Vérité et courage pour rénover le système de santé

Dossier : La santé en questionsMagazine N°599 Novembre 2004
Par Pierre ZERVUDACKI (60)

L’a­ve­nir du sys­tème de san­té est la prio­ri­té de l’as­so­cia­tion X‑Santé et nous l’en­vi­sa­geons avec des convictions.Le sys­tème de san­té et la méde­cine sont fon­dés sur des valeurs que nous défen­dons aux côtés des pro­fes­sion­nels et des patients. Ni l’é­qui­té devant la mala­die, ni la soli­da­ri­té entre géné­ra­tions et caté­go­ries sociales, ni la déon­to­lo­gie médi­cale, ni le res­pect de l’homme ne peuvent être remis en ques­tion pour des rai­sons éco­no­miques, même conjoncturelles. 

La science est au cœur de l’ac­tion, non au second plan. Il faut pri­vi­lé­gier et ano­blir la recherche scien­ti­fique, l’im­pact de l’é­co­no­mie de la san­té, la métho­do­lo­gie, la rigueur et l’ob­jec­ti­vi­té dans les domaines du médi­ca­ment, de la pré­ven­tion, de la ges­tion, de la qua­li­té des pra­tiques. La créa­tion d’une Haute Auto­ri­té, maître d’œuvre d’une démarche scien­ti­fique sys­té­ma­ti­sée, est un pre­mier pas. Encore faut-il qu’elle devienne un contre-pou­voir effi­cace et incontournable. 

La réno­va­tion du sys­tème de san­té est iné­luc­table mais ne peut réus­sir dans la conti­nui­té du scé­na­rio des vingt der­nières années, illus­tra­tion du mythe de Sisyphe, donc il faut chan­ger de » paradigme » :

  • c’est d’a­bord un enjeu de méthodes et de concepts d’é­co­no­mie et de ges­tion de la san­té : à l’a­mont, une stra­té­gie à long terme, la pla­ni­fi­ca­tion des res­sources, des métiers, struc­tures et exper­tises, à l’a­val, des bud­gets pré­vi­sion­nels fon­dés sur des objec­tifs de coûts et des pro­ces­sus de soins ; 
  • le tra­vail pré­cé­dent se nour­rit de don­nées objec­tives reliées à des faits réels, alors que l’u­sage est d’in­ter­pré­ter les chiffres de la san­té pour jus­ti­fier des déci­sions oppor­tu­nistes ; l’o­pa­ci­té du monde de la san­té est sans équi­valent dans la vie éco­no­mique et sociale ; 
  • le chan­ge­ment n’est pas un choix finan­cier mais struc­tu­rel et cultu­rel. Il demande, entre autres, aux deux mil­lions de per­sonnes qui vivent des dépenses de san­té de faire ce qu’un ancien pré­sident du Conseil de l’Ordre des méde­cins appe­lait la » révo­lu­tion cultu­relle de la qua­li­té » ; la régu­la­tion des tari­fi­ca­tions n’est pas une menace si elle se place dans un cadre de poli­tique des reve­nus équi­table et de modes de fonc­tion­ne­ment modernes autour de sys­tèmes d’information ; 
  • il y a sûre­ment une bonne solu­tion de réno­va­tion du sys­tème de san­té. Le chan­tier sera long et aurait déjà démar­ré si les peurs et les cor­po­ra­tismes n’a­vaient eu rai­son de la véri­té et du cou­rage. La gra­vi­té du contexte actuel suf­fi­ra-t-elle à rame­ner la sagesse ? 


Ce texte n’en­gage que son auteur qui sou­haite ouvrir le débat au sein de X‑Santé, puis l’é­lar­gir à d’autres cénacles, si pos­sible. Il est trop bref pour déve­lop­per les affir­ma­tions tirées d’é­tudes citées en référence. 

Dépenses, insuffisances, tendances

On ne peut rap­por­ter ici des chiffres tirés des docu­ments spé­cia­li­sés. Pour cela on peut lire [1, 3, 4]. Et, bien sûr, le rap­port de la Cour des comptes (Rap­port écrit avec une rigueur et une péda­go­gie exem­plaires, à lire abso­lu­ment. www.ccomptes.fr/Cour-des-comptes/publications/rapports/secu2004/introduction.htm). Le fait notoire est que le désastre finan­cier de l’an­née écou­lée n’est que fai­ble­ment dû à la crois­sance de la demande de soins. Sont rap­por­tés des faits pré­cis : le coût de la RTT (les 35 heures) non comp­ta­bi­li­sé en 2001 et 2002 et impu­té en 2003, les aug­men­ta­tions des hono­raires médi­caux et des coûts des éta­blis­se­ments de soins (plus dans le pri­vé que dans le public) consi­dé­rables pour une seule année (5 à 8 %), le dérem­bour­se­ment des médi­ca­ments à ser­vice médi­cal ren­du insuf­fi­sant (le fameux SMRI) repor­té, et plé­thore d’a­bus de pres­crip­tion et de tari­fi­ca­tion : gabe­gie de trans­ports de malades, etc. 

