Rendre la « supply chain » « Lean »

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°628 Octobre 2007
Par Odile MOLLE (02)

La dimi­nu­tion des marges, l’in­ten­si­fi­ca­tion de la mon­dia­li­sa­tion, l’ac­cé­lé­ra­tion des cycles d’in­no­va­tion, la vola­ti­li­té de la demande conduisent les entre­prises à mettre en œuvre des pro­jets pour adap­ter la sup­ply chain à ce nou­veau contexte et maxi­mi­ser sa posi­tion concur­ren­tielle. La sup­ply chain doit atteindre de nou­veaux niveaux de per­for­mance en satis­fai­sant à la fois les chan­ge­ments de plus en plus vola­tils de la demande tout en mini­mi­sant les risques d’ob­so­les­cence et les contraintes de coûts de l’entreprise.

Mener un pro­gramme de Lean sup­ply chain, c’est atteindre ces nou­veaux niveaux d’exi­gence par l’ex­ten­sion des prin­cipes du « Lean manu­fac­tu­ring » à l’en­semble de la sup­ply chain.

Le Lean ayant pour objec­tif de foca­li­ser le pro­duit final sur la satis­fac­tion de la demande client, l’ap­pli­ca­tion du Lean à la sup­ply chain va per­mettre de faire de la sup­ply chain un véri­table outil stra­té­gique de com­pé­ti­ti­vi­té pour l’entreprise.

Du « Lean manufacturing » à la « Lean supply chain »

Issue du sys­tème de pro­duc­tion déve­lop­pé par Toyo­ta tout au long du XXe siècle, la métho­do­lo­gie de trans­for­ma­tion du « Lean manu­fac­tu­ring » a été for­ma­li­sée dans les années quatre-vingt par J. Womack & D. Jones, deux cher­cheurs du MIT. Celle-ci se tra­duit par un cycle de pro­grès dont l’ob­jec­tif est d’ob­te­nir un sys­tème de pro­duc­tion dont les prin­ci­paux attri­buts sont les suivants :

  • foca­li­sé sur la valeur client : toute acti­vi­té n’ap­por­tant pas de valeur ajou­tée pour le client doit être éli­mi­née ou minimisée,
  • mis en flux conti­nu : l’é­cou­le­ment du flux phy­sique doit se faire sans inter­rup­tion tout au long de la chaîne de pro­duc­tion (chasse au stock, réduc­tion des tailles de lots),
  • tiré par la demande : la pro­duc­tion est tirée par la demande, et non pous­sée par les capa­ci­tés de production,
  • accé­lé­ré : les flux sont accé­lé­rés par la réduc­tion des temps de cycle et l’aug­men­ta­tion des fré­quences d’exécution.
     

Les concepts du « Lean » visent à opti­mi­ser la per­for­mance de la chaîne de valeur de l’en­tre­prise, avec une foca­li­sa­tion sur les gains de temps, de coûts, tou­jours orien­tés vers la valeur ajou­tée appor­tée au client final. Dans le contexte défi­ni pré­cé­dem­ment, ils appa­raissent tota­le­ment per­ti­nents pour la sup­ply chain. Cepen­dant, si les exemples de mise en œuvre réus­sie sont nom­breux dans le monde indus­triel, les entre­prises res­tent incer­taines sur la manière de déployer les concepts du « Lean » à l’en­semble de la sup­ply chain. Argon Consul­ting a récem­ment accom­pa­gné plu­sieurs de ses clients dans une trans­for­ma­tion radi­cale de leur chaîne de valeur, les aidant à « faire plus et mieux avec moins ».

L’ex­ten­sion du Lean à la sup­ply chain requiert une capa­ci­té de trans­for­ma­tion de l’en­tre­prise simul­ta­né­ment sur l’or­ga­ni­sa­tion, les infra­struc­tures phy­siques et l’in­té­gra­tion des pro­ces­sus et sys­tème de la chaîne.

Les prin­cipes du Lean se tra­duisent par plu­sieurs leviers d’a­mé­lio­ra­tion de la sup­ply chain que nous pou­vons illus­trer par les exemples ci-dessous :

  • la foca­li­sa­tion de la sup­ply chain sur la valeur client sera obte­nue en adres­sant chaque seg­ment du mar­ché par une poli­tique de ser­vice dif­fé­ren­ciée adap­tée au mieux aux besoins des clients ;
  • le flux de pro­duits depuis les four­nis­seurs jus­qu’aux clients finaux sera mis en conti­nu et accé­lé­ré en opti­mi­sant les fré­quences d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, en rédui­sant les tailles de lots et les délais à tous les niveaux et en opti­mi­sant le réseau ;
  • le flux de pro­duits sera tiré par la demande en remon­tant le signal de consom­ma­tion finale le plus loin pos­sible dans la chaîne. Le point de décou­plage opti­mal flux pous­sé-flux tiré devra être iden­ti­fié compte tenu de la vola­ti­li­té de la demande, et de la dif­fé­ren­cia­tion des pro­duits à chaque niveau : une stra­té­gie de dif­fé­ren­cia­tion au plus tard per­met­tra par exemple de repous­ser le flux de pro­duits géné­rique jus­qu’au point de différenciation.
     

