REACH : contrainte ou avantage compétitif pour l’Europe ?

Dossier : Environnement : les relations Nord SudMagazine N°647 Septembre 2009
Par Pascal PERROCHON

REPÈRES

REPÈRES
REACH est un règle­ment adop­té par l’Union euro­péenne en 2006 et entré en vigueur le 1er juin 2007, ins­ti­tuant une nou­velle poli­tique euro­péenne en matière de ges­tion des sub­stances chi­miques. Son objec­tif prin­ci­pal est d’améliorer le niveau de pro­tec­tion de la san­té et de l’environnement tout en ren­for­çant la com­pé­ti­ti­vi­té et l’innovation dans l’Union euro­péenne. Il pré­voit : un enre­gis­tre­ment obli­ga­toire des sub­stances (pro­duites ou impor­tées à plus de 1 t/an), avec la trans­mis­sion d’un dos­sier à la nou­velle Agence euro­péenne sur les pro­duits chi­miques (ECHA) basée à Hel­sin­ki ; une éva­lua­tion des dos­siers par cette Agence avec la col­la­bo­ra­tion des Auto­ri­tés com­pé­tentes des États membres ; une pro­cé­dure d’autorisation pour les sub­stances dites « extrê­me­ment pré­oc­cu­pantes ». REACH contri­bue à har­mo­ni­ser les sys­tèmes exis­tants et à créer un cadre cohé­rent autour des dif­fé­rentes démarches d’évaluation des dan­gers et des risques déjà enga­gés pour les sub­stances exis­tantes et les sub­stances nouvelles.
Voir : www.uic.fr/en_quoi_consiste_REACH.asp

Envi­ron­ne­ment et san­té sont bien en train de modi­fier en pro­fon­deur le com­merce mon­dial. On en est même venu à vou­loir modi­fier les règles de l’OMC pour les rendre com­pa­tibles avec la liber­té d’é­chan­ger des mesures qui étaient aupa­ra­vant per­çues comme des bar­rières com­mer­ciales. Cer­tains ne veulent plus attendre que l’OMC bouge pour lut­ter contre le dum­ping envi­ron­ne­men­tal. Le pré­sident de la Répu­blique fran­çaise a ain­si indi­qué » Lorsque nous serons par­ve­nus, à Copen­hague, à un accord ambi­tieux sur le cli­mat, il fau­dra que soit créée une véri­table orga­ni­sa­tion mon­diale de l’en­vi­ron­ne­ment, en mesure de faire appli­quer les enga­ge­ments qui auront été pris. » Cette » Orga­ni­sa­tion mon­diale de l’En­vi­ron­ne­ment (OME) « , déjà ima­gi­née dans le pas­sé comme un ins­tru­ment pure­ment tech­nique, est désor­mais évo­quée comme une orga­ni­sa­tion ayant un poids poli­tique aus­si impor­tant que l’OMC, avec des pas­se­relles néces­saires entre les deux enti­tés internationales.

La par­ti­cu­la­ri­té du règle­ment REACH est qu’il ren­verse la charge de la preuve

C’est peut-être au sein de l’OME que sera débat­tue l’ins­tau­ra­tion au niveau mon­dial d’une régle­men­ta­tion sur l’en­re­gis­tre­ment, l’é­va­lua­tion et l’au­to­ri­sa­tion des sub­stances chi­miques, équi­va­lente à ce qui existe désor­mais au niveau euro­péen : le règle­ment REACH (« Regis­tra­tion, Eva­lua­tion, Autho­ri­za­tion of Che­mi­cals »). L’ob­jec­tif de cette mesure : ren­for­cer les connais­sances sur les sub­stances chi­miques et per­mettre une meilleure ges­tion des risques liés à leur pro­duc­tion et leur utilisation.

