Un défi pour le XXIe siècle : satisfaire les besoins des générations futures

Dossier : Libres proposMagazine N°561 Janvier 2001
Par Jacques BOURDILLON (45)

Une certitude

Une certitude

Nous serons 8 à 10 mil­liards d’hu­mains vers le pre­mier tiers du XXIe siècle (2 à 4 mil­liards d’ha­bi­tants sup­plé­men­taires). Cer­tains pensent que la pla­nète ne sera pas capable de leur faire une place et de les nour­rir, et craignent l’ar­ri­vée de ces nou­veaux pol­lueurs, de ces chô­meurs poten­tiels. Un grand éco­lo­giste amé­ri­cain a même pro­po­sé de réduire de façon dras­tique la popu­la­tion mon­diale (en lais­sant faire les guerres et les épidémies !).

Ce n’est pas la pre­mière fois que l’on estime la pla­nète trop petite pour les hommes : on l’a­vait déjà dit quand nous avons pas­sé le cap du mil­liard, puis des 2 mil­liards… Nous sommes désor­mais 6 mil­liards, avec davan­tage de confort, une nour­ri­ture plus saine, une espé­rance de vie plus longue (même si ces amé­lio­ra­tions sont, trois fois hélas, beau­coup trop inéga­le­ment réparties !).

Le prin­ci­pal devoir de notre géné­ra­tion c’est cer­tai­ne­ment d’a­mé­na­ger la pla­nète en fonc­tion des besoins des géné­ra­tions futures qui seront plus nom­breuses (donc plus polluantes).

Notre maître-mot, c’est la soli­da­ri­té : elle doit à l’é­vi­dence s’exer­cer entre les riches et les pauvres, entre les pays du Nord et ceux du Sud, pour l’in­té­rêt géné­ral contre les inté­rêts par­ti­cu­liers (il y a beau­coup à faire à cet égard). Mais il me semble qu’elle doit aus­si (prio­ri­tai­re­ment peut-être ?) s’exer­cer entre la géné­ra­tion actuelle et les géné­ra­tions futures.

Qu’al­lons-nous donc leur léguer ? des dettes ? le soin de s’oc­cu­per de nos retraites ? des res­sources fos­siles réduites par nos pré­lè­ve­ments exces­sifs ? (ce qui les pri­ve­rait de la pos­si­bi­li­té d’en dis­po­ser à leur tour), un envi­ron­ne­ment dégra­dé ? (notam­ment dans le domaine du cli­mat), des res­sources ali­men­taires insuf­fi­santes ? (en quan­ti­té, en qua­li­té et en prix bas), une mobi­li­té réduite en rai­son d’in­ves­tis­se­ments trop faibles dans les trans­ports ? Ou au contraire un patri­moine enri­chi par rap­port à celui que nous avons reçu, la pos­si­bi­li­té de satis­faire tous leurs besoins dans un envi­ron­ne­ment meilleur.

Bien nourrir les hommes sans dégrader l’environnement

Le besoin de nour­rir conve­na­ble­ment les hommes du XXIe siècle est impor­tant et tout laisse pen­ser qu’il faut com­men­cer très vite à s’en occuper.

Il s’a­git d’un triple besoin : une nour­ri­ture de qua­li­té, en quan­ti­té suf­fi­sante, et à des prix abordables.

Il concerne l’en­semble de la pla­nète et doit être satis­fait d’a­bord par le déve­lop­pe­ment des pro­duc­tions locales (mieux adap­tées au goût des béné­fi­ciaires), ce qui n’ex­clut abso­lu­ment pas le recours à des impor­ta­tions à par­tir de pays capables de pro­duire plus qu’ils ne consomment.

Appa­raissent alors trois difficultés :

  • la pre­mière, le pro­duc­teur veut vendre le plus cher pos­sible, alors que le consom­ma­teur (qui n’est pas for­cé­ment riche) recherche des prix bas ;
  • la seconde, il faut pro­duire une nour­ri­ture de meilleure qua­li­té et plus abon­dante avec des sur­faces culti­vées sen­si­ble­ment réduites (du fait de l’ex­ten­sion des zones urbaines, de la bio­masse, et de la déser­ti­fi­ca­tion) : il faut donc conti­nuer à aug­men­ter les ren­de­ments et non pas les réduire ;
  • la troi­sième : cette crois­sance, il faut l’ob­te­nir sans dégra­der l’en­vi­ron­ne­ment (et même, car c’est pos­sible, en l’améliorant).


