Quelle énergie pour la France au XXIe siècle ?

Dossier : ExpressionsMagazine N°618 Octobre 2006
Par Jean-Noël HERMAN (52)

De nom­breuses études ont déjà été réa­li­sées sur la pros­pec­tive éner­gé­tique, qui se placent à des points de vue assez divers. L’ar­ticle de Jacques Frot, publié dans La Jaune et la Rouge de mai 2006, four­nit un éclai­rage et un cadrage très large puis­qu’il se place à l’é­chelle mon­diale et envi­sage un hori­zon tem­po­rel allant jus­qu’à la fin du siècle. 

Le pré­sent article1, qui sera com­plé­té par un second, a des ambi­tions un peu plus limi­tées, puis­qu’il traite du seul cas de la France et se borne, dans le temps, au milieu du siècle, mais ses ambi­tions sont éga­le­ment plus grandes pour les rai­sons indi­quées ci-après. Il s’a­git bien enten­du d’un docu­ment très syn­thé­tique, les lec­teurs ayant la pos­si­bi­li­té de se réfé­rer à dif­fé­rents ouvrages exis­tants s’ils dési­rent appro­fon­dir cer­tains points (cf. biblio­gra­phie in fine), mais avec l’am­bi­tion de mettre en lumière des aspects peu connus, ou rare­ment publiés, du sujet. 

Le pre­mier article est consa­cré aux éner­gies non nucléaires2. Le deuxième sera cen­tré sur le nucléaire, com­plé­tant ain­si le sur­vol du sujet. 

Analyse de la demande, ou des besoins

La struc­ture de la consom­ma­tion d’éner­gie de la France a beau­coup évo­lué au cours du der­nier demi-siècle, aus­si bien par sec­teurs d’ac­ti­vi­té pour ce qui est de la consom­ma­tion finale (cf. figure 1) que par type de res­sources en ce qui concerne la consom­ma­tion d’éner­gie pri­maire (cf. figure 2)3.

Dans la suite de cet expo­sé, nous nous réfé­re­rons prin­ci­pa­le­ment à la consom­ma­tion d’éner­gie pri­maire, parce que c’est elle qui per­met d’ap­pré­cier les pers­pec­tives d’é­qui­libre (ou de dés­équi­libre) avec les res­sources dis­po­nibles ou escomptées. 

Exa­mi­nons main­te­nant les dif­fé­rents fac­teurs qui influent sur la consom­ma­tion d’énergie. 

1) Prin­ci­pal fac­teur : le déve­lop­pe­ment éco­no­mique. L’é­co­no­miste Pierre Jac­quet (75) nous a dit4 son inquié­tude sur la crois­sance éco­no­mique de l’Eu­rope (dont la France) du fait de la fai­blesse de sa démo­gra­phie, de son inten­si­té de tra­vail, et de sa capa­ci­té d’in­no­va­tion. En se réfé­rant aux tra­vaux de confrères éco­no­mistes répu­tés très fiables il pro­nos­tique un taux de crois­sance de 2 % jus­qu’à 2020 et de 1,75 % au-delà ; mais il avait par­lé pré­cé­dem­ment de 1,2 %. Un dou­ble­ment d’i­ci 2050 est donc pos­sible, mais incertain. 

2) Le rap­port entre crois­sance de l’éner­gie consom­mée et crois­sance du PIB est influen­cé par l’é­vo­lu­tion des grands types de consom­ma­tion évo­qués ci-des­sus. On a consta­té dans le pas­sé de gros pro­grès d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique dans l’in­dus­trie, qui ten­daient à réduire sa consom­ma­tion d’éner­gie, mais cette réduc­tion trou­ve­ra ses limites si nous avons la volon­té de main­te­nir une capa­ci­té indus­trielle dans notre pays. Les ser­vices, eux, se déve­loppent rapi­de­ment et sont moins inten­sifs en éner­gie. La dégres­si­vi­té du rap­port énergie/PIB obser­vée depuis 1980 devrait donc se pour­suivre au moins à la même cadence (- 1% par an), ce qui condui­rait à limi­ter à 60 % envi­ron la crois­sance ten­dan­cielle de la consom­ma­tion d’éner­gie de 2000 à 2050. 

3) La crois­sance pré­vi­sible du coût de l’éner­gie influe­ra néces­sai­re­ment sur la consom­ma­tion. Cette crois­sance pro­vien­dra de l’an­ti­ci­pa­tion de la raré­fac­tion de l’offre, du coût de l’ex­trac­tion des gise­ments pétro­liers pauvres et de la fiscalité. 

Jus­qu’à ce jour les hausses spé­cu­la­tives et tech­niques du prix des com­bus­tibles n’ont eu sur la consom­ma­tion qu’un effet tem­po­raire. Mais il peut sur­ve­nir d’i­ci 2050 des crises poli­tiques plus graves que celles de l’I­ran et de l’I­rak, entraî­nant une vraie pénu­rie d’éner­gie : impos­sible d’en chif­frer les conséquences. 

Hor­mis ces crises les esti­ma­tions les plus sûres ne pré­voient pas une vraie pénu­rie de pétrole avant la fin du siècle. 

Reste la fis­ca­li­té qu’il faut pla­cer dans son cadre à la fois éco­no­mique et poli­tique : la reven­di­ca­tion d’une réduc­tion mas­sive de la fis­ca­li­té pour atté­nuer les effets de la hausse du pétrole brut a peu de chances d’être satis­faite, étant don­né l’en­jeu pour le bud­get de l’É­tat. En outre, une poli­tique de modé­ra­tion volon­ta­riste des prix des car­bu­rants aurait des effets anta­go­nistes à l’ob­jec­tif d’é­co­no­mies d’éner­gie qui va s’im­po­ser pour long­temps (cf. ci-après). 


Figure 1 : consom­ma­tion éner­gé­tique de la France
Répar­ti­tion par sec­teur de consom­ma­tion finale (1960−2004)
Source : Obser­va­toire de l’énergie (pour 2004).

Figure 2 : consom­ma­tion éner­gé­tique de la France (suite)
Répar­ti­tion par forme d’énergie pri­maire (1960−2004)
Source : Obser­va­toire de l’énergie (pour 2004).

 
4)
Limi­ta­tions impo­sées ou pré­co­ni­sées par des conven­tions inter­na­tio­nales, par les pou­voirs publics fran­çais ou par des groupes de pres­sion, au nom de la défense de l’environnement. 

Les plus lourdes de consé­quence, à long terme, sont, ou pour­raient être, la pres­sion pour « sor­tir du nucléaire » et l’o­bli­ga­tion de limi­ter puis de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre. 