Plus de 2 millions de substances préenregistrées

L’Eu­rope de la chimie
L’in­dus­trie chi­mique euro­péenne est une des plus puis­santes du monde avec envi­ron 31 000 entre­prises et plus de 1,8 mil­lion d’emplois directs contre 900 000 aux États-Unis à titre de com­pa­rai­son (y com­pris le sec­teur de la phar­ma­cie). Mais, c’est aus­si une indus­trie éco­no­mi­que­ment cyclique et for­te­ment expo­sée à la concur­rence mon­diale, en par­ti­cu­lier avec cer­tains pays émer­gents, ceux-là mêmes pour les­quels les ques­tions envi­ron­ne­men­tales ou de san­té sont au second plan.

REACH est désor­mais une réa­li­té euro­péenne. La phase de pré­en­re­gis­tre­ment des sub­stances pro­duites ou impor­tées à plus d’une tonne par an est ter­mi­née depuis le 1er décembre 2008. Au niveau euro­péen, plus de 2 mil­lions de pré­en­re­gis­tre­ments ont été effec­tués par envi­ron 65 000 entre­prises (en France : 247 000 pré­en­re­gis­tre­ments par 4 400 entre­prises). Fin novembre 2010, toutes les sub­stances pro­duites ou impor­tées à 1 000 tonnes ou plus par an devront être enre­gis­trées, aux­quelles s’a­joutent des pro­duits chi­miques can­cé­ro­gènes ou muta­gènes ou toxiques pour la repro­duc­tion (CMR) d’une tonne et plus, ain­si que des sub­stances jugées très toxiques pour les orga­nismes aqua­tiques, supé­rieures à 100 tonnes/an. Fin mai 2013, ce sont toutes les sub­stances dont le ton­nage pro­duit ou impor­té est com­pris entre 100 et 1 000 tonnes qui devront être enre­gis­trées. Et enfin, le 31 mai 2018, toutes les sub­stances en plus petites quan­ti­tés (1 tonne/an) auront été enregistrées.

Il est vrai que REACH n’est pas une régle­men­ta­tion tota­le­ment neuve. Une mul­ti­tude de règle­ments com­mu­nau­taires étaient déjà en vigueur, mais ils ne per­met­taient pas un contrôle suf­fi­sam­ment com­plet des sub­stances chi­miques. Par rap­port aux accords déjà signés (cf. enca­dré), la par­ti­cu­la­ri­té du règle­ment REACH est qu’il ren­verse la charge de la preuve : c’est désor­mais à l’in­dus­triel de pro­cé­der à l’é­va­lua­tion des risques liés aux usages des sub­stances. Et tout man­que­ment aux obli­ga­tions sera sanc­tion­né. Ain­si, des sanc­tions admi­nis­tra­tives ou pénales pour­ront être infli­gées à toute entre­prise conti­nuant à pro­duire ou impor­ter des sub­stances chi­miques non enregistrées.

Des questions en suspens

Des pré­cé­dents
Des pro­grammes et accords inter­na­tio­naux existent déjà, par exemple sous l’é­gide de l’O­NU. La Conven­tion de Rot­ter­dam a ins­tau­ré une pro­cé­dure de consen­te­ment préa­lable de l’im­por­ta­teur avant de pro­cé­der à une expé­di­tion ; la Conven­tion de Stock­holm vise à pro­té­ger la san­té et l’en­vi­ron­ne­ment contre les pol­luants orga­niques per­sis­tants (POP) ; un accord sur le sys­tème géné­ral har­mo­ni­sé pour la clas­si­fi­ca­tion, l’é­ti­que­tage et l’emballage des sub­stances chi­miques (GHS) a été adop­té (Règle­ment CLP dans l’U­nion européenne).

Les béné­fices atten­dus par l’U­nion euro­péenne sont mul­tiples : res­tau­ra­tion de la confiance vis-à-vis des pro­duits chi­miques, réduc­tion des dépenses de san­té, encou­ra­ge­ment à l’in­no­va­tion pour trou­ver de nou­velles sub­stances » vertes « , meilleure infor­ma­tion tout au long de la chaîne d’approvisionnement.

