Vers le renforcement du système de régulation des activités financières

Dossier : Le nouvel espace financierMagazine N°652 Février 2010
Par Jean-marie ANDRES
Par Didier CAHEN

Le retour­ne­ment du mar­ché de l’im­mo­bi­lier amé­ri­cain a mis en lumière le manque de fia­bi­li­té du pro­ces­sus de titri­sa­tion. Il a révé­lé en par­ti­cu­lier la dif­fi­cul­té des inves­tis­seurs à appré­cier la qua­li­té et donc la valeur effec­tive des actifs titri­sés lorsque le mar­ché, ces­sant d’être liquide, n’en four­nit plus aucune indication.

REPÈRES
La crise finan­cière a com­men­cé dès la fin de l’année 2006 avec le retour­ne­ment du mar­ché amé­ri­cain de l’immobilier. Il fau­dra attendre l’été 2007 pour res­sen­tir les pre­miers effets à grande échelle. C’est par la fer­me­ture de divers fonds d’investissement par des éta­blis­se­ments finan­ciers de pre­mier plan (Axa, BNP Pari­bas, etc.) que l’on prend alors conscience, en France, de la pro­pa­ga­tion de la crise de confiance à l’égard des SIV (Spe­cial Invest­ment Vehicles), ces struc­tures juri­diques mises en place pour por­ter divers actifs finan­ciers, dits cré­dits immo­bi­liers usuels ou sub­primes, cré­dits à la consom­ma­tion ou auto­mo­bile, cré­dits aux entre­prises, qui se financent par l’émission des titres, direc­te­ment auprès des inves­tis­seurs (titri­sa­tion).

Une crise de confiance

La com­plexi­té de ces mon­tages a pro­gres­si­ve­ment conduit les inves­tis­seurs à ne les ache­ter que sur la base des appré­cia­tions des agences de nota­tion, qui elles-mêmes se sont révé­lées peu lisibles et peu fiables.

Un sec­teur finan­cier paral­lèle ni régu­lé ni supervisé

Cette dif­fi­cul­té condui­ra à un retrait mas­sif des inves­tis­seurs au prix d’une dépré­cia­tion géné­ra­li­sée des actifs et de la dis­pa­ri­tion sou­daine de la liqui­di­té des mar­chés qui en assu­raient les échanges. 

Des mesures non conventionnelles

Or, ce sont désor­mais les deux tiers des finan­ce­ments de l’é­co­no­mie amé­ri­caine et le tiers du finan­ce­ment de l’é­co­no­mie euro­péenne, qui sont assu­rés par de tels mon­tages, ce qui met en lumière le poids d’un sec­teur finan­cier paral­lèle, sha­dow ban­king, qui n’é­tait ni régu­lé ni supervisé.

Les banques, soit parce qu’elles ont été sol­li­ci­tées dans un contexte de retrait mas­sif des inves­tis­seurs, au titre des lignes de liqui­di­té qu’elles ouvraient aux véhi­cules dont elles étaient les spon­sors, ou encore du fait de leur acti­vi­té de négoce de titres sur les mar­chés, soit enfin parce qu’elles trou­vaient avan­tage à por­ter leurs actifs sous une forme titri­sée dans leur tra­ding book moins exi­geante en fonds propres qu’une déten­tion directe des actifs finan­ciers sous-jacents en ban­king book, se sont révé­lées être mas­si­ve­ment déten­trices de ces titres.

Le soutien des États

Un sou­tien mas­sif des auto­ri­tés publiques
Après les pre­mières restruc­tu­ra­tions conduites par les acteurs du mar­ché eux-mêmes – Coun­try­wide est rache­tée par Bank of Ame­ri­ca en jan­vier 2008 – des banques, petites et grosses, finissent par être secou­rues par les États eux-mêmes : de février à début sep­tembre 2008, Nor­thern Rock est natio­na­li­sée par le Royaume-Uni, JP Mor­gan rachète Bear Stearns avec le sou­tien de la FED, Fan­nie Mae et Fred­die Mac béné­fi­cient d’un plan de sou­tien puis sont contrô­lées par les auto­ri­tés fédérales.
Les sou­tiens des États se géné­ra­li­se­ront pro­gres­si­ve­ment et de nom­breux pays (Japon, France, Alle­magne, Grande-Bre­tagne, Espagne, États-Unis, Suisse, etc.) ont dû assu­rer leur sys­tème ban­caire et finan­cier d’une aide forte : garan­tie des dépôts illi­mi­tée, prise de par­ti­ci­pa­tion dans les banques et pour cer­tains comme l’Is­lande, natio­na­li­sa­tion des ins­ti­tu­tions financières.

