Handicapé à l'école

Recherche sur le handicap : une approche pluridisciplinaire et participative

Dossier : La santé participativeMagazine N°731 Janvier 2018
Par Marie-Aline BLOCH (79)
Par Isabelle LAFFONT

La recherche sur les per­sonnes en situa­tion de han­di­cap mobi­lise une large pano­plie de dis­ci­plines. Com­ment dia­lo­guer avec elles, com­ment inter­pré­ter les demandes de leur entou­rage et de leur envi­ron­ne­ment, autant de ques­tions que les cher­cheurs sont appe­lés à identifier. 

Pour illus­trer la varié­té des thé­ma­tiques à abor­der, consi­dé­rons une thé­ma­tique majeure : une meilleure connais­sance des besoins des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap (au niveau indi­vi­duel ou collectif). 

“ La connaissance ne peut se développer hors de l’interface entre chercheurs et acteurs du handicap ”

Quels sont ces besoins mais aus­si com­ment les faire s’exprimer, par qui, à quel rythme, jusqu’où aller pour main­te­nir une équi­té entre les per­sonnes et quelles sont les meilleures réponses à appor­ter à ces besoins ? Ces réponses concernent le niveau indi­vi­duel, impli­quant aus­si bien les pro­fes­sion­nels de san­té et du social que l’entourage.

Elles concernent aus­si le niveau « envi­ron­ne­men­tal », celui des éta­blis­se­ments et ser­vices qui vont les accueillir et les accom­pa­gner, comme celui de l’école, du monde du tra­vail, de la cité, du ter­ri­toire et de la socié­té de manière générale. 

Plus récem­ment, des enjeux forts sont appa­rus autour des modes d’accompagnement et de coor­di­na­tion, autour du sys­tème de san­té et de son finan­ce­ment dans une recherche d’efficience, et de manière plus géné­rale sur la conduite des poli­tiques publiques, avec le res­pect de la démo­cra­tie en santé. 

Autant de domaines et pro­blé­ma­tiques qui sus­citent des ques­tions à la recherche. 

REPÈRES

Le terme handicap désigne les aspects négatifs de l’interaction entre un individu présentant un problème de santé et les facteurs contextuels personnels et environnementaux dans lesquels il évolue.
C’est donc un terme générique désignant les déficiences, les limitations d’activité et les restrictions de participation en lien avec un problème de santé, telles que définies par la Classification internationale du fonctionnement, adoptée par l’OMS en 2001.

DIALOGUER AVEC LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP ET LEUR ENTOURAGE

Ces ques­tions de recherche pro­viennent en pre­mier lieu des pro­ta­go­nistes eux-mêmes. Elles émergent notam­ment dans la rela­tion entre le cher­cheur et la per­sonne en situa­tion de han­di­cap, nour­rie par l’observation, l’écoute, le dia­logue et le respect. 

La connais­sance peut alors s’élaborer et mobi­li­ser des savoirs indi­gènes en res­pec­tant les règles de l’art. En effet, dans ce champ de recherche, encore plus que dans d’autres, le savoir est par­ta­gé et la connais­sance ne peut se déve­lop­per hors de l’interface entre les cher­cheurs et ces acteurs du handicap. 

IDENTIFIER LES QUESTIONS DE RECHERCHE

Ensuite, il faut trans­for­mer ces ques­tions à la recherche en ques­tions de recherche. C’est un des prin­ci­paux enjeux de cette recherche, car ces ques­tions sou­vent com­plexes sont à la croi­sée de dif­fé­rents champs dis­ci­pli­naires. Tout l’art est d’expliciter la ques­tion à plusieurs. 

“ Le recours à des théories conçues dans d’autres contextes peut s’avérer infructueux ”

Par exemple, quand une per­sonne en situa­tion de han­di­cap se retrouve iso­lée avec des dif­fi­cul­tés pour trou­ver un emploi, les pro­blèmes posés pour­ront être autant d’ordre socio­lo­gique qu’économique : la ques­tion n’appartiendra ni au socio­logue, ni à l’économiste.

C’est ain­si qu’intervient la notion d’interdisciplinarité qui fait que les dif­fé­rents cher­cheurs (socio­logues, anthro­po­logues, éco­no­mistes, cher­cheurs en sciences de ges­tion, juristes, méde­cins, phi­lo­sophes, géo­graphes, démo­graphes…) sont appe­lés à iden­ti­fier ensemble où se trouvent les « vraies ques­tions » qui per­met­tront ensuite de bâtir les vraies réponses, car toutes les facettes du « pro­blème » auront été prises en compte. 

