Un pari technique et une rupture commerciale

Dossier : LES TRENTE ANS DU TGVMagazine N°671 Janvier 2012
Par Jean-Marie METZLER (62)

Le pro­duit grande vitesse mis en place en sep­tembre 1981 était l’héritier des tout nou­veaux efforts com­mer­ciaux de la SNCF : sou­ci de connaître son mar­ché, d’identifier les com­por­te­ments de ses clients. Là était le chan­ge­ment majeur, pour une entre­prise jusqu’alors plu­tôt sou­cieuse de sa per­fec­tion tech­nique et opérationnelle.

REPÈRES
Un cer­tain nombre d’objectifs com­mer­ciaux ont été défi­nis dès l’origine : com­po­si­tion fixe des trains, avec la pos­si­bi­li­té de réunir deux rames conduites par un même conduc­teur et de dou­bler ain­si l’offre d’un horaire don­né ; deux classes pour démo­cra­ti­ser réso­lu­ment la vitesse ; fré­quence éle­vée des des­sertes ; nombre limi­té d’arrêts inter­mé­diaires ; irri­ga­tion du ter­ri­toire par les pro­lon­ge­ments des cir­cu­la­tions TGV sur lignes conven­tion­nelles ; réser­va­tion obli­ga­toire, pour garan­tir non pas un billet, mais une place assise dans le train.

Une offre qui n’a cessé d’évoluer

La vitesse était l’un des consti­tuants de la « pro­messe ». Deux cent soixante kilo­mètres par heure per­met­taient, en 1983, les deux heures Paris-Lyon pro­mises. En 1989, 300 km/h ont mis Paris à trois heures de Bor­deaux, puis Mar­seille en 2001. En 2007, enfin, 320 km/h relient Paris à Stras­bourg en deux heures et vingt minutes.

Le TGV a gagné en moyenne 10 km/h tous les quatre ans

Chaque pro­gramme, « Sud- Est », « Atlan­tique », « Nord », « Médi­ter­ra­née », « Est », a mar­qué un pro­grès. Le confort est amé­lio­ré : sus­pen­sion, sièges, atté­nua­tion des sur­pres­sions à l’entrée des tun­nels ; aug­men­ta­tion de l’espace phy­sique offert aux voya­geurs ; espaces diver­si­fiés, nur­se­ry, faci­li­tés pour han­di­ca­pés ; espaces famille. Le TGV à étage offre des espaces de tran­quilli­té à son niveau inférieur.

Deux mille kilomètres de lignes nouvelles

En trente ans, près de 2000 km de lignes nou­velles ont été construites. Réseau d’abord en étoile, avec Paris pour centre.

Six capi­tales européennes
Le TGV ne s’est pas can­ton­né à la France, il s’est aven­tu­ré vers de nou­veaux ter­ri­toires : Euros­tar vers Londres et Tha­lys vers l’Europe du Nord proche. Six grandes capi­tales euro­péennes sont ain­si reliées entre elles par un ser­vice TGV.

Puis liai­sons « pro­vince-pro­vince » qui contournent Paris et Lyon, avec trois gares nou­velles, deux au large de Paris et une près de Lyon, les aéro­ports Rois­sy-Charles-de-Gaulle et Lyon-Saint-Exu­pé­ry étant des­ser­vis « au pied des pistes ».

Les clients ont plé­bis­ci­té l’offre : la somme de ces tra­fics « inter­sec­teurs » ne pas­sant pas par les gares pari­siennes ou lyon­naises est égale au tra­fic de l’axe Paris-Médi­ter­ra­née. Der­nière exten­sion, la pre­mière ligne à grande vitesse n’ayant pas pour ori­gine ou des­ti­na­tion Paris, la ligne Rhin-Rhône.

Une rupture de stratégie commerciale

La réser­va­tion sys­té­ma­tique consti­tue le cœur de la stra­té­gie com­mer­ciale. Mais, au long des trente années d’expérience, les évo­lu­tions propres du « sys­tème de prix » de la SNCF, les per­cées dans le domaine du ser­vice au client consti­tuent tout autant d’avancées déci­sives dans le mar­ke­ting de son offre. La moder­ni­sa­tion très pro­fonde des outils infor­ma­tiques de dis­tri­bu­tion, à par­tir de 1993 à l’occasion de la mise en ser­vice du TGV Nord-Europe, a per­mis une poli­tique de vente, non plus « pré­dic­tive » (fon­dée sur les sta­tis­tiques pas­sées du mar­ché) mais « autoa­dap­ta­tive », capable de faire face à des mon­tées en charge excep­tion­nelles ou impré­vues : c’est le yield mana­ge­ment.