Aus­si, la crise de confiance et de liqui­di­té s’est méca­ni­que­ment réper­cu­tée sur elles, condui­sant début août 2007 la Banque cen­trale euro­péenne (BCE) et la Réserve fédé­rale des États-Unis (FED) à injec­ter res­pec­ti­ve­ment 94,5 mil­liards d’eu­ros et 25 mil­liards de dol­lars. Et, en juin 2009, la Banque cen­trale euro­péenne était conduite à réa­li­ser son adju­di­ca­tion his­to­rique par le mon­tant et la durée, de 442 mil­liards d’eu­ros à douze mois ; au même moment le bilan de la FED était de l’ordre de 2 000 mil­liards de dol­lars, contre envi­ron 900 mil­liards habituellement.

Le sou­tien des États a dû être accen­tué, notam­ment suite au dépôt de bilan de Leh­man Bro­thers, le 14 sep­tembre 2008. Celui-ci a conduit à un appro­fon­dis­se­ment de la crise de confiance et à l’ag­gra­va­tion de la para­ly­sie des mar­chés finan­ciers et en consé­quence à l’as­phyxie de l’économie.

Des conséquences inadmissibles

Too big to fail
Les éta­blis­se­ments » sys­té­mi­que­ment impor­tants » sont qua­li­fiés de too big to fail ou encore de too inter­con­nec­ted to fail. Cer­taines des dif­fi­cul­tés semblent pro­ve­nir de prises de risque exces­sives qui résultent de cette garan­tie impli­cite dont béné­fi­cient ces éta­blis­se­ments finan­ciers de la part des États.
Cette crise finan­cière est une maté­ria­li­sa­tion à grande échelle du risque connu sous le nom » d’a­léa moral « .

En défi­ni­tive l’am­pleur des impacts des dif­fi­cul­tés de cet acteur finan­cier apporte la preuve que les banques ne par­viennent pas à assu­rer seules la réso­lu­tion de la crise à laquelle elles sont confron­tées, mais sur­tout que les consé­quences des dif­fi­cul­tés de cer­tains acteurs ne sont pas admis­sibles pour des rai­sons éco­no­miques (fra­gi­li­sa­tion de l’en­semble de leur sys­tème éco­no­mique et finan­cier) et poli­tiques (panique des dépo­sants) par les États et les contraignent à des inter­ven­tions mas­sives et coû­teuses sur le sec­teur finan­cier (natio­na­li­sa­tions, reca­pi­ta­li­sa­tions, garan­ties, reprise par des États d’ac­tifs dou­teux de banques et sur l’é­co­no­mie dans son ensemble.

Le renforcement du système de régulation

Tirant les leçons de la crise finan­cière, sans attendre que les dif­fi­cul­tés soient dis­si­pées, les auto­ri­tés publiques, au niveau mon­dial ou régio­nal, se sont lan­cées dans une vaste révi­sion de l’ar­chi­tec­ture de la régle­men­ta­tion et de la super­vi­sion de ces activités.

Leur pre­mière prio­ri­té est d’a­mé­lio­rer la trans­pa­rence des pro­duits finan­ciers et de leurs tran­sac­tions sur les mar­chés. Les déci­deurs publics s’ef­forcent en consé­quence de sim­pli­fier et de stan­dar­di­ser la titri­sa­tion, d’as­su­rer la fia­bi­li­té et la lisi­bi­li­té d’ap­pré­cia­tions por­tées par les agences de nota­tion, et pour ce qui est des pro­duits déri­vés de risques, d’a­mé­lio­rer la tra­ça­bi­li­té et le sui­vi des tran­sac­tions de mar­ché jus­qu’a­lors réa­li­sées pour l’es­sen­tiel sur des mar­chés » non régulés « .

La chute de Leh­man Bro­thers illustre les consé­quences de » l’a­léa moral »

Ensuite, la régle­men­ta­tion des ins­ti­tu­tions doit être ren­for­cée. L’é­va­lua­tion des exi­gences en fonds propres pru­den­tiels – le mon­tant mini­mal des fonds propres des­ti­nés à cou­vrir les aléas subis par les ins­ti­tu­tions finan­cières – devrait res­ter appuyée sur le cal­cul des risques effec­ti­ve­ment por­tés par chaque éta­blis­se­ment, de pré­fé­rence à une approche for­fai­taire basée sur leur seul volume d’affaires.

Les effets pro­cy­cliques des normes comp­tables et des régle­men­ta­tions finan­cières devraient être atté­nués. En les obli­geant à consti­tuer des réserves aux moments favo­rables des cycles éco­no­miques, ces normes ne devraient plus conduire les ins­ti­tu­tions finan­cières à des ventes mas­sives lorsque les cours de leurs actifs sur les mar­chés se dété­riorent et pèsent sur leur compte de résul­tat et exigent l’ac­crois­se­ment des fonds propres.

Intégrer la supervision

Ain­si, ces régle­men­ta­tions devraient s’ap­pli­quer de manière cohé­rente au plan mon­dial quel que soit le sta­tut des éta­blis­se­ments, pour tous leurs risques, que ceux-ci figurent dans leurs bilans ou hors de leurs bilans. Des exi­gences mini­males seront deman­dées par tous les pays pour évi­ter les » arbi­trages régle­men­taires » per­mis jus­qu’a­lors par cer­tains » centres finan­ciers off­shore « .

