Renaissances

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°707 Septembre 2015Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Mélodies : Hahn, Fauré, Byrd

Dans la mol­lesse déli­cieu­se­ment cou­pable d’un après-midi de la fin de l’été, quoi de plus repo­sant que des mélo­dies qui n’ont d’autre pré­ten­tion que de nous être agréables ? On n’en finit pas de redé­cou­vrir celles de Rey­nal­do Hahn, ce Proust de la musique, et aus­si celles de Fauré.

L’excellent bary­ton Mario Hac­quard – voix typique de l’école fran­çaise, chaude et claire, par­fai­te­ment en situa­tion avec ces poèmes fin de siècle – accom­pa­gné par Claude Col­let, a enre­gis­tré1 une ving­taine de ces mélo­dies par­mi les moins connues.

De Hahn, écou­tez Néère extraite des Études latines (Leconte de Lisle), néo­clas­sique, exqui­sé­ment déca­dente ; de Fau­ré, Ô mort, pous­sière d’étoiles (Charles Van Ler­ber­ghe), proche de l’atonalité et qui annonce, curieu­se­ment, Billy Strayhorn.

Les pièces pour cla­vier de William Byrd (1540−1623), com­po­si­teur pré­ba­roque de la tar­dive Renais­sance anglaise, sont de véri­tables mélo­dies. Jean-Luc Ho joue au cla­ve­cin ou à l’orgue ces pièces issues soit de chan­sons popu­laires soit de la litur­gie2, qui révèlent une musique tour à tour légère ou aus­tère, beau­coup moins connue que celles de l’Italie ou de la France de la même époque.

Chostakovitch par lui-même, Weinberg

Il n’existe peut-être pas de musique plus per­son­nelle, plus liée à l’existence – dif­fi­cile – du com­po­si­teur que celle de Chostakovitch.

C’est là ce qui fait tout le prix de l’interprétation de ses oeuvres par Chos­ta­ko­vitch lui-même au pia­no, dont on réédite aujourd’hui des enre­gis­tre­ments de 1958–1959, peu de temps avant qu’atteint par la mala­die, il cesse de jouer3 : les deux Concer­tos pour pia­no (dont le Concer­to pour pia­no, trom­pette et cordes), avec l’Orchestre natio­nal diri­gé par André Cluy­tens ; la Sonate pour vio­lon­celle et pia­no avec Msti­slav Ros­tro­po­vitch ; et une série de pièces pour pia­no : Trois Pièces fan­tas­tiques, et huit des vingt-quatre Pré­ludes et Fugues.

Ce qui frappe dès l’abord, c’est la par­faite tech­nique de l’exécutant – Chos­ta­ko­vitch était d’abord pia­niste – et le style : pia­no lumi­neux et per­cu­tant, comme Bar­tok et Pro­ko­fiev. Ces enre­gis­tre­ments superbes, clairs et émou­vants illus­trent mieux que le ferait une confes­sion la vie du com­po­si­teur : le 1er Concer­to, la Sonate, les Trois Pièces fan­tas­tiques sont de l’époque la plus dure du sta­li­nisme, où Chos­ta­ko­vitch était en per­ma­nence sur le fil du rasoir ; tan­dis que le 2e Concer­to est l’œuvre apai­sée et sereine d’un homme qui a échap­pé au dan­ger et qui peut vivre, enfin. Deux très grands disques.

CD Weinberg direction Jacek KaspszykChos­ta­ko­vitch fut le men­tor, le pro­tec­teur et l’ami de Wein­berg (1919- 1996), immi­gré en Union sovié­tique en 1939, et dont la ren­contre avec Chos­ta­ko­vitch fut pour Wein­berg, dit-il, une « re-naissance ».

On com­mence à peine à décou­vrir en Occi­dent Wein­berg, qui aura été un des trois com­po­si­teurs russes majeurs du XXe siècle, le troi­sième étant Pro­ko­fiev. Par­mi ses vingt-deux sym­pho­nies et neuf concer­tos, un disque récent pré­sente sa 4e Sym­pho­nie et son Concer­to pour vio­lon, par l’Orchestre phil­har­mo­nique de Var­so­vie diri­gé par Jacek Kasps­zyk, avec Ilya Grin­golts en soliste4.

Œuvres tonales, qui s’inspirent à la fois de Mah­ler et Pro­ko­fiev, et cepen­dant très ori­gi­nales : musique puis­sante et remar­qua­ble­ment orches­trée, aux thèmes lyriques, aux har­mo­nies sub­tiles, avec une dimen­sion tra­gique per­ma­nente, qui fut celle de la vie de Weinberg.

Contemporains (très audibles)

CD Horner : Pas de deuxJames Hor­ner (1953−2015), com­po­si­teur de musique de films à Hol­ly­wood, a écrit, sous le nom de Pas de deux, un double concer­to pour vio­lon, vio­lon­celle et orchestre, que viennent d’enregistrer Mari et Hakon Samuel­sen et le Royal Liver­pool Orches­tra diri­gé par Vasi­ly Petren­ko5.

À l’instar de Korn­gold jadis, Hor­ner a entre­pris d’écrire une oeuvre « clas­sique » dans le style de sa musique de films. Le résul­tat est une pièce lyrique, agréable et bien écrite, sédui­sante bien que quelque peu invertébrée.

Sur le même disque, des pièces d’Arvo Pärt, de Gio­van­ni Sol­li­ma, de Ludo­vi­co Einau­di, toutes sur le prin­cipe de la musique plus ou moins répé­ti­tive, lyriques, agréables et qua­si hypnotiques.

CD Beffa : Suite pour clavier par Vanessa Benelli MosellDans la foul­ti­tude des com­po­si­teurs d’aujourd’hui, Karol Bef­fa émerge comme l’un des plus pro­met­teurs, et le plus sédui­sant des contem­po­rains fran­çais. Sa Suite pour cla­vier, dans l’esprit de Cou­pe­rin (« la Volu­bile », « la Téné­breuse », « la Déjan­tée ») est une petite mer­veille de musi­ca­li­té et de conci­sion, avec des clins d’oeil à Stra­vins­ki et Gershwin.

Elle a été enre­gis­trée par Vanes­sa Benel­li Mosell6 avec les Trois Mou­ve­ments de Petrou­ch­ka de Stra­vins­ki, joués à la fois avec brio et cou­leur, jeu heu­reu­se­ment pas trop per­cu­tant contrai­re­ment à cer­tains interprètes.

Enfin, sur le même disque, huit Kla­vierstücke de Stock­hau­sen, petits météores qui ont le mérite de la briè­ve­té. Stock­hau­sen aura été un créa­teur pro­li­fique du XXe siècle à qui on doit des oeuvres aus­si mar­quantes – et émou­vantes – que Hym­nen et Stim­mung. Dans un moment un peu creux de la créa­tion musi­cale, on peut espé­rer que sa musique connaisse, enfin, une véri­table renaissance.

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1. 1 CD Polymnie.
2. 1 CD Accent tonique.
3. 2 CD Warner.
4. 1 CD Warner.
5. 1 CD Mercury.
6. 1 CD Decca.

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