Le recours aux OGM s’im­po­se­ra tôt ou tard : nous en aurons besoin à la fois pour l’a­mé­lio­ra­tion de l’en­vi­ron­ne­ment, de la qua­li­té des pro­duits, des ren­de­ments, et pour conqué­rir de nou­velles sur­faces culti­vables. Ils per­met­tront en effet une réduc­tion sub­stan­tielle du recours aux her­bi­cides et aux engrais, la créa­tion de varié­tés ayant une saveur nou­velle, offrant une meilleure pro­duc­ti­vi­té ou sus­cep­tibles de croître sur des sols salés.

Il est donc urgent de déve­lop­per lar­ge­ment l’ex­pé­ri­men­ta­tion sur les OGM, au lieu de mul­ti­plier les obs­tacles pour ten­ter de l’in­ter­dire, fai­sant ain­si le jeu des Amé­ri­cains. Si l’Eu­rope ne fait rien, les États-Unis vont être en posi­tion de mono­pole quand le besoin se fera sen­tir. Or les nou­veaux « croi­sés anti­mal­bouffe » (libé­raux quand il s’a­git de leurs pro­duits mais pro­tec­tion­nistes contre ceux des autres) sont idéo­lo­gi­que­ment oppo­sés aux OGM, alors qu’il n’existe pas le moindre com­men­ce­ment d’une preuve que leur consom­ma­tion pour­rait être nui­sible à la santé.

N’ou­blions pas qu’au XVIe siècle nos ancêtres n’ont pas eu l’im­pres­sion de prendre le moindre risque en déci­dant, encou­ra­gés par Par­men­tier, contre une opi­nion publique déchaî­née, d’im­por­ter en Europe des espèces amé­ri­caines : maïs et pomme de terre.

Il fau­dra se don­ner les moyens de régler le vaste pro­blème de l’eau : on sait que les besoins de l’a­gri­cul­ture sont consi­dé­rables com­pa­rés à ceux des ménages et à ceux de l’in­dus­trie, or la pro­duc­tion d’a­li­ments issus de l’a­gri­cul­ture va être en forte crois­sance, il est donc pro­bable qu’il fau­dra à la fois amé­lio­rer les tech­niques d’ir­ri­ga­tion (pour éco­no­mi­ser l’eau) et accroître les sur­faces irri­guées. S’il faut accroître les res­sources, le recours à la désa­li­ni­sa­tion n’est évi­dem­ment pas à exclure ce qui sup­po­se­rait une éner­gie abon­dante et bon mar­ché (qui ne pour­ra être trou­vée que par le nucléaire).

Loger et transporter les hommes au XXIe siècle

« Au XXIe siècle notre pla­nète va conti­nuer de se peu­pler et de s’ur­ba­ni­ser », le phé­no­mène sera très impor­tant dans les pays du Sud encore plus que dans ceux du Nord, et si nous ne nous occu­pons pas dès main­te­nant de l’or­ga­ni­ser, nos des­cen­dants risquent d’en pâtir cruellement.

Urba­ni­sa­tion : pen­ser, orga­ni­ser mettre en œuvre pour le XXIe siècle une urba­ni­sa­tion beau­coup plus impor­tante que celle (pour­tant consi­dé­rable) que nous avons connue au XXe siècle est une des tâches les plus exal­tantes qui nous soient pro­po­sées. C’est pro­ba­ble­ment aus­si l’une des plus impor­tantes car s’il est dif­fi­cile et coû­teux de remo­de­ler des villes exis­tantes, il est pro­ba­ble­ment plus facile d’or­ga­ni­ser l’ur­ba­ni­sa­tion nou­velle. Plus facile, mais cer­tai­ne­ment très coû­teux : rai­son de plus pour don­ner à cette pour­suite de l’ur­ba­ni­sa­tion la prio­ri­té qu’elle mérite.

