Qu’est-ce que l’obligation de conseil ?

Dossier : L'ExpertiseMagazine N°695 Mai 2014
Par Christophe LAPP
Une gradation dans le devoir d’information imposé à l’une des parties

La lec­ture de la juris­pru­dence – abon­dante dans le domaine du contrat de vente – lais­se­rait pen­ser que l’obligation de conseil s’ajoute à l’obligation plus géné­rale d’information ou la pro­longe, voire que ces obli­ga­tions se confondent.

Il ne faut pas y voir le signe d’une confu­sion, mais plu­tôt celui d’une gra­da­tion dans le devoir d’information impo­sé à l’une des par­ties, et une uni­té conceptuelle.

REPÈRES

Un arrêt de la cour d’appel de Paris, régulièrement cité par la doctrine, donne une définition de l’obligation d’information et de celle de conseil : « Les deux notions se distinguent en ce que l’obligation d’information porte sur les conditions du service sollicité alors que le conseil concerne l’opportunité de celui-ci » (CA Paris, 8e section, 12 octobre 2006, 0511 571).

Obligation d’information et obligation de conseil

La Cour de cas­sa­tion peut ain­si viser indif­fé­rem­ment l’obligation d’information et de conseil lorsque la dis­tinc­tion n’est pas déter­mi­nante : « La cour d’appel […] a rete­nu exac­te­ment que [le four­nis­seur] aurait dû conseiller à son cocon­trac­tant un autre maté­riel et qu’en ne le fai­sant pas, il avait man­qué à son devoir de conseil et d’information » (chambre com­mer­ciale, 21 novembre 2006, non publié, 05–11002).

Pertinence d’une distinction

Communication et analyse de données

Un récent arrêt de la chambre commerciale (28 juin 2011, non publié, n° 10–18626) nous aide à distinguer l’obligation d’information de celle de conseil : « Appréciant souverainement les éléments de preuve versés aux débats, l’arrêt retient que la société D&B était contractuellement tenue à une obligation de renseignement, soit la communication de données économiques et financi»res, et à un devoir de conseil, soit l’analyse de ces données et l’appréciation du risque encouru dans le cadre de relations commerciales. »

En revanche, la Cour dis­tingue l’obligation de conseil de l’obligation d’information lorsque la dis­tinc­tion est per­ti­nente à la réso­lu­tion du litige : « L’arrêt retient les élé­ments de la cause que la Socié­té Zie­gler n’a pas com­mu­ni­qué à la SNMC les infor­ma­tions néces­saires à la bonne exé­cu­tion du trans­port […] et que son sub­sti­tué n’a donc pu trans­mettre aux trans­por­teurs les infor­ma­tions qui ne lui avaient pas été don­nées ; qu’en éta­blis­sant ain­si le man­que­ment per­son­nel de la Socié­té Zie­gler, non pas au regard de son obli­ga­tion de conseil, mais d’information, la cour d’appel […] a léga­le­ment jus­ti­fié sa déci­sion » (chambre com­mer­ciale, 22 février 1994, publié au Bul­le­tin 92–13 138).

L’information précède le conseil

Il res­sort de l’a­na­lyse de la juris­pru­dence que l’o­bli­ga­tion de conseil est acces­soire à une obli­ga­tion contrac­tuelle prin­ci­pale, pro­lon­geant l’o­bli­ga­tion pré­con­trac­tuelle de ren­sei­gne­ment, en sorte que sa vio­la­tion entraîne la mise en jeu de la res­pon­sa­bi­li­té contrac­tuelle du débi­teur de l’o­bli­ga­tion de conseil.

À ce titre, les déci­sions sont géné­ra­le­ment ren­dues au visa des articles 1135, 1147 et 1615 pour ce qui concerne le contrat de vente.

L’obligation de conseil ne saurait transformer l’entrepreneur en voyant extralucide

Article 1135 : « Les conven­tions obligent non seule­ment à ce qui y est expri­mé, mais encore à toutes les suites que l’é­qui­té, l’u­sage ou la loi donnent à l’o­bli­ga­tion d’apr»s sa nature. »

Article 1615 : « L’o­bli­ga­tion de déli­vrer la chose com­prend ses acces­soires et tout ce qui a été des­ti­né à son usage perpétuel. »

