POURQUOI ÉCOUTER DE LA MUSIQUE ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°652 Février 2010Rédacteur : Jean Salmona (56)

D’abord pour y prendre du plai­sir, bien sûr ; une musique qui n’apporterait aucun plai­sir ne serait pas digne d’être écou­tée. Ensuite, pour apprendre quelque chose : sur le com­po­si­teur, sur un nou­vel inter­prète. Pour se sou­ve­nir, aus­si, peut-être. Enfin, si l’on a de la chance, pour atteindre le nirvana.

Stravinski par Boulez

Stra­vins­ki est à la musique ce que Picas­so est à la pein­ture : le créa­teur aux mul­tiples manières, qui est tou­jours où on ne l’attend pas ; et il offre à l’auditeur, dans tous les cas, le plai­sir, la décou­verte et plus rare­ment, dans cer­taines œuvres, la séré­ni­té. On doit à un film actuel­le­ment pro­je­té dans les salles sur ses amours sup­po­sées avec Coco Cha­nel un regain d’intérêt pour la musique de Stra­vins­ki. Tant mieux, si le 7e art contri­bue à faire connaître la musique clas­sique. C’est l’occasion pour DGG de publier une somme des œuvres enre­gis­trées par Pierre Bou­lez entre 1980 et 1996 avec les orchestres de Chi­ca­go, Cle­ve­land, le Phil­har­mo­nique de Ber­lin et l’Ensemble InterContem­porain 1.

On trouve dans cette com­pi­la­tion, outre les blue chips que sont L’Oiseau de feu, Petrou­ch­ka, Le Sacre du prin­temps, Le Chant du ros­si­gnol, la Sym­pho­nie de psaumes, Ebo­ny Concer­to, le Concer­to Dum­bar­ton Oaks et L’Histoire du sol­dat (en ver­sion sans réci­tant), des œuvres plus rare­ment jouées : Feux d’artifice, Quatre Études pour orchestre, la can­tate Le Roi des étoiles, Sym­pho­nies d’instruments à vent, Sym­pho­nie en trois mou­ve­ments, et une ving­taine de pièces courtes pra­ti­que­ment incon­nues du grand public, comme le Concer­ti­no pour qua­tuor à cordes, Epi­ta­phium pour flûte, cla­ri­nette et harpe, de nom­breux lie­der dont Deux Poèmes de Ver­laine, les Ber­ceuses du chat et une inat­ten­due Élé­gie pour JFK, enfin un Scher­zo fan­tas­tique, œuvre de jeu­nesse déli­cieuse, qui rap­pelle Tchaï­kovs­ki et Dukas. En revanche, les œuvres néo­clas­siques, Pul­ci­nel­la et Le Bai­ser de la fée, n’ont pas trou­vé grâce auprès de Bou­lez et ne sont pas enregistrées.

Tout d’abord, le style de direc­tion de Bou­lez, d’une rigueur abso­lue (Bou­lez aurait méri­té d’être poly­tech­ni­cien), et qui dis­tingue chaque groupe d’instruments, voire chaque ins­tru­ment lorsque c’est pos­sible, musique dans l’espace en quelque sorte, est par­fai­te­ment adap­té à la musique de Stra­vins­ki où l’orchestration joue un rôle aus­si impor­tant que la musique elle-même, et qui, contrai­re­ment à d’autres, ne sau­rait se satis­faire d’une direc­tion impres­sion­niste. Cette réus­site par­faite est d’autant plus para­doxale que Bou­lez, obsé­dé par la pro­mo­tion de la musique dodé­ca­pho­nique, a vitu­pé­ré jadis la musique de Stra­vins­ki, y com­pris Le Sacre, comme « conso­li­da­tion du lan­gage tonal ».

Au total, un pano­ra­ma superbe et d’une abso­lue per­fec­tion, ser­vi par une prise de son exem­plaire, de la musique de Stravinski.

Chopin : les Nocturnes par François Chaplin.

Tout pia­niste joue Cho­pin tôt ou tard. Après un Debus­sy de grande qua­li­té, sobre et pré­cis, on n’attendait pas Cha­plin dans Cho­pin, encore moins dans les Noc­turnes 2, qui ne donnent guère à l’interprète l’occasion de briller et d’épater l’auditoire. Eh bien, c’est excellent. Il y a plu­sieurs façons de jouer les Noc­turnes : roman­tique à l’excès, avec ruba­tos ad libi­tum ; mon­daine, dis­tan­ciée ; habi­tée, hal­lu­ci­née (comme les jouait Sam­son François).

Cha­plin les joue avec beau­coup de sim­pli­ci­té et de finesse, sans cher­cher à sol­li­ci­ter le texte, en fai­sant sim­ple­ment chan­ter le pia­no et avec un sens très fin du tou­cher ; et le résul­tat est que vous y trou­vez ce que vous cher­chez, selon votre humeur du moment : du plai­sir dans tous les cas et, si vous êtes tou­ché par la grâce, l’évocation ines­pé­rée d’un ins­tant oublié de votre adolescence.

Musique plus ou moins sacrée

Coffret du CD Matinas do NatalVous ne connais­sez sans doute pas Mar­cos Por­tu­gal (1762−1830), com­po­si­teur por­tu­gais qui fit car­rière au Bré­sil au début du xixe siècle. Sous le titre Mati­nas do Natal, l’Ensemble Turi­cum et un groupe de très bons chan­teurs ont enre­gis­tré les Matines de Noël, 1811 3, musique joyeuse et rien moins qu’austère qui doit beau­coup à Mozart et à la musique ita­lienne. L’orchestre joue sur ins­tru­ments d’époque, mais du xixe siècle, non de l’époque baroque, ins­tru­ments au timbre chaud et velou­té, et le résul­tat est une jolie musique sans pré­ten­tion et pleine de charme.

Sous le titre Bach Vio­lin and Voice, La vio­lo­niste Hila­ry Hahn, le bary­ton Mat­thias Goerne et la sopra­no Chris­tine Schä­fer jouent avec l’Orchestre de chambre de Munich des extraits de can­tates, de Pas­sions et de la Messe en si de Bach, qui asso­cient le vio­lon et les deux voix 4.

Pas d’arrangement hasar­deux : le vio­lon joue en sym­biose avec l’orchestre, appa­rem­ment en se super­po­sant aux pre­miers vio­lons, dia­lo­guant par­fois avec une flûte. Pas non plus de quoi effa­rou­cher les puristes : jouer sépa­ré­ment des par­ties de diverses can­tates était cou­rant à l’époque et Bach lui-même ne s’en est pas privé.

Ici, la qua­li­té des inter­prètes, que l’on connaît bien (on se sou­vient de Hila­ry Hahn dans les concer­tos de Brahms, de Chosta­kovitch, de Pro­ko­fiev, de Bach, de Mat­thias Goerne dans Schu­bert) et la magie trans­cen­dante de la musique de Bach – rap­pe­lez-vous l’aphorisme de Cio­ran : « Si quelqu’un doit quelque chose à Bach, c’est bien Dieu » – font que, croyant ou non, ce disque vous réjoui­ra l’âme.

1. 6 CD Deutsche Grammophon.
2. 2 CD ZIG ZAG.
3. 2 CD Para­ty.
4. 1 CD Deutsche Grammophon.

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