Renaissance mondiale du nucléaire : quelles places pour la Russie ? Première partie

Dossier : ExpressionsMagazine N°623 Mars 2007
Par Laurent STRICKER
Par Jacques LECLERCQ (63)

La Rus­sie a annon­cé vou­loir déve­lop­per la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té nucléaire pour pas­ser de 23 GW actuel­le­ment à un niveau au moins égal en 2030 à 45 GW, voire 60 GW. Cela implique la mise en ser­vice de 2 à 3 GW/an en moyenne sur une quin­zaine d’an­nées. Ce rythme est encore plus éle­vé, si l’on y ajoute les objec­tifs ambi­tieux affi­chés à l’exportation.
Ces objec­tifs sont repla­cés dans un contexte mon­dial de « renais­sance du nucléaire » esti­mé à + 300 GW en 2030 (+ 150 GW d’ac­crois­se­ment de capa­ci­té et + 150 GW pour les cen­trales mises à l’ar­rêt), ce qui condui­rait à un parc total ins­tal­lé pas­sant de 370 à 520 GW.
Ce mon­tant pour­ra paraître éle­vé, mais il reste en réa­li­té modeste face aux besoins crois­sants en élec­tri­ci­té à cet hori­zon : il cor­res­pond au scé­na­rio de réfé­rence 2005 des études pros­pec­tives WNA (World Nuclear Association).
Dans la deuxième par­tie, on décri­ra la situa­tion russe, son orga­ni­sa­tion actuelle et les mesures prises ou envi­sa­gées par ses diri­geants pour atteindre les objec­tifs rete­nus et sur­mon­ter le défi indus­triel qu’ils représentent.

Une réflexion sur l’é­tat et les pers­pec­tives de l’in­dus­trie nucléaire civile russe a été lan­cée par EDF il y a envi­ron deux ans. L’a­chè­ve­ment de ce tra­vail au prin­temps 2005 a coïn­ci­dé avec ce qu’il faut bien appe­ler un « retour­ne­ment » du contexte du nucléaire, même si cer­tains pré­cur­seurs étaient déjà notables, prin­ci­pa­le­ment en Chine et aux États-Unis.

Cet article sur le nucléaire civil russe com­porte cinq par­ties : après un rap­pel de la démarche sui­vie, on tra­ce­ra un scé­na­rio « plau­sible » clai­re­ment situé dans un contexte de renais­sance du nucléaire. La troi­sième par­tie com­mence par quelques rap­pels sur la Rus­sie, sui­vis par les carac­té­ris­tiques du sys­tème élec­trique, la qua­trième par­tie est rela­tive à l’or­ga­ni­sa­tion de l’in­dus­trie nucléaire civile russe. La cin­quième et der­nière par­tie est consa­crée aux pro­grammes de déve­lop­pe­ment déci­dés ou envisageables.

L’organisation et les objectifs de la démarche

Il y a deux ans, la Revue géné­rale nucléaire (RGN) avait bien vou­lu publier un article cosi­gné de notre part inti­tu­lé « Les per­for­mances com­pa­rées des parcs nucléaires en exploi­ta­tion des États-Unis et d’Élec­tri­ci­té de France » (année 2004, n° 5, octobre-novembre, pages 12 à 20).

Nous indi­quions, en conclu­sion géné­rale de cette com­pa­rai­son, que des ensei­gne­ments pou­vaient être tirés de l’ex­pé­rience accu­mu­lée aux États-Unis depuis dix ans, à la fois de manière prag­ma­tique, mais éga­le­ment pour une réflexion dénom­mée Ini­tia­tive nucléaire 2015 (IN15) visant, pour EDF, à pré­pa­rer et mettre en œuvre les évo­lu­tions dans le domaine nucléaire per­met­tant de faire face aux enjeux de demain.

Paral­lè­le­ment, afin de com­plé­ter les tra­vaux ci-des­sus cen­trés sur l’a­mé­lio­ra­tion de la per­for­mance du parc fran­çais, il est appa­ru utile de faire le point sur l’é­tat et les pers­pec­tives de l’in­dus­trie nucléaire civile de quelques autres grands pays, au pre­mier rang des­quels la Rus­sie, qui, il y a dix-huit mois à peine, était moins sous les pro­jec­teurs que la Chine ou les États-Unis par exemple.