Pour l’au­teur de ce texte, ce constat acca­blant prouve que la fata­li­té n’existe pas et s’op­pose au mes­sage sim­pliste de l’u­sa­ger irres­pon­sable donc cou­pable. L’im­pu­ta­tion pro­chaine d’un euro par consul­ta­tion res­semble à une mau­vaise régu­la­tion par la sanc­tion col­lec­tive. Or, les vrais abus sont connus : veut-on sanc­tion­ner leurs auteurs, les frau­deurs et éli­mi­ner les causes ? 

La dégra­da­tion de la situa­tion éco­no­mique depuis l’en­vo­lée du chô­mage affai­blit irré­ver­si­ble­ment le niveau de recettes. Les aug­men­ter prive l’é­co­no­mie d’autres inves­tis­se­ments ou consom­ma­tions, affai­blit la crois­sance et ren­force la spi­rale du déficit. 

Il n’y a pas d’ex­cès de la demande de soins, bien au contraire. Dif­fé­rentes études [1, p. 27] montrent que le renon­ce­ment aux soins va de 40 % à 10 % pour plu­sieurs patho­lo­gies (den­taire, optique, en par­ti­cu­lier), selon les caté­go­ries sociales, la pré­ca­ri­té et le chô­mage. La demande de soins du pays est infé­rieure de 12 % envi­ron aux besoins. Le coût de la CMU repré­sente moins de 1 % des dépenses pour quelque 6 mil­lions de béné­fi­ciaires [2]. L’ac­cès aux soins reste très inéquitable. 

D’autres études com­parent les dépenses et l’ef­fi­cience dans les pays de l’U­nion euro­péenne [1, p. 14] à celles de la France [4]. Il est sans doute contes­table de rap­pro­cher des sys­tèmes aux usages et aux choix poli­tiques dif­fé­rents. Quel Fran­çais aime­rait se voir refu­ser la prise en charge de la dia­lyse au motif qu’il a plus de 65 ans ou celle de la pro­thèse de hanche, comme c’est le cas en Grande-Bre­tagne ? Il y a pour­tant des conclu­sions à rete­nir. La France dépense plus (9,5 % du PIB) que la moyenne de l’U­nion euro­péenne (8 %). Or, l’é­tat sani­taire y est plu­tôt moins bon. Les insuf­fi­sances majeures apparaissent : 

  • les com­por­te­ments à risques sont en nombre déme­su­ré dans la popu­la­tion active (20 % des 530 000 décès sur­viennent avant 65 ans), sur­tout chez les hommes. La poli­tique de pré­ven­tion est mar­gi­nale (2 % du bud­get). Cela com­mence à chan­ger (taba­gisme, alcoo­lisme, acci­dents), par la contrainte finan­cière et pénale ; 
  • la pres­crip­tion de médi­ca­ments est exces­sive ou inadap­tée et les risques iatro­gènes font 8 000 décès par an ; 
  • les coûts sont supé­rieurs en France, bien que les médi­ca­ments soient moins chers que dans toute l’U­nion européenne ; 
  • la France a un meilleur résul­tat sur les patho­lo­gies lourdes (can­cer, car­dio­vas­cu­laire, etc.), mais est net­te­ment moins per­for­mante sur les patho­lo­gies cou­rantes, les soins den­taires et l’op­tique. On observe ain­si que la France est en pointe sur les soins inno­vants, dis­pen­sés sur­tout en milieu hos­pi­ta­lier, en retard sur des pra­tiques bien établies. 


L’é­vo­lu­tion des besoins de la popu­la­tion est-elle catas­tro­phique ? Ce n’est pas acquis si l’on admet le choix de la conjec­ture sui­vante à trois tendances : 

