Répondre aux enjeux climatiques

Dossier : Le Grand Paris : Les territoires, espaces d‘anticipationMagazine N°676 Juin/Juillet 2012
Par Stéphane HALLEGATTE (97)
Par Vincent VIGUIÉ

Les choix que nous effec­tuons aujourd’hui en termes de poli­tiques de trans­port, d’urbanisme et de loge­ment vont se faire sen­tir sur de très longues durées. À moins d’imaginer une pos­sible mais extrê­me­ment coû­teuse décons­truc­tion future des infra­struc­tures, ces choix des­sinent en par­tie ce à quoi va res­sem­bler l’agglomération pari­sienne durant au moins tout ce siècle. Ils engagent aus­si les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre que nous aurons dans le futur, ain­si que l’exposition aux risques natu­rels et aux consé­quences du chan­ge­ment cli­ma­tique. Tenir compte de ces enjeux dans la concep­tion du Grand Paris est essentielle.

REPÉRES
À l’heure actuelle, on observe en région pari­sienne – et en France de manière géné­rale – un cer­tain nombre de ten­dances pré­oc­cu­pantes, au pre­mier rang des­quelles l’étalement urbain. Les enjeux, en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de menaces contre la bio­di­ver­si­té, qui en résultent doivent être pris en compte dans les poli­tiques d’aménagement du Grand Paris.

Si la France veut tenir ses enga­ge­ments en termes cli­ma­tiques, elle doit s’attaquer aux sources d’émissions qui croissent le plus rapi­de­ment aujourd’hui, et notam­ment le trans­port indi­vi­duel. Et si elle veut main­te­nir le sys­tème dit « Cat-Nat » (catas­trophes natu­relles), le par­te­na­riat public-pri­vé qui apporte une assu­rance à tous contre les risques natu­rels, comme les inon­da­tions, elle doit ren­ver­ser la ten­dance actuelle à l’augmentation des coûts de ces événements.

Quand la ville s’étend

À l’heure actuelle, on observe en région pari­sienne – et en France de manière géné­rale – un cer­tain nombre de ten­dances préoccupantes.

Éta­le­ment urbain
La crois­sance de la popu­la­tion est bien sûr en par­tie res­pon­sable de l’étalement urbain, mais ce n’est pas le seul fac­teur. En France, la sur­face moyenne urba­ni­sée, rap­por­tée au nombre d’habitants, croit conti­nû­ment. Autre­ment dit, la den­si­té moyenne diminue.

C’est tout d’abord l’étalement urbain : la sur­face des agglo­mé­ra­tions ne cesse de s’accroître. De par l’allongement des tra­jets et l’accroissement de la dépen­dance à l’automobile qui en résulte, cela tend à aug­men­ter les émis­sions de gaz à effet de serre. Cela nuit éga­le­ment à la bio­di­ver­si­té en frag­men­tant les espaces natu­rels. Enfin, les ter­rains dis­po­nibles étant de plus en plus rares, cela pousse à l’urbanisation en zone à risque, comme les zones inondables.

Nos choix des­sinent ce à quoi va res­sem­bler l’agglomération pari­sienne durant tout ce siècle

Et tout cela se pro­duit dans un contexte de crise du loge­ment, le prix des loge­ments à Paris ayant plus que dou­blé en dix ans. Cette crise est d’autant plus pré­oc­cu­pante qu’elle touche avant tout les plus modestes, la part du loge­ment dans le bud­get des ménages attei­gnant, mal­gré les aides au loge­ment, 36% pour les 20% les plus pauvres (hors loge­ment en HLM).

Aménagement

Les poli­tiques d’aménagement, qui sont au coeur du pro­jet du Grand Paris, peuvent avoir un impact majeur sur ces évo­lu­tions. Pour lut­ter contre l’étalement urbain, il est pos­sible de ren­for­cer et de sub­ven­tion­ner les trans­ports en com­mun. Mais cela n’est vrai­ment effi­cace que si l’on favo­rise en paral­lèle les construc­tions à plus forte den­si­té dans les zones acces­sibles par ces moyens de trans­port, par exemple, par une poli­tique de taxa­tion du fon­cier telle que le ver­se­ment pour sous-den­si­té, une option intro­duite par le Gre­nelle de l’environnement mais qui n’est pas uti­li­sée à l’heure actuelle. Et c’est l’occasion de rap­pe­ler encore une fois que haute den­si­té ne veut pas dire grands ensembles et tours de grande hau­teur comme on l’entend par­fois, ces der­niers étant à peine plus denses que l’habitat pavillon­naire. La plus forte den­si­té en France, on la trouve dans l’habitat hauss­man­nien et dans les centres-villes fran­çais tra­di­tion­nels, qui sont asso­ciés à des modes de vie très recher­chés et valorisés.