Ce pro­jet d’une durée d’une année a été conduit par une équipe com­por­tant des repré­sen­tants des diverses direc­tions concer­nées, la coor­di­na­tion étant assu­rée par JAL Consulting.

Il a don­né lieu à de nom­breux contacts avec plu­sieurs res­pon­sables du Com­mis­sa­riat à l’éner­gie ato­mique et d’A­re­va ain­si qu’à deux mis­sions d’une semaine cha­cune (octobre 2004 et février 2005), conduites par Jal­co en liai­son avec MHB SA (Mme Marie-Hélène Berard) spé­cia­liste des ques­tions éco­no­miques et finan­cières pour les pays de l’Est. Ces mis­sions ont per­mis de ren­con­trer, à Mos­cou et à Saint-Péters­bourg, les diri­geants et des res­pon­sables de niveau éle­vé, de pra­ti­que­ment toutes les orga­ni­sa­tions et entre­prises enga­gées dans la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té nucléaire (une ving­taine au total) ain­si que les repré­sen­tants des entre­prises fran­çaises et, bien sûr, de l’am­bas­sade de France.

Ces tra­vaux ont per­mis en pre­mier lieu d’ac­tua­li­ser et de com­plé­ter les connais­sances acquises sur l’in­dus­trie russe ; ils devraient contri­buer, comme on le ver­ra dans la suite de cet article, à la réflexion sur les évo­lu­tions de posi­tion­ne­ment envi­sa­geables, compte tenu des impul­sions vigou­reuses défi­nies et enga­gées par S. Kiriyen­ko, chef de Rosa­tom, l’a­gence char­gée du nucléaire civil et mili­taire, depuis sa nomi­na­tion en novembre 2005.

La « renaissance nucléaire »

Le retournement du contexte du nucléaire

Il y a moins de deux ans, de nom­breuses inter­ro­ga­tions sur la per­ti­nence de la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine nucléaire étaient lar­ge­ment émises en France, en Europe et dans le monde, y com­pris par les grandes ins­ti­tu­tions inter­na­tio­nales en charge des ques­tions éner­gé­tiques. Depuis cette date, le contexte éner­gé­tique a été mar­qué par trois évo­lu­tions majeures :

• tout d’a­bord, les prix des com­bus­tibles fos­siles : pétrole, gaz et dans une moindre mesure char­bon ont connu une hausse impor­tante. Le niveau éle­vé des prix appa­raît désor­mais durable, même avec des fluc­tua­tions signi­fi­ca­tives vrai­sem­blables ; de nom­breuses études pros­pec­tives s’ac­cor­dant sur le fait que l’éner­gie est deve­nue struc­tu­rel­le­ment un bien rare, met­tant au pre­mier plan la ques­tion de la sécu­ri­té d’approvisionnement ;
• ensuite, les enjeux du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la néces­si­té de la lutte contre l’ef­fet de serre se sont encore affir­més au tra­vers des dis­cus­sions inter-États sur la suite du pro­to­cole de Kyo­to et par le démar­rage en Europe, depuis début 2005, d’un mar­ché de Per­mis d’é­mis­sions négo­ciables, qui conduit désor­mais les opé­ra­teurs indus­triels à inté­grer le coût du CO2 dans leurs arbi­trages éco­no­miques aux dif­fé­rents hori­zons de temps ;
• enfin, de façon assez géné­rale y com­pris en Europe où on sort du sur­équi­pe­ment, la construc­tion de nou­velles cen­trales de pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té a été annon­cée et enga­gée par plu­sieurs com­pa­gnies d’élec­tri­ci­té, don­nant ain­si le signal de la reprise des inves­tis­se­ments pour faire face aux pro­chains déclas­se­ments de cen­trales obso­lètes, essen­tiel­le­ment au char­bon, et à la crois­sance de la demande d’élec­tri­ci­té (au moins 80 % en moyenne au niveau mon­dial d’i­ci à 2030).

