Renaissance mondiale du nucléaire : quelles places pour la Russie ? Deuxième partie

Dossier : ExpressionsMagazine N°623 Mars 2007
Par Laurent STRICKER
Par Jacques LECLERCQ (63)

Dans la deuxième par­tie, on décrit la situa­tion russe, son orga­ni­sa­tion actuelle et les mesures prises ou envi­sa­gées par ses diri­geants pour atteindre les objec­tifs rete­nus et sur­mon­ter le défi indus­triel qu’ils représentent.

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L’organisation de l’industrie nucléaire civile russe

Un « raccourci » de l’histoire du nucléaire civil

L’in­dus­trie nucléaire civile s’est construite pro­gres­si­ve­ment dès la fin de la Der­nière Guerre mon­diale et s’est pour un temps lar­ge­ment confon­due avec les acti­vi­tés mili­taires. Elle a pris assez rapi­de­ment (à par­tir de 1953) une place à part, même si elle demeure encore aujourd’­hui étroi­te­ment imbri­quée dans ce qu’il convient d’ap­pe­ler « le com­plexe nucléaire ». À cet égard, il est tout à fait pas­sion­nant de lire la thèse de doc­to­rat de M. N. Vasi­lie­va, édi­tée en 1999 par l’Ins­ti­tut d’his­toire de l’in­dus­trie et qui s’in­ti­tule Soleils rouges, l’am­bi­tion nucléaire sovié­tique – essai sur l’é­vo­lu­tion des sys­tèmes de prise de déci­sion dans le nucléaire sovié­tique (russe).


Les ins­tal­la­tions du site (carte 3)

On en retien­dra seule­ment ici, que le nucléaire a depuis plus de soixante ans repré­sen­té une prio­ri­té poli­tique, que des moyens consi­dé­rables ont été régu­liè­re­ment mis en œuvre, que des équipes très com­plètes et moti­vées de savants, ingé­nieurs et tech­ni­ciens ont obte­nu très vite de manière autar­cique des résul­tats mar­quants puisque pour le nucléaire civil, le 27 juin 1954, sous la direc­tion de l’a­ca­dé­mi­cien Igor V. Kourt­cha­tov, la cen­trale de 5 MW d’Ob­ninsk a été la pre­mière au monde à être cou­plée à un réseau élec­trique (pré­cé­dant Cal­der Hall en 1956 au Royaume-Uni et Ship­ping­port aux États-Unis cou­plée au réseau en 1957).

L’ac­ci­dent de Tcher­no­byl, le 26 avril 1986, a stop­pé pour de longues années les nou­veaux pro­grammes presque par­tout dans le monde, éga­le­ment en Union sovié­tique puis dans la Fédé­ra­tion de Russie.

Des mesures cor­rec­tives ont été prises sur les tranches RBMK, les per­for­mances d’ex­ploi­ta­tion se sont amé­lio­rées (kd, coef­fi­cient de dis­po­ni­bi­li­té, au-delà de 75 %) et l’on a pu entre­prendre la fini­tion d’un cer­tain nombre de tranches VVER en cours d’a­chè­ve­ment dont la construc­tion avait été arrê­tée ou ralentie.

Aujourd’­hui le parc russe en exploi­ta­tion com­porte 31 réac­teurs pour une puis­sance totale ins­tal­lée de 23,2 GW dans 10 cen­trales (11 RBMK ; 15 VVER ; 1 tranche à neu­trons rapides de 600 MW ; 4 petits réac­teurs mixtes de 12 MW cha­cun à Bilibino).

C’est aus­si des ins­tal­la­tions du cycle cou­vrant, nous détaille­rons ces points un peu plus loin, tant l’a­mont du cycle, extrac­tion d’u­ra­nium, conver­sion, enri­chis­se­ment et fabri­ca­tion de com­bus­tibles, que de manière incom­plète l’a­val du cycle avec quelques capa­ci­tés de retrai­te­ment pour les com­bus­tibles des VVER (cf. carte n° 3).