Il est cru­cial de ne pas sépa­rer les enjeux envi­ron­ne­men­taux des autres enjeux urbains, comme le contrôle de la pres­sion fon­cière, et la lutte contre les inéga­li­tés. On reproche par exemple fré­quem­ment aux poli­tiques de contrôle de l’étalement urbain, comme les poli­tiques de cein­ture verte, de contri­buer à la pénu­rie de loge­ment. Mais il est faux d’affirmer que les dif­fé­rents enjeux – qua­li­té de vie, sécu­ri­té, accès au loge­ment, envi­ron­ne­ment – s’opposent.


Varia­tion simu­lée du niveau des loyers en cas de forte sub­ven­tion aux trans­ports en com­mun incluant le pas­sage au tarif unique dans l’ensemble de l’agglomération, à 14 euros par mois pour toutes les zones.

Un tarif unique pour le RER ?

Par exemple, un tarif unique et for­te­ment sub­ven­tion­né du RER et des trains de ban­lieue, fixé pour voya­ger dans tout le réseau Île-de-France, ain­si qu’une amé­lio­ra­tion du confort et de la régu­la­ri­té du ser­vice ren­for­ce­raient l’attractivité des ban­lieues. Le résul­tat serait d’augmenter l’attractivité et les loyers dans des zones actuel­le­ment bon mar­ché et peu attrac­tives, et de dimi­nuer les loyers dans le reste de l’agglomération, et notam­ment dans le centre de Paris et la pre­mière couronne.

Cein­ture verte
Il serait pos­sible de mettre en place autour de Paris une « cein­ture verte », zone entou­rant l’agglomération et dans laquelle il est inter­dit de construire, sys­tème fré­quem­ment uti­li­sé aux États-Unis ou en Grande-Bre­tagne, où il a fait ses preuves. L’espace vert péri­ur­bain est ain­si pré­ser­vé à Londres depuis les années 1930, et la den­si­té urbaine y est de ce fait plus impor­tante qu’à Paris.

Une telle poli­tique de trans­port ren­drait, de plus, pos­sible la mise en place d’une cein­ture verte, en gom­mant ses effets néga­tifs. On peut ain­si mon­trer à l’aide d’un modèle d’économie urbaine appli­qué à l’Île-de-France que la com­bi­nai­son d’une sub­ven­tion aux trans­ports publics et d’une cein­ture verte per­met­trait de réduire le coût du loge­ment dans l’agglomération, tout en limi­tant l’étalement urbain, et sans avoir à construire en zone inondable.

Ne pas sépa­rer les enjeux envi­ron­ne­men­taux des autres enjeux urbains

L’intégration des poli­tiques cli­ma­tiques aux poli­tiques de trans­port et aux poli­tiques d’urbanisme peut ain­si per­mettre de conce­voir des mesures appor­tant des béné­fices tant en termes d’accès aux loge­ments, qu’en termes envi­ron­ne­men­taux. Ce n’est qu’en s’attaquant de front de manière simul­ta­née à l’étalement urbain, à la ges­tion des risques et à la pres­sion fon­cière que nos villes peuvent à la fois deve­nir plus vertes et gagner en qua­li­té de vie.

Et, de manière géné­rale, on sait que l’amélioration des trans­ports, de l’accès au loge­ment, et de l’état de l’environnement dans une agglo­mé­ra­tion accroissent son attrac­ti­vi­té pour les tra­vailleurs, les inves­tis­seurs, et les entre­prises, condui­sant ain­si à des gains éco­no­miques poten­tiel­le­ment consé­quents. Là encore, il n’y a pas à choi­sir entre l’environnement et le déve­lop­pe­ment éco­no­mique : l’avenir éco­no­mique de l’agglomération pari­sienne dépend de la qua­li­té de vie qu’elle sau­ra offrir à ses habitants.

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