Vers le printemps

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°582 Février 2003Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Postromantiques : Schoenberg, Fauré

Postromantiques : Schoenberg, Fauré

1901 : Vienne, capi­tale cultu­relle de l’Europe en paix, explose de créa­ti­vi­té artis­tique et scien­ti­fique. Schoen­berg a 26 ans et il esquisse les Gur­re­lie­der, son chef‑d’œuvre abso­lu, œuvre presque par­fai­te­ment tonale qu’il ter­mi­ne­ra dix ans plus tard alors qu’il aura depuis long­temps aban­don­né le lan­gage tonal pour la musique sérielle. 1921 : l’Europe en crise se remet mal de la guerre, l’Empire aus­tro-hon­grois n’est plus qu’un sou­ve­nir, Fau­ré a 77 ans, il est atteint de sur­di­té, il mour­ra dans deux ans. Il ter­mine son Quin­tette pour pia­no et cordes en ut mineur, son chef‑d’œuvre abso­lu, à la limite de l’atonalité.

Les Gur­re­lieder sont d’une cer­taine façon un opé­ra, proche de Tris­tan, même si la forme avouée hésite entre l’oratorio et la sym­pho­nie ; une œuvre déme­su­rée – cinq solistes, trois chœurs, un orchestre gigan­tesque – conçue par un génie qui avait inté­rio­ri­sé tout Wag­ner, et qui, à la dif­fé­rence de Wag­ner, était cha­leu­reux et épris d’humanisme.

Bien plus que la musique exquise et vaine de Richard Strauss, plus forts que les œuvres les plus véné­neuses de Mah­ler, les Gur­re­lie­der, avec leur lyrisme géné­reux et sub­til, sont le véri­table adieu au roman­tisme. Simon Rat­tle, rigou­reux comme Bou­lez et flam­boyant comme Bern­stein, vient de les enre­gis­trer avec le Phil­har­mo­nique de Ber­lin, et par­mi les solistes, Kari­ta Mat­ti­la, Anne-Sofie von Otter et Tho­mas Moser1. Un très grand disque.

Il n’y a sans doute pas d’œuvre musi­cale qui soit plus en sym­biose avec La recherche du temps per­du que le Deuxième Quin­tette de Fau­ré, créé un an avant sa mort. Comme chez Proust, chaque phrase a été conçue avec une pré­ci­sion d’orfèvre ; l’œuvre, aux thèmes et aux har­mo­nies inef­fables, vous prend à la gorge dès les pre­mières mesures, et ne vous lâche plus jusqu’à la fin, sans un ins­tant de fai­blesse, vous lais­sant un étrange et contra­dic­toire sen­ti­ment à la fois d’épuisement, de séré­ni­té et de désespoir.

Le Qua­tuor Rosa­monde et le pia­niste Emma­nuel Stros­ser sont les inter­prètes ins­pi­rés des deux Quin­tettes avec pia­no – le pre­mier, en mineur, tout aus­si lyrique que le second mais plus tra­di­tion­nel dans sa forme et son esprit – dans un disque tout récent2, un des plus remar­quables de ces der­niers mois.

Deux solistes

On a par­lé ici naguère, à pro­pos du Concer­to pour vio­lon de Brahms, de l’extraordinaire pou­voir de séduc­tion qu’exerce le jeu de la jeune et belle Hila­ry Hahn. Celle-ci nous revient avec deux grands concer­tos du réper­toire : celui de Men­dels­sohn et le n° 1 de Chos­ta­ko­vitch, enre­gis­trés avec l’Orchestre Phil­har­mo­nique d’Oslo3. On y retrouve la même grâce, la même gra­vi­té ado­les­cente, la même fougue ser­vies par une tech­nique éblouis­sante. Hila­ry Hahn se confirme comme un des quatre ou cinq très grands vio­lo­nistes de la nou­velle génération.

Autre jeune, autre très grand que le pia­niste Pio­tr Anders­zews­ki, qui vient d’enregistrer trois des Par­ti­tas de Bach4, pari ris­qué après tant d’interprétations célèbres dont celles de Lipat­ti, Weis­sen­berg, Per­ahia. Si la ver­sion d’Anderszewski rejoint au pan­théon des disques de Bach celles de ses aînés, c’est qu’il renou­velle ces pièces sédui­santes et dif­fi­ciles en asso­ciant au style pia­nis­tique la liber­té d’ornements du cla­ve­cin, avec une per­fec­tion et une élé­gance rares. Les Par­ti­tas ne sont ni le Cla­vier bien tem­pé­ré ni l’Art de la fugue, mais des suites de danses écrites par Bach à Leip­zig hors obli­ga­tions parois­siales pour son Col­le­gium Musi­cum, chefs‑d’œuvre modestes qui s’accommodent fort bien d’une cer­taine liber­té de ton.

Vivaldi, encore

Après une éclipse de plu­sieurs décen­nies, on redé­couvre Vival­di, grâce, en par­ti­cu­lier, à l’effort de renou­vel­le­ment entre­pris par Fabio Bion­di et son Euro­pa Galante, et aus­si par Giu­lia­no Car­mi­gno­la et son Orchestre Baroque de Venise.

Vival­di, on le sait, était un homme joyeux et pro­ba­ble­ment liber­tin, mal­gré son état, et sa musique est avant tout débor­dante de vita­li­té et de sensualité.

Fabio Bion­di publie son enre­gis­tre­ment des Quatre Sai­sons d’il y a deux ans, aux­quelles s’adjoignent le concer­to Tem­pes­ta di mare et trois concer­tos pour deux et quatre vio­lons de l’Estro armo­ni­co5, puis sept concer­tos pour divers ins­tru­ments dont deux pour man­do­line6.

Les trois concer­tos extraits de l’Estro armo­ni­co, qui ser­virent plus tard de maté­riau à Bach, sont de petits joyaux de la musique du XVIIIe siècle, riches d’inventions thé­ma­tiques, har­mo­niques, ryth­miques. Les concer­tos pour man­do­line, appa­rem­ment des­ti­nés à son élève pré­fé­rée Anna-Maria, sont tendres et… véni­tiens. Mais la sur­prise vient des deux concer­tos pour divers ins­tru­ments, dont théorbes, cha­lu­meaux, vio­lons “ en trombe marine ”, pièces monu­men­tales aux recherches de timbres éla­bo­rées, écrites comme adieu à son orchestre de jeunes orphe­lines de La Pie­tà, témoins d’une créa­ti­vi­té débor­dante et inégalée.

Car­mi­gno­la, vio­lo­niste vir­tuose, s’attache à renou­ve­ler l’interprétation des concer­tos pour vio­lon de Vival­di en uti­li­sant sur le vio­lon baroque toutes les tech­niques du vio­lon moderne, dont le vibra­to, long­temps igno­ré des baro­queux. Le troi­sième de ses disques consa­crés aux der­niers concer­tos pour vio­lon7 est un modèle de la liber­té qui émane de la musique baroque lorsque, tour­nant le dos à l’académisme, on lui applique ses propres tra­di­tions d’improvisation.

Une musique de joie, un feu d’artifice.

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1. 2 CD EMI 5 57303 2
2. 1 CD ARION PV 703 011
3. 1 CD SONY SK 89921
4. 1 CD VIRGIN 5 45526 2
5. 1 CD VIRGIN VERITAS 5 45565 2
6. 1 CD VIRGIN VERITAS 5 45527 2
7. 1 CD SONY SK 87733.

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