C’est enfin une pré­sence impor­tante hors de la Rus­sie avec d’une part, envi­ron 40 réac­teurs en ser­vice, d’une puis­sance totale de 30 GW (pra­ti­que­ment tous VVER) en Fin­lande et dans les pays de l’Est et d’autre part, 5 réac­teurs VVER en construc­tion en Chine, Iran et Inde (cf. carte n° 4) pour une puis­sance d’en­vi­ron 5 GW.

L’organisation actuelle du nucléaire civil


Réac­teurs de tech­no­lo­gie russe à l’é­tran­ger (carte 4)

Au centre du dis­po­si­tif, on trouve Rosa­tom, l’A­gence fédé­rale à l’éner­gie ato­mique créée lors de la réforme admi­nis­tra­tive de mars 2004. Cette agence fédé­rale dépend du Pre­mier Ministre et suc­cède au Mina­tom, le minis­tère de l’Éner­gie ato­mique qui aura duré de 1992 à 2003, lui-même suc­ces­seur du minis­tère dit des Construc­tions moyennes, le Mins­red­mach. Glo­ba­le­ment Rosa­tom a les mêmes attri­bu­tions que les pré­cé­dents minis­tères ; il recouvre les acti­vi­tés civiles et mili­taires à l’ex­cep­tion de celles rela­tives à la Sûre­té nucléaire ; il est orga­ni­sé en plu­sieurs dépar­te­ments et s’ap­puie sur un Col­lège des Direc­teurs réunis­sant régu­liè­re­ment les res­pon­sables des orga­ni­sa­tions qui lui sont rat­ta­chées ain­si que ceux des minis­tères ou orga­ni­sa­tions ayant à connaître du nucléaire civil.

On note­ra que les acti­vi­tés de sûre­té nucléaire confiées au Ros­te­kh­nad­zor (aux attri­bu­tions plus larges) dépendent direc­te­ment du Pre­mier Ministre ; de grands efforts ont été faits dans tous les domaines pour amé­lio­rer la sûre­té nucléaire des ins­tal­la­tions exis­tantes et l’or­ga­ni­sa­tion condui­sant à des résul­tats équi­va­lents à ceux des autres opé­ra­teurs de centrales.

L’ef­fec­tif total est esti­mé à 450 000 per­sonnes dont 250 000 pour le sec­teur indus­triel ; s’a­gis­sant du nucléaire civil, il com­prend les acti­vi­tés de recherche, d’in­gé­nie­rie, d’ex­ploi­ta­tion des cen­trales nucléaires, d’a­mont et aval du cycle incluant les grands centres de Sibé­rie, dénom­més com­bi­nats, ain­si que les acti­vi­tés de fabri­ca­tion et de maintenance.

Le tableau n° 2 essaie de ras­sem­bler les prin­ci­paux élé­ments consti­tu­tifs de cette organisation.