En 1900, les pays sous-déve­lop­pés comp­taient une popu­la­tion urbaine de 100 mil­lions d’ha­bi­tants, soit les 23 de celle de l’en­semble des pays déve­lop­pés, aujourd’­hui, ces mêmes pays ont une popu­la­tion urbaine de 2 300 mil­lions, soit 2,5 fois celle des pays déve­lop­pés… Vou­loir frei­ner les migra­tions et la crois­sance urbaine de ces pays n’a pas plus de sens que d’y prô­ner la crois­sance zéro. Depuis l’ac­cès aux indé­pen­dances, la popu­la­tion urbaine des pays afri­cains a plus que décu­plé, et il faut s’at­tendre main­te­nant à un quadruplement.

Trans­ports : urba­ni­sa­tion ne va pas sans trans­ports (fret et voya­geurs, urbains et inter­ur­bains). Il n’est pas ques­tion de contraindre ces géné­ra­tions futures à la réduc­tion de mobi­li­té que cer­tains envi­sagent. Pour moi mobi­li­té est syno­nyme de liber­té, et l’on sait com­ment les pays tota­li­taires du xxe siècle ont sup­pri­mé la liber­té en rédui­sant voyages et dépla­ce­ments. Or les trans­ports (notam­ment rou­tiers) sont consom­ma­teurs d’éner­gie et émet­teurs de pro­duits pol­luants, dont le CO2. Une cam­pagne d’o­pi­nion contre les trans­ports (notam­ment le trans­port rou­tier) est enga­gée avec des slo­gans sim­plistes et sots tels que « la ville sans voi­ture ». Des opé­ra­tions sont en cours pour » réduire les capa­ci­tés rou­tières par rétré­cis­se­ment des espaces dis­po­nibles « . Or il existe des moyens effi­caces pour dimi­nuer la consom­ma­tion et les émis­sions pol­luantes en agis­sant sur les moteurs et sur les carburants.

Den­si­té urbaine : un gra­phique célèbre de New­man and Ken­wor­thy com­pare pour les grandes villes mon­diales la den­si­té (en hab/ha) à la consom­ma­tion éner­gé­tique (en tep/hab). Il montre que les villes les plus denses sont aus­si les plus éco­nomes en éner­gie et qu’en ce qui concerne l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique des trans­ports, on peut pré­fé­rer la solu­tion « Hong-Kong » qui offre à la fois des espaces verts, des auto­routes urbaines, un métro qui fonc­tionne, et des ascen­seurs, à la solu­tion « Los Angeles » qui pro­pose la solu­tion inverse… Ceci étant dit, la ten­dance géné­rale des grandes villes, lar­ge­ment sou­te­nue par les milieux éco­lo­gistes, est à la réduc­tion de la den­si­té (notam­ment à Paris). Si cette ten­dance se confirme et se pour­suit, le déve­lop­pe­ment de la voi­ture indi­vi­duelle sera favo­ri­sé. Si l’on veut en outre convaincre les auto­mo­bi­listes pari­siens de prendre le métro, peut-être fau­drait-il aus­si leur don­ner quelques garan­ties sur la conti­nui­té du ser­vice public, refu­sée en France au nom du droit de grève, alors qu’elle existe dans d’autres pays d’Eu­rope (dont l’Italie).

Les pers­pec­tives offertes par la voi­ture élec­trique et par les piles à com­bus­tible sont inté­res­santes à moyen terme. Il fau­dra donc des cen­trales élec­triques nou­velles pour ali­men­ter les accus ou fabri­quer l’hy­dro­gène. Seront-elles nucléaires ou consom­ma­trices d’un peu plus d’éner­gie fossile ?

