Paris face aux futures chaleurs de l’an 2100

Dossier : Le changement climatique ........................ 1ere partie : Les ImpactsMagazine N°679 Novembre 2012
Par Jean-Luc SALAGNAC
Par Julien DESPLAT
Par Raphaëlle KOUNKOU-ARNAUD

Les consé­quences des tem­pé­ra­tures éle­vées sont iden­ti­fiées. Elles concernent notam­ment le confort et la san­té des per­sonnes : cha­leur exces­sive, dif­fi­cul­té de récu­pé­ra­tion noc­turne de l’organisme, notam­ment pour les per­sonnes les plus fra­giles, pou­vant être à l’origine d’une impor­tante sur­mor­ta­li­té comme il a été obser­vé en France et plus géné­ra­le­ment en Europe en août 2003.

REPÈRES
La cani­cule, ou vague de cha­leur, est un phé­no­mène météo­ro­lo­gique bien connu carac­té­ri­sé par une période pro­lon­gée de tem­pé­ra­tures anor­ma­le­ment éle­vées, de jour comme de nuit. En ter­ri­toire métro­po­li­tain, l’installation stable, pen­dant plu­sieurs jours à plu­sieurs semaines, de l’anticyclone dit « des Açores » sur le nord ou l’est de l’Europe crée un obs­tacle au pas­sage des per­tur­ba­tions atlan­tiques. Les vents d’est et du sud apportent alors de l’air chaud et sec sur la France.

Des îlots de chaleur urbains

Plus d’énergie consommée
Les épi­sodes cani­cu­laires ont éga­le­ment des inci­dences sur la consom­ma­tion d’énergie, du fait du recours mas­sif obser­vé à la cli­ma­ti­sa­tion des bâti­ments. Ce pic de consom­ma­tion inter­vient, de plus, à un moment où les cen­trales ther­miques peuvent se trou­ver à la limite de leurs condi­tions de fonc­tion­ne­ment du fait du réchauf­fe­ment de l’eau des fleuves uti­li­sée comme source froide.

Les consé­quences sani­taires sont par­ti­cu­liè­re­ment intenses en ville du fait du phé­no­mène d’îlot de cha­leur urbain (ICU) résul­tant de la dif­fé­rence des échanges d’énergie avec l’atmosphère en ville d’une part et dans les zones péri­phé­riques rurales d’autre part. En ville, de fortes quan­ti­tés de cha­leur sen­sible sont accu­mu­lées pen­dant la jour­née par les bâti­ments et les infra­struc­tures urbaines.

En 2003, 8 degrés d’écart entre le cœur de Paris et la péri­phé­rie rurale

Le ren­voi vers l’environnement atmo­sphé­rique, pen­dant la nuit, d’une par­tie de cette cha­leur sous forme de rayon­ne­ment infra­rouge induit le main­tien d’une tem­pé­ra­ture plus éle­vée qu’en zone péri­phé­rique rurale, où la pré­sence de végé­ta­tion met en jeu d’importantes quan­ti­tés de cha­leur latente. En 2003, l’intensité de l’ICU a atteint 8° entre le cœur de Paris et la péri­phé­rie rurale. Les vagues de cha­leur sou­mettent la végé­ta­tion à un stress hydrique intense et peuvent éga­le­ment aggra­ver les risques struc­tu­rels pour les bâti­ments et les réseaux enter­rés résul­tant du retrait des argiles.

Le pro­jet EPICEA, rela­tif à l’agglomération pari­sienne, s’attache à l’adaptation des zones urbaines à ces situations.

Une étude sur l’agglomération parisienne

Le pro­jet EPICEA
L’Étude plu­ri­dis­ci­pli­naire des impacts du chan­ge­ment cli­ma­tique à l’échelle de l’agglomération pari­sienne (EPICEA) est le fruit d’une col­la­bo­ra­tion entre la Ville de Paris, Météo-France et le Centre scien­ti­fique et tech­nique du bâti­ment (CSTB). L’objectif cen­tral du pro­jet est de quan­ti­fier l’impact du chan­ge­ment cli­ma­tique à l’échelle de la ville de Paris et l’influence du bâti sur le cli­mat urbain.

En cher­chant à quan­ti­fier l’importance rela­tive d’actions sur des para­mètres carac­té­ris­tiques du milieu urbain, ce pro­jet vise à éclai­rer les futures déci­sions à prendre pour réduire la vul­né­ra­bi­li­té de la ville en période de cani­cule. Le poten­tiel de ces mesures sera à pon­dé­rer par leur coût de mise en œuvre et de main­te­nance et entretien.