Le dis­cré­dit du nucléaire – dont la France a été à peu près pré­ser­vée – semble s’es­tom­per sous l’ef­fet de l’é­vo­lu­tion du prix de l’éner­gie, de la demande sou­te­nue d’éner­gie élec­trique et de la mise en œuvre d’un haut niveau de sécu­ri­té dans les centrales. 

Il n’en va pas de même en ce qui concerne l’ef­fet de serre. Le pro­to­cole de Kyo­to, signé en 1997 mais dont la rati­fi­ca­tion n’a été effec­tive qu’en 2005, affi­chait un objec­tif glo­bal de réduc­tion de 5,2 % en 2010 par rap­port à 1990 avec des sous-objec­tifs par zone ou par pays. Ces objec­tifs sont désor­mais des enga­ge­ments. À noter que celui de la France est seule­ment de 0 % (grâce à la place du nucléaire dans notre pays), ce qui est assez modéré. 

Par contre, le « Plan cli­mat » adop­té par le gou­ver­ne­ment fran­çais en juillet 2004 va beau­coup plus loin, puis­qu’il inclut le « fac­teur 4 » c’est-à-dire l’ob­jec­tif de divi­ser par 4 d’i­ci 2050 nos émis­sions de gaz à effet de serre, prin­ci­pa­le­ment, du gaz car­bo­nique, rési­du de l’u­ti­li­sa­tion de com­bus­tibles fos­siles. Et cet objec­tif est d’ores déjà enté­ri­né par voie légis­la­tive (loi du 13 juillet 2005 fixant les orien­ta­tions de la poli­tique éner­gé­tique – l’ar­ticle 2 for­mule un objec­tif de dimi­nu­tion moyenne de 3 % par an). 

Il s’a­git donc désor­mais d’une obli­ga­tion. C’est pour­quoi un plan d’ac­tion a été mis en chan­tier au niveau gou­ver­ne­men­tal. Ce plan d’ac­tion devrait mon­trer que la réduc­tion des émis­sions de gaz car­bo­nique au quart de ce qu’elles sont aujourd’­hui n’est pas tota­le­ment impos­sible. Dans les études préa­lables, chaque type de consom­ma­tion a été exa­mi­né par les experts appro­priés, et a don­né lieu à des pré­co­ni­sa­tions de nature diverse : 

exploi­ta­tion sys­té­ma­tique de tous les poten­tiels connus d’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique dans les acti­vi­tés industrielles ;
 amé­lio­ra­tion conti­nue des normes des per­for­mances éner­gé­tiques impo­sées aux bâti­ments anciens ; rac­cor­de­ment d’une part signi­fi­ca­tive du parc à des chauf­fe­ries urbaines ou col­lec­tives ; large exten­sion des chauffe-eau solaires ;
 réduc­tion du tra­fic rou­tier des mar­chan­dises avec report par­tiel sur le rail ;
 réduc­tion de l’u­sage de la voi­ture par­ti­cu­lière et déve­lop­pe­ment cor­ré­la­tif des dépla­ce­ments en trans­ports col­lec­tifs (TGV ou trans­port en com­mun urbain) ; déve­lop­pe­ment des véhi­cules élec­triques et hybrides ;
 etc. 

Cha­cun de ces axes de pro­grès fait l’ob­jet de pro­grammes détaillés fai­sant prin­ci­pa­le­ment appel à des tech­niques déjà exis­tantes, plus quelques décou­vertes jugées très pro­bables débou­chant sur des « Tech­no­lo­gies à basses émis­sions » (de car­bone) ou TBE. 

Dans le scé­na­rio pré­pa­ré par la DGEMP (Direc­tion géné­rale de l’éner­gie et des matières pre­mières) la consom­ma­tion totale d’éner­gie pri­maire en 2050 serait réduite de 30 % par rap­port à l’an 2000 et cette éco­no­mie est réa­li­sée entiè­re­ment sur les com­bus­tibles à effet de serre, l’éner­gie nucléaire étant au même niveau qu’au­jourd’­hui5. On table ain­si sur une consom­ma­tion totale de 188 Mtep en 2050 (contre 269 en 2000) dont 103 Mtep d’élec­tri­ci­té nucléaire (niveau de 2000), sur la base du coef­fi­cient d’é­qui­va­lence de 0,2606 tep/MWh.

Conclusions sur les prévisions de consommation d’énergie

Nous ne pou­vons pas nous limi­ter au scé­na­rio de la DGEMP que nous venons de pré­sen­ter, pour plu­sieurs raisons : 

a) les mesures pré­co­ni­sées réclament une volon­té poli­tique et un pou­voir de contrainte à l’é­gard de la popu­la­tion fran­çaise très éloi­gnés des tra­di­tions d’une démo­cra­tie libé­rale. En outre, il est incer­tain que les grands pays d’Eu­rope (et du monde) adoptent la même poli­tique et nous encou­ragent à per­sis­ter dans cette voie ; 

b) cer­tains pro­grès tech­niques, sup­pu­tés dans le pro­gramme d’ac­tion, notam­ment ceux qui concernent les TBE, res­tent pro­blé­ma­tiques. De même le trans­fert sur rail d’une par­tie notable du fret rou­tier et le main­tien de la crois­sance éco­no­mique et d’un contexte de prix du pétrole modé­ré et de fis­ca­li­té éner­gé­tique non moins modérée ; 

c) le finan­ce­ment des inves­tis­se­ments néces­saires pour réa­li­ser les éco­no­mies d’éner­gie escomp­tées et pour géné­rer les éner­gies nou­velles pré­vues est loin d’être assuré. 

Nous retien­drons donc, outre le scé­na­rio DGEMP, un deuxième, plus proche des ten­dances obser­vées dans le pas­sé, cor­res­pon­dant à une consom­ma­tion glo­bale en 2050 supé­rieure à la consom­ma­tion de 2000. 

Il semble tou­te­fois exclu de s’en tenir, même en hypo­thèse haute, au taux ten­dan­ciel de + 60 % évo­qué ci-des­sus, notre pays étant d’ores et déjà enga­gé dans une poli­tique intense d’é­co­no­mies d’éner­gie6, qui sera cer­tai­ne­ment durable et même ampli­fiée par effet d’é­las­ti­ci­té de la demande par rap­port au prix, en pré­sence d’une hausse sou­te­nue, très pro­bable, du prix du pétrole. Nous retien­drons donc la moi­tié du taux ten­dan­ciel, soit + 30 %. 