On dis­tingue successivement :
la recherche où plu­sieurs types d’or­ga­nismes sont impli­qués dans la R & D nucléaire : l’A­ca­dé­mie des sciences de Rus­sie, essen­tiel­le­ment pour ce qui concerne la recherche fon­da­men­tale, la phy­sique théo­rique, les études sur les pro­prié­tés de la matière où l’on estime que 30 à 40 % de l’ef­fec­tif total de 60 000 per­sonnes envi­ron sont impli­qués dans les ins­ti­tuts de recherche fon­da­men­tale liés au nucléaire ; l’Ins­ti­tut Kourt­cha­tov, ini­tia­teur de l’éner­gie ato­mique en Rus­sie, dépen­dant main­te­nant direc­te­ment du minis­tère de l’É­du­ca­tion et de la Recherche, a un effec­tif d’en­vi­ron 7 500 per­sonnes sur une dizaine de sites ; les ins­ti­tuts du Rosa­tom avec 50 000 per­sonnes esti­mées sur une dizaine de sites dont l’IPPE d’Ob­ninsk, phy­sique et éner­gé­tique, le VNIIM pour les maté­riaux inor­ga­niques et le RIAR pour les rapides. Enfin, il convient de men­tion­ner IBRAE, ins­ti­tut de l’A­ca­dé­mie des sciences hau­te­ment spé­cia­li­sé pour les ques­tions de sûre­té nucléaire (envi­ron 400 p.) créé après Tchernobyl ;
 l’in­gé­nie­rie : on dis­tin­gue­ra les ingé­nie­ries du cycle du com­bus­tible comme GSPI à Mos­cou et VNIPIET à Saint-Péters­bourg et celles du réac­teur, ingé­nie­ries « construc­teurs » comme Gui­do­press (VVER) et NIKIET (RBMK ; sous-marins) et les ins­ti­tuts de concep­tion géné­rale « pro­jets », archi­tectes-ensem­bliers comme les AEP, Ato­me­ner­go­proekt de Mos­cou, Saint-Péters­bourg et Nij­ni-Nov­go­rod. On fera une place à part à Atom­stroyex­port, archi­tecte-ensem­blier des cen­trales à l’ex­por­ta­tion, reve­nu récem­ment sous le contrôle de l’État ;
 l’ex­ploi­ta­tion : elle est du res­sort de Rose­ner­ga­tom, REA ; cette enti­té de 50 000 per­sonnes ras­semble depuis plu­sieurs années l’en­semble des cen­trales en exploi­ta­tion ain­si que l’ins­ti­tut VNIIAES et les Ato­me­ner­goe­mont, dédiés à la main­te­nance. Avec ses 31 tranches en ser­vice, il s’a­git de fait du deuxième exploi­tant mon­dial après Élec­tri­ci­té de France ;
 les acti­vi­tés de l’a­mont du cycle très dyna­miques sont essen­tiel­le­ment cou­vertes par TVEL (com­pa­gnie d’en­vi­ron 50 000 p. créée en 1996) pour ce qui concerne les mines avec une pro­duc­tion de 3 000 t/an et la fabri­ca­tion (17 % du mar­ché mon­dial) (Elek­tros­tal près de Mos­cou ; Novos­si­birsk, Che­petsk) ; les grands com­bi­nats (ayant par ailleurs d’autres mis­sions) de Sibé­rie (Seversk, Angarsk, Zele­no­gorsk, Novou­ralsk) sont en charge de l’en­ri­chis­se­ment et de la conver­sion, la com­mer­cia­li­sa­tion étant assu­rée par Tenex ;
 les acti­vi­tés de l’a­val du cycle sont à ce stade assez limi­tées ; les Russes sont favo­rables au retrai­te­ment, mais la seule usine en fonc­tion­ne­ment, RT‑1, usine de Mayak à Tche­lia­binsk retraite des volumes rare­ment supé­rieurs à 150 t/an, pour les seuls com­bus­tibles VVER-440 pour une capa­ci­té théo­rique de 400 t/an.
Des ins­tal­la­tions d’en­tre­po­sage sont envi­sa­gées dans la région de Kras­noïarsk en com­plé­ment des entre­po­sages sur site de même que des pro­grammes plus ambi­tieux pour ce qui concerne la ges­tion des déchets et le sto­ckage à long terme.
 la fabri­ca­tion : elle repose prin­ci­pa­le­ment d’une part sur les usines d’I­jo­ra à Saint-Péters­bourg, dépen­dant à ce jour d’OMZ, pour la fabri­ca­tion des cuves, des tuyau­te­ries pri­maires et une bonne par­tie de l’î­lot nucléaire, d’autre part sur Silo­vye Machi­ny, pour les prin­ci­paux équi­pe­ments du cir­cuit secon­daire, notam­ment les groupes tur­boal­ter­na­teurs. D’autres four­nis­seurs, comme l’u­sine ZIO-Podolsk pour la four­ni­ture des GW et des échan­geurs du cir­cuit secon­daire, OMZ-Spets­tal, pro­duc­teur d’a­ciers spé­ciaux, éga­le­ment Sko­da JS, en Répu­blique tchèque, ont contri­bué à la construc­tion de plus de quatre-vingts réac­teurs dans les années pas­sées. L’ob­jec­tif actuel est de restruc­tu­rer et ren­for­cer cet ensemble qui se voit capable de réa­li­ser deux tranches par an (mais qui réa­lise actuel­le­ment en moyenne, export com­pris, moins d’une demi-tranche par an) au sein d’un bloc « construc­tion des cen­trales » pour répondre effi­ca­ce­ment à la crois­sance atten­due des programmes.