Article 1147 : « Le débi­teur est condam­né, s’il y a lieu, au paie­ment de dom­mages et inté­rêts, soit à rai­son de l’i­nexé­cu­tion de l’o­bli­ga­tion, soit à rai­son du retard dans l’exé­cu­tion, toutes les fois qu’il ne jus­ti­fie pas que l’i­nexé­cu­tion pro­vient d’une cause étran­gère qui ne peut lui être impu­tée, encore qu’il n’y ait aucune mau­vaise foi de sa part. »

S’a­gis­sant du contrat de vente, la Cour de cas­sa­tion consi­dère « que l’o­bli­ga­tion de déli­vrance du ven­deur d’un maté­riel s’é­tend à sa mise au point, et com­porte une obli­ga­tion acces­soire d’in­for­ma­tion et de conseil du client » (1re ch. civ., 25 juin 1996, publié au Bul­le­tin 94–16702).

Une obligation de l’entrepreneur

La conjonc­tion « et » montre à nou­veau que l’o­bli­ga­tion d’in­for­ma­tion ne se confond pas avec celle de conseil, mais qu’elle s’en dis­tingue et, en l’oc­cur­rence, qu’elle la pré­cède. S’a­gis­sant du contrat d’en­tre­prise, la 3e chambre civile de la Cour de cas­sa­tion retient : « Tout entre­pre­neur est tenu d’un devoir de conseil qui s’é­tend, notam­ment, aux risques pré­sen­tés par la réa­li­sa­tion de l’ou­vrage envi­sa­gé, eu égard, en par­ti­cu­lier à la qua­li­té des exis­tants sur les­quels il inter­vient et qui doit éven­tuel­le­ment l’a­me­ner à refu­ser l’exé­cu­tion de tra­vaux dépas­sant ses capa­ci­tés » (15 décembre 1993, n° 92–14 001). La for­mule a été reprise depuis par les juges du fond.

Information, conseil et résultat

Le domaine de la construction connaît de nombreuses illustrations de l’obligation de conseil que l’architecte, les maîtres d’œuvre et les entrepreneurs doivent, avant tout, au maître de l’ouvrage. L’obligation de conseil porte sur tous les aspects de la construction, qu’il s’agisse des risques du sol, de la réglementation applicable, de la conception de l’ouvrage, de son implantation, du choix des matériaux, des troubles du voisinage consécutif à la construction d’un ouvrage.
La 3e chambre civile associe l’obligation de conseil et de résultat des constructeurs envers le maître de l’ouvrage. Ainsi, il a été jugé : « Tout professionnel de la construction étant tenu, avant réception, d’une obligation de conseil et de résultat envers le maître de l’ouvrage, la cour d’appel, qui a retenu que la société Jolivet avait procédé à une mauvaise implantation de la maison des époux X […] en s’abstenant de procéder à toute vérification au regard des règles du POS contrairement à ses obligations, et qu’il n’était pas tenu de procéder à d’autres recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision » (27 janvier 2012, n° 08–18026). Si l’obligation d’information ne se confond pas avec celle de résultat, et si elle la précède, elle y participe.

Obligation de moyen ou de résultat ?

L’o­bli­ga­tion de déli­vrance du conseil est une obli­ga­tion de résul­tat, au même titre que l’o­bli­ga­tion d’in­for­ma­tion. À titre d’exemple, nous pou­vons citer l’ar­rêt de la 1re chambre civile de la Cour de cas­sa­tion publié au Bul­le­tin (28 octobre 2010, n° 09–16 913) : « Il incombe au ven­deur pro­fes­sion­nel de prou­ver qu’il s’est acquit­té de l’o­bli­ga­tion de conseil lui impo­sant de se ren­sei­gner sur les besoins de l’a­che­teur afin d’être en mesure de l’in­for­mer quant à l’a­dé­qua­tion de la chose pro­po­sée à l’u­ti­li­sa­tion qui en est pré­vue. » Et la Cour de cas­sa­tion de cas­ser l’ar­rêt de la cour d’ap­pel qui n’a­vait pas pro­cé­dé à cette recherche.

Il ne peut en être de même de la per­ti­nence du conseil qui ne peut rele­ver que d’une obli­ga­tion de moyen.

Deux raisons

Construction : le domaine du maître d’ouvrage

« En statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que le maître d’ouvrage avait, par un choix délibéré, après avoir été mis en garde par le bureau d’études en des termes particulièrement précis, décidé, en toute connaissance de cause, de limiter la mise hors d’eau du deuxième sous-sol […] en prenant ainsi le risque d’inondation à ce niveau, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé » (Civ. 3, 25 janvier 1995, publié au Bulletin 93–15413). Ce sont les domaines de l’immixtion du maître d’ouvrage ou de la prise de risques par le maître d’ouvrage.