Les tra­vaux sont répar­tis en trois volets : l’évolution du cli­mat urbain, l’étude d’une situa­tion extrême et le lien entre cadre bâti et cli­mat urbain.

Évolution du climat

Dans la pers­pec­tive du chan­ge­ment cli­ma­tique, il s’agit d’évaluer l’évolution du cli­mat urbain de Paris et de ses envi­rons dans divers scé­na­rios. Toutes choses égales par ailleurs (mor­pho­lo­gie urbaine constante, carac­té­ris­tiques du bâti non modi­fiées, etc.), l’objectif est d’apprécier l’effet de l’évolution géné­rale du cli­mat sur dif­fé­rents para­mètres acces­sibles par la modé­li­sa­tion : tem­pé­ra­ture à 2 mètres du sol, inten­si­té de l’îlot de cha­leur urbain, tem­pé­ra­tures moyennes sui­vant les sai­sons. Ces résul­tats sont obte­nus suite à des simu­la­tions pen­dant des périodes de plu­sieurs décen­nies per­met­tant de déce­ler des ten­dances d’évolution des para­mètres sélectionnés.

Étude d’une situation extrême

Des simu­la­tions sur plu­sieurs décennies

L’objectif est de « repro­duire » par la simu­la­tion les obser­va­tions météo­ro­lo­giques faites durant la période cani­cu­laire du 8 au 13 août 2003. La ville est repré­sen­tée de manière beau­coup plus fine que pour le volet pré­cé­dent. Une coopé­ra­tion étroite avec l’Atelier pari­sien d’urbanisme (APUR) a per­mis de repré­sen­ter Paris intra-muros par un maillage de car­rés de 250 m de côté. À cha­cune de ces sur­faces sont atta­chés des para­mètres décri­vant les pro­prié­tés essen­tielles à la modé­li­sa­tion (types de bâti­ments, pro­por­tion de chaus­sée, masse ther­mique, iner­tie, pro­prié­tés radia­tives des sur­faces, etc.).

Cadre bâti et climat urbain

Quel est le lien entre les carac­té­ris­tiques du cadre bâti et le cli­mat urbain ? L’ambition est d’explorer l’incidence sur l’intensité de l’îlot de cha­leur urbain d’actions por­tant sur le tis­su urbain pro­pre­ment dit. Ayant iden­ti­fié un nombre limi­té d’actions pos­sibles (chan­ge­ment des pro­prié­tés radia­tives des sur­faces urbaines, « ver­dis­se­ment » de sur­faces de cou­ver­ture et de chaus­sées, remo­de­lage du tis­su urbain, arro­sage des chaus­sées), des séries de simu­la­tions numé­riques per­mettent d’approcher l’impact rela­tif de leur mise en œuvre soit iso­lé­ment les unes des autres, soit en en com­bi­nant certaines.

Un maillage adapté

Un ensemble de modèles
La conduite des trois volets de l’étude s’appuie sur un ensemble de modèles numé­riques, déve­lop­pés par Météo-France, qui sont cou­plés entre eux :
Arpège-Cli­mat, modèle glo­bal de cli­mat à réso­lu­tion variable ;
Meso-NH, modèle de recherche pour la pré­vi­sion numé­rique du temps, à réso­lu­tion fine ;
Sur­fex, sys­tème de modé­li­sa­tion des sur­faces conti­nen­tales repré­sen­tant les échanges avec l’atmosphère de quatre types de sur­faces : mers, lacs et rivières, sols natu­rels et végé­ta­tion, ville.

Le domaine d’étude consti­tué de Paris intra-muros doit bien évi­dem­ment être inté­gré dans un domaine plus vaste afin que le cli­mat local puisse héri­ter des don­nées météo­ro­lo­giques cal­cu­lées à des échelles plus glo­bales à chaque pas de temps.

Le maillage de Paris intra-muros est par ailleurs adap­té à la ques­tion exa­mi­née. Ain­si, la maille de cette zone est de 1 km x 1 km pour le pre­mier volet de l’étude. Elle est de 250 m x 250 m pour les deux autres.

Des repères à interpréter avec prudence

Le pro­jet EPICEA contri­bue à don­ner des repères sur la modi­fi­ca­tion de l’intensité de l’îlot de cha­leur urbain (ICU) et des autres spé­ci­fi­ci­tés du cli­mat urbain, induites par des actions sur les leviers urbains. En pous­sant assez loin ces leviers, les résul­tats per­mettent d’apprécier l’ampleur pos­sible de ces modi­fi­ca­tions. L’analyse de ces résul­tats éclaire les pers­pec­tives ouvertes par EPICEA, mais reste limi­tée par des consi­dé­ra­tions sur la fai­sa­bi­li­té tech­nique et les condi­tions de mise en œuvre et d’exploitation atta­chées aux scénarios.