Rail et route, l’exemple du fret : nom­breux sont ceux qui ne com­prennent pas les rai­sons de la fai­blesse de la part de mar­ché du rail : 16 % des TK (tonnes kilo­mé­triques) contre 75 % pour la route (le reste pour les voies navi­gables et les oléo­ducs). Or sur cer­tains axes rou­tiers les usa­gers se plaignent des encom­bre­ments dus aux poids lourds. Mais le trans­port d’une TK par camion néces­site 100 g d’é­qui­valent pétrole contre 25 g par le train. En outre la source d’éner­gie du fer­ro­viaire étant prin­ci­pa­le­ment (en France) l’élec­tri­ci­té nucléaire ce mode de trans­port ne consomme presque pas d’éner­gie fos­sile et n’é­met pas de gaz car­bo­nique ! Les char­geurs seraient-ils maso­chistes ? En fait cette pré­sen­ta­tion est inexacte parce que par­tielle : beau­coup d’autres élé­ments (presque tou­jours occul­tés) sont à prendre en consi­dé­ra­tion, et ils sont tous favo­rables à la route.

La sou­plesse du trans­port rou­tier doit être com­pa­rée à la rigi­di­té du trans­port fer­ro­viaire. Les trans­ports se font d’un point à un autre et non d’une gare à une autre (un trans­port rou­tier de pré et pos­ta­che­mi­ne­ment est donc tou­jours néces­saire, ce qui implique deux chan­ge­ments de mode coû­teux en temps et en argent). La dis­tance moyenne des trans­ports rou­tiers est de 44 km pour compte propre, et de 131 pour compte d’au­trui, les 23 des TK trans­por­tées le sont sur moins de 300 km : on ne change pas de mode pour une faible distance.

L’ir­ri­ga­tion du ter­ri­toire se fait par 900 000 km de routes (10 000 km d’au­to­routes) et 30 000 km de rail (15 000 élec­tri­fiés). La SNCF a tou­jours don­né la prio­ri­té aux voya­geurs et peu inves­ti dans le fret : depuis vingt ans on parle sans beau­coup agir de mettre les cor­ri­dors de fret au gaba­rit B+… Ceci étant dit, la sub­sti­tu­tion du rail à la route peut et doit être envi­sa­gée dans des cas bien pré­cis : le fer­rou­tage sur les axes à fort tra­fic et à longue dis­tance, les navettes fer­ro­viaires pour fran­chir un détroit ou une chaîne de mon­tagnes. Mais elle n’est pas géné­ra­li­sable sur une grande échelle.

La question du climat

Faut-il s’in­quié­ter de la menace qui pèse sur le cli­mat en rai­son des rejets anthro­piques de CO2 ?

Il n’y a pas sur ce point l’u­na­ni­mi­té des scien­ti­fiques, et cer­tains pensent même que les modi­fi­ca­tions en cours seront béné­fiques. Mais si l’on prend cette menace au sérieux, on peut pen­ser qu’il est déjà bien tard pour s’en pré­oc­cu­per, compte tenu de la très grande iner­tie du sys­tème cli­ma­tique. Cer­tains ont pu dire que la grande catas­trophe éco­lo­gique de notre époque ce n’é­tait pas d’a­voir fait appel à l’éner­gie nucléaire, mais d’a­voir inter­rom­pu dans les années quatre-vingt les pro­grammes qui auraient per­mis d’é­vi­ter la crois­sance consi­dé­rable des émis­sions de gaz carbonique.

Quoi qu’il en soit il faut main­te­nant agir vite et fort, et l’on peut craindre que le pro­to­cole de Kyo­to, qui pré­voit pour l’en­semble des pays signa­taires une réduc­tion de 5,2 % dont 8 % pour les pays d’Eu­rope occi­den­tale et qui n’est tou­jours pas en appli­ca­tion quatre ans après sa signa­ture, ne soit pas à la hau­teur du pro­blème posé. Peu importe alors que la confé­rence de La Haye ait été un échec. Com­ment peut-on pen­ser en effet qu’une aus­si modeste réduc­tion puisse pro­vo­quer même un modeste ralen­tis­se­ment du réchauf­fe­ment de la pla­nète ? Pour être effi­cace, c’est 30 % à 40 % de réduc­tion qu’il fau­drait réaliser.

Le refus idéo­lo­gique du nucléaire n’est-il pas alors un mau­vais coup pour le climat ?

