Réconcilier les enjeux économiques, sociaux et écologiques

Dossier : La transition énergétiqueMagazine N°689 Novembre 2013
Par Alain GRANDJEAN (75)

En France, soixante-dix pour cent de l’énergie finale consom­mée est issue de sources fos­siles, pétrole et gaz prin­ci­pa­le­ment. Notre fac­ture exté­rieure est éle­vée (70 mil­liards d’euros en 2012). La com­bus­tion de ces sources d’énergie émet du CO2 alors que nous avons pris des objec­tifs ambi­tieux de réduc­tion de nos émis­sions de gaz à effet de serre (GES).

Nos conci­toyens en situa­tion de pré­ca­ri­té éner­gé­tique sont de plus en plus nom­breux et nos entre­prises sont sou­mises à une concur­rence inter­na­tio­nale rude dans laquelle le prix de l’énergie est un fac­teur de compétitivité.

La majo­ri­té des acteurs du Débat natio­nal sur la tran­si­tion éner­gé­tique pro­pose une réduc­tion signi­fi­ca­tive de nos consom­ma­tions d’énergie.

REPÈRES
Le Débat natio­nal sur la tran­si­tion éner­gé­tique, qui s’est tenu au pre­mier semestre de l’année 2013, a mené ses réflexions d’une manière aus­si élar­gie que pos­sible avec des débats ter­ri­to­riaux, une jour­née citoyenne et un Conseil natio­nal. Près de 1 000 débats ont ras­sem­blé 170 000 per­sonnes avec 36 cahiers d’acteurs, 1 200 contri­bu­tions citoyennes sur Inter­net, une jour­née citoyenne impli­quant 1 115 citoyens dans 14 régions

Un enjeu industriel

Une grande prio­ri­té est à don­ner au sec­teur du bâti­ment et du loge­ment (40% de la consom­ma­tion finale d’énergie et 25 % des émis­sions de GES), prin­ci­pa­le­ment à la réno­va­tion de l’existant. Le consen­sus est large sur la néces­si­té d’un dis­po­si­tif com­plet incluant des inci­ta­tions, des régle­men­ta­tions et des méca­nismes de finan­ce­ment adaptés.

L’efficacité éner­gé­tique est éga­le­ment un enjeu indus­triel dans plu­sieurs sec­teurs : le BTP bien sûr et les ser­vices asso­ciés, mais aus­si l’automobile et le fer­ro­viaire, le sec­teur des nou­veaux ser­vices de mobi­li­té (auto­par­tage, covoi­tu­rage, etc.), le numé­rique qui est un auxi­liaire sou­vent indis­pen­sable, tant la bonne ges­tion et la com­mu­ni­ca­tion de l’information sont sou­vent déci­sives dans la maî­trise de l’énergie.

Des mesures possibles

Pas­ser au taux de rem­plis­sage de deux per­sonnes par voiture

Les mesures et dis­po­si­tifs sont nom­breux pour accom­pa­gner ce mou­ve­ment. Rete­nons tout ce qui concerne la réno­va­tion ther­mique du bâti (avec un gros enjeu autour de l’obligation pro­gres­sive de réno­va­tion) et, dans le domaine de la mobi­li­té, les pro­jets de « voi­tures à deux litres » et de « deux per­sonnes par voiture ».

Pas­ser d’un taux de rem­plis­sage de 1,3 par véhi­cule (moyenne fran­çaise actuelle) à 2, c’est en effet faire un gain en consom­ma­tion éner­gé­tique de 54%.

Enfin le fret fer­ro­viaire, encore très en retard en France, devrait béné­fi­cier d’investissements signi­fi­ca­tifs en nou­velles infrastructures.

Diversifier les sources d’énergie

En ce qui concerne le mix éner­gé­tique et son évo­lu­tion future, le débat a été âpre autour du nucléaire, avec des enjeux lourds en termes d’investissements (sûre­té, pro­lon­ga­tion, déman­tè­le­ment), d’emplois et de com­pé­tence indus­trielle, d’environnement et de sûreté.

La néces­saire diver­si­fi­ca­tion des sources de pro­duc­tion élec­trique pour ne pas dépendre d’une tech­no­lo­gie ne pou­vant exclure un acci­dent majeur ni des défauts géné­riques est évi­dem­ment à gérer avec soin, tant pour des rai­sons éco­no­miques qu’à l’égard de la maî­trise des émis­sions de GES et de la ges­tion de la part crois­sante d’énergies renou­ve­lables (ER) variables. Il appar­tien­dra au gou­ver­ne­ment de prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés dans un domaine évi­dem­ment non consensuel.

Le renouvelable devient crédible

Les aides publiques ou assi­mi­lées doivent être plus efficaces

Les éner­gies renou­ve­lables (ER) sortent, elles, de la mar­gi­na­li­té. Les ER élec­triques (dont l’hydraulique) pro­dui­ront dans le monde en 2016 plus que le gaz et deux fois plus que le nucléaire. Glo­ba­le­ment, leurs coûts dimi­nuent. Ceux du solaire pho­to­vol­taïque suivent une courbe d’expérience remar­quable au niveau mon­dial (prix divi­sé par vingt en vingt ans).