Ces trois déter­mi­nants (prix des com­bus­tibles, quo­tas de CO2 et besoins de nou­velles capa­ci­tés de pro­duc­tion) sont à l’o­ri­gine de la forte hausse du prix de l’élec­tri­ci­té en Europe.

On peut donc par­ler, du fait de pers­pec­tives appa­rais­sant dura­ble­ment favo­rables aux kWh nucléaires, d’un véri­table retour­ne­ment vis-à-vis de l’éner­gie nucléaire qui s’est tra­duit au plan mon­dial par de nom­breuses ini­tia­tives que l’on résu­me­ra ci-des­sous et que l’on repla­ce­ra ensuite dans un « scé­na­rio plau­sible » à l’ho­ri­zon 2030.

Les principales initiatives

Pour l’es­sen­tiel, si l’on excepte quelques déci­sions mar­quantes comme celles prises en France et en Fin­lande de construire un EPR, le réac­teur fran­co-alle­mand de 3e géné­ra­tion d’A­re­va, si l’on excepte éga­le­ment la pour­suite des construc­tions en cours (il y a envi­ron trente réac­teurs en construc­tion ou en voie d’a­chè­ve­ment dont une ving­taine en Asie et trois en Rus­sie), il s’a­git prin­ci­pa­le­ment soit d’in­ten­tions favo­rables soit de pré­pa­rer les condi­tions effec­tives d’une relance des enga­ge­ments dont on ver­ra plus loin qu’au total ils pour­raient conduire à la mise en ser­vice de plus de 300 GW d’i­ci 2030 fai­sant pas­ser la capa­ci­té nette totale de 370 GW à 520 GW (370 – 150 + 300).

Sans être exhaus­tif, on peut consi­dé­rer que les grandes impul­sions pro­viennent actuel­le­ment des États-Unis, de la Chine, de l’Inde et de la Rus­sie bien sûr ; l’Eu­rope de l’Ouest ain­si que l’Eu­rope cen­trale et orien­tale appa­rais­sant à ce jour moins dyna­miques même si des actions posi­tives sont enga­gées par cer­tains pays, au pre­mier plan des­quels le Royaume-Uni.

Avec l’Ener­gy Poli­cy Act d’août 2005, les États-Unis ont clai­re­ment mar­qué leur volon­té d’é­ta­blir des condi­tions favo­rables aux inves­tis­se­ments nucléaires tant sur la sim­pli­fi­ca­tion des pro­cé­dures et garan­ties que l’é­ta­blis­se­ment d’in­ci­ta­tions financières.

L’in­dus­trie de son côté, soit en direct par les uti­li­ties, soit par la construc­tion de grou­pe­ments comme NuS­tart (9 élec­tri­ciens US, EDF, Gene­ral Elec­tric et Wes­tin­ghouse) ou de joint ven­tures comme Unis­tar (Constel­la­tion et Are­va), met au point d’as­sez nom­breux pro­jets (12 com­pa­gnies ont décla­ré des pro­jets AP 1000, ESBWR et EPR pour une puis­sance de l’ordre de 30 GW). La mise en ser­vice de 45 GW à l’ho­ri­zon 2030 per­met­trait de main­te­nir la pro­por­tion de 20 % d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine nucléaire.

L’an­nonce, début 2006, par l’ad­mi­nis­tra­tion US de GNEP (Glo­bal Nuclear Ener­gy Part­ner­ship) com­plète le dis­po­si­tif en défi­nis­sant une stra­té­gie nucléaire à objec­tifs mul­tiples dont l’ob­jet est la mise en place d’un sys­tème inter­na­tio­nal per­met­tant le déploie­ment, dans des condi­tions poli­ti­que­ment accep­tables (notam­ment vis-à-vis de la non-pro­li­fé­ra­tion), d’un parc nucléaire impor­tant au niveau mon­dial ; en pra­tique, GNEP marque une inflexion majeure de la poli­tique US qui envi­sage doré­na­vant de mettre en œuvre une poli­tique de retrai­te­ment des com­bus­tibles usés en sus du sto­ckage de longue durée.