Les programmes de développement

Une confirmation vigoureuse des programmes définis en 2000–2001


Inté­rieur d’une usine d’enrichissement

BELOYARSK

NOVOVORONEJ

KALININE

En 2000 et 2001, la stra­té­gie éner­gé­tique ato­mique russe a été défi­nie par deux docu­ments : la Stra­té­gie éner­gé­tique de la Rus­sie jus­qu’en 2020 (approu­vée par le gou­ver­ne­ment de Rus­sie) et la Stra­té­gie du déve­lop­pe­ment de l’éner­gie ato­mique de la Rus­sie dans la pre­mière moi­tié du XXIe siècle qui en découle.

Ces docu­ments, le deuxième notam­ment, tracent une pers­pec­tive claire des étapes à suivre sur une longue période et déve­loppent avec force les argu­ments non seule­ment en faveur du nucléaire à court et moyen terme, mais aus­si en faveur des réac­teurs dits de qua­trième géné­ra­tion, essen­tiel­le­ment à base de réac­teurs à neu­trons rapides de manière à pou­voir, grâce à un mix « eau légère-neu­trons rapides », atteindre en Rus­sie des capa­ci­tés ins­tal­lées de l’ordre de 200 GW en 2100 tout en dis­po­sant de res­sources en matières fis­siles suf­fi­santes (on rap­pel­le­ra sim­ple­ment ici que les réac­teurs à neu­trons rapides per­mettent d’ob­te­nir avec un mix U‑Pu une éner­gie de l’ordre de cin­quante fois supé­rieure à celle obte­nue à par­tir des réac­teurs à eau légère uti­li­sant l’u­ra­nium enrichi).

Les objec­tifs, à l’ho­ri­zon 2010 par exemple, n’ont été certes que pour par­tie mis en œuvre, mais, dans un contexte qui, comme nous l’a­vons rap­pe­lé au début de cet article, n’é­tait pas favo­rable au nucléaire il y a moins de deux ans. Il nous semble donc devoir être sou­li­gné que, dans l’in­ter­valle, la Rus­sie a réa­li­sé un bon nombre d’ac­tions ; au rang des­quelles, la mise en ser­vice de Kali­nine 3 et le lan­ce­ment du réac­teur à neu­trons rapides BN-800, l’ex­ten­sion de durée de vie de plu­sieurs réac­teurs (RBMK et VVER), l’a­mé­lio­ra­tion signi­fi­ca­tive de la sûre­té, des coef­fi­cients de dis­po­ni­bi­li­té, la pour­suite des chan­tiers à l’ex­por­ta­tion ain­si que de nom­breux pro­jets dans le domaine des réac­teurs avan­cés et un « pre­mier train » de mesures d’or­ga­ni­sa­tion et de restruc­tu­ra­tion des entre­prises dépen­dant de Rosatom.

