers une agriculture plus durable

Dossier : Agriculture et environnementMagazine N°657 Septembre 2010

Pour les décen­nies qui viennent, les moyens de conduire une agri­cul­ture durable existent bien, il « suf­fi­rait » de déci­der d’en user avec fer­me­té et dis­cer­ne­ment. Cepen­dant les limites de ces pra­tiques sont réelles, par­fois claires, par­fois incer­taines. A plus long terme cepen­dant, la véri­table ques­tion est celle du déve­lop­pe­ment socio-éco­no­mique de nos sociétés.

Par l’A­ca­dé­mie d’a­gri­cul­ture de France (Voir la pré­sen­ta­tion de l’A­ca­dé­mie)
Article pré­pa­ré par Jean-Claude Mou­no­lou, membre titu­laire de l’A­ca­dé­mie, Chris­tian Ferault, vice secré­taire, et Jean-Paul Lan­ly (57), tré­so­rier per­pé­tuel, en accord avec Guy Paillo­tin (60), secré­taire per­pé­tuel de l’Académie.

Par l’A­ca­dé­mie d’a­gri­cul­ture de France (Voir la pré­sen­ta­tion de l’A­ca­dé­mie)
Article pré­pa­ré par Jean-Claude Mou­no­lou, membre titu­laire de l’A­ca­dé­mie, Chris­tian Ferault, vice secré­taire, et Jean-Paul Lan­ly (57), tré­so­rier per­pé­tuel, en accord avec Guy Paillo­tin (60), secré­taire per­pé­tuel de l’Académie.
Le texte emprunte aux tra­vaux récents de l’A­ca­dé­mie sur le déve­lop­pe­ment durable en agri­cul­ture et l’a­gri­cul­ture bio­lo­gique, notam­ment ceux coor­don­nés par (ordre alpha­bé­tique) René Grous­sard, Jean-Claude Igna­zi, Ber­nard Le Bua­nec, Pierre Mar­sal et Guy Paillotin.

1. Développement durable et agriculture

Le déve­lop­pe­ment durable est celui qui « s’ef­force de répondre aux besoins du pré­sent sans com­pro­mettre la capa­ci­té des géné­ra­tions futures de répondre aux leurs ». Toutes les argu­ties du monde ne peuvent suf­fire à mettre en cause cette res­pon­sa­bi­li­té des géné­ra­tions actuelles vis-à-vis de nos des­cen­dants : nous avons des choix à faire pour évi­ter le pire et en avons encore la liber­té, et il ne convient pas de pri­ver les géné­ra­tions futures de cette même liber­té. Et ceci, à une échelle qui, de locale et mar­gi­nale, est deve­nue pla­né­taire. Par­mi ces argu­ties, celle qui consiste à sou­te­nir qu’on ne sau­rait fon­der un nou­veau para­digme (ou conce­voir une rup­ture épis­té­mo­lo­gique) sur un concept oxy­more (« déve­lop­pe­ment durable », ou l” »obs­cure clar­té » du poète) ; ou, que l’é­co­sphère que consti­tue notre pla­nète étant un super-orga­nisme vivant, elle pos­sède la facul­té d’ho­méo­sta­sie des êtres vivants, c’est-à-dire celle de reve­nir à un état d’é­qui­libre phy­sio­lo­gique anté­rieur quels que soient les chan­ge­ments de leur envi­ron­ne­ment ; ou encore, qu’il n’y a pas lieu de prendre au sérieux un concept auquel son usage presque incan­ta­toire et sou­vent abu­sif a fait perdre une bonne part de sa sub­stance et de sa crédibilité.