Simplifier la chaîne de valeur et l’ancrer sur le client

La mise en place du « Lean » démarre par l’ar­ti­cu­la­tion d’une stra­té­gie foca­li­sée sur le client, avec pour objec­tifs de sim­pli­fier la sup­ply chain, tout en maxi­mi­sant la valeur appor­tée au client final. Cela passe par la défi­ni­tion des cibles client visées (en termes de ser­vice pro­po­sé), de l’offre de valeur pro­po­sée et des fac­teurs clés de com­pé­ti­ti­vi­té, notam­ment en termes d’in­no­va­tion, de coût ou de ser­vice. Cette défi­ni­tion va condi­tion­ner les niveaux de per­for­mance objec­tifs de la sup­ply chain.

En effet, la per­for­mance de la sup­ply chain vis-à-vis du client peut être mesu­rée au tra­vers de deux axes : le coût de la chaîne et le ser­vice qu’elle apporte à ses clients. Le coût de la chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment est la somme des coûts de trans­for­ma­tion, de pro­duc­tion, de trans­port et de déten­tion des stocks tout au long de la chaîne.

L’in­té­gra­tion de la sup­ply chain peut per­mettre la réduc­tion des coûts tout au long de la chaîne de valeur en met­tant en œuvre une approche trans­ver­sale et col­la­bo­ra­tive. La col­la­bo­ra­tion entre les dif­fé­rents maillons de la sup­ply chain va per­mettre d’op­ti­mi­ser les coûts et de trou­ver des gains des deux côtés de chaque maillon. Cette approche per­met d’i­den­ti­fier clai­re­ment les vec­teurs de coûts et de les opti­mi­ser pour que la sup­ply chain soit effi­ciente dans son ensemble.

D’autre part, le niveau de ser­vice repré­sente la réac­ti­vi­té de la chaîne pour répondre à un besoin client. On peut le mesu­rer par exemple par le taux de dis­po­ni­bi­li­té du pro­duit en maga­sin, le délai de livrai­son du client et sa varia­bi­li­té, ou par le délai de mise sur le mar­ché d’un nou­veau pro­duit dans les sec­teurs où les cycles d’in­no­va­tion sont rapides.

On peut iden­ti­fier trois étapes clés dans le pro­ces­sus Lean d’a­mé­lio­ra­tion de la performance :

  • éli­mi­ner les dys­fonc­tion­ne­ments pour atteindre la fron­tière d’ef­fi­cience de la chaîne actuelle ;
  • défi­nir le bon arbi­trage coût-ser­vice, un délai de livrai­son très court ou un taux de dis­po­ni­bi­li­té de pro­duit proche de 100 % n’a pas la même valeur pour chaque client ou pro­duit. La seg­men­ta­tion des pro­duits et clients en fonc­tion de leurs attentes de ser­vice per­met d’a­jus­ter l’offre au besoin. Pour une entre­prise de la grande dis­tri­bu­tion, par exemple, il s’a­git de différencier :
    – une stra­té­gie sup­ply chain axée sur l’in­no­va­tion et le ser­vice pour un type de points de vente (petits maga­sins de centre-ville) avec des lead time très courts et contrai­gnants pour la logis­tique, une gamme éten­due avec des petits volumes. Le ser­vice sur ce seg­ment pri­vi­lé­gie clai­re­ment le coût ;
    – une stra­té­gie axée sur les coûts pour le deuxième type de points de vente, opé­rant sur un sec­teur ayant atteint l’âge adulte ;
  • recon­fi­gu­rer et opti­mi­ser la chaîne, une fois la fron­tière d’ef­fi­cience atteinte et la poli­tique de ser­vice ajus­tée, il devient néces­saire de recon­fi­gu­rer la chaîne pour atteindre des niveaux de per­for­mance supé­rieurs. On pour­ra par exemple réal­louer les appro­vi­sion­ne­ments ou la pro­duc­tion dans des pays à faibles coûts de main-d’œuvre, mettre en œuvre un pro­ces­sus de pro­duc­tion plus per­for­mant, modi­fier l’or­ga­ni­sa­tion de la pro­duc­tion pour dif­fé­ren­cier le pro­duit au plus tard, ou bien encore rap­pro­cher le réseau de dis­tri­bu­tion des clients et réduire les délais de livraison.
     