Il faut mettre en lumière les contra­dic­tions alle­mandes et danoises : ces pays veulent à la fois sor­tir du nucléaire et réduire de 20 % leurs émis­sions de CO2 ! En France, nous y échap­pons grâce au nucléaire, nous devrions, au lieu d’en avoir honte, être fiers de notre effi­ca­ci­té et le dire !

Les pos­si­bi­li­tés des éner­gies renou­ve­lables ne sont-elles pas surestimées ?

Le Dane­mark a four­ni un effort consi­dé­rable pour s’é­qui­per en éoliennes. Le monde entier est conscient du fait que les éoliennes danoises sont les meilleures du monde, et qu’elles sont utiles là où elles sont ins­tal­lées, mais on sait aus­si que l’éner­gie du vent n’est sus­cep­tible de sub­ve­nir qu’à une part minime des besoins. Consé­quence : la pro­duc­tion élec­trique danoise conti­nue d’être domi­née par les cen­trales ther­miques, et, mal­gré ses éoliennes, c’est le pays d’Eu­rope (après le Luxem­bourg) qui émet par habi­tant et par an le plus de gaz car­bo­nique : 12 tonnes soit 2 fois plus que la France.

Pour l’an 2050, deux scé­na­rios par­mi d’autres sont envisagés,

  • le tri­ple­ment du nucléaire : 50 mil­liards de tonnes de CO2,
  • l’a­ban­don du nucléaire : 200 mil­liards de tonnes !

Il faut aus­si se pré­oc­cu­per de l’oc­cu­pa­tion de l’es­pace, l’un des grands mérites du nucléaire, c’est qu’il ne prend que peu de place, contrai­re­ment aux éner­gies solaires et éoliennes qui mobi­lisent des sur­faces gigan­tesques si l’on veut une pro­duc­tion signi­fi­ca­tive : « 1 km2 suf­fit pour pro­duire 1 Twh par an avec une cen­trale nucléaire, au gaz ou au char­bon, contre 5 pour le pho­to­vol­taïque et 15 pour l’éo­lien ». La com­pa­rai­son a été faite dès 1995 par notre cama­rade Bru­no Com­by (80) dans son ouvrage Le nucléaire ave­nir de l’é­co­lo­gie, qui vient d’être réédi­té avec une pré­face du grand éco­lo­giste anglais James Love­lock, lequel vient de prendre posi­tion pour le nucléaire.

Ces remarques rela­ti­visent l’op­ti­misme de ceux qui croient pou­voir affir­mer que les éner­gies renou­ve­lables consti­tuent (après les éco­no­mies d’éner­gie) la deuxième marge de manœuvre pour réduire les émis­sions de CO2, alors que « la contri­bu­tion du nucléaire serait rela­ti­ve­ment négligeable ».

Les besoins éner­gé­tiques mon­diaux ne sont-ils pas sous-estimés ?

On peut pen­ser que les scé­na­rios éner­gé­tiques à long terme, pré­pa­rés par des gens émi­nents, manquent de réa­lisme et sous-estiment peut-être les besoins éner­gé­tiques mon­diaux : l’un d’entre eux pré­voit de faire pas­ser de 0,8 à 1,4 tep par tête la consom­ma­tion dans les pays en déve­lop­pe­ment alors qu’elle pas­se­rait de 4,7 à 5,5 dans les pays riches. Ce n’est pas très géné­reux, c’est même pro­pre­ment scan­da­leux. Per­sonne n’empêchera la Chine, l’Inde, l’In­do­né­sie, le Pakis­tan, le Bré­sil, les pays émer­gents, le Tiers-Monde dans son ensemble d’aug­men­ter sub­stan­tiel­le­ment leur consom­ma­tion (donc leur production).