Il en va ain­si, prin­ci­pa­le­ment, à rai­son de l’aléa inhé­rent à tout conseil. Mal­gré toute la dili­gence et la per­ti­nence des conseils four­nis, le créan­cier de l’o­bli­ga­tion n’est pas tenu de suivre les indi­ca­tions et reste res­pon­sable de ses choix.

De plus, il existe un autre aléa lié aux don­nées qui n’appartiennent pas au débi­teur de l’obligation de conseil et qu’il peut se pro­cu­rer dans le cadre et les limites de son obli­ga­tion de renseignement.

Comme le disait le pro­fes­seur Per­inet-Mar­quet, « l’obligation de conseil ne sau­rait trans­for­mer l’entrepreneur en voyant extralucide ».

Trois évolutions

Il faut noter une plus grande sévé­ri­té de la part des juri­dic­tions à l’égard du débi­teur de l’obli­ga­tion de conseil dans la recherche d’informations. Il lui revient d’avoir une démarche active pour recher­cher l’ensemble des élé­ments néces­saires à la déli­vrance d’un conseil effi­cace et pertinent.

Ain­si, l’entrepreneur doit se ren­sei­gner sur la fina­li­té des tra­vaux qui lui sont confiés afin de véri­fier leur adé­qua­tion aux objec­tifs pour­sui­vis et être en capa­ci­té de conseiller uti­le­ment le maître d’ouvrage.

L’architecte doit s’informer des capa­ci­tés finan­cières de son client au regard de l’estimation du coût du pro­jet immobilier.

Qualité du créancier de l’obligation

L’obligation de conseil a éga­le­ment connu une évo­lu­tion quant à la qua­li­té du créan­cier de l’obligation. Ini­tia­le­ment des­ti­nées à pro­té­ger des per­sonnes pro­fanes, les juri­dic­tions ont éten­du l’obligation de conseil à l’égard des pro­fes­sion­nels de la même branche.

L’obligation de conseil pèse sur le spécialiste par rapport au généraliste

Dans le domaine de la construc­tion, le devoir de conseil s’étend aus­si aux entre­pre­neurs entre eux dès lors que le tra­vail de l’un dépend de l’autre : l’entrepreneur a ain­si un devoir de véri­fi­ca­tion des plans éta­blis par l’architecte ou le maître d’œuvre ; le sous-trai­tant doit éga­le­ment véri­fier les infor­ma­tions qui lui sont com­mu­ni­quées par l’entrepreneur principal.

L’obligation de conseil pèse ain­si, entre des pro­fes­sion­nels de la même branche d’activité, sur le spé­cia­liste par rap­port au généraliste.

Il faut néan­moins rele­ver que cette obli­ga­tion de conseil est limi­tée par l’objet de la mis­sion confiée au constructeur.

Ain­si, la 3e chambre civile de la Cour de cas­sa­tion a jugé : « Qu’en sta­tuant ain­si, alors qu’elle avait consta­té qu’en ver­tu des sti­pu­la­tions que le client avait approu­vées, la socié­té, qui était exclu­si­ve­ment char­gée des tra­vaux de forage, ne garan­tis­sait pas la pré­sence d’eau dans le sous-sol du ter­rain de sorte qu’il ne pou­vait lui être fait reproche d’avoir man­qué à une obli­ga­tion qui ne lui incom­bait pas, la cour d’appel a vio­lé le texte sus­vi­sé » (3 mars 2011, n° 09–70 754).

Attirer l’attention sur les risques

La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 septembre 2010, a considéré : « L’arrêt relève que la société Ascom, spécialiste des plates-formes de communication sur site, savait que l’installation projetée était partielle, que l’unité centrale […] n’était plus disponible sur le marché et sans prestataire capable d’effectuer des réparations, et s’était contentée de s’assurer de l’apparente compatibilité du matériel vendu avec l’installation préexistante ; que de ces constatations et appréciations établissant que le vendeur n’avait pas informé l’acheteur de l’aptitude de la chose vendue à atteindre le but recherché, la cour d’appel a pu déduire qu’il appartenait à la société Ascom d’attirer l’attention de la société Ms’Com sur les risques d’une défaillance de l’unité centrale et de la nécessité de faire une installation complète […]. La société Ms’Com étant l’installateur du matériel acheté à la société Ascom. »

Vers une obligation de résultat de la pertinence du conseil

Cer­taines caté­go­ries res­tent néan­moins plus par­ti­cu­liè­re­ment pro­té­gées, si bien qu’une véri­table pré­somp­tion de mau­vais conseil est posée en leur faveur. Il en est ain­si tout par­ti­cu­liè­re­ment lorsque la sécu­ri­té des per­sonnes est en cause.