Agri­cul­teurs et, plus encore, fores­tiers peuvent pré­tendre, certes, que la notion de déve­lop­pe­ment durable – il aurait mieux valu uti­li­ser en fran­çais l’ad­jec­tif « sou­te­nable », plus proche du sus­tai­nable anglais2- n’est pas nou­velle, et qu’elle leur est fami­lière depuis des lustres sous d’autres vocables. De tout temps, l’a­gri­cul­teur a cher­ché à gérer son exploi­ta­tion « en bon père de famille », sui­vant l’ex­pres­sion consa­crée par le Code civil, en main­te­nant la fer­ti­li­té des sols et avec les outils et les connais­sances à sa por­tée. La conser­va­tion des sols reste la pré­oc­cu­pa­tion de base de tous les agro­nomes. De même, en matière de ges­tion fores­tière, dans les forêts semi-natu­relles amé­na­gées qui consti­tuent la qua­si-tota­li­té de l’es­pace fores­tier public de la France métro­po­li­taine, l’ob­jec­tif long­temps qua­li­fié de « ren­de­ment sou­te­nu » prend en compte aus­si les com­po­santes de ces éco­sys­tèmes autres que les arbres, ain­si que les inter­ac­tions entre celles-ci. Et l’on n’est pas éton­né de retrou­ver cette notion de « sou­te­na­bi­li­té » dans une ordon­nance fores­tière de Phi­lippe de Valois de 1346 pres­cri­vant d’as­seoir les coupes « de telle manière que les forêts (du domaine royal) se puissent per­pé­tuel­le­ment sou­te­nir en bon état ».

Il n’empêche : l’a­gri­cul­ture fran­çaise qui jus­qu’au début du 19ème siècle, et à l’ins­tar des autres agri­cul­tures euro­péennes conti­nen­tales, pro­dui­sait avec pra­ti­que­ment rien presque tout ce qui était néces­saire à la vie des col­lec­ti­vi­tés – la qua­si-tota­li­té de l’a­li­men­ta­tion, l’es­sen­tiel de l’éner­gie et des matières pre­mières de l’in­dus­trie -, s’est retrou­vée un siècle et demi à deux siècles plus tard ne pro­dui­sant plus qu’une par­tie des res­sources ali­men­taires et pra­ti­que­ment plus rien pour l’in­dus­trie. Ceci en consom­mant beau­coup plus d’in­trants et beau­coup moins de tra­vail. Ce sec­teur éco­no­mique, qui fut long­temps consi­dé­ré comme l’ar­ché­type du mode de vie tra­di­tion­nelle, a connu une muta­tion consi­dé­rable. Les agri­cul­teurs sont deve­nus à la fois les res­pon­sables et les vic­times d’un mode de déve­lop­pe­ment non durable, en ayant à faire face à des réa­li­tés contre­di­sant les fon­de­ments de leur sagesse : à savoir que l’ac­cu­mu­la­tion du capi­tal fon­cier n’est plus un gage de richesse, que la soli­da­ri­té – dans le tra­vail notam­ment – n’est plus indis­pen­sable, que la lente accu­mu­la­tion d’une épargne de sécu­ri­té ne suf­fit plus, que la per­for­mance tech­nique ne s’ac­com­pagne pas néces­sai­re­ment d’une bonne rému­né­ra­tion, et que les gains de pro­duc­ti­vi­té du sec­teur peuvent à terme en pré­ci­pi­ter la décadence.

Ce n’est pas la seule rai­son pour laquelle l’a­gri­cul­ture est au pre­mier chef concer­née par le déve­lop­pe­ment durable. Elle l’est aus­si parce qu’elle est une acti­vi­té irrem­pla­çable, sa pre­mière fina­li­té étant de main­te­nir en vie tous les hommes en assu­rant leur ali­men­ta­tion ; avec ce rôle par­ti­cu­lier pour la grande majo­ri­té des popu­la­tions de nom­breux pays en déve­lop­pe­ment de four­nir l’es­sen­tiel de leurs res­sources. Les pro­duits agri­coles n’é­tant pas des pro­duits comme les autres, car condi­tion­nant la sur­vie même des êtres humains, le sec­teur agri­cole néces­site des régu­la­tions par­ti­cu­lières aux niveaux natio­nal, régio­nal et mon­dial. Autre­ment dit, la variable d’a­jus­te­ment des mar­chés des pro­duits agri­coles ne sau­rait être le nombre de vies humaines sacrifiées.

Elle l’est encore aus­si parce que, reve­nant à des fonc­tions un peu oubliées, elle peut être mise au ser­vice de pro­duc­tions éner­gé­tiques ou indus­trielles. Enfin, et peut-être est-ce là tout aus­si impor­tant, l’a­gri­cul­ture, et la fores­te­rie, sont de fait les prin­ci­paux sec­teurs ges­tion­naires des sols, de l’eau, et par là même de nos territoires.

