Nanobiologie : comprendre le vivant et agir sur lui

Dossier : Les nanosciencesMagazine N°702 Février 2015
Par Cédric BOUZIGUES (99)

REPÈRES

Le dernier prix Nobel de chimie attribué à S. Hell, E. Betzig et W. Moerner pour leurs travaux sur la microscopie à superrésolution a révélé l’importance de ces technologies permettant de sonder optiquement les structures biologiques aux échelles comprises entre 10 nm et 1 μm. En effet, les dimensions d’une protéine sont de l’ordre du nanomètre tandis qu’une cellule mesure typiquement une dizaine de microns.

Un des enjeux prin­ci­paux de la bio­lo­gie est de com­prendre le fonc­tion­ne­ment de cette petite usine qu’est la cel­lule. Les outils usuels de la bio­lo­gie per­mettent d’aborder cette ques­tion aux deux extré­mi­tés : à l’échelle molé­cu­laire, ou au niveau de la cel­lule, comme si cette usine cel­lu­laire était décrite par une pho­to­gra­phie d’ensemble et un zoom sur sa visserie.

La cellule, une nano-usine

Neu­rone de rat en culture dont des récep­teurs au GABA (un neu­ro­trans­met­teur) sont mar­qués par des nano­cris­taux semi-conduc­teurs CdSe/ Zns. La taille réelle du neu­rone est d’une dizaine de microns.

L’échelle natu­relle de com­pré­hen­sion de la bio­lo­gie est ain­si celle des nanos­ciences (entre 1 nm et 1 μm), où la dyna­mique de la signa­li­sa­tion cel­lu­laire peut être obser­vée. Ce niveau d’observation et de contrôle est cepen­dant long­temps res­té inaccessible.

Ces consi­dé­ra­tions, et le déve­lop­pe­ment de nano­ma­té­riaux et de méthodes d’observation nano­sco­piques, per­mettent l’émergence de la nano­bio­lo­gie. Elle désigne l’utilisation de tech­niques ou d’objets issus des nanos­ciences pour la bio­lo­gie – la bio­na­no­tech­no­lo­gie – mais aus­si l’étude nou­velle de la dyna­mique des phé­no­mènes bio­lo­giques aux échelles nano­mé­triques – la bio­lo­gie nanométrique.

Bionanotechnologie

La bio­lo­gie en labo­ra­toire et le diag­nos­tic médi­cal s’appuient sur des méthodes ana­ly­tiques per­met­tant de révé­ler la pré­sence de bio­mo­lé­cules dans des échan­tillons par la recon­nais­sance spé­ci­fique de la cible par un agent de mar­quage sou­vent cou­plé à des molé­cules orga­niques luminescentes.

Cepen­dant, ces molé­cules se déna­turent rapi­de­ment sous illu­mi­na­tion sui­vant un phé­no­mène appe­lé pho­to­blan­chi­ment. Cela limite for­te­ment la sen­si­bi­li­té de détec­tion et le sui­vi dans le temps d’un pro­ces­sus biologique.

Détection in vivo et in vitro

Dans ce contexte, l’utilisation de nano­par­ti­cules, comme des nano­cris­taux semi-conduc­teurs, des nano­par­ti­cules de terres rares, ou des nano­dia­mants, a été déve­lop­pée depuis le début des années 2000.

“ L’échelle naturelle de compréhension de la biologie est celle des nanosciences ”

Leurs pro­prié­tés optiques excep­tion­nelles, en termes de pho­to­sta­bi­li­té et de lumi­no­si­té, ont per­mis la détec­tion de bio­mo­lé­cules in vitro et in vivo, avec des per­for­mances sen­si­ble­ment supé­rieures aux sys­tèmes exis­tants. Ces outils se popu­la­risent ain­si dans les labo­ra­toires spé­cia­li­sés en rem­pla­ce­ment des mar­queurs orga­niques traditionnels.

La pro­duc­tion de par­ti­cules à contraste mul­tiple (lumi­nes­cence, IRM, rayons X, etc.) per­met alors de consti­tuer une nou­velle « boîte à outils » pour l’imagerie bio­lo­gique. Elles seront vrai­sem­bla­ble­ment bien­tôt mûres comme tech­no­lo­gies de sub­sti­tu­tion à celles exis­tant pour le diag­nos­tic médical.

