Pierre MAILLET (43 B), 1923–2002

Dossier : ExpressionsMagazine N°583 Mars 2003Par : Edmond MALINVAUD (42 B)

Il aimait se dire « ingé­nieur de for­ma­tion, éco­no­miste de pro­fes­sion, Euro­péen de convic­tion ». Rap­pe­ler sa vie et son œuvre conduit natu­rel­le­ment à dis­tin­guer trois périodes : treize années durant les­quelles se décla­ra et confir­ma sa voca­tion d’é­co­no­miste, treize autres années au ser­vice des Com­mu­nau­tés euro­péennes, puis près de trente ans comme pro­fes­seur de sciences éco­no­miques à l’u­ni­ver­si­té de Lille, sur une chaire Jean Mon­net jus­qu’à sa retraite1.

Vocation d’économiste

Sor­tant de l’X à l’au­tomne 1946, Pierre Maillet entre à l’É­cole des Mines de Paris où il obtien­dra le titre d’in­gé­nieur civil des Mines. Il avait sui­vi à l’X les cours d’é­co­no­mie de Fran­çois Divi­sia (1889−1964). Il allait béné­fi­cier dans l’an­née 1947–1948 de ceux de Mau­rice Allais, où j’eus le plai­sir de le retrou­ver. Je sup­pose que, entre­temps, il avait comme moi acquis par des lec­tures une cer­taine culture d’économiste.

On ne ren­dra jamais assez témoi­gnage des ser­vices qu’Al­lais nous a alors ren­dus. D’a­bord par ses cours. Il avait récem­ment ter­mi­né ses deux ouvrages monu­men­taux : le Trai­té d’é­co­no­mie pure (1943) et Éco­no­mie et Inté­rêt (1947). Outre beau­coup de connais­sances qui nous man­quaient ses cours nous appor­tèrent un sys­tème d’a­na­lyse, grâce auquel nous pou­vions orga­ni­ser nos propres pen­sées. De plus Allais consti­tuait auprès de lui un groupe de jeunes aux­quels il com­mu­ni­quait son enthou­siasme pour la recherche éco­no­mique et qu’il intro­dui­sait dans les hauts lieux de cette recherche.

À l’au­tomne 1948 Pierre Maillet a ain­si très natu­rel­le­ment rejoint le sémi­naire d’Al­lais, où nous tra­vail­lions sur­tout sur les ouvrages de théo­rie éco­no­mique parus en anglais au cours de la décen­nie précédente.

Sur recom­man­da­tion d’Al­lais il par­ti­ci­pa en 1949 au sémi­naire de Salz­bourg où d’in­té­res­sants et vivants stages col­lec­tifs de sélec­tion étaient orga­ni­sés par les auto­ri­tés des États-Unis pour l’at­tri­bu­tion de bourses Ful­bright à des étu­diants euro­péens pro­met­teurs. Rete­nu, il fut ain­si bour­sier à l’u­ni­ver­si­té de Chi­ca­go en 1949–1950. Il y épou­sa Fran­çoise Dar­gen­ton, des­cen­dante de Clé­ment Col­son (1853−1939) autre poly­tech­ni­cien, pro­fes­seur d’é­co­no­mie répu­té qui ensei­gna à l’X.

À Chi­ca­go, Maillet tra­vailla sur­tout sur les méthodes de l’é­co­no­mé­trie et les modèles d’é­changes inter­in­dus­triels. En témoignent un article paru dans le numé­ro de novembre décembre 1950 de la Revue d’é­co­no­mie poli­tique « Une étude d’é­co­no­mie syn­thé­tique : le “Modèle” de Leon­tieff » ain­si que, plus tard, deux articles dans le n° 3 (1955) des Cahiers du sémi­naire d’é­co­no­mé­trie, publié sous la direc­tion de René Roy (X 1914) « Intro­duc­tion à l’é­tude des modèles éco­no­mé­triques », « L’a­na­lyse des flux phy­siques entre secteurs ».

Ren­trant à Paris dans l’é­té 1950, Maillet rejoint non seule­ment le sémi­naire d’Al­lais, dont il assure pen­dant un an le secré­ta­riat, mais aus­si, à titre prin­ci­pal, le Labo­ra­toire d’é­co­no­mé­trie de l’É­cole poly­tech­nique, diri­gé par Divi­sia. De là avec Mar­cel Boi­teux, il tra­vaille notam­ment pour le Com­mis­sa­riat géné­ral du Plan en assis­tant notre cama­rade de pro­mo­tion Albert Robin pour la pré­pa­ra­tion et le sui­vi du rap­port sur l’éner­gie du troi­sième Plan (Maillet se charge en par­ti­cu­lier de quan­ti­fier les réper­cus­sions, sur les prix des biens et ser­vices, des varia­tions dans les prix de l’énergie).

Il est appe­lé au Ser­vice des études éco­no­miques et finan­cières lors de sa créa­tion par Claude Gru­son (X 1929), ser­vice qui devien­dra ulté­rieu­re­ment la Direc­tion de la pré­vi­sion. Sa mis­sion y est l’é­ta­blis­se­ment du tableau des échanges inter­in­dus­triels pour la comp­ta­bi­li­té natio­nale en voie de consti­tu­tion. Ses fonc­tions l’a­mènent aus­si à par­ti­ci­per de plus en plus à la pré­pa­ra­tion de la poli­tique éco­no­mique et à la pla­ni­fi­ca­tion des ser­vices publics.