Ces points nous paraissent devoir être rap­pe­lés, car, lors de nos visites il y a déjà deux ans, quelque temps après la perte dure­ment res­sen­tie du contrat pour la Fin­lande au pro­fit d’A­re­va, nous avons été frap­pés par le dyna­misme et un cer­tain enthou­siasme des équipes ren­con­trées. Aus­si nous semble-t-il éga­le­ment que les impul­sions nou­velles don­nées par le nou­veau chef de Rosa­tom, S. Kiriyen­ko, cor­res­pondent en fait à une attente et que les chan­ge­ments néces­saires qu’im­pliquent les pro­grammes envi­sa­gés seront dans l’en­semble bien com­pris et exé­cu­tés pour autant que les finan­ce­ments appro­priés soient déga­gés au fur et à mesure des besoins, ce à quoi tente de répondre le Pro­gramme fédé­ral sec­to­riel (PFS) nucléaire jus­qu’en 2015 tel qu’a­dop­té par le gou­ver­ne­ment le 6 octobre 2006.

Les grandes lignes des programmes de développement

Nous repren­drons ci-après les élé­ments qui nous paraissent les plus mar­quants des annonces offi­cielles et inter­views faites par les res­pon­sables russes, que l’on peut retrou­ver faci­le­ment dans les syn­thèses de la presse ain­si que dans les actes des confé­rences inter­na­tio­nales comme celle à Londres déjà citée, de la World Nuclear Asso­cia­tion en sep­tembre 2006.

Mais aupa­ra­vant nous vou­drions rap­pe­ler que l’en­semble indus­triel, conçu et par­tiel­le­ment mis en place à l’é­poque sovié­tique, était des­ti­né, pour une capa­ci­té totale ins­tal­lée de 100 GW (pré­vue atteinte en l’an 2000), à la tota­li­té de l’URSS et des pays du bloc de l’Est et qu’il avait par ailleurs, nous l’a­vons déjà noté, de très nom­breux seg­ments com­muns avec le domaine mili­taire. De ce fait, l’en­semble des tâches n’é­tait pas réa­li­sé par la Rus­sie qui, par exemple pour ce qui concerne le cycle du com­bus­tible, avait concen­tré l’en­ri­chis­se­ment de l’u­ra­nium sur son ter­ri­toire, la pro­duc­tion des crayons et des assem­blages de com­bus­tibles, le retrai­te­ment, la ges­tion des déchets de haute acti­vi­té et la flotte nucléaire civile. En revanche n’é­taient effec­tués en Rus­sie que 40 % de l’ex­trac­tion et du trai­te­ment du mine­rai d’u­ra­nium (le reste étant répar­ti entre la Tché­co­slo­va­quie, l’U­kraine, le Kaza­khs­tan et l’A­sie cen­trale) et 20 % de la pro­duc­tion de pas­tille de com­bus­tible (les 80 % res­tants étant pro­duits au Kazakhstan).

Dans ce contexte, les mesures prio­ri­taires du pro­gramme de déve­lop­pe­ment sont de nature orga­ni­sa­tion­nelle et finan­cière, de nature tech­nique et de nature indus­trielle. Elles concernent la Rus­sie, les pays de la CEI et autant ceux avec qui la Rus­sie a eu, dans les années pas­sées, des rela­tions fortes que ceux avec qui elle a déve­lop­pé des rela­tions de coopé­ra­tion dans le domaine nucléaire.

Nous dis­tin­gue­rons et com­men­te­rons ci-des­sous cinq points.

 Tout d’a­bord ce qui touche à la sépa­ra­tion des sec­teurs mili­taire et civil ain­si qu’au tra­vail légis­la­tif et régle­men­taire à réa­li­ser pour régler les droits de pro­prié­té tant des enti­tés légales que des actifs et diverses caté­go­ries de matières.
On conçoit bien que ce tra­vail de cla­ri­fi­ca­tion est essen­tiel pour abou­tir à une répar­ti­tion plus claire des res­pon­sa­bi­li­tés et à une meilleure effi­ca­ci­té, mais aus­si à une cla­ri­fi­ca­tion des tari­fi­ca­tions et des finan­ce­ments, bud­gé­taires comme à par­tir de capi­taux pri­vés. Il s’a­git là d’un tra­vail dif­fi­cile, et de longue haleine, car beau­coup d’ac­ti­vi­tés sont imbri­quées ; de nom­breuses évo­lu­tions sont atten­dues y com­pris au niveau des struc­tures, mais il paraît clair que le degré de pri­va­ti­sa­tion sera limi­té, l’É­tat vou­lant conser­ver la maîtrise.