La méthode que nous uti­li­sons s’ins­pire direc­te­ment des approches de modé­li­sa­tion d’un sys­tème de pro­duc­tion Lean :

  • car­to­gra­phie de la chaîne de valeur exis­tante et ana­lyse des niveaux de per­for­mance actuels,
  • défi­ni­tion d’un état idéal, sans contraintes et éva­lua­tion du poten­tiel d’a­mé­lio­ra­tion associé,
  • iden­ti­fi­ca­tion des bar­rières à l’at­teinte de cet idéal, de leur coût et des condi­tions de leur amélioration,
  • défi­ni­tion d’un niveau cible tra­dui­sant le meilleur com­pro­mis entre d’une part les objec­tifs de sim­pli­fi­ca­tion et d’a­van­tages com­pé­ti­tifs et d’autre part les contraintes bud­gé­taires et de délais,
  • déve­lop­pe­ment des plans d’ac­tions néces­saires à l’at­teinte de cette cible.

Approche de mise en œuvre et conditions de succès

La mise en place des concepts Lean à la sup­ply chain néces­site une impli­ca­tion des acteurs de la chaîne d’ap­pro­vi­sion­ne­ment, par une approche trans­ver­sale et des chan­ge­ments opé­ra­tion­nels, orga­ni­sa­tion­nels et tech­no­lo­giques sou­vent pro­fonds. Par ailleurs, tout comme l’ap­pli­ca­tion du lean à la pro­duc­tion, rendre une sup­ply chain Lean passe par une impli­ca­tion mana­gé­riale et opé­ra­tion­nelle forte. En effet, seule l’ob­ser­va­tion concrète du ter­rain va per­mettre le diag­nos­tic puis la prise de déci­sion, en consen­sus avec les opé­ra­tion­nels concernés.

Afin de gérer cette com­plexi­té, notre approche pri­vi­lé­gie une logique d’a­mé­lio­ra­tion conti­nue avec :

  • la mise en place d’une pla­te­forme de conduite du chan­ge­ment, assu­rant le pilo­tage du pro­gramme et la cohé­rence avec la stra­té­gie défi­nie, impli­quant les opé­ra­tion­nels concernés,
  • le lan­ce­ment suc­ces­sif de pro­jets d’op­ti­mi­sa­tion de struc­tures, pro­ces­sus opé­ra­tion­nels et sys­tèmes d’in­for­ma­tion, de taille rela­ti­ve­ment réduite et à cycles courts avec des comi­tés de pilo­tage pro­jets pour la cocons­truc­tion des objec­tifs à atteindre,
  • la for­ma­tion du mana­ge­ment à la théo­rie du Lean et à sa mise en place pour la sup­ply chain de l’entreprise,
  • la mise en place d’in­di­ca­teurs de per­for­mance qui vont per­mettre de suivre l’at­teinte des objec­tifs défi­nis en commun.


Plu­sieurs fac­teurs appa­raissent comme clés dans la réus­site d’une démarche Lean appli­quée à la sup­ply chain :

  • impli­quer mana­ge­ment et équipes lors des étapes de défi­ni­tion de cible, de che­min critique,
  • inté­res­ser les opé­ra­tion­nels aux résul­tats via des repor­tings visuels et un impact sur les budgets,
  • mettre en place une culture de l’a­mé­lio­ra­tion continue.
     

La mise en place d’une démarche Lean sup­ply chain est l’oc­ca­sion de repen­ser sa stra­té­gie sup­ply chain, qui dif­fé­re­ra selon les seg­ments de marché :

  • sur des seg­ments « mûrs », peu inno­vants, à demande pré­vi­sible, les moyens vise­ront la recherche d’é­co­no­mies d’é­chelle, l’é­li­mi­na­tion de tâches sans valeur ajou­tée pour le client final, les tech­niques d’op­ti­mi­sa­tion pour tirer au mieux par­ti des capa­ci­tés et la recherche de gain sur l’en­semble de la chaîne, via des ini­tia­tives de collaboration ;
  • sur des seg­ments « inno­vants », peu pré­vi­sibles, avec des pro­duits à durée de vie faible, et une diver­si­té de l’offre très éle­vée, les prio­ri­tés sont mises sur la réduc­tion des lead time par la refonte des pro­ces­sus de pro­duc­tion – depuis la dif­fé­ren­cia­tion retar­dée des pro­duits jus­qu’au Make to Order, la réduc­tion de l’in­cer­ti­tude de la demande, et la cou­ver­ture contre le risque résiduel.
     

L’op­ti­mi­sa­tion de la solu­tion sup­ply chain appa­raît comme indis­pen­sable pour l’at­teinte des objec­tifs stra­té­giques de l’en­tre­prise. Dans cette optique, la démarche Lean qui per­met de desi­gner une sup­ply chain par typo­lo­gie de demande du client répond à l’am­bi­tion de per­for­mance des entre­prises dans le contexte actuel.

Commentaire

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19 mars 2023 à 20 h 14 min

Mer­ci pour ces détails sur ce nou­veau genre de mana­ge­ment notam­ment lié à la sup­ply chain.

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