Il est pué­ril de croire que le « bon exemple » don­né par quelques pays euro­péens aura le moindre effet sur le com­por­te­ment de pays qui aspirent à s’é­man­ci­per de la tutelle occi­den­tale, et à rat­tra­per leur retard. Ceci ne veut pas dire qu’il faut renon­cer à réduire le gas­pillage (notam­ment aux USA) : j’ap­prouve les efforts faits dans ce sens, mais il ne faut pas être naïf ! Il y a d’ailleurs d’autres besoins non satis­faits consi­dé­rables, notam­ment l’éner­gie néces­saire à la sub­sti­tu­tion pro­gres­sive du nucléaire aux com­bus­tibles fos­siles, la désa­li­ni­sa­tion de l’eau de mer sur une grande échelle, la fabri­ca­tion de l’hy­dro­gène néces­saire à la voi­ture de demain, etc.

Ne faut-il pas alors envisager un recours accru au nucléaire au niveau mondial ?

C’est la ques­tion que l’on n’ose plus poser en rai­son du ter­ro­risme intel­lec­tuel anti­nu­cléaire ambiant alors qu’elle est sur toutes les lèvres. De nom­breux scien­ti­fiques de haut rang ont pris une posi­tion favo­rable au nucléaire (je pense à Georges Char­pak, et à James Love­lock mais on pour­rait en trou­ver beau­coup d’autres).

Si nous vou­lons pour pré­ser­ver le cli­mat faire dis­pa­raître les causes anthro­piques de l’aug­men­ta­tion de l’ef­fet de serre il n’y a en l’é­tat actuel de la tech­nique qu’une seule solu­tion (qui n’ex­clut pas les éco­no­mies d’éner­gie dont Ben­ja­min Des­sus se fait l’a­pôtre) la géné­ra­li­sa­tion à la pla­nète d’une solu­tion qui a fait ses preuves en France et dont nous avons le droit d’être fiers : un recours accru à l’éner­gie nucléaire, les ser­vices ren­dus par le nucléaire sont déjà impor­tants (il évite le rejet de 2 mil­liards de tonnes de CO2 par an dont 800 mil­lions en Europe et 250 mil­lions en France).

Son poten­tiel de crois­sance est consi­dé­rable (part du nucléaire dans l’éner­gie mon­diale 6 %, dans l’élec­tri­ci­té mon­diale 17 %).

Le pro­blème du trai­te­ment et du sto­ckage des déchets nucléaires (dont le volume est très faible com­pa­ré aux autres déchets toxiques à vie longue pro­duits par l’homme) est sur le point d’être résolu.

Encore fau­drait-il se mettre au tra­vail et ces­ser de mettre des bâtons dans les roues de ceux qui ont la res­pon­sa­bi­li­té de la recherche dans ce domaine !

Si oui, quel programme proposer pour une politique énergétique favorable au climat ?

  • . Accé­lé­rer d’a­bord la recherche dans le domaine du trai­te­ment des déchets. À cet égard, nous aurions bien besoin de Super­phé­nix dont la « mise à mort sans juge­ment » a été déplo­rée par Georges Ven­dryes (La Jaune et la Rouge, août-sep­tembre 1998). Se pose­ra d’ailleurs éga­le­ment au niveau mon­dial le pro­blème rare­ment évo­qué de la résorp­tion des stocks de plu­to­nium mili­taire qui néces­si­te­ra la construc­tion de réac­teurs à neu­trons rapides adap­tés à ce problème.
  • Amé­lio­rer les réac­teurs exis­tants : déci­der enfin de réa­li­ser le nou­veau réac­teur fran­co-alle­mand (EPR) – le Sénat vient de le proposer.
  • Sti­mu­ler la recherche dans les réac­teurs à neu­trons rapides (super­phé­nix, rub­bia­tron…) pour accroître l’ef­fi­ca­ci­té des com­bus­tibles exis­tants (ura­nium et tho­rium), et brû­ler le plutonium.
  • Expor­ter nos tech­niques : reve­nons sur le pro­blème de la Chine, ce pays est sus­cep­tible de dou­bler voire de tri­pler sa pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té. Il n’est pas ima­gi­nable de lui impo­ser de bais­ser ses objec­tifs de pro­duc­tion, mais il est pos­sible de lui pro­po­ser des solu­tions alter­na­tives au niveau des moyens. Nous savons qu’elle dis­pose de res­sources char­bon­nières consi­dé­rables qu’elle vou­drait valo­ri­ser, mais que, dans le même temps, elle s’in­ter­roge sur les méfaits de la pol­lu­tion locale dans les grandes villes deve­nues vic­times du smog. Uti­li­se­ra-t-elle le char­bon, ou d’autres sources d’éner­gie, par exemple la solu­tion nucléaire ? Rai­son de plus pour construire rapi­de­ment en Occi­dent le réac­teur EPR pour pou­voir l’ex­por­ter, notam­ment en Chine.
  • . Enga­ger une recherche dans le domaine de l’ab­sorp­tion du gaz car­bo­nique (mul­ti­plier les puits).
  • Sti­mu­ler la recherche dans le domaine de la fusion, afin d’é­vi­ter un jour tout déchet. On sait très bien qu’il fau­dra encore des décen­nies pour y par­ve­nir : rai­son de plus pour com­men­cer tout de suite et pour y consa­crer beau­coup d’argent.