• En second lieu, l’a­mont du cycle. Comme on l’a vu, c’est un sec­teur dyna­mique où le concept envi­sa­gé est de créer une « com­pa­gnie minière inté­grée », inté­grant, entre autres, les actifs res­pec­tifs de TVEL et de TENEX.

Au plan des objec­tifs « busi­ness », on vou­drait sou­li­gner ce qui relève de l’ac­ti­vi­té minière et de l’en­ri­chis­se­ment, la chaîne indus­trielle de fabri­ca­tion dans son ensemble ne néces­si­tant pas de grands besoins de modernisation.

S’il est bien connu que la pro­duc­tion actuelle d’u­ra­nium natu­rel en Rus­sie (envi­ron 3 000 t/an) ne cor­res­pond pas à la consom­ma­tion (10 000 t/an) même avec l’ap­port du Kaza­khs­tan (éga­le­ment 3 000 t/an), des mesures concrètes ont été mises en œuvre pour la reprise de l’ex­plo­ra­tion tant en Rus­sie qu’a­vec d’autres pays limi­trophes, le Kaza­khs­tan notam­ment, pour atteindre au moins 12 000 t/an d’i­ci 2015.

Au total, les Russes estiment ne pas avoir de pro­blèmes d’ap­pro­vi­sion­ne­ment jus­qu’en 2040, ce qui per­met­tra de faire le lien avec les pro­grammes de réac­teurs à neu­trons rapides de petite taille.

S’a­gis­sant de l’en­ri­chis­se­ment, la capa­ci­té russe, esti­mée à 21 mil­lions d’UTS, à par­tir de petites cen­tri­fu­geuses (cf. pho­to n° 1), est supé­rieure à 40 % de la capa­ci­té mon­diale et consti­tue d’ores et déjà un atout pour la vente de ser­vices d’en­ri­chis­se­ment à l’ex­por­ta­tion ; dans ce domaine, la Rus­sie cherche à faire lever les res­tric­tions com­mer­ciales mises en place au début des années quatre-vingt-dix et, en pré­pa­ra­tion de l’a­près 2013, date de ces­sa­tion de l’HEU-deal (trans­for­ma­tion de 500 t d’u­ra­nium hau­te­ment enri­chi, HEU, en ura­nium fai­ble­ment enri­chi LEU) à pou­voir éta­blir des rela­tions directes aux USA avec les uti­li­ties (cf. l’in­ter­view de S. Kiriyen­ko dans l’é­di­tion de sep­tembre 2006 de Nukem Mar­ket Report inti­tu­lée : What Rus­sia wants from the US). On note­ra enfin que la Rus­sie a pro­po­sé, lors de la 50e ses­sion de la confé­rence géné­rale de l’AIEA, de créer, à Angarsk, un centre inter­na­tio­nal d’en­ri­chis­se­ment afin de four­nir du com­bus­tible nucléaire à tous les pays en voie de déve­lop­pe­ment qui res­pectent leurs obli­ga­tions dans le domaine de la non-pro­li­fé­ra­tion des armes nucléaires.

 S’a­gis­sant des réac­teurs, nous vou­drions tout d’a­bord mettre l’ac­cent sur les choix tech­niques et reve­nir sur les programmes.

La nou­veau­té au plan tech­nique est le choix, pour le futur proche, de lan­cer une filière stan­dar­di­sée de réac­teurs à eau pres­su­ri­sée. Le choix s’est por­té sur un pro­jet dénom­mé AES 2006 dont la base est celle d’un réac­teur à eau pres­su­ri­sée de type VVER 1 000 dont la puis­sance serait por­tée à 1 150–1 200 MW et qui serait cer­ti­fié d’i­ci deux ans. Conçu pour une série d’au moins 10 tranches, sa pre­mière mise en ser­vice devrait inter­ve­nir en 2012 sur le site de Novovoronej‑2.