La part de cette consom­ma­tion sus­cep­tible d’être cou­verte par la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té pri­maire (nucléaire + hydrau­lique + éolienne) pour­rait alors pas­ser de 40 % à 60 %, taux d’ailleurs voi­sin de celui du scé­na­rio DGEMP, grâce à une exten­sion de la pro­duc­tion nucléaire et des pro­grès réa­li­sés sur l’éner­gie embar­quée (accu­mu­la­teurs allé­gés, piles à combustible…). 

La consom­ma­tion totale d’éner­gie pri­maire serait alors de 350 Mtep dont 210 Mtep sous forme d’élec­tri­ci­té pri­maire, sans émis­sion de gaz car­bo­nique. Il res­te­rait 140 Mtep à deman­der aux res­sources fos­siles sub­sis­tantes et aux nou­velles éner­gies renou­ve­lables, soit un peu moins qu’au­jourd’­hui. Un appoint pour­rait être atten­du des nou­velles éner­gies renou­ve­lables, mais la consom­ma­tion des éner­gies fos­siles n’au­rait que modé­ré­ment bais­sé. Les objec­tifs de réduc­tion des consom­ma­tions et d’a­mé­lio­ra­tion des ren­de­ments éner­gé­tiques conservent donc toute leur valeur. 

Analyse de l’offre ou des ressources

Si notre pro­pos porte déli­bé­ré­ment sur le cas de la France, cer­taines ques­tions rela­tives aux res­sources néces­sitent une approche mon­diale (en par­ti­cu­lier le pétrole). 

Nous exa­mi­ne­rons d’a­bord le cas des prin­ci­paux types de res­sources : hydro­car­bures – nucléaire (en pre­mière approxi­ma­tion) – bio­masse, puis, de manière plus suc­cincte, celui des res­sources de moindre impor­tance (éolien, solaire). Le cas du char­bon doit être consi­dé­ré à part non pas en rai­son de la fai­blesse des res­sources mais par suite de l’o­bli­ga­tion de limi­ter les émis­sions de gaz carbonique. 

Les hydrocarbures (pétrole – gaz naturel)

La ques­tion des res­sources pétro­lières à moyen et long terme est aujourd’­hui diver­se­ment commentée. 

S’il n’est pas contes­table que, dans une pers­pec­tive à très long terme, le pétrole, res­source fos­sile non renou­ve­lable à l’é­chelle humaine, fini­ra par être épui­sé, les avis divergent sur le rythme et les moda­li­tés de cet épuisement. 

Une école, qu’on peut qua­li­fier de pes­si­miste, consi­dère comme assez proche, sinon l’é­pui­se­ment du pétrole, du moins le pas­sage par un maxi­mum du volume annuel pro­duit (thèse du « peak-oil » de Hubbert). 

Cette thèse appa­raît cepen­dant, en dépit de son appa­rente rigueur, comme pas­sa­ble­ment réduc­trice : essen­tiel­le­ment basée sur des consi­dé­ra­tions géo­lo­giques, elle foca­lise sur le pétrole clas­sique. Elle tient en outre très peu compte des fac­teurs éco­no­miques, en par­ti­cu­lier de l’é­las­ti­ci­té de la demande par rap­port aux prix et plus pré­ci­sé­ment du fait que des cours éle­vés du pétrole rendent réa­liste l’ex­ploi­ta­tion de nou­velles ressources. 

Aus­si existe-t-il une autre école, plus opti­miste, repré­sen­tée notam­ment par les experts de l’IFP (Ins­ti­tut fran­çais du pétrole)7 qui mettent en avant les consi­dé­ra­tions suivantes : 

 les réserves prou­vées (pro­ba­bi­li­té de récu­pé­ra­tion supé­rieure ou égale à 90 % grâce aux tech­niques actuelles et en l’ab­sence de bou­le­ver­se­ment des condi­tions éco­no­miques) repré­sentent quelque 1 150 mil­liards de barils soit envi­ron 40 fois la pro­duc­tion mon­diale actuelle (80 mil­lions de barils/jour, soit 29 mil­liards de barils/an) ;
 les réserves des gise­ments déjà connus au plan géo­lo­gique mais non encore explo­rés (dits « gise­ments res­tant encore à décou­vrir » en lan­gage pétro­lier) repré­sen­te­raient quelque 1 000 mil­liards de barils, soit encore près de qua­rante ans de la consom­ma­tion actuelle ; 
 à ces res­sources de pétrole « conven­tion­nel » s’a­jou­te­ront les res­sources « non conven­tion­nelles », telles que les bruts extra­lourds du Vene­zue­la et les sables asphal­tiques du Cana­da8, qui sur la base d’un taux pru­dent de récu­pé­ra­tion (15 %) repré­sen­te­raient quelque 600 mil­liards de barils de pétrole, soit encore une ving­taine d’an­nées de la consom­ma­tion actuelle ; 
 le pro­grès tech­nique per­met, ou per­met­tra, de mettre en exploi­ta­tion de nou­veaux gise­ments (gise­ments ter­restres enfouis à grande pro­fon­deur ; gise­ments off­shore en eau très pro­fonde) et d’a­mé­lio­rer le taux de récu­pé­ra­tion des gisements ; 
 les réserves exploi­tables aug­mentent avec le cours du pétrole ; 
 enfin, les tech­niques CTL (coal to liquid) et GTL (gas to liquid) sont sus­cep­tibles de larges déve­lop­pe­ments dès lors que le prix du pétrole est dura­ble­ment éle­vé (la Chine escompte un prix de revient de 40 dol­lars par équi­valent d’un baril de pétrole, par la tech­nique CTL, à par­tir du char­bon dont elle est riche). 

En fin de compte, il devrait être pos­sible d’en­vi­sa­ger la pour­suite de la pro­duc­tion de pétrole, natu­rel ou non, jus­qu’à la fin du siècle, en tout cas au-delà de 2050. 

Mais il ne s’en suit pas néces­sai­re­ment que nous dis­po­se­rons tou­jours de pétrole bon mar­ché.

On doit au contraire s’at­tendre, après diverses fluc­tua­tions tenant à la mul­ti­pli­ci­té des fac­teurs tech­niques, éco­no­miques et poli­tiques qui influent sur les cours du pétrole, à un mou­ve­ment de hausse ten­dan­cielle. En par­ti­cu­lier, des tra­vaux de modé­li­sa­tion de l’é­vo­lu­tion des prix de l’éner­gie (modèle POLES) conduisent à envi­sa­ger un cours de l’ordre de 110 dol­lars le baril vers 20509 et encore, dans le cadre d’un scé­na­rio où pro­duc­tion et consom­ma­tion mon­diale n’aug­men­te­raient pas trop. Il n’est donc pas exclu que des cours plus éle­vés encore soient atteints un jour. 