La question de la précaution

Le prin­cipe de pré­cau­tion est sou­vent mal com­pris, voire récu­pé­ré à des fins inavouables. Il peut conduire à l’im­mo­bi­lisme, au refus de l’in­no­va­tion donc du pro­grès, ce serait alors le prin­cipe des pusil­la­nimes. Son appli­ca­tion incon­trô­lée peut à l’in­verse conduire à rui­ner l’É­tat par des dépenses de pro­tec­tion dérai­son­nables ou dés­équi­li­brées par rap­port à celles consen­ties vis-à-vis de risques mieux connus, ce serait le prin­cipe des paranoïaques.

« Les gens croient qu’il s’a­git d’ins­tau­rer un risque zéro qu’il incom­be­rait aux États de garan­tir sous peine d’être res­pon­sables de tout acci­dent. » (Claude Allègre, Toute véri­té est bonne à dire)

Biblio­gra­phie

  • Pierre Bacher, Quelle éner­gie pour demain ?, Édi­tions Le Nucléon, 2000.
  • Ben­ja­min Des­sus, Pas de gabe­gie pour l’éner­gie, Édi­tions de l’aube, 1994.
  • Bru­no Com­by, Le nucléaire ave­nir de l’é­co­lo­gie ?, Édi­tion TNR 19942000, pré­face de James Lovelock.
  • Claude Man­dil, L’éner­gie nucléaire en 110 leçons, Édi­tions du Cherche-Midi, 1995.
  • Georges Char­pak, Feux fol­lets et cham­pi­gnons nucléaires, Odile Jacob, 1997.
  • Fran­çois Mon­nier, Terre Nour­ri­cière, L’Har­mat­tan, 1996.
  • Aminter/aRRi, Ali­men­ta­tion mon­diale 2050, bien nour­rir les hommes sans dégra­der la pla­nète, L’Har­mat­tan, 1997.
  • Michel Des­tot, Les défis inter­na­tio­naux de la poli­tique éner­gé­tique fran­çaise, M & M. Conseil, 1998.
  • Luc Fer­ry, Le nou­vel ordre éco­lo­gique, Gras­set, 1992.
  • Yves Lenoir, La véri­té sur l’ef­fet de serre, La Décou­verte, 1992.
  • Jacques Labey­rie, L’homme et le cli­mat, Denoël, 1985.
  • Jean Claude Duples­sy et Pierre Morel, Gros temps sur la pla­nète, Odile Jacob, 1990.
  • Phi­lippe Roque­plo, Cli­mats sous sur­veillance, Eco­no­mi­ca, 1993.
  • Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan, Éner­gie 20102020, La Docu­men­ta­tion fran­çaise, 1998.
  • Claude Allègre, Toute véri­té est bonne à dire, Fayard, 2000.
  • La Jaune et la Rouge, n° 533, mars 1998, « Quelle éco­lo­gie pour le XXIe siècle ? »
  • La Jaune et la Rouge, n° 537, août-sep­tembre 1998, « La mise à mort de Super­phé­nix : une exé­cu­tion sans juge­ment » par Georges Vendryes.
  • La Jaune et la Rouge, n° 546, juin-juillet 1999, Envi­ron­ne­ment et san­té publique, « Pour une vision huma­niste » par Jean-Paul Escande.
  • La Jaune et la Rouge, n° 554, avril 2000, La Cité idéale, « Maî­tri­ser mieux les réseaux urbains » par Claude Mar­ti­nand, » N’ou­blions pas les villes » par Michel Arnaud et Jean-Marie Cour.
  • La Jaune et la Rouge, n° 555, mai 2000, L’ef­fet de serre, « Les marges de manœuvre » par Ben­ja­min Dessus.
  • Ins­ti­tut de Géo­po­li­tique des Popu­la­tions, Actes du col­loque du 19 mai 2000, Com­mu­ni­ca­tions de Jacques Lesourne et de Mar­cel Boiteux.