Alors, l’en­jeu est clair, même si les solu­tions pour y par­ve­nir ne le sont pas : ou l’a­gri­cul­ture s’in­tègre dans le déve­lop­pe­ment durable, plus sim­ple­ment est une agri­cul­ture qu’on pour­ra qua­li­fier de durable, et nous avons des chances de maî­tri­ser notre ave­nir ; ou elle ne l’est pas, et nos des­cen­dants, de plus en plus nom­breux et cita­dins, auront à faire face à des dif­fi­cul­tés majeures pour satis­faire non seule­ment leurs besoins ali­men­taires, mais aus­si leurs besoins en fibres végé­tales, en com­bus­tibles et éner­gies renou­ve­lables, en maté­riaux de construction … .

2. Concevoir l’agriculture durable

Au sein de notre pays, a for­tio­ri au niveau de l’U­nion euro­péenne, et plus encore au niveau mon­dial, le consen­sus sur ce qu’est l’a­gri­cul­ture durable est loin d’exis­ter. Du fait, d’a­bord, des dif­fé­rences impor­tantes entre les attentes des divers groupes sociaux, que ce soit aujourd’­hui, ou qu’il s’a­gisse de nos des­cen­dants dont nous cher­chons à main­te­nir la capa­ci­té à satis­faire leurs propres besoins.

Dans le sec­teur de l’a­gri­cul­ture et les acti­vi­tés qui lui sont connexes, on peut dis­tin­guer trois caté­go­ries de citoyens : les agri­cul­teurs, les trans­for­ma­teurs et dis­tri­bu­teurs de pro­duits agri­coles, et les consommateurs.

  • Les agri­cul­teurs : leur nombre est en baisse constante. Le nombre total d’ex­ploi­ta­tions agri­coles en France a dimi­nué régu­liè­re­ment de 3,6 % par an entre 1988, où il était d’un peu plus de 1million, et 2007 où il n’é­tait plus que de 500.000 envi­ron, et rien ne per­met d’af­fir­mer que cette décrois­sance va s’ar­rê­ter. La situa­tion des agri­cul­teurs est très variable, mais nombre d’entre eux vivent une vie par­ti­cu­liè­re­ment dure com­pa­rée à celle des cita­dins. Leurs enfants sont inci­tés à faire leur vie ailleurs. Que signi­fie agri­cul­ture durable pour les agri­cul­teurs actuels et leurs enfants ? Le sens qu’ils attri­buent à ces mots est-il par­ta­gé par les autres com­po­santes de la socié­té ? Pro­ba­ble­ment pas …
  • Les trans­for­ma­teurs et com­mer­çants de pro­duits agri­coles : concer­nant cette caté­go­rie, les concen­tra­tions mises en œuvre par la tech­ni­ci­té et l’é­co­no­mie capi­ta­liste du sec­teur ont créé une très large palette de situa­tions (depuis l’ar­ti­san jus­qu’à la grande indus­trie, depuis le petit com­mer­çant jus­qu’à la grande dis­tri­bu­tion). Dans cette caté­go­rie aus­si, les effec­tifs sont en décrois­sance et l’in­ves­tis­se­ment des indi­vi­dus est moins direc­te­ment lié à un patri­moine, à une terre, à une plante ou un ani­mal, à un pro­duit (vin). Ce que feront les géné­ra­tions futures aura peu de rap­port avec ce que fait la géné­ra­tion actuelle : ils iront cher­cher leur ave­nir dans l’en­semble des struc­tures sociales, car leur atta­che­ment à une dura­bi­li­té de l’a­gri­cul­ture est modeste. Ils sont en grande majo­ri­té cita­dins, et par­tagent sans doute le sou­ci de tous les autres cita­dins. Jus­qu’où sont-ils prêts à construire une repré­sen­ta­tion spé­ci­fique de l’a­gri­cul­ture durable ? La réponse à cette ques­tion est loin d’être évidente.
  • Les autres classes de la socié­té, c’est-à-dire, par rap­port au sec­teur de l’a­gri­cul­ture, les consom­ma­teurs, ou encore, la très grande majo­ri­té des citoyens dans le monde indus­tria­li­sé : éloi­gnés de l’acte de pro­duc­tion agri­cole et de la trans­for­ma­tion des pro­duits, ils attendent de l’a­gri­cul­ture des ser­vices variés : ali­men­ta­tion bien sûr, mais aus­si envi­ron­ne­ment, pay­sages, car­bu­rants, fibres, accueil pour les vacances, entre­tien de la « nature » … le tout au meilleur prix, sans contrainte dans leur vie quo­ti­dienne (déjà char­gée de ses propres dif­fi­cul­tés). Pour eux, une agri­cul­ture durable est celle qui satis­fe­ra tou­jours mieux les ser­vices qu’ils en attendent.