Un tel cours n’est pas néces­sai­re­ment pro­hi­bi­tif : le maxi­mum atteint lors du deuxième choc pétro­lier, en 1980, repré­sen­te­rait 90 dol­lars actuels en uti­li­sant un défla­teur moné­taire et 100 dol­lars en pari­té de pou­voir d’achat. 

Un cours rela­ti­ve­ment éle­vé a en outre l’a­van­tage de favo­ri­ser la mise en exploi­ta­tion de nou­velles res­sources, puis le déve­lop­pe­ment des éner­gies de substitution. 

À noter, néan­moins, un para­doxe : la mise en exploi­ta­tion des pétroles non conven­tion­nels consomme beau­coup d’énergie. 

Un mot enfin du gaz natu­rel : il offre des pers­pec­tives à long terme com­pa­rables à celles du pétrole et plu­tôt plus favo­rables : les réserves sont impor­tantes et la date pro­bable de pla­fon­ne­ment de la pro­duc­tion plus loin­taine ; par contre le trans­port du gaz natu­rel est plus dif­fi­cile que celui du pétrole, ce qui induit un risque de frag­men­ta­tion du mar­ché par conti­nent et de plus grande vola­ti­li­té des prix. 

L’énergie nucléaire

Comme indi­qué en pré­am­bule, nous nous bor­ne­rons ici à deux hypo­thèses sup­plé­tives, ren­voyant à un article spé­ci­fique l’a­na­lyse des pro­blèmes et pers­pec­tives de cette impor­tance source d’énergie. 

Une hypo­thèse basse, ou au fil de l’eau, serait celle qui est rete­nue dans les tra­vaux de la DGEMP-Obser­va­toire de l’éner­gie déjà évo­qués : rem­pla­ce­ment pro­gres­sif des cen­trales actuelles, lors­qu’elles arri­ve­ront en fin de vie, grâce à un déve­lop­pe­ment lui aus­si pro­gres­sif de la 3e géné­ra­tion (EPR) à un rythme stan­dard de deux tranches par an (à par­tir de 2020) ce qui condui­rait à un qua­si-pla­fon­ne­ment de la pro­duc­tion au niveau de quelque 90 à 110 Mtep/an (contre 103 en 2000). 

Une hypo­thèse haute déjà évo­quée à la fin de la pre­mière par­tie (consa­crée à l’a­na­lyse de la demande ou des besoins) consis­te­rait, à par­tir de la consta­ta­tion des dif­fi­cul­tés pré­vi­sibles sur la voie de la réa­li­sa­tion de l’hy­po­thèse basse, à deman­der beau­coup plus au nucléaire afin d’at­teindre une pro­duc­tion d’éner­gie élec­trique de l’ordre de 200 Mtep/an. La fai­sa­bi­li­té d’une telle crois­sance en un peu moins d’un demi-siècle sera exa­mi­née dans le deuxième article. 

Les biocarburants – La biomasse

On sait faire fonc­tion­ner un moteur die­sel en l’a­li­men­tant avec de l’huile végé­tale (huile de col­za par exemple), ou de pré­fé­rence un déri­vé mieux adap­té aux moteurs clas­siques (ester méthy­lique). Tou­te­fois, les espoirs qu’on peut mettre dans une telle filière trouvent vite leurs limites sur le plan quan­ti­ta­tif : si l’on envi­sa­geait de rem­pla­cer, en tota­li­té, le gazole consom­mé en France par des esters méthy­liques d’huiles végé­tales (EMVH) les cultures capables de pro­duire les graines néces­saires acca­pa­re­raient la qua­si-tota­li­té de la sur­face agri­cole uti­li­sée (SAU) en France ! Actuel­le­ment, le gazole dis­tri­bué en France contient d’ores et déjà une frac­tion d’EMVH (le taux auto­ri­sé est de 5 %, le taux effec­tif actuel est de l’ordre de 1 % seule­ment, mais en croissance). 

Si l’on ambi­tionne d’ob­te­nir des quan­ti­tés appré­ciables d’éner­gie à par­tir de matières pre­mières d’o­ri­gine végé­tale, force est donc d’a­voir une approche beau­coup plus large, à savoir la valo­ri­sa­tion éner­gé­tique de toutes les formes de la biomasse. 

Ces formes sont mul­tiples et com­prennent prin­ci­pa­le­ment, outre les graines oléa­gi­neuses déjà évoquées : 

 d’autres cultures dédiées à cet usage (dans la mesure où les besoins de l’a­li­men­ta­tion humaine et ani­male sont déjà cou­verts) : bet­te­raves, céréales, etc. (uti­li­sa­tion pos­sible des jachères obli­ga­toires ins­ti­tuées par la Poli­tique agri­cole com­mune de l’U­nion européenne) ;
 le bois (dans la mesure où les besoins en bois d’œuvre ou de tri­tu­ra­tion sont déjà cou­verts) : la capa­ci­té de pro­duc­tion glo­bale de la forêt fran­çaise est de l’ordre de 65 Mm³, alors qu’on en tire actuel­le­ment 35 Mm³ de bois d’œuvre envi­ron ; . les déchets orga­niques et ligno­cel­lu­lo­siques (déchets de scie­rie ou d’ex­ploi­ta­tion fores­tière, paille et tiges de céréales, etc.),
 les cultures ligno­cel­lu­lo­siques dédiées (taillis, chanvre, lin, etc.). 

Les voies de valo­ri­sa­tion pos­sibles sont très diverses : pro­duc­tion de cha­leur, d’élec­tri­ci­té, de car­bu­rants liquides ou gazeux, etc. 

Les coûts de ces diverses filières méritent bien enten­du consi­dé­ra­tion, mais ils doivent être appré­ciés en valeur rela­tive par rap­port aux autres sources d’éner­gie : ce qui n’é­tait pas ren­table avec du pétrole à 30 dol­lars le baril peut le deve­nir avec du pétrole à 60 dol­lars, voire 110. 

A380 - Quel carburant utilisera-t-il au milieu du siècle ?
L’Airbus A380, nou­vel avion. Quel car­bu­rant uti­li­se­ra-t-il au milieu du siècle ?

