Témoins de la fin du IIIe Reich

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°605 Mai 2005Par : Ouvrage collectif coordonné par Jean Raibaud (42) et Henri Henric (43)Rédacteur : Gérard de LIGNY (43) et Claude LIBOIS (43)

Un livre pas­sion­nant et pour­tant sans pas­sion, sinon la pas­sion de vivre et de ser­vir. Sans pas­sion parce qu’il s’en tient au vécu de ses auteurs et aux faits pré­cis, datés qu’ils ont pu observer.

Cela dit, pour­quoi ce livre est-il pas­sion­nant ? – Parce qu’il est l’un des très rares témoins de ce qui s’est pas­sé sur le ter­ri­toire alle­mand, non pas dans le bun­ker de Hit­ler, ni dans l’état-major de la Wehr­macht, mais dans les usines, dans les villes, dans les cam­pagnes et sur les routes alle­mandes, cela au moment où l’espérance de la vic­toire chan­geait de camp et deve­nait même cer­ti­tude pour les vainqueurs.

témoi­gnages et annexes. Rien ne peut être négli­gé par le lec­teur qui y trouve une mul­ti­tude d’informations : poli­tiques, mili­taires, indus­trielles… et qui se trouve embar­qué dans des aven­tures le plus sou­vent dra­ma­tiques, mais quel­que­fois aus­si pit­to­resques, robo­ra­tives et appa­rem­ment miraculeuses.

Sur les 192 cama­rades requis pour le STO, 60 % ont été embar­qués en Alle­magne, 20 % ont fait leur STO en France, 10 % ont trou­vé des échap­pa­toires et 10 % sont entrés dans la clan­des­ti­ni­té ou ont quit­té la France.

Nos 120 cama­rades ne furent pour­tant pas une très bonne acqui­si­tion pour l’industrie alle­mande, pas plus que les autres tra­vailleurs fran­çais. Certes, ils durent accep­ter les tâches qui leur étaient assi­gnées, mais ils s’arrangeaient pour se faire allouer des temps d’exécution très confor­tables puis pour jus­ti­fier des dépas­se­ments indé­pen­dants de leur volon­té. Une enquête de l’Arbeitstatistik menée en haute Silé­sie révé­la même que le ren­de­ment moyen des Fran­çais se situait entre 28 % et 8 % de celui des Allemands.

La répres­sion aurait pu être sévère, mais le droit du tra­vail ne don­nait pas au chef d’entreprise de réelles pos­si­bi­li­tés de sanc­tion, si ce n’est le licen­cie­ment. La seule pres­sion sur les tra­vailleurs était d’augmenter le nombre d’heures de pré­sence, alors que l’organisation ne per­met­tait pas d’augmenter la charge…

Le vrai dan­ger était poli­tique : écou­ter la radio anglaise, mettre en doute les infor­ma­tions offi­cielles, bro­car­der le dis­cours d’un SS, cela ris­quait fort d’être rap­por­té à la police par un mou­chard et vous conduire sans juge­ment dans un camp de concen­tra­tion, ce qui arri­va notam­ment à Robert Dene­ri (43).

Les témoi­gnages de nos cama­rades sont d’autant plus inté­res­sants qu’ils émanent de régions dif­fé­rentes, les X étant répar­tis dans 14 loca­li­tés depuis Hanovre jusqu’à Vienne, ce qui ne les empê­cha pas de com­mu­ni­quer entre eux grâce au che­min de fer et à la bicyclette.

Par­tout la même séquence de 1943 à 1945 a été vécue : six mois de rela­tive tran­quilli­té, de l’été 1943 à février 1944, dix mois de désor­ga­ni­sa­tion crois­sante sous l’effet des échecs mili­taires et des bom­bar­de­ments alliés, quatre mois d’effondrement et de rage pour les Alle­mands… sub­ju­gués par leur radio et la pro­pa­gande de Goeb­bels, mais aus­si de honte et de déso­la­tion pour tous ceux qui ont cru à la conquête du monde par l’Allemagne. Jusqu’au der­nier moment ils ont cru – ou fait sem­blant de croire – à l’arme abso­lue qui allait retour­ner la situation.

Nos amis racontent com­ment, à la sourde hos­ti­li­té contre la bar­ba­rie nazie, se mêlait l’humiliation pro­fonde de la capi­tu­la­tion en perspective.

Bien enten­du, la popu­la­tion civile de l’Ouest, vivant sous les bom­bar­de­ments et les mitraillages, n’a qu’une obses­sion : la fin du mas­sacre. Les “ raids de ter­reur ” (Aug­sbourg, Mag­de­bourg, Dresde…) se sont mul­ti­pliés. C’est l’horreur au quotidien.

À l’Est la peur panique des Russes est encore domi­nante et on fuit vers l’Ouest. Les Russes rendent aux Alle­mands le lot de car­nages que ceux-ci ont per­pé­trés lors de l’invasion de leur pays. Pour­tant nos amis constatent chez les Russes un retour à la dis­ci­pline et au ralen­tis­se­ment des pillages dès que leur vic­toire est acquise : ils peuvent même négo­cier avec l’Autorité locale leur retour en zone américaine.

Cette lec­ture per­met de prendre la mesure des dan­gers cou­rus par nos cama­rades face à la hargne des auto­ri­tés nazies, à la fureur des bom­bar­de­ments et aux assauts de la tuber­cu­lose. Elle nous montre aus­si leur effort d’imagination pour réveiller l’énergie dans leur entou­rage et pour rendre ser­vice aux dépor­tés avec qui tout contact était stric­te­ment inter­dit. Il faut recon­naître que ce fut pour eux un accé­lé­ra­teur de matu­ri­té exceptionnel.

À leur retour en France l’abondance et l’intérêt des docu­ments secrets qu’ils ont sub­ti­li­sés aux construc­teurs de l’aéronautique alle­mande exci­tèrent l’intérêt du minis­tère de l’Air, celui-ci les mobi­li­sa pen­dant un mois et demi pour mettre au point la tra­duc­tion de ces documents.

Témoins de la fin du IIIe Reich est donc un livre ins­truc­tif et émou­vant, il nous apprend beau­coup de choses sur la face cachée de l’Histoire… et sur la face cachée de l’être humain.

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