Par ailleurs, les prin­cipes sous-ten­dant la défi­ni­tion du conte­nu de l’a­gri­cul­ture durable varient sui­vant les com­mu­nau­tés natio­nales et les gou­ver­ne­ments qu’ils se donnent. Ces prin­cipes peuvent être de nature pure­ment (et noble­ment) poli­tique : volon­té d’in­dé­pen­dance ali­men­taire, ou d’un niveau satis­fai­sant d’au­to-suf­fi­sance ali­men­taire du pays, dis­tri­bu­tion plus ou moins équi­table des reve­nus (notam­ment entre les cita­dins et les ruraux), niveau de prio­ri­té don­née à la san­té publique, à l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire (par exemple, main­te­nir une occu­pa­tion humaine mini­male sur l’en­semble du pays et évi­ter ain­si la « déser­ti­fi­ca­tion » de cer­tains ter­ri­toires), prio­ri­té rela­tive don­née à l’in­té­rêt de la col­lec­ti­vi­té par rap­port à celui des individus, … .

On voit bien aus­si que les poli­tiques d’a­gri­cul­ture durable mises en œuvre se doivent d’être souples car, en s’ap­puyant et en s’a­dres­sant à des caté­go­ries sociales dif­fé­rentes, elles mettent en avant les dif­fé­rences et les han­di­caps, elles dis­til­lent les soup­çons et gravent des stig­mates (du genre : « les agri­cul­teurs sont de dan­ge­reux pol­lueurs qui font fi de la san­té de leurs conci­toyens »). A ce jeu, les éle­veurs et les agri­cul­teurs, dont le nombre va en décrois­sant, sont peu avan­ta­gés. La sub­ti­li­té et le prag­ma­tisme devront pré­va­loir pour pré­ser­ver la cohé­rence de la socié­té et main­te­nir l’ob­jec­tif général.

3. Eléments d’agriculture durable

On ne sau­rait pas­ser en revue, dans les limites d’un seul article, toutes les approches visant à un agri­cul­ture plus durable que l’a­gri­cul­ture conven­tion­nelle actuelle3, sauf à se satis­faire de des­crip­tions par trop som­maires. Afin d’être plus pré­cis et plus concrets, nous nous limi­te­rons à la pré­sen­ta­tion de la seule agri­cul­ture bio­lo­gique (AB), pour au moins deux rai­sons : elle est la seule à avoir été codi­fiée et valo­ri­sée, depuis les années 1990, aux niveaux fran­çais et euro­péen ; et elle cherche à répondre aux attentes d’une frac­tion crois­sante de la popu­la­tion de nos pays, qui s’in­quiète en par­ti­cu­lier des effets néga­tifs de l’a­gri­cul­ture conven­tion­nelle sur l’en­vi­ron­ne­ment. Par ailleurs, l’AB vient de faire l’ob­jet d’une éva­lua­tion appro­fon­die par un groupe de tra­vail de l’A­ca­dé­mie d’a­gri­cul­ture, ce qui lui per­met d’en par­ler par­ti­cu­liè­re­ment à bon escient. Et, pour être plus spé­ci­fiques et plus pré­cis encore, nous nous limi­te­rons à deux domaines impor­tants de carac­té­ri­sa­tion de la dura­bi­li­té, à savoir celui de la pro­tec­tion des plantes et de l’u­ti­li­sa­tion des pes­ti­cides, et celui de la fer­ti­li­sa­tion des sols.