Les choix anté­rieurs pour BN-800 et le déve­lop­pe­ment des petits et moyens réac­teurs (KLT-40, réac­teur sur barge et VBR-300) ont été confir­més. La mise en ser­vice du réac­teur à neu­trons rapides BN-800 est pro­gram­mée pour 2012 et celle de KLT-40 en 2009 pour une ins­tal­la­tion sur barge à Arkhan­gelsk ; pour le plus long terme, on note­ra que la Rus­sie, à côté des réac­teurs à neu­trons rapides (tranche de réfé­rence 1 800 MW refroi­die au sodium ?), pré­voit de déve­lop­per un Réac­teur à haute tem­pé­ra­ture refroi­di au gaz pour la pro­duc­tion de cha­leur. Rap­pe­lons éga­le­ment que la Rus­sie avait lan­cé l’i­ni­tia­tive INPRO pour les réac­teurs de Géné­ra­tion 4, ini­tia­tive reprise ulté­rieu­re­ment dans le cadre de l’AIEA. Par ailleurs il est pré­vu que la Rus­sie devienne pro­chai­ne­ment membre du GIF (Gene­ra­tion for Ini­tia­tive Forum).

Les pro­grammes annon­cés et bud­gé­tés pour les années à venir, outre BN-800 à Beloyarsk (voir pho­to n° 2) concernent Rostov‑2 (1 GW mis en ser­vice en 2009), Kali­nine 4 (1 GW mis en ser­vice en 2011, cf. pho­to n° 3) et Novo­vo­ro­nej (au moins 1 GW en 2012, pho­to n° 4). Il est pré­vu de mettre en ser­vice au moins 2 GW/an à par­tir de 2013, puis davan­tage ulté­rieu­re­ment dans la mesure du possible.

 En qua­trième point, s’a­gis­sant tou­jours des réac­teurs, les pro­grammes envi­sa­gés consti­tuent un véri­table défi indus­triel même si les finan­ce­ments appro­priés sont déga­gés.

À ce stade, ce défi concerne peu l’ex­ploi­ta­tion, même s’il paraît vrai­sem­blable que l’or­ga­ni­sa­tion de Rose­ner­ga­tom soit appe­lée à évo­luer ; il concerne davan­tage les ingé­nie­ries, Gui­do­press et Ato­me­ner­go­proekt dont le rôle sera déter­mi­nant pour la qua­li­té du desi­gn et la tenue des délais ; il concerne enfin ce que nous appe­lons le « tis­su industriel ».

La défi­ni­tion d’un bloc « construc­tion des cen­trales » semble être la solu­tion en cours de ges­ta­tion, lequel bloc ferait par­tie d’un ensemble inté­gré ver­ti­ca­le­ment com­por­tant par ailleurs l’a­mont du cycle et l’exploitation.

Quelle que soit la solu­tion rete­nue, la réus­site des pro­grammes dépend à l’é­vi­dence d’une bonne maî­trise et d’une bonne arti­cu­la­tion entre les dif­fé­rents centres char­gés de la concep­tion, la fabri­ca­tion et la construc­tion. C’est dans ce contexte que doivent être repla­cées les diverses annonces de reprise de contrôle de tout ou par­tie d’en­tre­prises comme OMZ ou Silo­vye Machi­ny ain­si que l’in­ten­tion de réta­blir des par­te­na­riats actifs avec cer­taines entre­prises d’U­kraine (pour les tur­bines) ou de Répu­blique tchèque (Sko­da par exemple).

Ces pro­grammes ambi­tieux, aux­quels il convien­drait d’a­jou­ter des objec­tifs du même ordre de prise de com­mande hors de la Rus­sie, sup­posent non seule­ment des finan­ce­ments et la mise en place d’une bonne archi­tec­ture indus­trielle, ils sup­posent éga­le­ment de mobi­li­ser, dans des délais courts, des équipes suf­fi­sam­ment nom­breuses et com­pé­tentes pour des acti­vi­tés com­plexes qui n’au­ront pas été réa­li­sées depuis plus de vingt ans.