L’Européen

En 1960 Maillet est nom­mé à Luxem­bourg direc­teur des études éco­no­miques à la Com­mu­nau­té euro­péenne du char­bon et de l’a­cier. En 1967 il devient à Bruxelles direc­teur de la poli­tique scien­ti­fique aux Com­mu­nau­tés éco­no­miques euro­péennes. En 1973, direc­teur à la Direc­tion géné­rale des bud­gets de la Com­mis­sion des Com­mu­nau­tés euro­péennes, il met en place l’U­ni­té d’é­va­lua­tion des pro­grammes. Avec le titre de direc­teur géné­ral hono­raire il quitte la CEE en 1973, au moment de l’in­té­gra­tion du Dane­mark, de l’Ir­lande et du Royaume-Uni. Il est alors nom­mé à Lille titu­laire de l’une des pre­mières chaires Jean Mon­net créées à l’i­ni­tia­tive de la CEE dans toute l’Europe.

Son atta­che­ment à l’Eu­rope, per­cep­tible dès la décen­nie 1950, appa­raît dans la biblio­gra­phie de ses œuvres. En 1968 est publié, sous sa signa­ture en col­la­bo­ra­tion avec trois col­lègues, un ouvrage de 642 pages : L’É­co­no­mie de la Com­mu­nau­té euro­péenne (un ouvrage plus concis avec le même titre sera publié par lui seul en 1982). En 1975, dans La construc­tion euro­péenne : résul­tats et pers­pec­tives, il donne un diag­nos­tic sur ce qui a été réa­li­sé à la suite du trai­té de Rome (1957), sur les pre­miers effets de l’é­lar­gis­se­ment de 1973 et sur les tâches confron­tant la CEE. Dans le même esprit seront publiés, en 1988, L’in­té­gra­tion éco­no­mique euro­péenne et, en 1992, La poli­tique éco­no­mique dans l’Eu­rope d’a­près 1993. Il dirige alors l’é­di­tion d’un ouvrage col­lec­tif de pro­fes­seurs alle­mands, danois, espa­gnols, fran­çais, néer­lan­dais et por­tu­gais : Trois défis de Maas­tricht (1993).

Son soixante-dixième anni­ver­saire ne ralen­tit pas son effort d’a­na­lyse lucide des pro­blèmes de l’U­nion euro­péenne. Ain­si avec D. Velo il publie en 1994 L’Eu­rope à géo­mé­trie variable (1994). Dans le même esprit avec plu­sieurs éco­no­mistes membres du réseau des chaires Jean Mon­net, il pré­pare le mani­feste sur La cohé­rence des poli­tiques éco­no­miques dans une Europe dif­fé­ren­ciée : une exi­gence pour les nou­velles ins­ti­tu­tions (1996). Avec W. Kös­ters il édite un nou­vel ouvrage col­lec­tif de pro­fes­seurs euro­péens : Une Europe plus favo­rable à l’emploi (1996). Le même thème le conduit à faire paraître deux « libres pro­pos » dans La Jaune et la Rouge sur « l’Eu­rope et l’emploi après Amster­dam » (1997 et 1998). Il par­ti­cipe à divers col­loques. Il main­tient des liens étroits avec le CEDAM, Centre euro­péen de l’u­ni­ver­si­té de Pavie. Avec le pro­fes­seur Velo de cette uni­ver­si­té, il entre­prend la rédac­tion d’un livre, dont il écrit un impor­tant cha­pitre en juillet 2002.

Le professeur

Depuis sa sor­tie de l’É­cole des Mines Maillet a été sol­li­ci­té pour don­ner des leçons ou des cours dans de mul­tiples ins­ti­tu­tions d’en­sei­gne­ments, y com­pris hors de France. Sa vie aca­dé­mique s’est évi­dem­ment inten­si­fiée après sa nomi­na­tion à l’u­ni­ver­si­té de Lille où il a diri­gé le Centre de recherches euro­péennes et inter­na­tio­nales. Deve­nu pro­fes­seur émé­rite il y a ensei­gné jus­qu’à l’an­née de sa mort. Décrire tous les aspects de cette vie aca­dé­mique las­se­rait le lec­teur. Il suf­fi­ra ici de don­ner une idée de la recon­nais­sance dont il a joui de la part de ses collègues.

Il pré­si­da l’As­so­cia­tion fran­çaise de science éco­no­mique, pour deux termes suc­ces­sifs, pen­dant les quatre années 1978 à 1981. Il sié­gea pen­dant neuf ans au Comi­té exé­cu­tif de l’As­so­cia­tion inter­na­tio­nale de sciences éco­no­miques. Il par­ti­ci­pa aux conseils scien­ti­fiques de plu­sieurs ins­ti­tu­tions et revues aca­dé­miques. En appor­tant ce témoi­gnage à La Jaune et la Rouge, j’ex­prime ain­si les sen­ti­ments de toute une communauté.

L’homme

Tout au long de sa vie, Maillet s’est mon­tré exi­geant vis-à-vis de lui-même et de ses proches, en par­ti­cu­lier dans sa recherche d’une véri­té tou­jours dépouillée.

Au plan natio­nal comme au niveau de l’Eu­rope, il a mani­fes­té un sou­ci per­ma­nent d’o­rien­ter l’é­co­no­mie vers le ser­vice des hommes, notam­ment des plus démunis.

Il est par­ve­nu à har­mo­ni­ser ses pro­fondes convic­tions per­son­nelles et ses diverses res­pon­sa­bi­li­tés pro­fes­sion­nelles. Son huma­nisme chré­tien n’a pas été seule­ment vécu en famille avec son épouse et avec ses des­cen­dants. Il l’a­me­na aus­si à s’en­ga­ger dans la vie asso­cia­tive et au ser­vice de sa paroisse (La Made­leine, Paris).

______________________________________
1. Pour la rédac­tion de ce témoi­gnage j’ai reçu l’aide très utile de Madame Pierre Maillet et de notre cama­rade Albert Robin (43 B) que je remer­cie chaleureusement.

Poster un commentaire