L’évolution de la juris­pru­dence est donc aujourd’hui d’aller vers l’acceptation d’une obli­ga­tion de résul­tat de la per­ti­nence du conseil.

La preuve de l’obligation de conseil

Le juge consi­dé­rait dans un pre­mier temps qu’il appar­te­nait au créan­cier de l’obligation de conseil de faire la preuve que le pro­fes­sion­nel n’avait pas exé­cu­té son obligation.

Dans le domaine de la construction, la 3e chambre civile a jugé : « Alors qu’il appartenait aux constructeurs de justifier de l’exécution de leur obligation d’information au regard de la technique d’exécution des fondations et excavations employée, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve et violé le texte susvisé » (28 avril 2011, n° 10–14516 10–14517).

La Cour de cas­sa­tion, par un revi­re­ment de juris­pru­dence en 1997 (chambre com­mer­ciale, 22 mars 1997, n° 10–13 727), a déci­dé que la preuve incom­bait désor­mais au débiteur.

C’est au visa de l’article 1315 que la Cour de cas­sa­tion s’est fon­dée : « Celui qui réclame l’exécution d’une obli­ga­tion doit la prou­ver. Réci­pro­que­ment, celui qui se pré­tend libé­ré doit jus­ti­fier le paie­ment ou le fait qui a pro­duit l’extinction de son obligation. »

Cette solu­tion est éga­le­ment rete­nue lorsque l’obligation de conseil est une obli­ga­tion prin­ci­pale du contrat ain­si que l’a jugé la Cour de cas­sa­tion (chambre com­mer­ciale, 22 mars 2011, publié au Bul­le­tin n° 10–13627) : « C’est à celui qui est contrac­tuel­le­ment tenu d’une obli­ga­tion par­ti­cu­lière de conseil de rap­por­ter la preuve de l’exécution de cette obligation. »

Une obligation impérieuse

La cour d’appel de Paris a jugé (17e ch., le 14 mars 2005, n° 0315894) : « Que la SNCF a manqué à son obligation contractuelle de conseil et de renseignement dès lors que ses agents, au lieu de livrer la réponse vague et lénifiante fournie à monsieur Slassi qui les interrogeait, auraient dû, ce qu’ils n’ont pas fait, lui indiquer de façon précise ceux des trains qui sur la ligne Paris-Reims étaient équipés de prise disposée près des sièges permettant le branchement d’appareils électriques […] ou appeler son attention sur ce point et inviter le malade, soit à se munir d’un appareil à batterie électrique portable, soit d’envisager un autre moyen de déplacement. Que cette obligation était en l’espèce d’autant plus impérieuse que les agents avaient été alertés sur le fait que le voyageur était une personne handicapée devant, de ce seul fait, être entouré d’une attention toute particulière. »

Mauvais conseil

La preuve du « mau­vais conseil » incombe en revanche à celui qui se plaint de ce « mau­vais conseil » par appli­ca­tion du prin­cipe pré­cé­dem­ment rap­pe­lé de l’article 1315 du Code civil. Tou­te­fois, le sens de la juris­pru­dence, en faveur d’une obli­ga­tion de moyen ren­for­cée, conduit à un par­tage du far­deau de la preuve de la per­ti­nence du conseil.

La preuve du mauvais conseil incombe à celui qui s’en plaint

L’analyse du com­por­te­ment des par­ties, de leurs dili­gences dans la quête des infor­ma­tions néces­saires à la four­ni­ture d’un conseil avi­sé et per­son­na­li­sé et, réci­pro­que­ment, dans l’acceptation de ce conseil ou, au contraire, sa réti­cence, doit désor­mais être prise en considération.

Lorsque la juris­pru­dence aura été au bout de son évo­lu­tion et se pro­non­ce­ra en faveur d’une obli­ga­tion de résul­tat, la charge de la preuve revien­dra alors au débi­teur de l’obligation de conseil.

L’expert aura alors à recher­cher si d’éventuelles causes exté­rieures doivent être prises en consi­dé­ra­tion dans l’appréciation de la res­pon­sa­bi­li­té du débi­teur de l’obligation de conseil.

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