À noter d’ailleurs que les bio­car­bu­rants au sens large (car­bu­rants liquides issus de la bio­masse) pré­sentent le grand inté­rêt d’être la seule forme d’éner­gie renou­ve­lable sub­sti­tuable au pétrole, tant comme car­bu­rants que comme matières pre­mières pour l’in­dus­trie chi­mique. Ils peuvent être pro­duits en quan­ti­tés appré­ciables par les pro­cé­dés de la famille BTL (bio­masse to liquid), uti­li­sant déchets ou pro­duits de culture ligno­cel­lu­lo­sique, trans­for­més par voie enzy­ma­tique ou thermochimique. 

L’u­ti­li­sa­tion éner­gé­tique de la bio­masse pour la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té se heurte à la fai­blesse du ren­de­ment glo­bal de telles filières. Elle peut cepen­dant avoir un inté­rêt aux heures de pointes ou par cogé­né­ra­tion (cf. ci-après). 

En fin de compte, les atouts et han­di­caps des dif­fé­rentes filières sont assez contrastés : 

 les bio­car­bu­rants pré­sentent l’a­tout, déjà signa­lé, d’être des sub­sti­tuts des hydro­car­bures, mais les ren­de­ments des dif­fé­rentes étapes de leur pro­duc­tion sont très variables : si le ren­de­ment à l’hec­tare du blé est très supé­rieur à celui des graines oléa­gi­neuses, la pro­duc­tion du bioé­tha­nol à par­tir du blé consomme beau­coup d’éner­gie10 ;
 la com­bus­tion de tout élé­ment de bio­masse (en par­ti­cu­lier des déchets) pro­duit faci­le­ment de la cha­leur. On peut aus­si pas­ser à la cogé­né­ra­tion (pro­duc­tion conjointe d’élec­tri­ci­té et de cha­leur à rai­son de 25 % d’éner­gie élec­trique et 75 % de chaleur) ;
• la trans­for­ma­tion ther­mo­chi­mique, qui conduit à la gazéi­fi­ca­tion de sub­stances orga­niques ou végé­tales, convient par­ti­cu­liè­re­ment bien à la valo­ri­sa­tion des pro­duits ligno­cel­lu­lo­siques (bois, paille, etc.). C’est pro­ba­ble­ment la filière la plus pro­met­teuse à long terme, sous réserve d’im­por­tants efforts de recherche-développement. 

En ce qui concerne la France, on admet aujourd’­hui les ordres de gran­deur suivants : 

 glo­ba­le­ment, la valo­ri­sa­tion éner­gé­tique de la bio­masse, qui ne dépasse pas actuel­le­ment 11 Mtep par an, pour­rait atteindre, en 2050, 40 Mtep par an (à rap­pro­cher de la consom­ma­tion actuelle d’éner­gie pri­maire : 275 Mtep) ;
 les bio­car­bu­rants (com­pris dans les enve­loppes glo­bales ci-des­sus) qui ne dépassent pas actuel­le­ment 0,4 Mtep par an pour­raient atteindre, en 2050, 20 Mtep par an, majo­ri­tai­re­ment issus des filières BTL (à rap­pro­cher de la consom­ma­tion actuelle de pro­duits pétro­liers raf­fi­nés : 87 Mtep par an, y com­pris usages non énergétiques) ;
 ces crois­sances très impor­tantes sup­posent un notable accrois­se­ment de la sur­face de terres arables dédiées aux pro­duc­tions non-ali­men­taires : limi­tée actuel­le­ment à 0,6 Mha, elle devrait atteindre en 2050 quelque 5 Mha, soit envi­ron 25 % du total. 

À noter enfin, que les objec­tifs ci-des­sus, décou­lant d’une approche natio­nale, pour­raient deve­nir une hypo­thèse basse dans la pers­pec­tive d’un monde qui s’en­ga­ge­rait dans une valo­ri­sa­tion impor­tante de la bio­masse, laquelle pour­rait inci­ter, à terme, à une forte spé­cia­li­sa­tion géo­gra­phique : cultures ligneuses dans des régions fores­tières peu peu­plées – canne à sucre dans les régions tro­pi­cales humides, etc. 

Les autres ressources

La pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine éolienne, beau­coup moins impor­tante aujourd’­hui en France que dans cer­tains autres pays (Alle­magne, Espagne) fait cepen­dant l’ob­jet d’un déve­lop­pe­ment volon­ta­riste, compte tenu de l’en­ga­ge­ment pris par notre pays de pro­duire, dès 2010, 21 % de son élec­tri­ci­té à par­tir de sources d’éner­gies renou­ve­lables (Direc­tive euro­péenne du 27 sep­tembre 2001, au sens de laquelle l’hy­drau­lique est une éner­gie renou­ve­lable, mais pas le nucléaire), ce qui compte tenu de la faible élas­ti­ci­té des autres sources conduit à un objec­tif de 10 000 MW ins­tal­lés (contre envi­ron 1 000 actuel­le­ment). Il est d’ores et déjà acquis que cet objec­tif ne sera pas atteint en 2010, mais il pour­rait l’être vers 2015. 

Pour­ra-t-on aller au-delà ? Cela dépen­dra de fac­teurs en par­tie poli­tiques : le déve­lop­pe­ment actuel est fon­dé sur des tarifs admi­nis­trés et une obli­ga­tion d’a­chat par EDF. Par contre, l’im­plan­ta­tion de nom­breuses éoliennes de grande taille sus­cite sou­vent des oppo­si­tions locales. 

Par ailleurs, il est connu que le carac­tère inter­mit­tent et aléa­toire de la pro­duc­tion éolienne pose des pro­blèmes spé­ci­fiques, en par­ti­cu­lier la néces­si­té de dis­po­ser de cen­trales de rem­pla­ce­ment. Compte tenu de la néces­si­té de démar­rage inopi­né à la demande de ces cen­trales de rem­pla­ce­ment, la solu­tion la plus simple (mais pas la plus satis­fai­sante) est le recours à des cen­trales ther­miques, mais on pour­rait éga­le­ment uti­li­ser des cen­trales nucléaires, moyen­nant un mode d’u­ti­li­sa­tion appro­prié de celles-ci (conduite « en sui­vi de charge », qui pose tou­te­fois des pro­blèmes de rentabilité). 

Il convient donc d’être pru­dent et d’es­comp­ter, à long terme, une pro­duc­tion d’éner­gie qui ne dépas­se­rait pas 40 TWh/an, soit envi­ron la moi­tié de la pro­duc­tion hydraulique. 

En ce qui concerne l’éner­gie solaire, il convient de dis­tin­guer deux branches très distinctes. 