Accueil SNCF sur le quai
Mieux répondre aux besoins des clients et ain­si les fidé­li­ser. © V. COLIN
Une poli­tique audacieuse

La « Carte 12−25 » pour les jeunes a don­né une liber­té totale de voyage, en offrant à son béné­fi­ciaire une réduc­tion sys­té­ma­tique dès son pre­mier voyage et quelle que soit sa consom­ma­tion ulté­rieure, fré­quente ou non. Les mêmes prin­cipes ont valu pour d’autres seg­ments de clien­tèle. Le prix accep­té par le client pour un voyage est déter­mi­né aus­si par la posi­tion concur­ren­tielle du train vis-à-vis des autres modes : c’est celui-là qu’il faut offrir.
Cette poli­tique s’est ampli­fiée par l’utilisation du TGV comme arme anti low-cost avec les billets « Prem’s », véri­table prix dis­count, au suc­cès immé­diat. Ce sont les condi­tions de dis­tri­bu­tion, de vente et d’après-vente qui font de « Prem’s » un suc­cès éco­no­mique. La dis­tinc­tion entre voya­geurs occa­sion­nels (motifs pri­vés-loi­sirs) et pro­fes­sion­nels consti­tue le der­nier raf­fi­ne­ment de cette poli­tique de prix.

La SNCF a été la pre­mière com­pa­gnie fer­ro­viaire au monde à en uti­li­ser les outils et à rendre ain­si pos­sibles des prix réduits dans tous les trains, pour un nombre de places fine­ment adap­té à la demande. Avec les inévi­tables dif­fi­cul­tés – par­fois for­te­ment média­ti­sées – à modi­fier les habi­tudes, ran­çon de la noto­rié­té du trans­por­teur, avec, pour res­ter francs, quelques insuf­fi­sances tech­niques aus­si, mais vite cor­ri­gées, le tra­fic TGV aug­men­ta, les recettes aus­si. Le taux moyen d’occupation, para­mètre clé de la ren­ta­bi­li­té du sys­tème, est le plus grand en Europe. C’est sur­tout un avan­tage stra­té­gique pour résis­ter habi­le­ment à la concurrence.

Rem­plir les trains creux
Des tarifs adap­tés au mar­ché attirent la clien­tèle, et de plus en plus. On estime, par exemple, que le rem­plis­sage des « trains creux » apporte, en dépit des prix réduits consen­tis, au moins 2 à 3% de recettes supplémentaires.

La SNCF a déjà fait face à l’arrivée des com­pa­gnies aériennes low-cost sur le mar­ché inté­rieur. Elle a, dans ce contexte concur­ren­tiel, mal­gré la hausse des péages d’infrastructure de la der­nière décen­nie, réus­si à main­te­nir des niveaux de prix en moyenne 30 % infé­rieurs à ceux des voi­sins européens.

Rendre pos­sibles des prix réduits dans tous les trains, tout en aug­men­tant les recettes

Le succès de la différenciation

Mieux répondre aux besoins des clients, et ain­si les fidé­li­ser, faire venir de nou­veaux clients au train en leur don­nant l’envie du voyage. C’est cette double ambi­tion qui a gui­dé la concep­tion et le lan­ce­ment de « iDTGV ». C’est un pro­duit à prix bas parce que les condi­tions de sa pro­duc­tion tech­nique et de sa dis­tri­bu­tion le per­mettent. Mais il offre des ser­vices plus som­maires que ceux pro­po­sés aux clients traditionnels.

Maîtriser la distribution

La maî­trise de la dis­tri­bu­tion est cri­tique pour le trans­por­teur : en pre­mier lieu par la part que revêt la vente dans la chaîne de coût de revient, à côté d’autres fac­teurs plus immé­dia­te­ment per­çus tels le coût de la conduite, la main­te­nance du maté­riel et de l’infrastructure, mais peut-être sur­tout par la maî­trise du contact avec le client final que per­met un outil aux décli­nai­sons adap­tées au mar­ché. Le suc­cès du site voyages-sncf.com est la démons­tra­tion écla­tante de la « valeur » de cet actif : pre­mier site Inter­net mar­chand de France, c’est lui qui per­met une dis­tri­bu­tion éco­no­mique de pro­duits tels que « iDTGV ». C’est l’outil de dis­tri­bu­tion, véri­table sys­tème d’information, qui per­met les « sophis­ti­ca­tions » de la fidé­li­sa­tion du client, la connais­sance de ses habi­tudes et l’appréhension de ses besoins.

