Protéger l’invention et accompagner l’innovation

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Yves LAPIERRE (75)
Par Philippe LAVAL (85)

REPÈRES

REPÈRES
L’importance crois­sante de la pro­prié­té indus­trielle et des actifs imma­té­riels qu’elle génère se tra­duit dans les chiffres. Un récent rap­port du Conseil d’analyse éco­no­mique sou­ligne que « le nombre de demandes de bre­vets dans le monde en 2008 était de deux mil­lions envi­ron, contre près d’un mil­lion en 1990 ». Sur ces dix der­nières années, la crois­sance annuelle des dépôts de bre­vets des entre­prises fran­çaises est d’environ 2 %, l’impact de la crise de 2008 ayant été effa­cé en 2010. Les plus grands dépo­sants fran­çais de bre­vets en déposent chaque année plu­sieurs cen­taines, PSA se dis­tin­guant en dépo­sant plus de 1 000 bre­vets par an.

Il y a quelques années, David Kline et Kevin Rivette sor­taient un ouvrage qui allait connaître un beau suc­cès : Rem­brandt in the Attic (Har­vard Busi­ness School Press). La thèse était simple : à par­tir d’exemples, il était mon­tré com­ment des entre­prises avaient su dyna­mi­ser leur por­te­feuille de bre­vets pour en tirer un maxi­mum de valeur.

Dans un monde domi­né par la mon­dia­li­sa­tion, la ter­tia­ri­sa­tion et la finan­cia­ri­sa­tion des éco­no­mies, l’évolution des chaînes de créa­tion de valeur, l’irruption des nou­velles tech­no­lo­gies et des réseaux sociaux, ce constat reste plus que jamais d’actualité.

La part de l’immatériel
Dans un docu­ment bap­ti­sé « A Rem­brandt in the Cor­po­rate Attic », le cabi­net Deloitte met en évi­dence la part crois­sante prise par les actifs imma­té­riels dans la valo­ri­sa­tion des socié­tés. Il estime que, pour les grandes com­pa­gnies amé­ri­caines, cette part qui était de 17% en 1975 a atteint 81 % en 2009.

Les emplois de demain, la crois­sance éco­no­mique, l’équilibre des recettes publiques et la vita­li­té de nos entre­prises – de la TPE au groupe mul­ti­na­tio­nal – res­tent plus que jamais condi­tion­nés par la capa­ci­té de notre pays à inven­ter, à ima­gi­ner mais aus­si par l’aptitude de nos entre­prises à cap­ter ce for­mi­dable effort de créa­ti­vi­té et d’innovation.

Or, la pro­prié­té intel­lec­tuelle – c’est-à-dire la pro­tec­tion juri­dique des créa­teurs et créa­tions sous toutes leurs formes – est un outil extrê­me­ment puis­sant que les entre­prises peuvent mobi­li­ser pour accroître leur valeur.

Une réalité multiforme

La pro­prié­té intel­lec­tuelle est mul­ti­forme ; elle va du droit d’auteur à la pro­prié­té indus­trielle – bre­vets, marques, des­sins & modèles – en pas­sant par les droits voisins.

Un outil extrê­me­ment puis­sant que les entre­prises peuvent mobi­li­ser pour accroître leur valeur

Elle est com­plète ; non seule­ment, elle ouvre la pos­si­bi­li­té de droits mais elle met éga­le­ment en place les sys­tèmes qui per­mettent de les pro­té­ger et de les faire valoir : titres de pro­prié­té, sai­sie contre­fa­çon, sanc­tions pénales contre la contre­fa­çon, orga­ni­sa­tion des juri­dic­tions char­gées du conten­tieux de la pro­prié­té intel­lec­tuelle, pro­tec­tion des inven­tions de sala­riés ; tout est mis en œuvre pour favo­ri­ser les inté­rêts des inven­teurs sur les copieurs.

Elle est souple et favo­rise toutes sortes de stra­té­gies. Le bre­vet en est pro­ba­ble­ment l’outil le plus abouti.

Au cœur du sys­tème, les offices de pro­prié­té indus­trielle et les pro­fes­sion­nels – conseils en pro­prié­té indus­trielle et avo­cats spé­cia­li­sés – occupent une place clé. Les pre­miers ins­truisent, enre­gistrent, délivrent, dif­fusent les titres de pro­prié­té. Ils font évo­luer l’organisation natio­nale, euro­péenne et inter­na­tio­nale du sys­tème des bre­vets et le droit de la pro­prié­té indus­trielle. Les seconds accom­pagnent les inven­teurs indé­pen­dants et les entre­prises dans la pro­tec­tion de leurs droits mais éga­le­ment les études de liber­té d’exploitation, la défense de leurs titres de pro­prié­té, l’évaluation de leur valeur ou encore la négo­cia­tion de licences ou de ces­sions pour en favo­ri­ser l’exploitation et opti­mi­ser leur valorisation.