Depuis plu­sieurs années, la Chine a affi­ché de grandes ambi­tions et s’or­ga­nise pour maî­tri­ser tota­le­ment la filière nucléaire ; les puis­sances actuelles (ins­tal­lées et en cours de construc­tion) sont rela­ti­ve­ment modestes (moins de 2 % du parc élec­trique total égal à 508 GW), mais compte tenu de la crois­sance de l’é­co­no­mie et de celle de la demande d’élec­tri­ci­té, l’en­semble des mises en ser­vice pour­rait atteindre 60 GW d’i­ci à 2030.

La place impor­tante que pour­rait prendre l’Inde est appa­rue plus récem­ment avec les dis­cus­sions en cours au plus haut niveau entre les auto­ri­tés indiennes et amé­ri­caines qui pour­raient débou­cher sur des coopé­ra­tions inter­na­tio­nales sans entraves.

Là aus­si, les besoins en éner­gie élec­trique sont consi­dé­rables et l’Inde envi­sage au moins 30 GW de nucléaire dans son mix élec­trique à l’ho­ri­zon 2030, ce qui est très impor­tant au regard des 3,4 GW de capa­ci­tés installées.

Depuis l’ar­ri­vée de S. Kiriyen­ko à la tête de Rosa­tom, l’a­gence fédé­rale russe en charge des acti­vi­tés nucléaires civile et mili­taire, la Rus­sie montre clai­re­ment qu’elle entend déve­lop­per la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té nucléaire en Rus­sie même et jouer un rôle impor­tant à l’ex­por­ta­tion. Dans le même temps, la Rus­sie lan­çait une ini­tia­tive sur la créa­tion de centres inter­na­tio­naux de four­ni­ture, de ser­vices du cycle du com­bus­tible nucléaire.

Les ordres de gran­deur indi­qués à l’ho­ri­zon 2030 (de 30 à 45 GW) doivent être mis en regard de la puis­sance ins­tal­lée de 23 GW. Cet article a pour objet de rap­pe­ler, vu par des obser­va­teurs exté­rieurs, le contexte et l’or­ga­ni­sa­tion fon­dant de telles prises de posi­tion et dis­cus­sions qui, à notre sens, seront déter­mi­nantes pour les années futures.

Un « scénario plausible » de + 300 GW au niveau mondial à l’horizon 2030

Les déve­lop­pe­ments sui­vants ont pour objet de pré­ci­ser les ordres de gran­deur et de les mettre en pers­pec­tive dans des domaines d’in­ves­tis­se­ment où les temps néces­saires pour la déci­sion et l’exé­cu­tion sont sou­vent supé­rieurs à dix ans. Ils ont éga­le­ment pour objet de mettre en évi­dence les enjeux aux­quels les pays de l’Eu­rope géo­gra­phique (zone incluant l’U­kraine et la Tur­quie) auront à faire face d’i­ci à 2030.


Capa­ci­tés nucléaires de l’Eu­rope et de la Rus­sie (carte 1)

Rap­pe­lons tout d’a­bord que les chiffres de puis­sance nucléaire se situent dans des contextes lar­ge­ment éclai­rés par de nom­breux docu­ments de réfé­rence sur les pers­pec­tives éner­gé­tiques à l’ho­ri­zon 2030 émis par des orga­ni­sa­tions recon­nues ; sans être exhaus­tif, citons les tra­vaux de l’AIE (World Ener­gy Out­look), de la Com­mis­sion euro­péenne (Livre vert), du DOE des USA (Annual Ener­gy Out­look) ou encore les études faites par des orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles recon­nues comme le WNA (World Nuclear Association).

En syn­thèse, une pro­jec­tion moyenne fait appa­raître que les besoins mon­diaux en capa­ci­tés de pro­duc­tion élec­trique pour­raient s’é­le­ver à + 4 800 GW (deux tiers de nou­velles capa­ci­tés, un tiers de renou­vel­le­ment) fai­sant pas­ser la puis­sance totale mon­diale ins­tal­lée de 3 400 GW en 1999 à 6 600 GW en 2030. Le scé­na­rio envi­sa­gé de + 300 GW pour le nucléaire recouvre un accrois­se­ment de capa­ci­té de + 150 GW et le renou­vel­le­ment des déclas­se­ments esti­mé à + 150 GW même en tenant compte des aug­men­ta­tions de durée de vie déci­dées ou envisageables.