  • la pré­ven­tion est fon­da­men­tale. Elle devrait évi­ter près de la moi­tié des décès avant 65 ans, très coû­teux en soins et en consé­quences sociales. La maî­trise des risques de toute nature dimi­nue­rait toutes les pré­va­lences, c’est le but d’une poli­tique de san­té publique ; 
  • le vieillis­se­ment de la popu­la­tion sus­ci­te­rait une demande expo­nen­tielle. Il faut prendre l’af­fir­ma­tion avec pru­dence. La popu­la­tion sur laquelle s’é­ta­blit le constat actuel est née à une époque qui ne connais­sait pas la méde­cine actuelle. Néan­moins, il s’a­git de per­sonnes qui ont vécu avec peu de mala­dies lourdes, ont eu un com­por­te­ment et une hygiène de vie conve­nables, ce qui aug­mente l’es­pé­rance de vie et dimi­nue les besoins médi­caux. Les patho­lo­gies lourdes sont plus nom­breuses et plus pro­bables après 65 ans, mais leur pro­gres­sion en valeur abso­lue n’est pas cer­taine : les mala­dies car­dio­vas­cu­laires régressent, le nombre de can­cers passe par un palier et la poli­tique de dépis­tage après 50 ans aura un effet très sen­sible lors­qu’elle sera exhaus­tive et orga­ni­sée. Quid des patho­lo­gies les plus déve­lop­pées à long terme ? La seule crois­sance cer­taine vient des atteintes iné­luc­tables et non létales de l’âge qui créent un besoin per­ma­nent de soins jus­qu’au terme de la vie. La dépen­dance sous toutes ses formes, les mala­dies dégé­né­ra­tives (Alz­hei­mer, Par­kin­son), qui ne sont pas gué­ris­sables à l’heure actuelle, néces­sitent un envi­ron­ne­ment social et fami­lial plus coû­teux que les soins médi­caux. Pour­tant, la socié­té a un devoir à l’é­gard de ceux qui ont encore à vivre dans la cité, entou­rés de leurs proches et ne peuvent être reje­tés dans des mou­roirs. Struc­tu­rel­le­ment, le coût des soins en mai­son médi­ca­li­sée est plus éle­vé qu’à domicile ; 
  • le besoin de soins non satis­fait consti­tue une prio­ri­té sociale immé­diate et un choix sani­taire si l’on veut évi­ter de voir la san­té des plus dému­nis se dégra­der rapi­de­ment – y com­pris sur le plan mental. 


Il est néces­saire de simu­ler ces dif­fé­rentes ten­dances pour vali­der les enjeux, pla­ni­fier l’offre et les équi­libres finan­ciers ain­si que la tari­fi­ca­tion qui doit tenir compte des volumes de pres­ta­tions sur les prin­ci­paux besoins. 

Efficience, progrès, qualité

Il y a un consen­sus des réfor­ma­teurs sur le prin­cipe de la qua­li­té des orga­ni­sa­tions et de la méde­cine par l’é­va­lua­tion des pra­tiques et l’ac­cré­di­ta­tion des éta­blis­se­ments. Mais » le ter­rain » ne par­tage pas cet » enthou­siasme déli­rant « . Tout est donc dans la vision objec­tive du vécu et du but à atteindre. La méde­cine n’est pas ration­nelle, répé­ti­tive et robo­ti­sée et c’est le fac­teur humain qui oriente le pro­grès et la qua­li­té. Reste que la mau­vaise qua­li­té rend le » ser­vice après-vente » bien plus cher que le pro­duit défectueux. 

La démarche du médecin

À ce jour, 35 % des patho­lo­gies connues sont gué­ris­sables avec un trai­te­ment à haute pro­ba­bi­li­té de suc­cès. Les autres relèvent de soins inno­vants aux pers­pec­tives de réus­site incer­taines. Les réfé­ren­tiels et les guides de bonnes pra­tiques ren­for­ce­ront la pro­ba­bi­li­té de suc­cès dans tous les cas. Si celle-ci est très éle­vée, le pra­ti­cien se doit de suivre l’é­tat de l’art. Sinon, c’est à lui d’ex­ploi­ter libre­ment le com­plé­ment d’in­for­ma­tions, et il est maître de sa déci­sion. Il est louable que nombre de méde­cins pro­posent au patient d’a­voir un autre avis pour s’in­for­mer des risques et des pers­pec­tives de trai­te­ment. Cette recherche de l’ef­fi­cience et du bon usage du prin­cipe de pré­cau­tion entraîne une dépense plus impor­tante mais hau­te­ment justifiée. 

Le géné­ra­liste a vingt minutes pour écou­ter, com­prendre, diag­nos­ti­quer, déci­der et pres­crire. Sa marge d’er­reur ou d’o­mis­sion est for­cé­ment éle­vée, le champ des patho­lo­gies à détec­ter et la diver­si­té des patients sont vastes. Son diag­nos­tic s’ap­puie sur sa convic­tion et sur des preuves suf­fi­santes four­nies par les exa­mens tech­niques sophis­ti­qués. Si leur uti­li­té est mar­gi­nale, on par­le­ra de dépense injus­ti­fiée. Sans leur pres­crip­tion, on par­le­ra de négli­gence ou d’in­com­pé­tence. Les réfé­ren­tiels seront utiles pour dimi­nuer le volume de pres­crip­tions et les risques d’er­reur, mais ils ne seront jamais exhaus­tifs. La méde­cine doit rai­son­ner avec la maî­trise des risques. Qu’elle le fasse en dépen­sant plus une fois et moins la seconde fois fait par­tie d’une stra­té­gie » à somme posi­tive » que la ges­tion cou­rante n’en­seigne pas. 