Se pro­té­ger des consé­quences des risques systémiques
Les déci­deurs poli­tiques constatent l’am­pleur des aides qu’ils ont été conduits à mobi­li­ser et le coût social et éco­no­mique de ces crises notam­ment du fait de la conta­gion par les ins­ti­tu­tions » sys­té­mi­que­ment » importantes.
Ils cherchent désor­mais à réduire leurs pro­ba­bi­li­tés de défaillances notam­ment en exi­geant des sur­croîts de fonds propres, en rédui­sant la taille des éta­blis­se­ments, en exi­geant des sépa­ra­tions juri­diques de leurs dif­fé­rentes acti­vi­tés et de leurs implan­ta­tions dans divers pays, en rédui­sant leurs inter­con­nexions et en élar­gis­sant les pos­si­bi­li­tés de réso­lu­tions de leurs défaillances au-delà des inter­ven­tions des États. De telles orien­ta­tions sont natu­rel­le­ment de nature à modi­fier pro­fon­dé­ment le pro­fil des acteurs financiers.

Par ailleurs, la dif­fu­sion trans­fron­ta­lière des risques, mise en évi­dence par les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par des éta­blis­se­ments régio­naux alle­mands, irlan­dais, fran­çais, qui opé­raient sur des actifs struc­tu­rés aux États-Unis ou en Espagne, conduit à envi­sa­ger une coopé­ra­tion ren­for­cée des super­vi­seurs au niveau régio­nal (créa­tion des auto­ri­tés euro­péennes de super­vi­sion ou de sui­vi de risques sys­té­miques) et au niveau mon­dial (trans­for­ma­tion du Finan­cial Sta­bi­li­ty Forum en Finan­cial Sta­bi­li­ty Board, ou FSB, sous l’é­gide du G20).

Le besoin d’in­té­gra­tion est fort et défie les sou­ve­rai­ne­tés natio­nales : cela conduit, comme l’ex­priment les ser­vices du Congrès amé­ri­cain, à » veiller au bon équi­libre entre l’au­to­ri­té du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI) et du FSB et celles des États membres du G20 « .

Une remise en cause profonde

Tou­te­fois la remise en cause des acti­vi­tés finan­cières est plus pro­fonde. Leur valeur ajou­tée est ques­tion­née quand on consi­dère la place qu’elles repré­sentent dans des pro­duits inté­rieurs bruts sou­vent en faible crois­sance. Sans que cela consti­tue la posi­tion offi­cielle, Adair Tur­ner, pré­sident de la Finan­cial Ser­vices Autho­ri­ty (FSA) en charge en Grande-Bre­tagne de la super­vi­sion des ins­ti­tu­tions finan­cières, en évoque l’é­ven­tua­li­té. Une fis­ca­li­sa­tion forte des bonus des tra­ders res­sor­tit des mêmes analyses.

Surveiller l’ensemble du système financier

Ain­si, les États réunis au sein du G20 ont-ils pro­po­sé la consti­tu­tion d’une enti­té en charge de la « sur­veillance macro­pru­den­tielle », le Finan­cial Sta­bi­li­ty Board. La pre­mière mis­sion de cette sur­veillance devrait être d’ex­pli­ci­ter les risques de bulles et for­mu­ler les dis­po­si­tions correctrices.

Expli­ci­ter les risques de bulles et for­mu­ler les dis­po­si­tions correctrices

Paral­lè­le­ment, cette sur­veillance doit éva­luer les pra­tiques des prin­ci­paux acteurs des mar­chés régu­lés ou non et des infra­struc­tures financières.

Enfin, une « approche macro­pru­den­tielle » de la super­vi­sion doit com­plé­ter le « rôle micro­pru­den­tiel » habi­tuel des super­vi­seurs des banques et des assu­rances. Une telle approche devrait s’at­ta­cher à suivre l’é­vo­lu­tion des tech­niques finan­cières, des busi­ness models des ins­ti­tu­tions, et d’é­va­luer les nou­veaux risques sous-jacents. Elle devrait ensuite pro­po­ser des mesures pru­den­tielles à même d’in­flé­chir les tendances. 

Un ordre financier international

Il res­te­ra à s’at­ta­quer aux dés­équi­libres moné­taires mon­diaux. Ils ont conduit à la sur­abon­dance de liqui­di­tés, et pro­duit, méca­ni­que­ment, un appé­tit immo­dé­ré pour le risque. Un ren­for­ce­ment du rôle du FMI semble nécessaire.

Le ser­vice de recherche du Congrès amé­ri­cain résume la ques­tion de la manière sui­vante dans son rap­port du 2 octobre 2009 : « ?Le sys­tème issu de Bret­ton Woods doit-il évo­luer vers une archi­tec­ture où les États-Unis res­tent une pierre angu­laire mais ses mar­chés finan­ciers sont davan­tage » euro­péa­ni­sés » et davan­tage contraints par un ordre finan­cier inter­na­tio­nal élargi.? »

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