Contrôle aimable à bord du TGV
Le taux moyen d’occupation est le plus grand en Europe. © MÉDIATHÈQUE SNCF
Un sym­bole persistant

Il n’est pas cer­tain qu’il soit tou­jours judi­cieux de sous-uti­li­ser un maté­riel sophis­ti­qué pour rou­ler à la vitesse d’un TER deve­nu confor­table et rapide. C’est une ques­tion dif­fi­cile, tant l’attachement de nos conci­toyens à une des­serte directe TGV de leur ville, même sym­bo­lique par­fois, s’est conso­li­dé au fil du temps. La par­ti­ci­pa­tion recher­chée des col­lec­ti­vi­tés locales au finan­ce­ment d’investissements dans des lignes nou­velles leur donne aus­si à l’évidence un droit tout par­ti­cu­lier à ce que leurs inté­rêts soient pris en compte par les exploi­tants ulté­rieurs. Ques­tion à l’évidence déli­cate, mais pro­blème posé… qui doit trou­ver une solu­tion pour la péren­ni­té même du modèle fran­çais de la grande vitesse.

Prolonger les dessertes

Il faut, pour la pro­chaine décen­nie, revoir le modèle éco­no­mique du TGV et, par le ser­vice, pas­ser du meilleur des trans­ports au meilleur des voyages. La hausse récente des péages d’infrastructure, déjà évo­quée, oblige à réflé­chir à l’une des com­po­santes du modèle TGV : la pro­lon­ga­tion des des­sertes sur lignes clas­siques. Dès l’origine, elle a par­fai­te­ment joué son rôle d’innervation du territoire.

L’outil de dis­tri­bu­tion per­met la fidé­li­sa­tion du client

Les choses ont évi­dem­ment beau­coup chan­gé en trente ans, à com­men­cer par le déve­lop­pe­ment des des­sertes régio­nales, main­te­nant très denses, très sou­vent même caden­cées au moins en cer­tains points du ter­ri­toire, le confort tout rela­tif des auto­rails d’antan n’étant, lui, qu’un sou­ve­nir qui s’estompe heureusement.

Fluidifier le voyage

Le deuxième enjeu est pro­pre­ment mar­ke­ting : com­ment doit évo­luer, être énon­cée, concré­ti­sée, la « pro­messe » de base, celle de la flui­di­té du voyage ?

Les attri­buts du « transversal »
La pre­mière branche de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône a lan­cé la nou­velle stra­té­gie de ser­vice. C’est la pre­mière ligne véri­ta­ble­ment « trans­ver­sale », trait d’union de l’Europe du Nord avec la façade médi­ter­ra­néenne du conti­nent, avec des « attri­buts » spé­ci­fiques. Des dépla­ce­ments longs coexistent avec des dépla­ce­ments plus courts, qui ne requièrent pas les mêmes ser­vices. Rhin-Rhône per­met de dif­fé­ren­cier les espaces « calmes » de ceux des­ti­nés aux voyages plus courts.

La SNCF se pro­pose de pro­gres­ser pour deve­nir une entre­prise « au ser­vice » du client, en gare et à bord des trains. Cela recouvre le sou­ci du voyage de bout en bout, c’est-à-dire trai­ter toutes les étapes du client, de la pré­pa­ra­tion de son voyage à son arri­vée à des­ti­na­tion. Plus d’un client sur deux achète aujourd’hui son billet par un canal de vente à dis­tance ou auto­ma­ti­sé. L’accès du client à l’information par les moyens modernes de connexion, directs, immé­diats et indi­vi­dua­li­sés, exige une com­pé­tence extrême de la part des per­son­nels en contact. Com­ment pré­pa­rer et pro­fes­sion­na­li­ser la ren­contre client-agent ? Pour rele­ver ce défi, une « Uni­ver­si­té du ser­vice » a été créée, à la fois lieu de for­ma­tion, de réflexion et de recherche. Enfin, l’aménagement inté­rieur prend en compte de plus en plus chaque typo­lo­gie de client.

Aménagement de 2e classe par Christian Lacroix.
Amé­na­ge­ment de 2e classe par Chris­tian Lacroix.
L’aménagement inté­rieur prend en compte chaque typo­lo­gie de client.
© C. RECOUVRAT

Le futur européen

Pas­ser du meilleur des trans­ports au meilleur des voyages

« Rhin-Rhône », qui vient de s’ouvrir, sou­ligne bien que l’horizon du TGV est l’Europe. Rhin- Rhône offre un ser­vice qui relie en fait les pays du Nord, à com­men­cer par les rive­rains du Rhin, à l’arc médi­ter­ra­néen. Cette Europe qui se construit va per­mettre à des acteurs fer­ro­viaires nou­veaux d’intervenir en dehors de leurs ter­ri­toires d’origine, ou sans ter­ri­toire propre d’ailleurs.

La SNCF fonde ses efforts sur la convic­tion que la per­fec­tion du pro­duit TGV, la manière dont il a su évo­luer pour amé­lio­rer ses per­for­mances, satis­faire des besoins et des contraintes incon­nus à l’origine, se mettre au ser­vice du client, parce qu’on a pris la peine de l’écouter, sont les plus sûrs garants stra­té­giques de son avenir.

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