Les moyens techniques

Les nou­velles tech­niques ont un prix d’en­trée éle­vé dont l’ef­fet béné­fique se fait sen­tir sur les pra­tiques et la qua­li­té dans la durée. Le coût com­plet d’une tech­nique dimi­nue rapi­de­ment en une dizaine d’an­nées. La méde­cine n’é­chappe pas à cette règle de pro­grès et de productivité. 

L’er­reur grave dans un exa­men, sur­tout dans les ana­lyses bio­lo­giques, a de lourdes consé­quences et reste trop fré­quente faute de véri­fi­ca­tion de la chaîne de pro­duc­tion. Le per­fec­tion­ne­ment et le contrôle qua­li­té requièrent des inves­tis­se­ments repor­tés dans les coûts. 

L’i­ma­ge­rie néces­site un très haut savoir-faire. D’un pra­ti­cien radio­logue : » Nous ne tirons pas toutes les pos­si­bi­li­tés des machines, 10 % seule­ment de nos exa­mens sont par­faits . » D’un uro­logue : » Trois écho­gra­phies de pros­tate faites en ville et en un mois sur un patient donnent des résul­tats dif­fé­rents, tous inexacts. » Les cabi­nets concer­nés répondent que » chaque méde­cin a sa tech­nique « . C’est le cas insup­por­table du » mau­vais pou­voir médi­cal » qu’il faut éli­mi­ner par une régle­men­ta­tion des pro­cé­dures tech­niques et l’en­ca­dre­ment éthique et finan­cier de l’innovation. 

Le médicament

La poli­tique du médi­ca­ment est cri­ti­quée dans un autre rap­port récent de la Cour des comptes. 

Au pre­mier chef, l’ab­sence de stra­té­gie pour amé­lio­rer les pres­crip­tions. L’É­tat se doit de four­nir aux pres­crip­teurs une infor­ma­tion indé­pen­dante des labo­ra­toires phar­ma­ceu­tiques, retarde depuis dix ans la créa­tion d’une grande banque de don­nées des jus­ti­fi­ca­tions et moda­li­tés de pres­crip­tion, des réfé­ren­tiels de bonnes pra­tiques, des indi­ca­tions décou­lant des auto­ri­sa­tions de mise sur le mar­ché (AMM).

L’a­chat auprès des indus­triels n’est pas fait au meilleur prix. 

La liste des médi­ca­ments à SMRI est en attente. 

À quoi servent les AMM, si on ne sait pas suivre à la trace le ser­vice rendu ? 

L’ab­sence de cohé­rence et de trans­pa­rence est illus­trée par la polé­mique sur l’ho­méo­pa­thie dont l’exis­tence remonte à des dizaines d’an­nées. Les scien­ti­fiques ont-ils du pou­voir dans ce débat opaque ? Le corps médi­cal veut-il s’op­po­ser aux labo­ra­toires, si néces­saire ? Pour­quoi la pro­blé­ma­tique du médi­ca­ment n’est-elle pas une prio­ri­té de la poli­tique euro­péenne, contrai­re­ment à la vache folle ?

Les hôpitaux

Ceux – peu nom­breux – qui pré­viennent les dys­fonc­tion­ne­ments sont déjà dans le haut de la qua­li­té, ceux dont les usa­gers parlent en bien ont une bonne com­mu­ni­ca­tion méde­cin-patient, ce qui est un signe. Savoir éva­luer la satis­fac­tion, faire de la sur­veillance des risques, bien com­mu­ni­quer au sein des ser­vices, c’est le début de la qua­li­té totale qui doit mobi­li­ser le monde hos­pi­ta­lier, public et pri­vé. C’est un effort de tous les ins­tants, auquel le mana­ge­ment doit faire adhé­rer la tota­li­té des agents. Les men­ta­li­tés et les cultures sont mises à mal. C’est le prix à payer pour réus­sir. C’est le chal­lenge des éta­blis­se­ments qui veulent un ave­nir à dix ans. 

Discrédit de la réforme et de l’État

Le plan de 2004 est le quin­zième depuis 1975 [1, 3, 4]. Tous ont échoué sur les défauts struc­tu­rels et les excès du sys­tème. L’é­lé­va­tion de la dépense sur un demi-siècle se jus­ti­fie en par­tie par l’a­mé­lio­ra­tion notable de la san­té. Mais l’ab­sence de réponse aux insuf­fi­sances fla­grantes est une faute politique. 

L’É­tat s’oc­cupe de tout et cela n’a rien amé­lio­ré. Son rôle » non réga­lien » l’ex­pose à être vel­léi­taire. Ses mul­tiples ins­ti­tu­tions n’ont pas empê­ché le drame du sang conta­mi­né. Elles ont failli lors de la cani­cule de 2003. Face au désar­roi des familles, des patients, des hôpi­taux, elles n’ont appor­té aucune réponse, ni su prou­ver leur sol­li­ci­tude et leur bon sens en se déployant sur le terrain. 