Du côté de la bio­masse, dont le poten­tiel est mieux cer­né, on com­mence à voir émer­ger d’intéressants débats sur le choix des meilleures sources (déchets, agri­cul­ture, forêt) et des meilleurs vec­teurs (liquide, cha­leur, gaz, électricité).

Une demande una­nime émerge du débat : celle d’un cadre lisible et aus­si simple que pos­sible en matière de déve­lop­pe­ment des ER.

Des aides plus efficaces

La néces­si­té d’un signal-prix car­bone a été réaf­fir­mée par plu­sieurs acteurs : il est bien connu qu’il est indis­pen­sable pour limi­ter les émis­sions de gaz à effet de serre. La com­mis­sion sur la fis­ca­li­té éco­lo­gique, en paral­lèle du Débat, a fait des pro­po­si­tions sou­mises au gou­ver­ne­ment fin juillet. Ce n’est cepen­dant pas de cette fis­ca­li­té qu’il faut attendre des recettes signi­fi­ca­tives pour finan­cer la tran­si­tion énergétique.

Le risque de défaut générique
L’Agence de sécu­ri­té nucléaire (ASN) sou­ligne que « l’expérience a mon­tré que la stan­dar­di­sa­tion com­porte aus­si le risque qu’un défaut grave, que l’on ne peut exclure a prio­ri, soit géné­rique et affecte plu­sieurs réac­teurs. Dans une telle situa­tion, l’ASN pour­rait juger néces­saire, au regard des exi­gences de sûre­té, de sus­pendre sans délai le fonc­tion­ne­ment de ces réac­teurs. L’arrêt rapide d’une part signi­fi­ca­tive des moyens de pro­duc­tion élec­trique pro­vo­que­rait, en l’absence de marges, une pénu­rie d’électricité avec des consé­quences sociales et éco­no­miques considérables. »

En effet, elle ne sera accep­table que si elle se fait à pré­lè­ve­ments obli­ga­toires constants. D’autre part, son affec­ta­tion pose tou­jours de redou­tables pro­blèmes. Les aides publiques ou assi­mi­lées doivent être ren­dues plus effi­caces, mais les contraintes bud­gé­taires et fis­cales sont telles qu’il n’est pas pos­sible de les faire croître significativement.

Du côté de la pro­duc­tion éner­gé­tique, les inves­tis­se­ments doivent être majo­ri­tai­re­ment finan­cés par le prix des éner­gies et, pour l’électricité, par la contri­bu­tion de ser­vice public de l’énergie1, sous sa forme actuelle ou sous une autre.

Du côté des trans­ports, du bâti­ment et du loge­ment, des méca­nismes adap­tés doivent être mis en place : mobi­li­sa­tion du Plan d’investissement d’avenir, flé­chage de l’épargne natio­nale (livret A ou Livret déve­lop­pe­ment durable), cir­cuits sim­pli­fiés pour le finan­ce­ment par l’épargne locale des pro­jets ter­ri­to­riaux, mobi­li­sa­tion des fonds de la BPI pour les entre­prises oeu­vrant pour la transition.

Signa­lons deux pro­po­si­tions inno­vantes. L’une, émise par CDC Cli­mat2, vise à consti­tuer un cir­cuit spé­cia­li­sé de finan­ce­ment de la réno­va­tion éner­gé­tique des loge­ments. L’autre, faite par Gaël Giraud, direc­teur de recherche au CNRS, envi­sage une socié­té de finan­ce­ment de la tran­si­tion éner­gé­tique, ciblant les bâti­ments publics et conçue sur le modèle de la SFEF, inven­tée en 2008 pour venir en sou­tien aux banques au bord de la faillite.

Ce mon­tage per­met­trait de libé­rer 10 mil­liards d’investissements par an pen­dant dix ans sans gre­ver la dette publique.

En défi­ni­tive, ce Débat a indis­cu­ta­ble­ment fait émer­ger des pro­po­si­tions assez concrètes et de nature à récon­ci­lier les enjeux éco­no­miques, sociaux et éco­lo­giques. Espé­rons que la loi de pro­gram­ma­tion qui en résul­te­ra et sera dis­cu­tée au Par­le­ment au pre­mier semestre 2016 sera à la mesure de l’attente qu’il a suscitée.

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1. Contri­bu­tion de ser­vice public de l’énergie qui pèse, en 2013, 13,5 euros le méga­watt­heure soit 10% envi­ron du prix final TTC de l’électricité (tarif régle­men­té aux particuliers).
2. Mis­sion­née par la ministre de l’Égalité des ter­ri­toires et du Loge­ment et la ministre de l’Écologie, du Déve­lop­pe­ment durable et de l’Énergie, le 17 avril 2013.

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