Le solaire ther­mique (pro­duc­tion d’eau chaude) est simple à mettre en œuvre et per­met des éco­no­mies sur les autres sources d’éner­gie (com­bus­tibles – élec­tri­ci­té). L’é­qui­pe­ment des immeubles en pan­neaux solaires ther­miques est une tech­nique d’ores et déjà éprou­vée. Le « plan solaire » ini­tié par l’A­DEME en 2000 visait un objec­tif de 1 000 000 m2/an d’ins­tal­la­tion de pan­neaux solaires ther­miques vers 2010, échéance à laquelle le parc fran­çais pour­rait être de l’ordre de 3 600 000 m2. Si le rythme visé se pour­suit pen­dant une ving­taine d’an­nées, on arri­ve­rait à long terme à quelque 24 000 000 m2, ce qui évi­te­rait une consom­ma­tion d’autres éner­gies de l’ordre de 1,5 Mtep/an, c’est-à-dire assez peu de chose. 

La ques­tion du solaire pho­to­vol­taïque (pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té) est plus com­plexe : ce pro­cé­dé rend des ser­vices très appré­ciés pour les ins­tal­la­tions iso­lées ou les bâti­ments non rac­cor­dés au réseau élec­trique (ce der­nier cas est très mar­gi­nal en France métro­po­li­taine). Une uti­li­sa­tion moins limi­tée pour­rait emprun­ter deux voies : Le « toit pho­to­vol­taïque » per­met­tant à un bâti­ment de pro­duire au moins une par­tie de sa consom­ma­tion d’élec­tri­ci­té, qui s’ins­cri­rait dans un effort plus glo­bal d’a­mé­lio­ra­tion des per­for­mances éner­gé­tiques des bâti­ments ou la pro­duc­tion pour le réseau. Ce der­nier mode souffre de sérieux han­di­caps, en par­ti­cu­lier une fai­sa­bi­li­té tota­le­ment subor­don­née à d’im­por­tantes sub­ven­tions, car son prix de revient est de l’ordre de dix fois celui des cen­trales clas­siques. Même en sup­po­sant un impor­tant ren­ché­ris­se­ment géné­ral de l’éner­gie, un tel han­di­cap ne pour­rait être sur­mon­té qu’à long terme et par d’im­por­tants efforts de recherche-déve­lop­pe­ment qui res­tent à accomplir. 

En résu­mé, il semble impro­bable que la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine solaire apporte une contri­bu­tion signi­fi­ca­tive au réseau fran­çais à l’ho­ri­zon 2050, ce qui ne retire d’ailleurs pas leur inté­rêt à des appli­ca­tions dédiées comme le « toit pho­to­vol­taïque » pour un pavillon d’habitation. 

Le charbon

Les plus récents des scé­na­rios pros­pec­tifs convergent vers une uti­li­sa­tion en France de plus en plus limi­tée de cette source d’éner­gie. Le fait que la pro­duc­tion fran­çaise ait dis­pa­ru n’en est évi­dem­ment pas la seule rai­son : s’y ajoutent l’in­com­mo­di­té du char­bon et sur­tout le fait que la par­tie utile de ce com­bus­tible étant exclu­si­ve­ment consti­tuée de car­bone, son bilan gaz car­bo­nique-éner­gie est par­ti­cu­liè­re­ment mau­vais, ce qui est très défa­vo­rable à la réa­li­sa­tion des objec­tifs que la France s’est assi­gnée en la matière. 

On s’o­riente donc, à long terme, vers une consom­ma­tion limi­tée à une four­chette de 1 à 4 Mtep. 

Des scé­na­rios variantes sont tou­te­fois pos­sibles, notam­ment par recours à des tech­no­lo­gies évo­luées (CTL, cf. ci-des­sus) ou dans un but de sécu­ri­té d’ap­pro­vi­sion­ne­ment (cf. ci-après). 

La sécurité énergétique

Aus­si bien l’ex­pé­rience accu­mu­lée depuis le pre­mier choc pétro­lier (1973) que les sup­pu­ta­tions que l’on peut faire à par­tir de la situa­tion géo­po­li­tique actuelle sug­gèrent que l’im­pé­ra­tif de sécu­ri­té éner­gé­tique pour­rait, dans cer­tains cas, l’emporter sur d’autres fac­teurs du pro­blème de l’énergie. 

On sait en effet que si les pays membres de l’O­PEP ne réa­lisent aujourd’­hui que 30 % de la pro­duc­tion mon­diale de pétrole, ce taux risque de pas­ser, dans une ving­taine d’an­nées, à 40–45 %, alors que plu­sieurs pays de l’O­PEP entre­tiennent des rela­tions dif­fi­ciles avec les prin­ci­paux pays impor­ta­teurs11.

L’U­nion euro­péenne a d’ailleurs ran­gé la sécu­ri­té éner­gé­tique au rang de ses objec­tifs fon­da­men­taux depuis 2002. 

Quels équilibres possibles en 2050 ?

On obtient ain­si les évo­lu­tions sui­vantes des res­sources globales  Hypo­thèse basse
(– 30%) 
Hypo­thèse haute
(+ 30%) 
Pétrole  35  65 
Gaz naturel  12  30 
Élec­tri­ci­té nucléaire  103  200 
Bio­car­bu­rants, biomasse  40  40 
Élec­tri­ci­té hydraulique 
Autres éner­gies renou­ve­lables (éolien-solaire)
Charbon 
Total 203 Mtep/an 351 Mtep/an

On a éva­lué, dans la pre­mière par­tie, les besoins en éner­gie pri­maire de la France en 2050 à :
 188 Mtep/an en hypo­thèse basse,
 350 Mtep/an en hypo­thèse haute. 

Res­tent à exa­mi­ner les res­sources dont on peut escomp­ter l’u­ti­li­sa­tion, en repre­nant de manière syn­thé­tique les don­nées exa­mi­nées dans la deuxième par­tie pour cha­cune des prin­ci­pales sources d’éner­gie, ce qui donne l’in­ven­taire suivant 

 pétrole et gaz natu­rel : on a admis qu’ils seraient encore dis­po­nibles en 2050, les limi­ta­tions pro­bables de la consom­ma­tion décou­lant soit de l’ef­fet d’é­las­ti­ci­té de la demande par rap­port aux prix, soit des déci­sions rela­tives à la limi­ta­tion des émis­sions de gaz carbonique. 

La ten­dance de la consom­ma­tion de pétrole a d’ailleurs ces­sé depuis long­temps d’être à la hausse puisque cette consom­ma­tion, qui était de 121 Mtep en 1973, pla­fonne depuis 1990 à 90–95 Mtep. On peut donc admettre qu’elle sera infé­rieure à 90 Mtep, même en hypo­thèse haute. L’hy­po­thèse basse la limite à 35 Mtep en 2050. 