Un tel scé­na­rio ferait pas­ser le nucléaire de + 370 GW soit 11 % de la puis­sance ins­tal­lée à 520 GW, donc avec une part rela­tive réduite à 7 %. Dans le nou­veau contexte décrit pré­cé­dem­ment, ce scé­na­rio à + 300 GW en 2030 paraît plau­sible et devrait per­mettre de pré­pa­rer les déci­sions indus­trielles appro­priées.

Zone géo­gra­phique par zone géo­gra­phique, le total des prin­ci­pales ini­tia­tives rap­pe­lées ci-des­sus s’é­lève à + 165 GW (États-Unis 45 GW ; Chine 60 GW ; Inde 30 GW ; Rus­sie 30 GW de manière pru­dente). D’autres déci­sions seront prises que l’on peut esti­mer vrai­sem­blables à hau­teur de 30 GW pour le Japon et la Corée du Sud et 15 GW pour le reste du Monde (hors les pays de l’Eu­rope « géo­gra­phique » ce qui conduit à un total de 210 GW).

S’a­gis­sant des pays de l’Eu­rope « géo­gra­phique » (cf. carte n° 1), cou­vrant essen­tiel­le­ment l’U­nion euro­péenne, l’U­kraine et la Tur­quie, avec une puis­sance ins­tal­lée de 150 GW, peut-on esti­mer que 90 GW seront mis en ser­vice d’i­ci 2030 ?

Ce point est loin d’être acquis, même au niveau des prin­cipes dans plu­sieurs pays de l’Eu­rope des Quinze ; cela dit, si l’on consi­dère les déclas­se­ments inévi­tables à cet hori­zon et esti­més à près de 700 GW et les capa­ci­tés nou­velles de l’ordre de 570 GW pour faire face à une demande crois­sante d’élec­tri­ci­té de plus de 50 %, un tel volume qui repré­sente moins de 10 % des puis­sances à mettre en œuvre sera pro­ba­ble­ment déci­dé tôt ou tard qu’on peut répar­tir éga­le­ment entre l’Eu­rope des Quinze (45 GW) et le Grand Est (45 GW), déno­mi­na­tion pro­po­sée pour les autres pays de l’Eu­rope géo­gra­phique qui uti­lisent à l’heure actuelle essen­tiel­le­ment des réac­teurs de concep­tion russe (ou seraient sus­cep­tibles d’en utiliser).

Au total, 300 GW sur la période, cela repré­sente en moyenne 23 GW par an entre 2012 et 2025 ; 2012 est la date à laquelle les construc­tions auront pu démar­rer à un rythme sou­te­nu et 2025 repré­sente la der­nière année d’en­ga­ge­ment de tra­vaux pour des mises en ser­vice en 2030 (durée de réa­li­sa­tion esti­mée à cinq ans).

C’est envi­ron ce qui a été mis en ser­vice entre 1970 et 1985 : il s’a­git donc, pour cette « seconde vague », d’un ensemble de pro­grammes ambi­tieux, mais réa­li­sables (une ving­taine de tranches par an), aux­quels de nom­breux acteurs indus­triels, dont la Rus­sie, com­mencent à se pré­pa­rer activement.

Quelques rappels sur la Russie et les caractéristiques du système électrique

La Fédé­ra­tion de Rus­sie est un « très grand pays » au double sens des dimen­sions et des capa­ci­tés éco­no­miques et poli­tiques. Cette qua­si-évi­dence n’ex­clut pas de grandes dis­pa­ri­tés, ni même des points faibles, mais dans le domaine du nucléaire, elle fonde la volon­té des diri­geants à main­te­nir, déve­lop­per et gar­der le contrôle de l’en­semble du « com­plexe nucléaire » avec ses com­po­santes civile et mili­taire, base incon­tes­table de la recon­nais­sance de la Rus­sie en tant que grande puis­sance. Nous revien­drons ulté­rieu­re­ment sur les consé­quences pra­tiques de cette attitude.