Par ailleurs, les recherches dans le domaine de la géné­tique ani­male et végé­tale, et leurs appli­ca­tions en agri­cul­ture, font l’ob­jet de vifs débats au sein de la socié­té, au point de mettre en ques­tion leur accep­ta­bi­li­té sociale, un des piliers de la dura­bi­li­té. Aus­si consa­cre­rons-nous la der­nière sec­tion de cet article à ce domaine sensible.

3.1. L’agriculture biologique (AB)

Pour un meilleur confort de lec­ture, cette sec­tion a été sépa­ré en article iso­lé : Lire cette sec­tion...

3.2 Agriculture durable et génétique

Connais­sances et outils de la géné­tique sont aujourd’­hui très uti­li­sés en agri­cul­ture. On peut citer deux exemples par­mi beau­coup d’autres : créa­tion chez les ovins de races à viande dif­fé­rentes des races à laine, entre­tien d’une large gamme de lignées de maïs sus­cep­tibles d’être croi­sées pour pro­duire des hybrides per­for­mants. Le « pro­grès géné­tique » est conti­nuel, et résulte d’une acti­vi­té de sélec­tion qui s’exerce sur un monde vivant en per­pé­tuelle évolution.

Depuis le début du 20ème siècle, les concepts et les méthodes uti­li­sés – ceux de la géné­tique des popu­la­tions, de la géné­tique quan­ti­ta­tive, de la géné­tique éco­lo­gique – ont bien prou­vé leur per­ti­nence et leur effi­ca­ci­té. Rien ne per­met de pen­ser qu’ils ne conti­nue­ront pas à rendre d’é­mi­nents ser­vices dans les décen­nies qui viennent. L’ob­ten­tion, récente grâce à eux, de varié­tés de blé main­te­nant une abon­dante pro­duc­tion de grains, alors que les céréa­li­cul­teurs réduisent l’u­sage des engrais et des pes­ti­cides, en témoigne. La démarche de valo­ri­sa­tion est cepen­dant très glo­bale, elle s’a­dresse aux gènes à tra­vers les indi­vi­dus. La sélec­tion et l’a­mé­lio­ra­tion ne peuvent se faire qu’au rythme de la bio­lo­gie et de la repro­duc­tion de ces individus.

Dans les 50 der­nières années, l’ADN, les connais­sances et les tech­no­lo­gies affé­rentes ont ouvert la voie à une amé­lio­ra­tion géné­tique plus directe et plus rapide des ani­maux et des plantes. Le sélec­tion­neur a eu un accès poin­tu au gène, à sa fonc­tion et à sa spé­ci­fi­ci­té via l’ADN. Il s’est affran­chi aus­si en par­tie des contraintes tem­po­relles de l’a­mé­lio­ra­tion tra­di­tion­nelle. Le temps de Dol­ly et des plantes OGM est venu. Il est pos­sible d’ap­por­ter une fonc­tion « à la demande » ; on éla­bore ain­si des maïs Bt résis­tants à la pyrale. L’ap­proche est per­ti­nente, effi­cace et géné­ra­li­sable. Elle ren­contre cepen­dant des oppo­si­tions dans la socié­té car elle est per­çue comme une trans­gres­sion d’un ordre bio­lo­gique et idéo­lo­gique. Il en résulte des conflits de pou­voir, éco­no­miques et poli­tiques, dans les­quels la bio­lo­gie – la géné­tique – n’est qu’un pré­texte ou un outil, même si l’on feint de croire le contraire. Tech­ni­que­ment il existe bien, au pro­fit de l’a­gri­cul­ture et pour les décen­nies qui viennent, un ave­nir pour ces démarches, mais il est essen­tiel­le­ment dépen­dant des néces­si­tés et cir­cons­tances poli­tiques et sociales.

Pour un ave­nir plus loin­tain, une troi­sième voie d’a­mé­lio­ra­tion géné­tique des plantes et des ani­maux se pré­pare. Les bases concep­tuelles et tech­no­lo­giques se mettent en place aujourd’­hui : géno­mique, pro­téo­mique7, cel­lules souches, cultures in vitro et in vivo, épi­gé­né­tique8… .