MOBILISER TOUTES LES MÉTHODES ET DISCIPLINES

Toute la pano­plie des méthodes de recherche pour­ra être utilisée : 


Les ques­tions de han­di­cap concernent aus­si le niveau « envi­ron­ne­men­tal », comme celui de l’école. © WAVEBREAKMEDIA/ CHUTTERSTOCK.COM

des grandes enquêtes en popu­la­tion géné­rale ou cohortes des épi­dé­mio­lo­gistes et des démo­graphes qui per­met­tront de mieux connaître les popu­la­tions de per­sonnes en perte d’autonomie, aux obser­va­tions dans le milieu de vie de la per­sonne et de son entou­rage par le socio­logue ou l’ethnologue, et aus­si des recherches inter­ven­tion­nelles par le cli­ni­cien ou le cher­cheur en sciences de gestion. 

Mais de la même manière qu’il convient de décloi­son­ner les sys­tèmes de soins et d’accompagnement des per­sonnes où se jux­ta­posent les inter­ven­tions sans véri­table coor­di­na­tion, les sciences sont appe­lées à s’interfacer et les méthodes uti­li­sées à se coupler. 

On par­le­ra alors de méthodes mixtes com­bi­nant des études qua­li­ta­tives (par exemple auprès d’un petit échan­tillon de per­sonnes) à des études plus larges dites quan­ti­ta­tives. Par exemple dans l’étude d’un pro­gramme d’action publique visant à l’amélioration des par­cours des per­sonnes âgées, on pour­ra cher­cher à la fois à savoir si ce pro­gramme est effi­cace mais aus­si à appré­hen­der les condi­tions de cette effi­ca­ci­té dans un contexte ter­ri­to­rial donné. 

ÉLABORER DE NOUVEAUX MODÈLES

Par ailleurs, la recherche sur le han­di­cap amène sou­vent à devoir cla­ri­fier les fina­li­tés et le sens de l’action. Des cer­ti­tudes peuvent être bous­cu­lées et les modèles éta­blis remis en cause. Le recours à des théo­ries conçues dans d’autres contextes peut s’avérer infructueux. 

“ Favoriser les collaborations entre chercheurs des différents champs disciplinaires autour de grandes thématiques ”

Com­ment par exemple éva­luer le bien-fon­dé d’une inter­ven­tion auprès de per­sonnes en situa­tion de han­di­cap ? Les cri­tères clas­siques d’efficacité et de per­for­mance sont la plu­part du temps inadaptés. 

Qu’est-ce que la qua­li­té de vie pour une per­sonne en perte d’autonomie, qui devra pas­ser de nom­breuses années ali­tée en ayant per­du l’usage de la parole ? Com­ment prendre en compte la dimen­sion per­son­nelle des attentes et des besoins de la personne ? 

De nou­veaux modèles plus souples et peut-être moins stan­dar­di­sés sont à éla­bo­rer par­fois en lien avec des philosophes. 

UN NOUVEAU CHAMP D’INNOVATION

Les insuf­fi­sances de notre sys­tème de san­té et d’accompagnement ain­si que les nom­breuses ten­sions qui le tra­versent (l’individuel ver­sus le col­lec­tif, la qua­li­té ver­sus les coûts…) sont autant d’appels à plus d’innovation de la part des milieux pro­fes­sion­nels et des pou­voirs publics, en lien avec les usa­gers et leurs repré­sen­tants, pour appor­ter une solu­tion à la per­sonne et à son entourage. 

Handicapé en ville
Pour amé­lio­rer le par­cours des per­sonnes âgées, on pour­ra s’intéresser au contexte ter­ri­to­rial. © DRAGAN JOVANOVIC/SCHUTTERSTOCK.COM

Le cher­cheur à son niveau pour­ra être asso­cié à cer­taines de ces inno­va­tions et pas­ser de démarches pure­ment des­crip­tives à des approches construc­ti­vistes contri­buant à pro­po­ser des améliorations. 