 Le der­nier point concerne l’a­val du cycle, où la Rus­sie n’a pas jus­qu’à pré­sent consa­cré autant d’ef­forts que dans les sec­teurs pré­cé­dents même si elle s’est tou­jours mon­trée favo­rable au retrai­te­ment. Sans déve­lop­per trop en détail ce point, il appa­raît que la Rus­sie a, dans ce domaine éga­le­ment, une volon­té de déve­lop­per les pro­grammes de ges­tion des com­bus­tibles usés pour les divers types de com­bus­tible, incluant en par­ti­cu­lier la construc­tion d’un entre­po­sage à sec pour les com­bus­tibles des RBMK et lan­cer après 2010, à Jelez­no­gorsk, dans la région de Kras­noïarsk, en Sibé­rie, la construc­tion d’un com­plexe pilote de retrai­te­ment des com­bus­tibles usés VVER.

Ce der­nier pro­jet serait un élé­ment clé du Centre inter­na­tio­nal pour le retrai­te­ment des com­bus­tibles usés (Inter­na­tio­nal Nuclear Fuel Cycle Cen­ter), concept assez simi­laire à celui déve­lop­pé début 2006 par les États-Unis avec GNEP, dont l’un des objec­tifs est de contri­buer de manière accep­table au déploie­ment aus­si large que pos­sible de l’éner­gie nucléaire civile.

En conclusion,

il est clair que la Rus­sie entend déve­lop­per la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té nucléaire en Rus­sie même et jouer un rôle impor­tant à l’ex­por­ta­tion sur les « mar­chés ouverts ». Les diri­geants russes mettent d’ores et déjà en œuvre, sur l’en­semble du cycle, une série cohé­rente de mesures aux plans tech­nique et indus­triel, juri­dique et finan­cier, orga­ni­sa­tion­nel, en vue d’ob­te­nir des résul­tats concrets dès les pre­mières années de la pro­chaine décen­nie et atteindre un rythme de croi­sière à 2 ou 3 GW/an à par­tir de 2015

C’est, peut-on dire, une bonne nou­velle pour les divers pro­grammes nucléaires de par le monde, dont la plu­part ne sont pas encore entrés dans la phase de mise en œuvre même si celle-ci paraît iné­luc­table compte tenu de la crois­sance atten­due des besoins en élec­tri­ci­té à l’ho­ri­zon 2030 et de la néces­si­té de rem­pla­cer nombre d’ins­tal­la­tions vieillissantes.

Pour ce qui concerne la mise en œuvre elle-même, la Rus­sie conti­nue­ra vrai­sem­bla­ble­ment, comme par le pas­sé, à comp­ter sur ses propres forces ; elle n’in­ter­vien­dra sans doute pas de manière signi­fi­ca­tive, en Amé­rique du Nord, dans l’ex-Europe des Quinze, au Japon ou en Corée du Sud à l’ex­cep­tion peut-être des ser­vices d’en­ri­chis­se­ment de l’u­ra­nium ou de fabri­ca­tion du com­bus­tible ; en revanche, elle sera sans doute pré­sente sur les autres « marchés ».

Cette ques­tion avait été posée au repré­sen­tant d’un grand construc­teur amé­ri­cain lors du Col­loque Platts-Nucleo­nics Week des 8 et 9 mai à Paris sur le finan­ce­ment des inves­tis­se­ments nucléaires. Il avait répon­du : « Nous connais­sons déjà assez bien les Russes ; dans le monde des affaires, nous pou­vons être, selon les affaires, en situa­tion de par­te­naire, de com­pé­ti­teur ou de four­nis­seur. Pour le futur, cela sera sans doute les trois à la fois. »

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