La ten­dance de la consom­ma­tion de gaz natu­rel, par contre, reste net­te­ment orien­tée à la hausse. Tou­te­fois, compte tenu de ce que plus de la moi­tié de la consom­ma­tion actuelle concerne le sec­teur rési­den­tiel et ter­tiaire, où l’ef­fort d’a­mé­lio­ra­tion des per­for­mances éner­gé­tiques, déjà évo­qué, va néces­sai­re­ment se pour­suivre, on peut admettre, même en hypo­thèse haute, une réduc­tion de l’ordre de 25 % par rap­port à la situa­tion actuelle, soit 30 Mtep (contre 40 en 2004). L’hy­po­thèse basse limite cette consom­ma­tion à 34 Mtep en 2030 et 12 en 2050. 

 élec­tri­ci­té nucléaire on a admis les chiffres pro­vi­soires suivants :
– hypo­thèse basse : 103 Mtep/an,
– hypo­thèse haute : 200 Mtep/an.

 bio­car­bu­rants et autres valo­ri­sa­tions de la bio­masse : 40 Mtep/an.
 élec­tri­ci­té hydrau­lique : force est d’ad­mettre un pla­fon­ne­ment au voi­si­nage du niveau actuel soit 7 Mtep/an12.
 élec­tri­ci­té éolienne : 3,5 Mtep/an.
 solaire ther­mique : 1,5 Mtep/an.

L’é­qui­libre est assu­ré en hypo­thèse basse (il le serait encore si les objec­tifs de valo­ri­sa­tion de la bio­masse n’é­taient que par­tiel­le­ment atteints) mais au prix d’é­co­no­mies dras­tiques de pétrole et de gaz natu­rel, dont la fai­sa­bi­li­té reste à établir. 

L’é­qui­libre peut éga­le­ment être assu­ré en hypo­thèse haute tout en per­met­tant une cer­taine réduc­tion de la consom­ma­tion de pétrole, mais au prix d’un très gros effort d’é­qui­pe­ment nucléaire et sans pour autant arri­ver à res­pec­ter le « fac­teur 4 ». 

Le cumul de ces deux der­niers han­di­caps donne à pen­ser que le res­pect du « fac­teur 4 » serait pour le moins dif­fi­cile, même pour une hypo­thèse de consom­ma­tion intermédiaire. 

Des variantes plus auda­cieuses méri­te­raient peut-être cepen­dant d’être exa­mi­nées, notam­ment à par­tir de la remarque sui­vante : le « fac­teur 4 » consti­tue une décli­nai­son appli­quée aux pays déve­lop­pés d’un objec­tif « fac­teur 2 » à l’é­chelle mon­diale (afin de ména­ger les pos­si­bi­li­tés de crois­sance des autres pays). Mais on peut se poser la ques­tion de savoir s’il est équi­table de vou­loir impo­ser ce fac­teur 4 tel quel à la France, qui a déjà for­te­ment réduit ses émis­sions de gaz car­bo­nique, du fait du déve­lop­pe­ment impor­tant de sa pro­duc­tion d’éner­gie nucléaire13.

Il s’a­gi­rait évi­dem­ment là d’une démarche poli­tique auda­cieuse. Mais, inver­se­ment, consi­dé­rer le « fac­teur 4 » comme un dogme intan­gible consti­tue­rait une démarche de carac­tère téléo­lo­gique14.

Commentaires

Les chiffres ci-des­sus ne doivent pas faire illu­sion : ils ne consti­tuent que des ordres de gran­deur. De plus, la réa­li­sa­tion d’un équi­libre esquis­sé de manière aus­si som­maire reste subor­don­née à des condi­tions phy­siques qui ne res­sortent pas direc­te­ment de ces chiffres. Une ana­lyse plus géné­rale (qui débor­de­rait de l’ob­jet du pré­sent article) devrait appro­fon­dir les pers­pec­tives de com­pé­ti­tion, pour l’u­ti­li­sa­tion de cer­taines matières pre­mières, telles que les pro­duits de la bio­masse, entre les uti­li­sa­tions éner­gé­tiques et d’autres domaines : lubri­fiants, mais aus­si sol­vants, plas­tiques, pape­te­rie, bois d’œuvre, etc. 

En par­ti­cu­lier, les car­bu­rants liquides vont deve­nir rares et la réa­li­sa­tion d’un nou­vel équi­libre (même en hypo­thèse haute) sup­pose que nous soyons capables de modi­fier les pro­ces­sus de dépla­ce­ments de per­sonnes et de trans­ports de mar­chan­dises en fai­sant appel à de nou­velles tech­no­lo­gies ou en ayant recours beau­coup plus lar­ge­ment que par le pas­sé à des tech­no­lo­gies déjà connues, mais dont le déve­lop­pe­ment a, jus­qu’à pré­sent, stag­né : véhi­cule à pro­pul­sion élec­trique15 ; dépla­ce­ments en TGV plu­tôt qu’en voi­ture par­ti­cu­lière pour les dis­tances moyennes ou en avion pour des dis­tances plus longues16, voire réduc­tion de la fré­quence de nos dépla­ce­ments. Ou encore : rap­pro­che­ment de cer­taines pro­duc­tions, ou fabri­ca­tions, des zones de consom­ma­tion (à l’in­verse de ce qui s’est fait au cours des der­nières décennies). 

On débouche là non seule­ment sur une période de tran­si­tion éner­gé­tique, mais aus­si sur de véri­tables pro­blèmes de socié­té, qui ne peuvent, au mieux, être réso­lus qu’à long terme : il convien­drait donc de com­men­cer à s’en occu­per tout de suite (les réveils tar­difs risquent d’être douloureux). 

Dans un autre ordre d’i­dées, il se pour­rait qu’on envi­sage, si les autres sources d’éner­gie s’a­vé­raient insuf­fi­santes, un cer­tain retour au char­bon (dont les res­sources res­tent abon­dantes au plan mon­dial). Mais compte tenu des contraintes désor­mais prises en compte en matière d’é­mis­sions de gaz car­bo­nique, ce retour au char­bon sup­pose l’ac­cep­ta­tion et le finan­ce­ment des tech­niques de cap­tage et séques­tra­tion du gaz car­bo­nique. Il pour­rait aus­si y avoir là un moyen de res­pec­ter le « fac­teur 4 » en hypo­thèse haute. Or, ces tech­niques de sto­ckage géo­lo­gique en sont encore à l’ex­pé­ri­men­ta­tion, voire au concept. Un impor­tant effort de recherche-déve­lop­pe­ment semble d’au­tant plus s’im­po­ser dans ce domaine, notam­ment pour faire bais­ser les prix, qu’il semble devoir être de longue haleine. 