Le res­sen­ti­ment des per­son­nels des hôpi­taux est pro­fond. Le nombre de lits a bais­sé de 20 % en dix ans, la durée moyenne de court séjour en méde­cine, chi­rur­gie, obs­té­trique a bais­sé de 3 % par an depuis vingt ans. Or les charges et les bud­gets ont aug­men­té consi­dé­ra­ble­ment, le per­son­nel soi­gnant est insuf­fi­sant et quitte sou­vent la pro­fes­sion, les créa­tions de poste sont plé­tho­riques en tâches admi­nis­tra­tives. Avoir l’ef­fec­tif régle­men­taire au bloc opé­ra­toire est sou­vent inap­pli­cable, assu­rer le rôle de toutes les équipes de nuit est très pro­blé­ma­tique, pro­po­ser un ren­dez-vous impose une attente de quatre mois. Com­ment jus­ti­fier ce manque de res­pect des agents et des patients ? Etc. 

Recentrer l’État sur la stratégie, la planification et la méthodologie

Notre sys­tème de san­té est fon­dé sur quatre prin­cipes [3, ch. 2 § 4] : 

  • ne pas lais­ser le mar­ché régu­ler l’ac­cès aux soins ; 
  • obli­ger tout citoyen à être assu­ré contre le risque maladie ; 
  • faire payer cha­cun selon ses moyens ; 
  • four­nir les soins selon les besoins et non selon la contri­bu­tion financière. 


Sans inter­ven­tion publique vigi­lante, cela serait impos­sible. Mais l’É­tat doit se limi­ter à ce qu’il doit faire – et bien, car il le fait mal -, la stra­té­gie et la pla­ni­fi­ca­tion, comme une entre­prise qui four­nit des ser­vices et des pro­duits. Pour cela, un ensemble de mis­sions réga­liennes – ni de droite ni de gauche – finan­cées par le bud­get de l’É­tat et réa­li­sées par ses ser­vices cen­traux et régio­naux sont incontournables :. 

  • obser­ver et mesu­rer l’é­tat de san­té des popu­la­tions, les com­por­te­ments sani­taires, les modes de vie, les rap­pro­cher des situa­tions démo­gra­phiques et sociales, en vue de défi­nir les besoins de soins ; 
  • rap­pro­cher l’é­pi­dé­mio­lo­gie, les res­sources médi­cales, les pres­ta­tions et trai­te­ments pour éva­luer l’ef­fi­cience des dépenses ; 
  • faire de la pré­ven­tion, de l’é­du­ca­tion et de l’in­for­ma­tion pour maî­tri­ser les com­por­te­ments indi­vi­duels à risques, réduire la pré­va­lence glo­bale, remé­dier aux inéga­li­tés d’ac­cès aux soins ; 
  • fixer les cahiers des charges et les mis­sions des per­son­nels de san­té pour répondre aux situa­tions sanitaires ; 
  • pré­voir les suites sociales consé­cu­tives aux situa­tions de dépen­dance de handicap ; 
  • fixer les objec­tifs d’un pro­gramme natio­nal de R & D exhaus­tif de toutes les dis­ci­plines contri­buant à la san­té (bio­lo­gie, recherche cli­nique, ges­tion, éco­no­mé­trie, éthique et droit, épi­dé­mio­lo­gie, sys­tèmes d’in­for­ma­tion, qua­li­té totale), don­ner les moyens de le réaliser ; 
  • approu­ver et contrô­ler les choix et mis­sions de l’as­su­rance maladie. 


La pla­ni­fi­ca­tion tra­duit les résul­tats de ces mis­sions. L’É­tat fixe des direc­tives qua­li­ta­tives aux agences régio­nales, maîtres d’œuvre de l’al­lo­ca­tion des res­sources et de la pré­pa­ra­tion des bud­gets. On ne traite pas la cani­cule à Cher­bourg comme à Per­pi­gnan et on doit être près du ter­rain pour bien déci­der et agir vite sans une cas­cade d’au­to­ri­sa­tions. La pla­ni­fi­ca­tion décen­tra­li­sée per­met le rééqui­li­brage entre régions, l’a­dap­ta­tion des soins aux contraintes ter­ri­to­riales, la ges­tion des per­son­nels selon les besoins, etc. 

La métho­do­lo­gie est d’u­ti­li­té publique. Com­ment pla­ni­fier et bien gérer sans les outils de mesure et d’a­na­lyse ? L’offre est une approche glo­bale des besoins de soins, de la dépense et de l’ef­fi­cience. Les déci­sions ne sont pas arbi­traires quand elles sont prou­vées, pour la pré­ven­tion et le dépis­tage, pour l’ef­fi­ca­ci­té des trai­te­ments et la com­pa­rai­son des coûts, etc. 