La ques­tion est de savoir com­ment un géné­ti­cien, un sélec­tion­neur, peut répondre à une demande tou­jours non satis­faite ou tota­le­ment nou­velle des agri­cul­teurs. Pre­nons l’exemple d’une plante à fleurs roses et qu’un hor­ti­cul­teur valo­ri­se­rait bien s’il avait une varié­té bleue. Avec les connais­sances et les tech­no­lo­gies géné­tiques en émer­gence, il est pos­sible de s’in­ter­ro­ger ain­si : que serait un végé­tal qui aurait des fleurs bleues et les carac­té­ris­tiques tech­no­lo­giques que réclame le mar­ché ? La construc­tion part de carac­té­ris­tiques géné­riques mini­males (une plante, une cou­leur) à par­tir des­quelles on réa­lise une expan­sion intel­lec­tuelle sur la base des connais­sances et tech­niques dis­po­nibles. Cette base est telle aujourd’­hui qu’il est pos­sible d’en­vi­sa­ger non pas une (comme dans le cas des OGM), mais tout un ensemble de solu­tions pos­sibles. Il n’y a plus trans­gres­sion d’un ordre bio­lo­gique ou idéo­lo­gique. On est pla­cé dans une situa­tion d’in­no­va­tion. La mul­ti­pli­ci­té des pos­sibles offre autant de choix à la socié­té. La com­pa­ti­bi­li­té avec la vie sociale est le cri­tère ser­vant à effec­tuer ces choix, et rien n’ex­clut la coexis­tence de plu­sieurs d’entre eux. On est sor­ti des inter­dits et entré dans l’in­no­va­tion et l’évolution.

Avec main­te­nant trois cordes à leur arc, les géné­ti­ciens et les sélec­tion­neurs ont encore bien des ser­vices à rendre à l’a­gri­cul­ture durable de demain.

4.Conclusion

Il n’existe pas de modèle unique de dura­bi­li­té en agri­cul­ture, pas plus qu’il n’en existe dans les autres sec­teurs d’ac­ti­vi­té humaine. Une façon d’a­bor­der la ques­tion de la dura­bi­li­té de l’a­gri­cul­ture est d’op­ter, sans a‑priori idéo­lo­gique, pour une démarche gra­duelle et pro­gres­sive qui, thème par thème, objet par objet (on pour­rait dire aus­si cri­tère par cri­tère, et au sein d’un même cri­tère, indi­ca­teur par indi­ca­teur), ana­lyse les symp­tômes de « situa­tions et de pers­pec­tives patho­lo­giques » dans l’a­gri­cul­ture et leurs consé­quences sur l’en­semble de la socié­té, en cher­chant chaque fois à y remé­dier. L’a­gri­cul­ture durable doit satis­faire les néces­si­tés de san­té indi­vi­duelle et publique par une ali­men­ta­tion sûre (objec­tifs de qua­li­té, de tra­ça­bi­li­té et de non-toxi­ci­té des pro­duits agri­coles), et, bien évi­dem­ment, les objec­tifs d’une ali­men­ta­tion suf­fi­sante pour tous les citoyens, y com­pris les plus pauvres.

Elle doit limi­ter son impact sur la bio­di­ver­si­té, et ne pas com­pro­mettre le cycle et l’u­sage de l’eau, du car­bone, de l’a­zote, du soufre… . . Elle doit aus­si prendre en compte cer­taines attentes cultu­relles rela­tives à la valeur patri­mo­niale des sites et des pay­sages, et les besoins d’es­paces de détente et de loi­sirs pour les cita­dins (mais elle ne doit pas être, non plus, sys­té­ma­ti­que­ment per­dante dans le réamé­na­ge­ment per­ma­nent du ter­ri­toire impo­sé, à sur­face constante, par l’aug­men­ta­tion de l’im­plan­ta­tion des villes et la den­si­fi­ca­tion de l’in­fra­struc­ture de trans­port). Enfin, et non des moindres, les consi­dé­ra­tions éco­no­miques, ain­si que les aspects régle­men­taires par­ti­cipent de l’é­la­bo­ra­tion de poli­tiques de l’a­gri­cul­ture durable. Les seuls slo­gans pri­maires qui stig­ma­tisent (« les agri­cul­teurs pol­luent, ils doivent payer »), ou qui tra­duisent un refus de toute res­pon­sa­bi­li­té (« tout cela est affaire de l’E­tat, il n’a qu’à sub­ven­tion­ner et punir ») peuvent rap­por­ter des voix, mais ne contri­buent pas à pro­gres­ser vers une agri­cul­ture plus durable.