Enfin, il semble évident, à la lumière de ce qui pré­cède, qu’il est exclu de « sor­tir du nucléaire » : le défi auquel notre pays va être confron­té au cours des pro­chaines décen­nies sera au contraire celui de notre capa­ci­té à dou­bler la pro­duc­tion d’élec­tri­ci­té d’o­ri­gine nucléaire. 

Biblio­gra­phie sommaire

L’énergie de demain, sous la direc­tion de J.-L. BOBLIN, E. HUFFER et H. NIFENECKER – EDP – Sciences édi­teur, 2005. 

L’énergie en 2050 par B. WIESENFELD – EDP – Sciences édi­teur, 2005. 

Quelles éner­gies pour demain ? par R. DAUTRAY – Odile Jacob – Sciences édi­teur, 2004. 

Futu­ribles, n° 315 – jan­vier 2006 (numé­ro consa­cré aux pers­pec­tives énergétiques). 


1. Cet article, ain­si que le deuxième évo­qué ci-après, a été éta­bli, notam­ment (mais non exclu­si­ve­ment) à par­tir des don­nées pro­duites lors de deux tables rondes, aux­quelles par­ti­ci­paient notam­ment : Gérard FRIÈS (75), Richard LAVERGNE (75), Jean BOUNINE-CABALÉ (44) et Jean-Paul LANNEGRACE (55), tan­dis que Gérard de LIGNY (43) et Jean HERMAN (52) par­ti­ci­paient aux deux, pour en assu­rer l’a­ni­ma­tion et la syn­thèse. Her­vé NIFENECKER (55) a été consul­té sépa­ré­ment. La pré­sente syn­thèse n’en­gage per­son­nel­le­ment aucun des experts ain­si consul­tés, cha­cun d’eux ayant cepen­dant été à même de don­ner son avis.
2. Des hypo­thèses sup­plé­tives seront faites, à ce stade, sur le nucléaire, pour abor­der la ques­tion de l’é­qui­libre global.
3. Les figures 1 et 2 sont extraites des docu­ments publiés par la Direc­tion géné­rale de l’éner­gie et des matières pre­mières (DGEMP, Obser­va­toire de l’énergie).
4. Voir son article dans le numé­ro de mai 2005 de La Jaune et la Rouge.
5. Le docu­ment – très péda­go­gique – qui pré­sente le pro­ces­sus et le résul­tat de cette étude est consul­table sur le site Inter­net : www.industrie.gouv.fr/énergie
6. Dont témoigne, notam­ment, la nou­velle régle­men­ta­tion ther­mique des bâti­ments (RT 2005) qui va entrer en vigueur et s’a­vère pas­sa­ble­ment dra­co­nienne : obli­ga­tion de res­pec­ter une consom­ma­tion maxi­male en kWh/m2/an – obli­ga­tion d’une sur­face mini­male de pan­neaux solaires ther­miques, etc.
7. Cf. aus­si : Albert BRESSAND – Les scé­na­rios glo­baux de Shell – Futu­ribles, jan­vier 2006.
8. L’ob­jec­tion selon laquelle le pétrole conte­nu dans ces gise­ments serait un pétrole dégra­dé par oxy­da­tion relève de la tau­to­lo­gie : les sables asphal­tiques étant enfouis à faible pro­fon­deur dans des couches de sables non conso­li­dés et per­méables ont effec­ti­ve­ment subi des alté­ra­tions par des­truc­tion des molé­cules les plus légères. Cela ne signi­fie pas qu’ils sont inexploitables !
9. Expo­sé de Patrick CRIQUI, direc­teur de recherches au CNRS (Labo­ra­toire d’é­co­no­mie de la pro­duc­tion et de l’in­té­gra­tion inter­na­tio­nale-LEPII) au Groupe X‑Environnement le 16 novembre 2005.
10. Toutes étapes cumu­lées, le ren­de­ment éner­gé­tique de la filière bioé­tha­nol dépasse à peine 1, pour pro­duire 100 tep sous forme de bioé­tha­nol, il faut dépen­ser près de 100 tep et le pro­duit final ne contient que très peu de pro­duc­tion éner­gé­tique nette : il a sur­tout l’in­té­rêt d’être un trans­for­ma­teur d’énergie.
11. Albert BRESSAND – Les scé­na­rios glo­baux de Shell – in Futu­ribles n° 315, jan­vier 2006 (numé­ro consa­cré aux pers­pec­tives énergétiques).
12. La conver­sion des res­sources en éner­gie élec­trique pri­maire non nucléaire (hydrau­lique-éolien) est faite sur la base dite du « conte­nu éner­gé­tique », soit 0,086 tep/MWh, selon les conven­tions de l’A­gence inter­na­tio­nale de l’éner­gie (AIE) et de l’Of­fice euro­péen des sta­tis­tiques (EUROSTAT) adop­tées en France par l’Ob­ser­va­toire de l’éner­gie depuis 2002. D’autres inter­pré­ta­tions sont pos­sibles, par com­pa­rai­son avec une autre source d’éner­gie, jugée plus pré­cieuse (par ex. : le pétrole).
13. Cf. France-Pers­pec­tives éner­gé­tiques pour 2050, par C. ACKET et P. BACHER, docu­ment consul­table sur le site : www.sauvonsleclimat.org
14. Terme employé dans le rap­port « Étude pour une pros­pec­tive éner­gé­tique concer­nant la France » pro­duit par ENERDATA et le LEPII pour le compte de la DGEMP en février 2005.
15. En dépit de la stag­na­tion pas­sée de la voi­ture élec­trique, des marges impor­tantes existent dans ce domaine. En par­ti­cu­lier les spé­cia­listes de la recherche (tout à fait appli­quée) en matière de trans­ports col­lec­tifs urbains consi­dèrent qu’à long terme ces trans­ports pour­raient uti­li­ser exclu­si­ve­ment de l’éner­gie élec­trique (Réf : 50e Forum d’Ié­na – Les trans­ports de la ville en pleine muta­tion – mai 2005).
16. L’u­ti­li­sa­tion de l’hy­dro­gène comme car­bu­rant mérite une simple men­tion car, outre qu’il ne s’a­git pas d’une source d’éner­gie mais seule­ment d’un vec­teur d’éner­gie, sa mise en œuvre res­te­ra long­temps incom­mode, voire dangereuse. 

Poster un commentaire