CD : Tout SATIE

Surprendre, étonner

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°713 Mars 2016Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Vival­di a écrit plus de 400 concer­tos, mais c’est, dit-on, 400 fois le même. La bana­li­té, en musique tout par­ti­cu­liè­re­ment, ne par­donne pas. Mais s’il ne suf­fit pas d’être ori­gi­nal pour être génial comme Rim­baud, ce n’est pas non plus une condi­tion néces­saire : Bach, qui ne cher­chait rien moins qu’à épa­ter ses employeurs de Leip­zig, en est l’évident contre-exemple.

Au fond, révo­lu­tion­naire ou clas­sique, le génie trouve tou­jours son accomplissement.

TOUT SATIE

Erik Satie (1866−1925) passe pour l’archétype du créa­teur ori­gi­nal à tout prix : com­pa­gnon des dadaïstes, auteur de pièces au nom impro­bable (Mor­ceaux en forme de poire, Pré­ludes flasques pour un chien, Pièces froides, Avant-der­nières pen­sées, Valse du cho­co­lat aux amandes, etc.), Satie a presque constam­ment inno­vé sur une solide base clas­sique : il avait été l’élève de Rous­sel et de d’Indy à la très aca­dé­mique Scho­la Can­to­rum – Rim­baud avait bien obte­nu le pre­mier prix de latin au Concours général.

Ami de Debus­sy, mas­cotte de Coc­teau, gou­rou du Groupe des Six, Satie laisse une œuvre extra­or­di­nai­re­ment diverse, des Gym­no­pé­dies, archi­con­nues dans l’orchestration de Debus­sy et uni­ver­sel­le­ment révé­rées, y com­pris par les jazz­men, du bal­let Parade dont on connaît le rideau de scène de Picas­so, aux œuvres rares comme Socrate et la Messe des pauvres, en pas­sant par des chan­sons 1900 comme Je te veux.

Forme modale, pièces pour pia­no mini­ma­listes, orches­tra­tions met­tant sou­vent au pre­mier plan les cuivres et asso­ciant même aux ins­tru­ments, dans Parade, pis­to­let, et machine à écrire : Satie n’aura pas été qu’un pré­cur­seur, mais un com­po­si­teur majeur du XXe siècle, sui­vi par nombre d’autres comme Pou­lenc, Chos­ta­ko­vitch, Pro­ko­fiev, Sond­heim, Phi­lip Glass.

On vient de publier l’édition de son œuvre com­plète1 par des inter­prètes d’hier et d’aujourd’hui, tous de pre­mier plan : Aldo Cic­co­li­ni, Mady Mes­plé, Cathe­rine Col­lard, le chef Pierre Der­vaux et aus­si Jean-Yves Thi­bau­det, Anne Quef­fé­lec, Alexandre Tharaud.

Cou­rez le décou­vrir d’urgence : au-delà de la sur­prise, et comme diraient cer­tains, « c’est du sérieux ».

HÉLÈNE GRIMAUD,
JEAN RONDEAU

CD : Hélène GRIMAUDIl faut main­te­nant, pour vendre, être média­ti­sé et, pour cela, sur­prendre. La très belle Hélène Gri­maud, une des grandes pia­nistes d’aujourd’hui, élève des loups aux États-Unis, on le sait, ce qui est média­tique mais n’enlève rien à son talent, et se pas­sionne pour l’éthologie.

Son der­nier disque prend pré­texte d’exalter l’eau et son rôle domi­nant pour la vie, pour asso­cier des pièces qui ont l’eau pour thème : Jeux d’eau de Ravel, la Bar­ca­rolle n° 5 de Fau­ré, Alme­ria d’Albéniz, Les Jeux d’eau à la vil­la d’Este de Liszt, Dans les Brumes de Jana­cek, La Cathé­drale englou­tie de Debus­sy, Was­serk­la­vier de Berio, entre­cou­pées de brèves tran­si­tions écrites pour ce disque par Nitin Sawh­ney2.

CD : VERTIGO par Jean RONDEAUAu-delà des inter­pré­ta­tions par­faites et aux cou­leurs cha­toyantes de ces pièces dont se dégage une sur­pre­nante cohé­rence, un disque que l’on peut – qu’il faut – écou­ter d’une traite, déten­du, dans un siège confor­table qui invite à la décon­trac­tion, en buvant len­te­ment, pour­quoi pas, un pas­tis lar­ge­ment éten­du d’une eau bien fraîche.

Sous le titre Ver­ti­go, le cla­ve­ci­niste Jean Ron­deau vient d’enregistrer, alter­nées en entre­lacs à visée poé­tique, des pièces de Rameau et de son contem­po­rain Pan­crace Royer, sur un superbe cla­ve­cin d’époque3.

Par­mi les pièces de Rameau dont plu­sieurs nous sont fami­lières, comme Les Sau­vages (extraite des Indes galantes), on découvre des pépites comme l’extraordinaire Pré­lude en la mineur.

Celles de Royer ont pour la plu­part un carac­tère théâ­tral qui per­met à l’interprète de prendre d’intéressantes libertés.

BARENBOÏM, VARIATIONS GOLDBERG

CD : Les variations Goldberg par Daniel BarenboïmAprès Wan­da Lan­dows­ka au cla­ve­cin, Glenn Gould a fait décou­vrir les Varia­tions Gold­berg au pia­no : pour la pre­mière fois, on « inter­pré­tait » Bach en met­tant à pro­fit les pos­si­bi­li­tés infi­nies de l’instrument. Depuis, d’autres sont venus, comme Perahia.

En 1991, Daniel Baren­boïm, l’un des très grands chefs des XXe-XXIe siècles, avec Abba­do, Bern­stein, Rat­tle, Klei­ber, les enre­gistre à son tour – enre­gis­tre­ment réédi­té aujourd’hui4.

Inno­va­tion : Baren­boïm n’imite pas le cla­ve­cin ; il fait l’impasse sur les orne­ments et joue l’œuvre comme une œuvre orches­trale – il le dit lui-même.

Chaque varia­tion est ain­si trai­tée comme une pièce à part entière, et sonne dif­fé­rem­ment des autres, avec ses propres cou­leurs. C’est superbe, très travaillé.

Du coup, Baren­boïm, orfèvre, fait appa­raître Gould comme un bûcheron.

On est plus que sur­pris : éton­né et fina­le­ment sub­ju­gué. Un très grand disque.

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1. 10 CD Erato.
2. 1 CD Deutsche Grammophon.
3. 1 CD Erato.
4. 1 CD Erato.

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