REPENSER LES ORGANISATIONS ET PRATIQUES PROFESSIONNELLES

L’EHESP et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie ont engagé en 2016 un programme de recherche en collaboration sur cinq ans, programme coordonné par Marie-Aline Bloch avec Hugo Bertillot et Noémie Rapegno. Il a pour objectif de mieux appréhender les évolutions actuelles et à venir de l’offre de service à destination des personnes en situation de handicap et des personnes âgées.
Un des objectifs de ce programme est d’étudier de nouvelles formules dites « établissement hors les murs », plateforme de services ou habitat accompagné, que ce soit pour l’accueil des personnes en institution ou pour le soutien à la vie en milieu ordinaire, et en particulier d’identifier les conditions de succès pour l’émergence, le déploiement et la diffusion de dispositifs innovants.
Après une large enquête institutionnelle auprès des pouvoirs publics, des associations d’usagers, de fédérations d’établissements et de services, et de fondations, permettant de mieux caractériser cette nouvelle forme de service, ainsi que les leviers et obstacles à son déploiement, il est prévu d’étudier de manière approfondie une dizaine de dispositifs innovants choisis pour leur diversité. Pour certains d’entre eux, la parole des usagers sera recueillie pour saisir le ressenti des personnes et en quoi ces nouvelles réponses permettent de mieux répondre à leurs attentes.
Ces travaux mobiliseront plusieurs disciplines, la géographie de la santé, la sociologie, les sciences de gestion, et il est prévu des espaces d’échange avec des chercheurs d’autres disciplines (notamment des sciences économiques, sciences politiques et sciences de l’urbanisme), des professionnels et des représentants d’usagers et des pouvoirs publics.

SAVOIRS ET SAVOIR-FAIRE

Pour l’École des hautes études en san­té publique (EHESP), qui forme les futurs diri­geants des éta­blis­se­ments et ser­vices sani­taires et médi­co­so­ciaux, un des enjeux pour l’avenir sera de déve­lop­per chez ces pro­fes­sion­nels des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être les plus adap­tés et ancrés dans les connais­sances les plus récentes. 

“ Il devient encore plus important d’accroître les efforts de recherche vis-à-vis de ces populations ”

Par exemple, ils devront s’assurer que leurs col­la­bo­ra­teurs mobi­lisent les meilleures tech­ni­ci­tés fon­dées sur les preuves. Leur mana­ge­ment des orga­ni­sa­tions devra être adap­té au sec­teur de l’accompagnement des per­sonnes en perte d’autonomie, en tant qu’ils devront faci­li­ter le tra­vail d’équipe, don­ner toute la place à la diver­si­té des exper­tises, et déve­lop­per les par­te­na­riats sur leur ter­ri­toire néces­saires au meilleur accom­pa­gne­ment du pro­jet de vie de la per­sonne en situa­tion de handicap. 

Le pro­gramme de recherche autour des trans­for­ma­tions de l’offre de ser­vice à des­ti­na­tion des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap et des per­sonnes âgées en perte d’autonomie, que nous avons démar­ré récem­ment, devrait être un moyen d’alimenter la for­ma­tion de ces responsables. 

UN INSTITUT POUR FÉDÉRER LES RECHERCHES

Afin de mieux struc­tu­rer et déve­lop­per la recherche sur le han­di­cap, a été créé, il y a plus de vingt ans, l’Institut fédé­ra­tif de recherche sur le han­di­cap, qui ras­semble des cher­cheurs d’une tren­taine d’équipes ou uni­tés de recherche en France, cher­cheurs en san­té publique et en sciences sociales, cli­ni­ciens et spé­cia­listes de la réadap­ta­tion, et cher­cheurs et ingé­nieurs spé­cia­li­sés dans les tech­no­lo­gies appli­quées aux grandes défi­ciences et au handicap. 

Cet ins­ti­tut est un espace favo­ri­sant les col­la­bo­ra­tions entre cher­cheurs de ces dif­fé­rents champs dis­ci­pli­naires autour de grandes thé­ma­tiques comme le han­di­cap de l’enfant, les sys­tèmes inter­ac­tifs pour la par­ti­ci­pa­tion et l’autonomie, le han­di­cap et la mobi­li­té, et les tra­jec­toires indi­vi­duelles et l’accompagnement.

Il a aus­si voca­tion à déve­lop­per des par­te­na­riats inter­na­tio­naux avec d’autres équipes, réseaux ou ins­ti­tu­tions de recherche œuvrant dans le champ du han­di­cap. À titre d’illustration, quelques exemples de pro­grammes de recherche dans le champ des « tech­no­lo­gies appli­quées aux grandes défi­ciences et au han­di­cap » montrent la diver­si­té des approches et des champs d’application de ces recherches (voir encadré). 