Le poids du sec­teur public
La course aux bre­vets ne concerne pas les seules entre­prises. Ain­si, trois orga­nismes publics de recherche figurent par­mi les dix plus gros dépo­sants fran­çais de bre­vets, et la mise en place des socié­tés d’accélération du trans­fert de tech­no­lo­gie (SATT) et de France Bre­vets – dotés d’un mil­liard d’euros – montre la volon­té du gou­ver­ne­ment d’orienter réso­lu­ment la recherche publique vers la valo­ri­sa­tion des résul­tats et la créa­tion de richesses.
Indis­pen­sables brevets
La mul­ti­pli­ci­té des para­mètres en jeu – dans sa rédac­tion : pos­si­bi­li­té de coïn­ven­tion, de dépen­dance d’invention, de reven­di­ca­tions emboî­tées plus ou moins larges ; et dans sa vie : pos­si­bi­li­té de le céder, de le licen­cier, de modi­fier dans le temps son domaine de pro­tec­tion tech­nique, de l’étendre géo­gra­phi­que­ment, de le main­te­nir ou de l’arrêter par­tout ou sur cer­tains mar­chés – explique que le bre­vet serve tout à la fois à valo­ri­ser une start-up auprès de socié­tés de capi­tal-risque, à créer une image d’innovation pour une grande entre­prise de cos­mé­tique ou à gêner ses concur­rents dans le domaine des tablettes numé­riques et autres smartphones.

Quatre types de limites

Ces suc­cès incon­tes­tables du sys­tème de pro­tec­tion des créa­tions ne doivent tou­te­fois pas en occul­ter les limites. Elles sont de quatre ordres.

Tout d’abord, le droit de la pro­prié­té indus­trielle reste un droit par­fois régio­nal – bien que pas tou­jours abou­ti, comme en atteste l’exemple du sys­tème euro­péen des bre­vets –, mais plus lar­ge­ment natio­nal. Il n’y a pas un droit de pro­prié­té indus­trielle dans le monde, mais plu­sieurs droits qui coexistent avec cha­cun ses par­ti­cu­la­ri­tés. C’est par­ti­cu­liè­re­ment vrai pour le bre­vet, et ce qui fait sa force – ses mul­tiples para­mètres – fait aus­si sa faiblesse.

Trolls
Des acteurs ont très bien su pro­fi­ter de la situa­tion aux États-Unis ; ils sont connus dans le monde des bre­vets sous le qua­li­fi­ca­tif de trolls ; ils achètent des bre­vets en vrac, ne pro­duisent rien et menacent des entre­prises indus­trielles de litige si elles n’acceptent pas de tran­si­ger en ver­sant des indem­ni­tés considérables.

First to invent-first to file, délai de grâce, bre­ve­ta­bi­li­té des busi­ness methods ou encore indem­ni­tés exor­bi­tantes en cas de contre­fa­çon sont autant de par­ti­cu­la­ri­tés du sys­tème amé­ri­cain, qui déroutent les entre­prises, peuvent leur coû­ter cher et sur­tout génèrent une incer­ti­tude éco­no­mique peu pro­pice à l’épanouissement des affaires.

Que dire alors de ces bre­vets euro­péens qui peuvent être annu­lés par une juri­dic­tion natio­nale dans un État mais confir­més dans un autre ?

Aventure coûteuse

Tout est mis en œuvre pour favo­ri­ser les inté­rêts des inven­teurs sur les copieurs

Au-delà, la pro­tec­tion reste chère dès lors que l’entreprise s’aventure hors de nos fron­tières. Les taxes auprès des offices s’accumulent, tout comme les frais de tra­duc­tion et de conseil, chaque pays ayant ses par­ti­cu­la­ri­tés que seul un spé­cia­liste local peut réel­le­ment maîtriser.

Les grandes entre­prises se lancent indu­bi­ta­ble­ment dans une course aux arme­ments en mul­ti­pliant les dépôts de bre­vets pour des inven­tions dont l’importance laisse par­fois son­geur, même si elles res­pectent les strictes condi­tions de la bre­ve­ta­bi­li­té : acti­vi­té inven­tive, nou­veau­té et appli­ca­tion industrielle.

L’objectif est sou­vent de construire des murs de bre­vets qui inti­mident les nou­veaux entrants et per­mettent de négo­cier avec ses concur­rents en cas de litige.

Craintes diffuses

Inci­ta­tions politiques
La course aux bre­vets est elle-même exa­cer­bée par la poli­tique des gou­ver­ne­ments qui poussent leurs entre­prises et encou­ragent la recherche en géné­ral – publique en par­ti­cu­lier – à mul­ti­plier les dépôts de bre­vets. L’exemple de la poli­tique chi­noise est par­ti­cu­liè­re­ment illustratif.

