Roederer

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°536 Juin/Juillet 1998Rédacteur : Laurens DELPECH

La mai­son Roe­de­rer fut fon­dée en 1776 par Louis Roe­de­rer, dont l’obsession était de pro­duire ses propres rai­sins plu­tôt que de les ache­ter à des viti­cul­teurs cham­pe­nois comme le fai­saient alors (et encore aujourd’hui) la plu­part des mai­sons de Cham­pagne. Louis Roe­de­rer pen­sait que pour pro­duire un des meilleurs cham­pagnes du monde, il faut les meilleurs rai­sins et que le plus simple, pour en garan­tir la qua­li­té, est encore de les pro­duire soi-même. Il a donc patiem­ment consti­tué un magni­fique vignoble, qui s’étend, deux cent vingt ans plus tard, sur 190 hec­tares de vignes situés sur les coteaux de la Mon­tagne de Reims (60 hec­tares), de la val­lée de la Marne (55 hec­tares) et de la côte des Blancs (75 hec­tares), avec un indice de pure­té de 98 % dans l’é­chelle des crus. Ces vignobles four­nissent les deux tiers des rai­sins néces­saires à la pro­duc­tion de la célèbre mai­son rémoise. L’âge moyen des vignes est de vingt ans, le bel âge pour la vigne, celui où elle pro­duit moins de rai­sins, mais de bien meilleure qua­li­té, plus com­plexes en arômes et en saveurs. Il y a même quelques plants de Pinot noir de plus de cin­quante ans d’âge dont les arômes incom­pa­rables contri­buent lar­ge­ment au charme du Brut rosé…

Pour être sûr de la constance de la qua­li­té, année après année, et assu­rer la péren­ni­té du style mai­son, Roe­de­rer pos­sède une large gamme de vins de réserve (800 000 litres, soit près de la moi­tié d’une année de pro­duc­tion), issus des meilleurs mil­lé­simes et logés dans de superbes foudres de chêne de 40 hec­to­litres (d’une moyenne d’âge de dix-sept ans, car les foudres, comme les hommes, s’éduquent) à une tem­pé­ra­ture constante de 12°, qui per­mettent de four­nir chaque année d’excellents champagnes.

Rap­pe­lons en effet que le cham­pagne est un vin d’assemblage et que – dans les cuvées non mil­lé­si­mées, comme le Brut Pre­mier de Roe­de­rer –, on assemble chaque année des vins pro­ve­nant de cépages, de ter­roirs, mais aus­si de mil­lé­simes dif­fé­rents avant d’en faire un cham­pagne qui a le “ goût mai­son ”, une agréable ron­deur qui carac­té­rise les cham­pagnes Roe­de­rer et a lar­ge­ment contri­bué à leur succès.

Cristal, palais de cristal

Bouteille de Cristal RoedererLe Cris­tal Roe­de­rer a com­men­cé par être le cham­pagne du tsar, en l’espèce le tsar Alexandre II, pour lequel cette cuvée spé­ciale fut éla­bo­rée à par­tir de 1876. Ce cham­pagne de très grand luxe était livré en bou­teilles de cris­tal, d’où son nom, et chaque année – jusqu’à la Grande Guerre – la mai­son Roe­de­rer a four­ni ce cham­pagne d’exception à la cour impé­riale de Rus­sie, le der­nier mil­lé­sime assem­blé pour le tsar fut le 1914… La cuvée dis­pa­rut durant une dizaine d’années, pour renaître en 1924, sous sa forme actuelle, où le cris­tal a été rem­pla­cé par du verre blanc. Le dosage aus­si a chan­gé et le Cris­tal, qui était un cham­pagne doux, s’est adap­té au goût anglais (qui avait fini par se géné­ra­li­ser), en deve­nant sec. Il est pro­duit bon an mal an 600 000 bou­teilles de ce cham­pagne puis­sant, fin et frui­té, que les ama­teurs du monde entier s’arrachent. Une des carac­té­ris­tiques inté­res­santes de Cris­tal est qu’il est par­ti­cu­liè­re­ment réus­si dans les petits mil­lé­simes, d’où une grande constance de qua­li­té qui explique sa répu­ta­tion. Cris­tal Roe­de­rer est uni­que­ment éla­bo­ré à par­tir de cuvées pro­ve­nant de vignobles clas­sés à 100 % dans l’é­chelle des crus.

Depuis le mil­lé­sime 1974, Cris­tal existe en rosé. La pro­por­tion de Pinot noir est alors plus forte et atteint près de la moi­tié de l’assemblage. C’est un rosé frui­té, vineux, qui vieillit bien et est déli­cieux à table. Il est pro­duit en très petites quantités.

Le Cris­tal Roe­de­rer 1989 se pré­sente avec une robe or pâle. Les bulles sont fines et forment un cor­don per­sis­tant. Au nez, on remarque des notes de brioche, de miel et d’agrumes d’une belle inten­si­té. En bouche, les saveurs sont riches et concen­trées, l’ensemble se carac­té­rise par son élé­gance et une finale excep­tion­nel­le­ment longue.

Voi­ci par ailleurs l’appréciation por­tée par Shi­nya Tasa­ki, Meilleur Som­me­lier du Monde 1995, sur le Cris­tal 1990 :
Le vin est ample, soyeux, très élé­gant et très bien équi­li­bré mal­gré l’absence de dosage. La finale est longue et sou­te­nue par une grande per­sis­tance aro­ma­tique, une jolie fraî­cheur et des notes de noix.

Une stratégie de diversification

Les bons résul­tats de Roe­de­rer lui ont per­mis de mener une poli­tique de diver­si­fi­ca­tion en rache­tant des vignobles en France et à l’étranger, à com­men­cer par la mai­son Deutz, une excel­lente mai­son de cham­pagne, et deux crus de Saint-Estèphe, les châ­teaux de Pez et Haut-Beau­sé­jour. Au Por­tu­gal, Roe­de­rer a acquis les excel­lents por­tos Ramos Pin­to et a lan­cé un ambi­tieux pro­gramme de réno­va­tion de la vigne et de créa­tion de nou­veaux pro­duits, des inves­tis­se­ments par­tiel­le­ment pris en charge par Bruxelles. En Cali­for­nie enfin, Roe­de­rer a acquis il y a quinze ans 150 hec­tares (580 acres, dont 350 plan­tés en vigne), qui lui ont per­mis de déve­lop­per un spark­ling wine appe­lé Roe­de­rer Estate, dans un cli­mat par­ti­cu­liè­re­ment froid pour la Cali­for­nie, rap­pe­lant un peu la Cham­pagne, la Ander­son Val­ley. Une nou­velle acqui­si­tion, réa­li­sée en 1997, per­met­tra d’augmenter de moi­tié la sur­face du vignoble. Le total de ces acti­vi­tés cen­trées sur le vin repré­sente un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 600 mil­lions de francs.

Poster un commentaire