Handicapé à domicile
Il convient d’étudier de nou­velles for­mules dites « éta­blis­se­ment hors les murs », pla­te­forme de ser­vices ou habi­tat accom­pa­gné. © LIGHTFIELD STUDIOS / FOTOLIA.COM

DES PROGRAMMES COLLABORATIFS

Les programmes portés par les équipes de l’axe C de l’IFRH « technologies appliquées aux grandes déficiences et au handicap » ont la particularité d’associer systématiquement des usagers, des cliniciens, des chercheurs en sciences sociales, des chercheurs dans le champ des technologies (informaticiens, roboticiens, électroniciens…) et des industriels. Ce regroupement pluridisciplinaire et pluriprofessionnel autour de l’usager, qui reste au cœur de la réflexion, est la déclinaison opérationnelle du concept de « living labs en santé et autonomie ».
Les exemples en sont nombreux. Le projet Hodorev (Isabelle Ville, Paris et Évelyne Klinger, Laval) vise le développement d’un outil de réalité virtuelle permettant la rééducation à domicile de patients lombalgiques chroniques.
Le projet Vhipod (Olivier Rémy-Néris, Brest et Jacques Kerdraon, Kerpape) a pour objectif le développement d’un véhicule de transport en station debout autoéquilibré pour personnes handicapées, avec aide à la verticalisation.
Le projet Decoder (Coma Science Group, Liège) a pour objectif de développer des outils de détection des états de conscience limite. Il implique plusieurs équipes de cliniciens en France, l’association ALIS (Association du locked-in syndrome) et les chercheurs du Coma Science Group de Liège (Belgique). Les dernières expérimentations sont en cours et devraient déboucher sur la commercialisation d’une interface de communication avec les patients en « état de conscience altérée » utilisable en situation de vie.
Enfin, le projet Atalante (société Wandercraft, Paris) qui vise à développer un exosquelette de marche destiné à des patients paraplégiques fait l’objet d’un article de ce dossier.

PÉDAGOGIE ET INNOVATION

Avec le nombre gran­dis­sant de per­sonnes en situa­tion chro­nique (han­di­cap, vieillis­se­ment, mala­dies chro­niques) et tous les enjeux socié­taux aux­quels nous sommes confron­tés (pré­ca­ri­té et inéga­li­tés sociales de san­té, migra­tion, etc.), il devient encore plus impor­tant d’accroître les efforts de recherche vis-à-vis de ces popu­la­tions et d’avoir une vision inté­gra­tive des connais­sances per­met­tant de répondre au mieux à ces enjeux d’une grande com­plexi­té, en s’appuyant de plus en plus sur les sciences des sys­tèmes complexes. 

Mais com­ment alors conti­nuer à asso­cier les per­sonnes en situa­tion de han­di­cap concer­nées si l’accès à la connais­sance devient un défi cog­ni­tif ? Gageons que nous aurons de plus en plus besoin de faire des efforts de péda­go­gie et que nous sommes appe­lés à inno­ver aus­si en ce domaine.
 

RÉFÉRENCES

  • Cet article fait écho à plu­sieurs cha­pitres de l’ouvrage Han­di­caps et inno­va­tion, le défi de com­pé­tence, sous la direc­tion de Denis Chas­te­net et d’Antoine Fla­hault, Presses de l’EHESP, 2010, 288 p. et reprend cer­tains pas­sages du cha­pitre de Marie-Aline Bloch de ce même ouvrage. 
  • Gand S., Per­iac E., Bloch M.-A., Hénaut L., 2017, Éva­lua­tion qua­li­ta­tive PAERPA – rap­port final, Docu­ment de tra­vail, Série études et recherche, DREES, n° 135, mai 2017. 
  • Ber­trand Quen­tin, La Phi­lo­so­phie face au han­di­cap, Tou­louse, Érès, 2013. 
  • Site inter­net de l’IFRH : http://ifr-handicap.inserm.fr/
  • Lou­bat J.-R., Har­dy J.-P, Bloch M.-A., 2016, Conce­voir des pla­te­formes de ser­vices en action sociale et médi­co-sociale, Dunod, 384 pages. 
  • Bloch M.-A., Hénaut L., Coor­di­na­tion et par­cours. La dyna­mique du monde sani­taire, social et médi­co-social, Dunod, 2014. 

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