En réa­li­té, le risque zéro n’exis­tant pas, ce prin­cipe est indis­so­ciable de la prise de risques, d’où la néces­si­té d’une « hié­rar­chie des nui­sances », d’une éva­lua­tion du » coût de la pré­cau­tion et des actions anti­nui­sances « , d’un choix qui peut être cruel entre les dif­fé­rentes actions pro­po­sées. Nous avons besoin d’un prin­cipe pour l’ac­tion. Il faut enfin refu­ser le risque de ne rien faire qui, sous pré­texte de tout pré­ser­ver, nous condui­rait à ne léguer aux géné­ra­tions futures qu’un patri­moine insuffisant.

Conclusions

La terre a besoin des hommes, et doit être amé­na­gée pour les hommes.
Il faut enga­ger un pro­ces­sus d’é­va­lua­tion et d’ac­cep­ta­bi­li­té des risques : c’est le corol­laire scien­ti­fi­co-tech­nique du prin­cipe de précaution.

Les ampli­fi­ca­tions média­tiques sont sou­vent dan­ge­reuses, il faut donc lut­ter inlas­sa­ble­ment pour la véri­té contre la dés­in­for­ma­tion qui s’at­taque notam­ment au nucléaire, au génie géné­tique, aux OGM et aux transports.

Notre devoir est aus­si de lut­ter contre la super­sti­tion et les frayeurs irraisonnées.

La relance du pro­grès semble iné­luc­table car la rai­son fini­ra for­cé­ment par triompher.

Mes vœux pour le XXIe siècle. Il reste à se mettre au tra­vail : ne lais­sons pas aux géné­ra­tions futures la charge de nos dettes ni de nos retraites, pré­pa­rons pour elles des bud­gets enfin en équi­libre (réduc­tion de la dépense publique), une trans­mis­sion du savoir par l’é­du­ca­tion, pour que les citoyens soient en mesure de juger par eux- mêmes au lieu de s’en remettre aux médias, de l’eau douce en quan­ti­té suf­fi­sante, une san­té encore amé­lio­rée (grâce à une recherche dyna­mique et à une bonne orga­ni­sa­tion du sys­tème), une éner­gie abon­dante et bon mar­ché (grâce au nucléaire), une ali­men­ta­tion adap­tée à leurs besoins en qua­li­té, en quan­ti­té et en prix bas (grâce aux ogm), la pos­si­bi­li­té de vivre en ville dans un habi­tat adap­té, la mobi­li­té à laquelle ils ont droit (grâce à des trans­ports effi­caces), un envi­ron­ne­ment agréable.

Au lieu de nous concen­trer sur la pro­tec­tion et la pré­ser­va­tion (ces mots ont un par­fum pas­séiste), orga­ni­sons l’a­mé­na­ge­ment de la pla­nète en fonc­tion des besoins (lar­ge­ment sous-esti­més) des géné­ra­tions futures, don­nons-nous les moyens de les éva­luer puis de les satis­faire dans tous les domaines : édu­ca­tion, san­té, ali­men­ta­tion, urba­ni­sa­tion, loge­ment, trans­ports, envi­ron­ne­ment, éner­gie, etc.

Enfin, ne consom­mons pas trop vite les éner­gies fos­siles… dont la nature nous a dotés.

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