L’exemple du PMSI est signi­fi­ca­tif du défi­cit de métho­do­lo­gie anté­rieur. Il a été détour­né de sa fina­li­té [3, ch. 9] et n’a pas abou­ti à la tari­fi­ca­tion à la patho­lo­gie. Notre sys­tème de san­té » ne dis­pose d’au­cun sys­tème d’in­for­ma­tion lui per­met­tant de rap­pro­cher les patho­lo­gies des trai­te­ments appli­qués par les méde­cins » [3, ch. 2]. Seul un État ambi­tieux pour­ra mobi­li­ser sur le déve­lop­pe­ment métho­do­lo­gique, enjeu majeur d’une réforme sérieuse. 

À ce jour, les admi­nis­tra­tions, la CNAMTS, quelques centres de recherche détiennent une par­tie des attri­bu­tions et des com­pé­tences rela­tives aux mis­sions défi­nies ci-des­sus. On pour­rait les har­mo­ni­ser sans attendre pour créer une autre dynamique. 

Les acteurs de terrain face aux réformes

Que l’É­tat se désen­gage de l’as­su­rance mala­die ne prouve pas, bien enten­du, que la dépense sera maî­tri­sée par miracle. Mais c’est la condi­tion néces­saire d’un choc cultu­rel. Patients, pro­fes­sion­nels et régimes d’as­su­rance devront s’en­tendre direc­te­ment pour adap­ter les struc­tures de soins et leurs modes de fonc­tion­ne­ment, fixer les tari­fi­ca­tions, atteindre les objec­tifs d’ef­fi­cience et de qua­li­té. Ils ne pour­ront plus don­ner une colo­ra­tion poli­tique à leurs sur­en­chères cor­po­ra­tistes, ni se défaus­ser de leurs conflits sur l’É­tat. Il est plus facile de s’op­po­ser ensemble à l’É­tat que d’op­po­ser ouver­te­ment le méde­cin ou l’hô­pi­tal au malade. 

Si les par­ties refusent la régu­la­tion des dépenses et les choix pour y par­ve­nir, on retrouve le risque d’une méde­cine à deux vitesses, tout aus­si latent dans une poli­tique de ration­ne­ment des soins ou de régu­la­tion par le mar­ché. La fixa­tion de la tari­fi­ca­tion est le nœud gor­dien du chan­ge­ment. Le rap­port du Haut Conseil pour l’a­ve­nir de l’as­su­rance mala­die a sou­li­gné le manque d’é­qui­té et de ratio­na­li­té de la tari­fi­ca­tion admi­nis­trée [5, p. 19–20]. Il faut donc faire confiance aux acteurs de ter­rain. À l’É­tat de mon­trer son auto­ri­té par une stra­té­gie claire et cohé­rente et sa modes­tie par les limites de sa fonc­tion. Alors, le décor sera plan­té pour enga­ger les chan­ge­ments structurels. 

Le système rénové, médiation, offre de soins, tarification, régulation

Nous esquis­sons ce qui serait à déve­lop­per en cent pages, en fai­sant, hélas, l’im­passe sur les sys­tèmes d’in­for­ma­tion.

1) On ne bas­cu­le­ra pas le jour J à 0 heure de l’an­cien sys­tème au nou­veau, mais il y aura des méta­mor­phoses suc­ces­sives. Chaque étape vali­de­ra, par des expé­riences en vraie gran­deur, la fai­sa­bi­li­té de ce qui peut chan­ger. Cela suit un pro­ces­sus de R & D : concept inno­vant, pro­to­ty­page, éva­lua­tion, lan­ce­ment, industrialisation. 

2) Le concept géné­rique se des­sine pour inté­grer les pro­blé­ma­tiques de soins, de dépenses et de régu­la­tion. Un orga­nisme médi­cal OM achète aux soi­gnants et aux indus­triels des soins et des biens des­ti­nés à des patients. L’OM négo­cie les prix d’a­chat et la tari­fi­ca­tion de l’offre – donc agit sur le finan­ce­ment glo­bal des agents, fac­ture le rem­bour­se­ment des frais au régime obli­ga­toire (RO) et aux régimes com­plé­men­taires (RC) et au patient le solde à sa charge. Créer plu­sieurs OM per­met une mise en concur­rence en matière de qua­li­té et de coût et peut trai­ter des pro­blé­ma­tiques par­ti­cu­lières de région, d’é­pi­dé­mio­lo­gie, de pré­ven­tion. L’É­tat, RO et RC décident de la qua­li­fi­ca­tion de l’OM sur la base d’un cahier des charges, véri­fient que ses res­sources médi­cales sont cohé­rentes avec les choix poli­tiques et la pla­ni­fi­ca­tion régio­nale. L’OM applique une charte éthique et s’en­gage sur un volume cri­tique de soins ache­tés et four­nis. Les OM sont ouverts à tous, sans dis­cri­mi­na­tion, res­tent stric­te­ment à but non lucra­tif, ce qui ne veut pas dire sans rigueur de ges­tion ! De son côté, le patient s’ins­crit à l’OM de son choix, plei­ne­ment infor­mé sur le contrat et la des­crip­tion de l’offre de soins. Il s’en­gage pour une durée pré­cise et peut ne pas renou­ve­ler le bail. Les hôpi­taux de sta­tut public, tout en conser­vant ce sta­tut et leur indé­pen­dance médi­cale, ne reçoivent plus de dota­tion publique, mais doivent vendre leurs ser­vices aux OM. Média­teur entre les patients, les soi­gnants et les payeurs, l’OM voit sa mis­sion ambi­tieuse se des­si­ner autour de cri­tères d’ac­tion, de choix micro-éco­no­miques et de redis­tri­bu­tion macroé­co­no­mique (voir 5). 