Parc nucléaire russe

Au plan des dimen­sions, rap­pe­lons que la Fédé­ra­tion de Rus­sie est le plus grand pays du monde : 17 mil­lions de km2 (32 fois la France) soit 18 de la sur­face ter­restre de la pla­nète ; 11 fuseaux horaires ; une popu­la­tion totale de 143 mil­lions d’habitants.

C’est un pays très hété­ro­gène où toute don­née pré­sente de consi­dé­rables écarts ; ain­si, on peut noter un fac­teur 4 entre les coûts de pro­duc­tion élec­trique, de l’ordre de 11,5 USD/MWh pour Kos­tro­ma à l’Ouest, envi­ron 45 USD/MWh sur la côte Est. Ces aspects doivent être rela­ti­vi­sés pour l’élec­tri­ci­té nucléaire dont les réac­teurs sont sur­tout à l’ouest de l’Ou­ral, même si les res­sources minières et les ins­tal­la­tions du cycle du com­bus­tible se trouvent essen­tiel­le­ment en Sibérie.

Au plan éco­no­mique, les indi­ca­teurs doivent être uti­li­sés avec pru­dence : en pari­té de pou­voir d’a­chat (ppa) qui per­met des com­pa­rai­sons au niveau mon­dial sur une même base, le PIB de la Rus­sie s’é­lève, pour 2005, en dol­lars 2002 à 1 427 mil­liards de dol­lars (source Rexe­code), un peu moins que la France avec 1 799 mil­liards de dol­lars (pour une popu­la­tion de 61 mil­lions d’habitants).

Les taux de crois­sance sont tou­jours éle­vés : esti­ma­tion de 6,4 % pour l’an­née 2005. Le niveau de pro­duc­tion d’a­vant la crise de 1998 a été dépas­sé et d’une manière géné­rale tous les indi­ca­teurs sont reve­nus à des niveaux supé­rieurs à ceux des der­nières meilleures années du régime sovié­tique. Ter­mi­nons ce bref rap­pel indi­quant que la dette exté­rieure publique a été récem­ment effa­cée et que le bud­get est en excédent.

Ain­si, la Rus­sie conti­nue de bien se por­ter et les impor­tants excé­dents de la balance com­mer­ciale, essen­tiel­le­ment dus aux acti­vi­tés pétro­lières et gazières (le nucléaire est éga­le­ment un contri­bu­teur posi­tif pour plus de 3 mil­liards de dol­lars) y contri­buent lar­ge­ment. De nom­breuses réformes ont été enga­gées notam­ment dans le domaine de la fis­ca­li­té, domaine où les chan­ge­ments ont été les plus pro­fonds ; d’autres réformes sont enga­gées au plan des­quelles on men­tion­ne­ra le sec­teur ban­caire (trop nom­breuses petites banques), le sys­tème judi­ciaire et la réduc­tion des pro­cé­dures bureaucratiques.

Deux points noirs sont fré­quem­ment rele­vés. En pre­mier lieu la démo­gra­phie, plus que pré­oc­cu­pante : l’es­pé­rance de vie conti­nue de dimi­nuer et s’é­ta­blit à 58,9 ans pour les hommes. Avec des taux de nata­li­té bas et un taux de mor­ta­li­té éle­vé, la popu­la­tion de la Fédé­ra­tion de Rus­sie pour­rait décroître à 125 mil­lions d’ha­bi­tants en 2030 et, selon un rap­port de l’O­NU, à 112 mil­lions en 2050, le même niveau que le Japon.

En second lieu, il faut sou­li­gner qu’une grande par­tie de la popu­la­tion est encore en des­sous du seuil de pau­vre­té, là aus­si avec de grandes dis­pa­ri­tés entre les régions, les villes et les cam­pagnes, les salaires men­suels moyens étant com­pris entre 30 et 400 dollars.