En l’ab­sence de solu­tion uni­ver­selle, le prag­ma­tisme amène à sou­te­nir cette démarche gra­duelle qui cherche à régler les pro­blèmes les uns après les autres, à éva­luer et faire évo­luer pério­di­que­ment l’ap­pli­ca­tion d’une poli­tique d’a­gri­cul­ture durable. Et l’on com­prend bien que, face à la com­plexi­té des situa­tions, ce soit un fais­ceau de diverses approches qui soient pro­po­sées ensemble, et à la cohé­rence des­quelles il convien­dra de veiller. A côté des pra­tiques de l’a­gri­cul­ture conven­tion­nelle qui dominent actuel­le­ment, ont été ain­si conçues et appli­quées dans les vingt der­nières années les démarches codi­fiées de l’a­gri­cul­ture bio­lo­gique évo­quées plus haut, des approches moins for­ma­li­sées dites d” « agri­cul­ture rai­son­née », ou encore d” « agri­cul­ture de pré­ci­sion » visant à opti­mi­ser l’u­sage des intrants, ain­si que des approches inté­grées de ges­tion des ter­ri­toires ruraux res­sus­ci­tant et adap­tant des pra­tiques anciennes dont on a eu trop ten­dance à négli­ger le bien-fon­dé, comme l’a­gro­fo­res­te­rie ou le sylvopastoralisme.

Les connais­sances et les tech­niques auto­risent à ima­gi­ner et inno­ver pour déve­lop­per une agri­cul­ture de plus en plus durable. Aujourd’­hui, il est pos­sible d’i­den­ti­fier des orien­ta­tions sou­hai­tables, comme par exemple : la mise en place d’une codi­fi­ca­tion et d’une valo­ri­sa­tion de l” »agri­cul­ture rai­son­née » à l’ins­tar de ce qui a été fait pour l’a­gri­cul­ture bio­lo­gique ; le sui­vi d’in­di­ca­teurs d’im­pact de l’a­gri­cul­ture sur l’en­vi­ron­ne­ment (par exemple les teneurs en miné­raux et en pes­ti­cides dans les eaux) pour rec­ti­fier si néces­saire cer­taines pra­tiques agri­coles ; l’ap­pli­ca­tion de poli­tiques et sché­mas d’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire visant à un bon équi­libre villes-cam­pagnes et à une coha­bi­ta­tion har­mo­nieuse des ruraux, néo-ruraux et cita­dins. Cepen­dant, il faut être conscient que, sur le moyen et long termes, ces orien­ta­tions valides aujourd’­hui devront être revues et com­plé­tées par d’autres au fil du temps afin que les acti­vi­tés agri­coles demeurent à la fois « éco­lo­gi­que­ment saines, éco­no­mi­que­ment viables et socia­le­ment acceptables ».

2 De fait, la tra­duc­tion fran­çaise offi­cielle était au départ plus com­plète (« viable et durable »). Paresse des tra­duc­teurs et inter­prètes ? Refus d’u­ti­li­ser le terme « sou­te­nable » rap­pe­lant fâcheu­se­ment une pro­fes­sion délictueuse ? …
3 On la qua­li­fie aus­si sys­té­ma­ti­que­ment d” »inten­sive » sans tenir compte de sa diversité.
7 Etude de la struc­ture et du rôle des pro­téines, y com­pris de la façon dont elles fonc­tionnent et inter­agissent entre elles à l’in­té­rieur des cellules.
8 Etude des chan­ge­ments héré­di­taires dans la fonc­tion des gènes, ayant lieu sans alté­ra­tion de la séquence ADN.

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