Mais, les revers et les ques­tions en sus­pens sont aus­si nom­breux : coûts directs et indi­rects éle­vés ; dis­pa­ri­tion poten­tielle de cer­taines sub­stances pour des rai­sons non liées à la pro­tec­tion de la san­té ou de l’en­vi­ron­ne­ment ; néces­si­té de mobi­li­ser du per­son­nel pour par­ti­ci­per aux forums d’é­changes de don­nées sur les sub­stances ; dif­fi­cul­tés pré­vi­sibles pour les PME ; moda­li­tés de contrôle des sub­stances conte­nues dans les articles importés.

Le règle­ment REACH réagit sur toute la struc­ture des entre­prises, depuis la comp­ta­bi­li­té jus­qu’à la pro­tec­tion des secrets com­mer­ciaux, et néces­site de sau­ve­gar­der les chaînes d’ap­pro­vi­sion­ne­ment en impli­quant ses fournisseurs.

Conforme aux principes de l’OMC

L’Ar­gen­tine contre REACH
Très récem­ment, dans les négo­cia­tions mul­ti­la­té­rales OMC en cours por­tant sur les pro­duits indus­triels, l’Ar­gen­tine a fait des pro­po­si­tions concer­nant les obs­tacles non tari­faires (ONT) tou­chant le sec­teur de la chi­mie. Une de ces pro­po­si­tions vise par­ti­cu­liè­re­ment le règle­ment REACH. Elle sti­pule : Dès lors qu’il a été accep­té dans le pays d’o­ri­gine du pro­duc­teur, un enre­gis­tre­ment devrait être valable au niveau inter­na­tio­nal et un nou­vel enre­gis­tre­ment ne devrait pas être exi­gé dans des pays tiers. Une telle pro­po­si­tion, si elle était accep­tée, four­ni­rait aux membres de l’OMC un argu­ment uni­ver­sel pour ne pas se confor­mer au règle­ment REACH.

REACH est un dis­po­si­tif dont la por­tée dépasse les limites de l’U­nion euro­péenne. C’est pour­quoi la ques­tion de sa confor­mi­té avec les règles de base de l’OMC a été posée dès le début par les pays tiers qui ont sou­le­vé la ques­tion de confor­mi­té de REACH avec le prin­cipe de non-dis­cri­mi­na­tion : aucun pays ne doit éta­blir de dis­cri­mi­na­tion ni entre ses par­te­naires com­mer­ciaux, ni entre ses propres pro­duits, ser­vices et res­sor­tis­sants, d’une part, et les pro­duits, ser­vices et res­sor­tis­sants étran­gers, d’autre part. Autre ques­tion sou­le­vée : la pré­vi­si­bi­li­té (les socié­tés, inves­tis­seurs et gou­ver­ne­ments étran­gers doivent avoir l’as­su­rance que les obs­tacles au com­merce ne sont pas appli­qués de façon arbi­traire). Autre règle à res­pec­ter : la trans­pa­rence. Les règles com­mer­ciales des pays doivent être aus­si claires et acces­sibles au public que pos­sible. L’OMC sur­veille les poli­tiques com­mer­ciales natio­nales par le biais du Méca­nisme d’exa­men des poli­tiques commerciales.

Le règle­ment REACH réagit sur toute la struc­ture des entreprises

Selon l’OMC, les ques­tions tou­chant l’en­vi­ron­ne­ment et le déve­lop­pe­ment durable entrent bien dans ce cadre si l’on prouve que les mesures prises ne sont pas appli­quées arbi­trai­re­ment et qu’elles ne consti­tuent pas une forme dégui­sée de protectionnisme.

Même si la dis­cus­sion ne porte plus désor­mais sur l’ins­tau­ra­tion de REACH, cette régle­men­ta­tion est régu­liè­re­ment la cible de pays tiers qui veulent démon­trer qu’il s’a­git d’une nou­velle bar­rière non tari­faire au com­merce. L’U­nion euro­péenne n’est pas à l’a­bri d’une plainte qui serait dépo­sée par un membre de l’OMC auprès de l’Or­gane de règle­ment des dif­fé­rends (ORD) contre le règle­ment REACH au pré­texte qu’il consti­tue­rait un obs­tacle non tari­faire au com­merce inter­na­tio­nal, c’est-à-dire une mesure autre qu’un droit de douane, qui pro­tège une branche de pro­duc­tion natio­nale. L’OMC auto­rise les mesures non tari­faires fon­dées sur un objec­tif légi­time, comme la pro­tec­tion de la san­té des per­sonnes, qui peuvent être intro­duites d’une manière com­pa­tible avec les règles de l’OMC ou dans les négo­cia­tions bila­té­rales, à condi­tion de ne pas les uti­li­ser comme moyen pro­tec­tion­niste déguisé.