Il y a un maître d’ou­vrage de l’as­su­rance mala­die (RO + RC) et un maître d’œuvre (OM) des soins. Il n’y a plus deux offres de soins avec deux enve­loppes finan­cières sépa­rées, la dota­tion des hôpi­taux par l’É­tat et celle des libé­raux par la CNAMTS. Cela ratio­na­lise l’offre et c’est stra­té­gique en vue de la régulation. 

3) Les cri­tères d’ac­tion sont por­teurs de nou­veaux modes de fonc­tion­ne­ment, d’une effi­cience médi­cale supé­rieure et d’une chasse sys­té­ma­tique aux abus.

Le patient sou­mis à un dépis­tage de can­cer, par exemple, ne doit plus faire la démarche actuelle : géné­ra­liste, spé­cia­liste, ana­lyses, ima­ge­rie, biop­sie, en sol­li­ci­tant lui-même les soi­gnants (en fait il ne connaît que le pre­mier) pour fixer des ren­dez-vous. Il aura un gui­chet unique de » filière de soins » consti­tuée de soi­gnants accré­di­tés et coor­don­nés par l’OM qui achète les médi­ca­ments rem­bour­sables, choi­sit les bonnes offi­cines et leur confie le sui­vi de pres­crip­tion et la iatro­gé­nie, les labo­ra­toires et hôpi­taux, les soi­gnants libé­raux encou­ra­gés à l’é­va­lua­tion des pra­tiques au sein de l’OM. Tout cela relève du bon sens et de la rigueur à échelle humaine dans la rela­tion client-soi­gnants. Natu­rel­le­ment, le réseau de gui­chets et de soi­gnants est ouvert 24 heures sur 24, sait prendre en charge les urgences de ses patients pour trou­ver le méde­cin ou l’hô­pi­tal, faire le néces­saire pour obte­nir les ren­dez-vous. L’OM contrôle les jus­ti­fi­ca­tions de frais et refuse de payer des fac­tures incon­si­dé­rées, car le patient n’a pas prise sur les pres­ta­taires. Peut-il refu­ser de régler des actes injus­ti­fiés ou une jour­née de bloc opé­ra­toire pour une inter­ven­tion ambu­la­toire d’une demi-heure ? Il sera traî­né devant les tri­bu­naux par les frau­deurs qui auront gain de cause. Il faut médi­ter ces pro­pos d’un direc­teur de cli­nique : » La fac­ture envoyée à la Sécu ne vous regarde pas, ce n’est pas vous qui payez. »

4) La gamme de tarifs res­sort de cri­tères de choix microé­co­no­miques pour conve­nir d’une poli­tique des reve­nus des soi­gnants et d’une régu­la­tion des dépenses. L’OM fera accré­di­ter ses tari­fi­ca­tions par les RO et RC. Les soi­gnants ne peuvent qu’adhé­rer à la négo­cia­tion bila­té­rale d’une tari­fi­ca­tion souple et diver­si­fiée alors qu’ils étaient en tari­fi­ca­tion admi­nis­trée impo­sée. On connaît les for­mules pos­sibles pour rému­né­rer les soi­gnants : paie­ment à l’acte (pour tous les soins ambu­la­toires, hôpi­taux publics inclus), à la patho­lo­gie (pas appli­quée en France mais beau­coup aux États-Unis), à l’ac­ti­vi­té pour le bud­get des éta­blis­se­ments de soins depuis 2004, à la capi­ta­tion, paie­ment for­fai­taire d’un soi­gnant pour tous les actes dis­pen­sés à une per­sonne. On peut prendre un exemple. En région rurale peu peu­plée, à domi­nante de per­sonnes âgées, il faut main­te­nir le lien du méde­cin de famille – ailleurs aus­si -, évi­ter le déla­bre­ment de la san­té des plus dému­nis et des iso­lés, encou­ra­ger les méde­cins à s’y ins­tal­ler. Plu­tôt que le paie­ment à l’acte, on va pro­po­ser une capi­ta­tion inci­ta­tive aux géné­ra­listes, afin qu’ils suivent leurs patients régu­liè­re­ment. Cela peut s’é­tendre par­tout à la géria­trie, au dia­bète, à l’é­pi­lep­sie, aux soins den­taires, c’est-à-dire à ce qui est récur­rent et cou­rant (effet de masse). La for­mule ne doit pas être aus­si favo­rable pour les grandes villes que pour les hameaux et les com­munes pauvres, et doit avoir des retom­bées de régu­la­tion. À l’in­verse, pour les mala­dies coû­teuses, la tari­fi­ca­tion à la patho­lo­gie devien­dra iné­luc­table. Une tari­fi­ca­tion est faite pour évo­luer en fonc­tion de cri­tères prou­vés, comme la diver­si­té et la com­plexi­té des patho­lo­gies, la qua­li­té des soins, les condi­tions d’exercice. 