Les caractéristiques du secteur électrique

Les deux acteurs prin­ci­paux du sec­teur élec­trique sont le sys­tème élec­trique uni­fié RAO EES (dite RAO) et l’ex­ploi­tant nucléaire, Rose­ner­ga­tom (REA) qui dépend de Rosa­tom. RAO dans sa struc­ture actuelle est un hol­ding d’É­tat qui en contrôle majo­ri­tai­re­ment le capi­tal et gère l’en­semble des acti­vi­tés non nucléaires, du trans­port et de la dis­tri­bu­tion. Des réformes de struc­tures signi­fi­ca­tives sont en pro­jet qui concernent à la fois RAO et la struc­tu­ra­tion du marché.


Mix élec­trique (Rus­sie)

La consom­ma­tion élec­trique en 2005 a atteint 945 TWh au-delà des pré­vi­sions et la consom­ma­tion pour les huit pre­miers mois de 2006 s’est éta­blie à + 5,5 %. On obser­ve­ra que le ratio de consom­ma­tion par habi­tant pour le sec­teur indus­triel du fait de ses acti­vi­tés d’in­dus­trie lourde avec 4 150 kWh/hab. se situe à des niveaux très éle­vés (supé­rieurs à celui des USA) alors qu’il est encore à des niveaux très bas pour le sec­teur rési­den­tiel et ter­tiaire (Expo­sé de S. Kiriyen­ko au WNA du 7 sep­tembre 2006 à Londres).

La crois­sance atten­due des acti­vi­tés indus­trielles com­bi­née avec un « rat­tra­page » des sec­teurs non indus­triels conduit à pré­voir pour les années à venir un déve­lop­pe­ment impor­tant des consom­ma­tions élec­triques (dou­ble­ment au moins d’i­ci 2030 selon les auto­ri­tés russes, objec­tif qui pour­ra paraître éle­vé à des obser­va­teurs occidentaux).

En ce qui concerne le mix élec­trique, comme on peut le voir sur le gra­phique n° 1, il est très dif­fé­rent du mix fran­çais où la part du nucléaire atteint 78 % et celle de l’hy­drau­lique 12 %.

En 2005, le nucléaire russe avec 23,2 GW de puis­sance ins­tal­lée pour un total de 227 GW repré­sente 16 % de la pro­duc­tion, soit envi­ron 150 TWh (cf. carte n° 2). La part du gaz (le pétrole ne repré­sente que 3 %) est très éle­vée ; en valeur abso­lue cette part ne peut qu’aug­men­ter au détri­ment d’autres usages, comme l’ex­por­ta­tion sauf à recou­rir à des CCG (cycles com­bi­nés gaz) de bien meilleur ren­de­ment et, bien sûr, à accroître la part du nucléaire.

Pour le futur, la Rus­sie a donc à faire face à un des chal­lenges impor­tants condui­sant à faire évo­luer son mix et à mettre en ser­vice d’i­ci 2030 des puis­sances esti­mées (280 GW) pour répondre tant à l’ac­crois­se­ment de consom­ma­tion (220 GW) qu’aux déclas­se­ments, esti­més à + 60 GW (c’est sans doute un minimum).

Sur ces bases, si l’on retient une pro­duc­tion nucléaire de 25 %, soit 400 TWh, cela conduit à une capa­ci­té totale ins­tal­lée d’en­vi­ron 60 GW (7 TWh/GW) et donc, compte tenu des déclas­se­ments inévi­tables à cet hori­zon, à la mise en ser­vice d’au moins 45 GW. Une hypo­thèse basse avec + 50 % d’aug­men­ta­tion de la consom­ma­tion et 22 % de part nucléaire conduit à une pro­duc­tion de 330 TWh et un parc ins­tal­lé d’en­vi­ron 45 GW. Cela sup­pose qu’au moins 30 GW soient mis en ser­vice d’i­ci 2030, cor­res­pon­dant à des enga­ge­ments de tra­vaux de 2 GW/an entre 2010 et 2025. C’est l’hy­po­thèse rete­nue dans le scé­na­rio dit plau­sible qui repré­sente déjà un for­mi­dable challenge.

Atteindre la deuxième partie

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