PETITES LEÇONS DE BONHEUR

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°663 Mars 2011Rédacteur : Jean Salmona (56)

Exer­cer son esprit cri­tique vis-à-vis d’une inter­pré­ta­tion peut offrir des satis­fac­tions : il est flat­teur et donc agréable de se sen­tir spé­cia­liste, de tra­quer la faute et de domi­ner une écoute, au disque comme au concert. Mais quel bon­heur plus grand encore d’oublier son esprit cri­tique et de s’abandonner à une écoute au pre­mier degré, sans réfé­rences, sans ana­lyse, pour le plaisir.

Pianistes

Pio­tr Anders­zews­ki est un pia­niste à part, qui est sou­vent là où on ne l’attend pas. On connaît ses inter­pré­ta­tions hors du com­mun des Par­ti­tas et des Suites anglaises de Bach. Il vient d’enregistrer de Schu­mann trois recueils par­mi les moins joués : la grande Humo­resque, Six Études en forme de canon, Chants de l’aube1. Schu­mann était consi­dé­ré à son époque comme un com­po­si­teur bizarre et fan­tasque, voire inquié­tant, alors que sa musique ne fait que reflé­ter la com­plexi­té et l’instabilité des sen­ti­ments humains. Humo­resque est son recueil le plus auda­cieux : suc­ces­sion dans cha­cune des pièces d’instants sereins et exal­tés, la quin­tes­sence du roman­tisme, avec une écri­ture très moderne. Les Études, raf­fi­nées et com­plexes, évoquent Bach et Men­dels­sohn. Les Chants de l’aube, déjà cités ici dans l’interprétation d’Emmanuelle Swiercz, sont le tes­ta­ment étrange et émou­vant de Schu­mann, à l’aube de la folie qui devait l’emporter. Pio­tr Anders­zews­ki joue avec une pro­fon­deur, une dis­tance et une sub­ti­li­té qui rap­prochent Schu­mann, de manière tout à fait inat­ten­due, de Proust.

Des gouttes d’eau jaillis­santes, des perles qui tombent d’un col­lier rom­pu, etc., les Sonates de Scar­lat­ti sus­citent les méta­phores les plus banales. Scar­lat­ti en a écrit près de 600, toutes à un seul mou­ve­ment, et très courtes : leur durée excède rare­ment quatre minutes. Alexandre Tha­raud, déci­dé­ment éclec­tique, en a choi­si une ving­taine2, et il en dédie l’enregistrement à la mémoire de Cla­ra Has­kil, dont il s’est clai­re­ment ins­pi­ré, comme il l’avait fait de Mar­celle Meyer pour Cou­pe­rin et Rameau. Eh bien, cette reprise au pia­no de pièces des­ti­nées à l’origine au cla­ve­cin est une petite mer­veille de pré­ci­sion et de charme. Scar­lat­ti par­lait, paraît-il, de ses Sonates avec beau­coup de modes­tie ; ces minia­tures géniales, d’une extra­or­di­naire moder­ni­té, sont de petits moments de bon­heur intense.

Voix baroques

La musique baroque pro­cure un plai­sir d’autant plus grand qu’elle est plus concise. Trois jolis disques récents satis­font à cette exigence.

Guère plus longs que des sonates de Scar­lat­ti, les Madri­ga­li a due voci de Mon­te­ver­di et quelques autres, que chantent sur un disque récent Agnès Mel­lon, sopra­no et Domi­nique Visse, contre-ténor, accom­pa­gnés de quatre ins­tru­ments baroques3, sont de petits chants d’amour (et de regrets) exquis, sou­vent vivaces et drôles.

Sous le titre Daph­né sur les ailes du vent4, Jean-Chris­tophe Frisch et son ensemble Le Baroque Nomade ont réuni une tren­taine de pièces de l’époque baroque à tra­vers le monde : de l’Angleterre à la Chine en pas­sant par Venise, Istan­bul, l’Abyssinie, le Ben­gale, et aus­si le Mexique, les Appa­laches, etc., un voyage musi­cal ima­gi­naire, poé­tique et d’une extra­or­di­naire variété.

Enfin, on connaît les Chan­sons avec luth de John Dow­land (XVIe-XVIIe siècle), dont cer­taines ont été popu­la­ri­sées par des musi­ciens de la pop music et du jazz. Une ving­taine de ces airs déli­cieux et véné­neux d’un com­po­si­teur quelque peu mala­dif ont été enre­gis­trés par le contre­té­nor Damien Guillon accom­pa­gné par Éric Bel­locq au luth5. Des chan­sons à écou­ter en buvant une bonne ale, entre­cou­pée, pour­quoi pas, de quelques gor­gées d’un bon Islay pur malt.

1. 1 CD VIRGIN.
2. 1 CD VIRGIN.
3. 1 CD ZIG ZAG.
4. 2 CD ARION.
5. 1 CD ZIG ZAG.

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