5) Les dota­tions bud­gé­taires actuelles sont fonc­tion de la den­si­té de l’offre de soins, ce qui attri­bue plus d’argent par habi­tant pour les régions riches les plus consom­ma­trices de soins, alors que l’on veut plus d’é­ga­li­té dans l’ac­cès aux soins et moins de dés­équi­libre de la den­si­té de soi­gnants. Les res­sources inutiles ou inven­dables doivent dis­pa­raître. L’en­semble des OM per­met une redis­tri­bu­tion macro-éco­no­mique posi­tive entre patients, entre soi­gnants et entre régions, la diver­si­té des tari­fi­ca­tions et la nature des besoins de soins risquent de le faire éga­le­ment, mais dans un sens négatif.

Il faut évi­ter le sur­nombre de pôles d’ex­cel­lence hos­pi­ta­liers qui se ferait au détri­ment des patho­lo­gies cou­rantes moins rému­né­rées et de l’ac­cueil des malades dépen­dants. Chaque OM doit avoir un réseau com­plet d’é­ta­blis­se­ments et de méde­cine ambu­la­toire pour tous les besoins, régu­ler la dépense, mais aus­si empê­cher les dés­équi­libres endo­gènes de l’offre. On ne fera de trans­plan­ta­tions ou de fécon­da­tion in vitro que dans un nombre très limi­té de pôles. De sur­croît, il faut revoir la situa­tion finan­cière latente des RC : s’il est clair que la dépense natio­nale peut et va bais­ser et que RO en béné­fi­cie­ra, il y a un risque de redis­tri­bu­tion entre RC selon que les par­ti­cu­liers et les contrats d’en­tre­prises choi­si­ront tel ou tel OM. Aux RC de s’y pré­pa­rer, dans une saine approche de concurrence. 

6) On ne par­le­ra des per­son­nels des OM que pour dire qu’ils feront des métiers d’in­gé­nie­rie médi­cale, de sys­tèmes d’in­for­ma­tion, des achats, de l’or­ga­ni­sa­tion et du service. 

Pour conclure sur un mes­sage au lec­teur, celui-ci aura com­pris le triple sou­ci de l’auteur : 

  • mon­ter et mon­trer le puzzle de la vérité ; 
  • refu­ser le para­digme de l’é­chec et la fata­li­té de l’impuissance ; 
  • esquis­ser ce qui est le coup d’en­voi de la rénovation. 


Il faut dire la véri­té et avoir le cou­rage de regar­der les obs­tacles pour les fran­chir avec cœur et intelligence. 

Références bibliographiques

[1] Régu­la­tion du sys­tème de san­té. Rap­port du Conseil d’a­na­lyse éco­no­mique. Michel MOUGEOT, Béa­trice MAJNONI D’INTIGNANO, Tony ATKINSON, Yves DIMICOLI, Jean-Jacques ROSA, Domi­nique BUREAU, Laurent CAUSSAT, Domi­nique HENRIET, Jean-Charles ROCHET. La Docu­men­ta­tion Fran­çaise. 1999.
[2] La lettre du fonds CMU. Juillet 2004.
[3] Éco­no­mie de la san­té. Béa­trice MAJNONI D’INTIGNANO, avec la col­la­bo­ra­tion de Phi­lippe ULLMANN. THEMIS. PUF. Édi­tion 2001.
[4] Éva­lua­tion de l’ef­fi­cience du sys­tème de soins fran­çais. Annexe au rap­port 1. Fré­dé­ric RUPPRECHT.
[5] Régu­la­tion et inter­ven­tion publique dans les sys­tèmes de san­té. Domi­nique HENRIET, Jean-Charles ROCHET (en annexe de [1]).

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