Le règle­ment REACH répond aux cri­tères fixés par l’OMC, ain­si qu’au prin­cipe de sub­si­dia­ri­té : il est plus facile de contrô­ler les sub­stances qui cir­culent dans toute l’U­nion au niveau com­mu­nau­taire qu’au niveau national.

Faire de REACH une référence mondiale

Désor­mais, le com­bat est ailleurs. Il s’a­git de faire des prin­cipes du règle­ment REACH euro­péen la réfé­rence abso­lue en cas de régle­men­ta­tion au niveau mondial.

Certes, des régle­men­ta­tions tou­chant les sub­stances chi­miques sont en vigueur par exemple au Japon ou aux États-Unis. Mais, elles pré­sentent des dif­fé­rences majeures avec REACH : la charge de la preuve appar­tient tou­jours aux auto­ri­tés publiques aux USA et au Japon ;

Les mesures prises ne consti­tuent pas une forme dégui­sée de protectionnisme 

les sub­stances exis­tantes et les sub­stances nou­velles ne sont pas sou­mises aux mêmes obli­ga­tions. REACH sou­lève de nom­breuses ques­tions. L’Eu­rope, en mon­trant la voie, prend-elle le risque de se trou­ver iso­lée, ce qui désta­bi­li­se­rait son indus­trie et lui ferait perdre des parts de mar­ché à l’in­ter­na­tio­nal ? Doit-elle pas­ser par un prin­cipe de recon­nais­sance mutuelle avec d’autres par­ties du monde ? L’ICCA (Inter­na­tio­nal Coun­cil of Che­mi­cal Asso­cia­tions) a lan­cé une ini­tia­tive » Glo­bal Pro­duct Stra­te­gy » (GPS) ren­for­çant ain­si l’en­ga­ge­ment de la chi­mie au niveau mon­dial dans l’a­mé­lio­ra­tion de la pro­tec­tion de la san­té et de l’en­vi­ron­ne­ment. Le règle­ment REACH est bien enten­du dans le prisme de ces dis­cus­sions. L’en­vi­ron­ne­ment et la san­té sont des fac­teurs d’in­no­va­tion et de déve­lop­pe­ment. Les entre­prises euro­péennes de la chi­mie doivent désor­mais faire de REACH un atout commercial.

L’Ac­cord OTC
Cet accord sti­pule que les pro­cé­dures d’é­va­lua­tion de la confor­mi­té des pro­duits avec les normes per­ti­nentes doivent être justes et équi­tables. Il décou­rage le recours à des méthodes qui don­ne­raient un avan­tage inéqui­table aux pro­duits fabri­qués dans le pays. Il encou­rage aus­si les pays à recon­naître mutuel­le­ment les pro­cé­dures d’es­sai uti­li­sées pour éva­luer la confor­mi­té d’un pro­duit. Néan­moins, il est pré­vu que les membres aient le droit d’é­la­bo­rer des régle­men­ta­tions tech­niques s’é­car­tant des normes inter­na­tio­nales exis­tantes, si elles servent des » objec­tifs légi­times « . Tou­te­fois, une éva­lua­tion du risque est néces­saire et il convient de res­pec­ter le prin­cipe de pro­por­tion­na­li­té : les mesures prises ne doivent pas être plus res­tric­tives pour le com­merce qu’il est néces­saire, compte tenu des risques que la non-réa­li­sa­tion entraînerait.

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Pocardrépondre
10 avril 2017 à 21 h 49 min

Un petit Bon­jour… à un
Un petit Bon­jour… à un homo­nyme d’un parent, il y a 30 ans ! 

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