Enfin, le droit de pro­prié­té a d’une manière géné­rale mau­vaise répu­ta­tion dans cer­tains milieux. C’est éga­le­ment vrai pour la pro­prié­té indus­trielle, et les bre­vets res­tent aujourd’hui contes­tés – pour des rai­sons plus ou moins valables – dans les domaines des bio­techs, des green­techs, de l’accès des médi­ca­ments aux pays pauvres ou des logi­ciels. Il existe chez cer­tains un sen­ti­ment dif­fus que le bre­vet freine l’innovation plus qu’il ne l’encourage, même si toutes les études en la matière prouvent l’inverse.

L’INPI, entreprise de services

C’est dans ce contexte pas­sion­nant que l’INPI situe son action. L’INPI est un éta­blis­se­ment public doté de res­sources propres et dont le fonc­tion­ne­ment et la ges­tion sont sem­blables à ceux de toute entre­prise de ser­vices. Au départ cen­tré sur la pro­tec­tion des inven­tions, via la déli­vrance de bre­vets et l’enregistrement des marques, des­sins et modèles, l’INPI évo­lue ces der­nières années vers une véri­table offre de ser­vices qui se tra­duit par un accom­pa­gne­ment per­son­na­li­sé des entreprises.

Nou­velle dynamique
La réa­li­sa­tion chaque année depuis 2004 de plus de 1000 pré­diag­nos­tics de pro­prié­té indus­trielle auprès des PME et des pôles de com­pé­ti­ti­vi­té illustre bien l’évolution des mis­sions de l’INPI. L’idée est de don­ner gra­tui­te­ment à ces res­pon­sables d’entreprises une idée de ce qu’une stra­té­gie dyna­mique de pro­prié­té indus­trielle pour­rait appor­ter à leur entreprise.

Bien des choses res­tent encore à faire, et la révi­sion géné­rale des poli­tiques publiques vou­lue par le gou­ver­ne­ment est l’occasion pour l’INPI d’engager une démarche de pilo­tage par la per­for­mance et de déve­lop­per une nou­velle offre de ser­vices plus com­plète aux côtés des pro­fes­sion­nels de la pro­prié­té indus­trielle pour un meilleur accom­pa­gne­ment des entre­prises à l’international, pour éga­le­ment favo­ri­ser les démarches d’open inno­va­tion à par­tir des outils puis­sants de créa­ti­vi­té, de veille tech­no­lo­gique et de car­to­gra­phie qui se déve­loppent autour des mil­lions d’informations conte­nues dans les bases de brevets.

Un droit européen des brevets

Il existe un sen­ti­ment dif­fus que le bre­vet freine l’innovation plus qu’il ne l’encourage

Pour finir, l’INPI s’est réso­lu­ment enga­gé dans l’harmonisation euro­péenne du droit des bre­vets et les temps sont aujourd’hui à un regain d’optimisme. Aux côtés des pré­si­dences suc­ces­sives de l’Union euro­péenne, du com­mis­saire Bar­nier et du ministre fran­çais de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, l’INPI œuvre pour que l’accélération récente des négo­cia­tions sur une pro­tec­tion uni­taire par le bre­vet en Europe et une juri­dic­tion com­mu­nau­taire des bre­vets puisse enfin abou­tir à leur mise en place dans les pro­chains mois après plus de trente ans de négo­cia­tions. Soyons réso­lu­ment optimistes !

L’INPI EN BREF

L’INPI (Ins­ti­tut natio­nal de la pro­prié­té indus­trielle) est un éta­blis­se­ment public, entiè­re­ment auto­fi­nan­cé, pla­cé sous la tutelle du minis­tère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie. Il délivre les bre­vets, marques, des­sins et modèles et donne accès à toute l’information sur la pro­prié­té indus­trielle et les entre­prises. Il par­ti­cipe acti­ve­ment à l’élaboration et à la mise en œuvre des poli­tiques publiques dans le domaine de la pro­prié­té indus­trielle et de la lutte anti-contrefaçon.

L’INPI, acteur local :
• accueille, accom­pagne et informe les innovateurs ;
• sen­si­bi­lise et forme à la pro­prié­té industrielle ;
• délivre les titres de pro­prié­té indus­trielle nationaux
 : bre­vets, marques, des­sins et modèles ;
• contri­bue acti­ve­ment à la lutte contre la contrefaçon.

L’INPI, acteur international :
• adapte et construit le droit de la pro­prié­té industrielle ;
• agit au sein d’instances euro­péennes et mondiales ;
• déve­loppe la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale avec de nom­breux pays.

(Source : www.inpi.fr)

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