Les extrêmes de tem­pé­ra­ture sont plus impor­tants en zone périurbaine

Compte tenu des mul­tiples sources d’incertitude (niveau d’émission de gaz à effet de serre, incer­ti­tudes intrin­sèques des modèles, valeurs carac­té­ris­tiques des items décrits, etc.), les résul­tats des simu­la­tions doivent être inter­pré­tés avec pru­dence. Plus que des valeurs abso­lues des para­mètres rete­nus, les résul­tats apportent des élé­ments sur les ordres de gran­deur de leurs varia­tions rela­tives dans le cadre des hypo­thèses explorées.

Une tendance plus marquée dans les zones rurales

Trois scé­na­rios
Les trois scé­na­rios rete­nus poussent à l’extrême les para­mètres direc­teurs, de manière à se mettre dans des condi­tions per­met­tant de faire émer­ger un signal tan­gible quant à l’effet sur l’îlot de cha­leur urbain.
1) « Paris réflé­chis­sant », les murs et cou­ver­tures sont très réflé­chis­sants et très émissifs.
2) « Paris ver­di », « végé­ta­li­sa­tion » (pro­ces­sus de replan­ta­tion) basse de toute sur­face non occu­pée et ver­dis­se­ment par­tiel des chaus­sées les plus larges.
3) « Paris humide », arro­sage des chaussées.

Pour ce qui est du pre­mier volet sur l’évolution du cli­mat urbain, les simu­la­tions sur de longues périodes (res­pec­ti­ve­ment 1971–2006 et 2072–2098) apportent des indi­ca­tions tant sur les ten­dances hiver­nales que sur les ten­dances esti­vales. En hiver, la tem­pé­ra­ture aug­mente de manière signi­fi­ca­tive en cli­mat futur, res­pec­ti­ve­ment, sur les deux périodes consi­dé­rées, d’environ 2 et 2,4 degrés pour les mini­ma et maxi­ma jour­na­liers. En été, l’évolution de la tem­pé­ra­ture est plus impor­tante qu’en hiver, avec une aug­men­ta­tion de 3,5 et 5 degrés pour les mini­ma et maxi­ma journaliers.

Contrai­re­ment aux résul­tats atten­dus, la ten­dance au réchauf­fe­ment est plus mar­quée dans les zones rurales que dans les zones urba­ni­sées en rai­son du fort assè­che­ment des sols natu­rels. Par consé­quent, on note une dimi­nu­tion sub­stan­tielle des forts îlots et l’apparition de nom­breux cas d’îlots néga­tifs en jour­née. On peut éga­le­ment sou­li­gner que les extrêmes de tem­pé­ra­ture sont les plus impor­tants dans les zones péri­ur­baines où se cumulent les effets de l’urbanisation par­tielle et de la séche­resse du sol.

Des zones plus vulnérables

Chauf­fage et climatisation
Ces évo­lu­tions ont des inci­dences directes sur les besoins de chauf­fage et de cli­ma­ti­sa­tion. Sur la base d’un cal­cul des « degrés jours », les besoins de chauf­fage devraient dimi­nuer d’environ 30% à l’avenir, tan­dis que les besoins de cli­ma­ti­sa­tion aug­men­te­raient consi­dé­ra­ble­ment en pro­por­tion, bien que l’ordre de gran­deur reste beau­coup plus faible. Les « degrés jours » de rafraî­chis­se­ment repré­sentent envi­ron 10% de ceux de chauffage.

La « recons­ti­tu­tion » de la cani­cule d’août 2003 abou­tit à des résul­tats satis­fai­sants au regard des don­nées météo­ro­lo­giques enre­gis­trées. Cette ana­lyse à fine échelle (250 m de réso­lu­tion) met en évi­dence les pro­ces­sus urbains spé­ci­fiques (îlots de cha­leur, panache urbain, couche limite urbaine) et iden­ti­fie durant cette cani­cule les zones urbaines plus vul­né­rables à ces pro­ces­sus, qui sont les arron­dis­se­ments for­te­ment urba­ni­sés du centre de Paris et les zones situées dans le panache urbain.

Les simu­la­tions sur le lien entre bâti et cli­mat urbain mettent en évi­dence un effet tan­gible. Dans les scé­na­rios « Paris réflé­chis­sant » et « Paris ver­di arro­sé », il atteint envi­ron 2 degrés le jour et 1 degré la nuit pour la tem­pé­ra­ture à 2 mètres du sol.

L’effet des autres scé­na­rios (« Paris ver­di non arro­sé » et « Paris avec chaus­sées humi­di­fiées ») est beau­coup plus limi­té, voire indétectable.

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