Théranostique

Des nano­par­ti­cules ont par ailleurs été uti­li­sées pour des appli­ca­tions médi­cales comme mar­queurs ou comme trans­por­teur d’une sub­stance active. Des poly­mères peuvent ain­si for­mer des par­ti­cules d’encapsulation et adres­ser spé­ci­fi­que­ment un trai­te­ment vers un site spécifique.

L’association de la mesure pour le diag­nos­tic et de la thé­ra­pie adap­tée par un même dis­po­si­tif consti­tue un nou­veau champ, la thé­ra­nos­tique. Les nano­tech­no­lo­gies peuvent jouer un rôle essen­tiel dans son déve­lop­pe­ment en per­met­tant de com­bi­ner ces mul­tiples fonc­tions sur une unique plateforme.

Biologie nanométrique

Cellule tumorale humaine
Cel­lule tumo­rale humaine (HeLa) pla­cée dans un gra­dient de fac­teur de crois­sance ayant inter­na­li­sé des nano­par­ti­cules YVO4:Eu dont la lumi­nes­cence mesure la concen­tra­tion en espèces oxy­dantes indi­quée par le code cou­leur. La barre d’échelle indique 5 μm.

Au-delà de l’aspect tech­no­lo­gique, chan­ger d’échelle pour son­der la machi­ne­rie cel­lu­laire au niveau nano­mé­trique peut contri­buer à sa com­pré­hen­sion, en renou­ve­lant concep­tuel­le­ment sa description.

Des nano­par­ti­cules ont été uti­li­sées comme mar­queurs bio­lo­giques pour suivre la dyna­mique de molé­cules indi­vi­duelles à l’intérieur d’une cel­lule. Le nombre de molé­cules impli­quées dans un pro­ces­sus cel­lu­laire étant sou­vent faible, cette approche a per­mis de révé­ler des moda­li­tés de trans­duc­tion du signal cel­lu­laire encore incon­nues, concer­nant par exemple l’organisation synaptique.

L’observation réso­lue à la fois dans le temps et l’espace de la signa­li­sa­tion cel­lu­laire, c’est-à-dire le sui­vi dyna­mique des inter­ac­tions molé­cu­laires mises en jeu dans la réponse cel­lu­laire à une modi­fi­ca­tion de son envi­ron­ne­ment est essen­tielle et désor­mais pos­sible par l’utilisation de l’imagerie super­ré­so­lue ou de molé­cules individuelles.

Nanosondes

Des nano­par­ti­cules ont éga­le­ment été uti­li­sées comme nano­sondes intra­cel­lu­laires pour réa­li­ser des car­to­gra­phies dyna­miques d’une réponse cel­lu­laire avec une pré­ci­sion de loca­li­sa­tion spa­tiale de l’ordre d’une dizaine de nanomètres.

“ Des nanoparticules ont été utilisées comme marqueurs biologiques »”

L’utilisation de nano­par­ti­cules de YVO4:Eu, dont la lumi­nes­cence est modu­lée par la pré­sence d’oxydants, a ain­si per­mis de suivre la pro­duc­tion locale d’espèces oxy­gé­nées réac­tives en réponse au signal d’un fac­teur de croissance.

Des nano­tubes de car­bones gref­fés sur des sur­faces ont éga­le­ment été uti­li­sés dans le même objec­tif. Il est ain­si pos­sible de réa­li­ser un dosage dans un volume nano­mé­trique à l’intérieur d’une cel­lule pour son­der un signal loca­li­sé et éven­tuel­le­ment éva­luer l’impact d’un trai­te­ment thé­ra­peu­tique à l’échelle moléculaire.

Nanocontrôle

Le contrôle à cette échelle est une étape sup­plé­men­taire et le posi­tion­ne­ment sub­cel­lu­laire de nano­par­ti­cules magné­tiques gref­fées à des pro­téines a par exemple per­mis d’induire une réponse cel­lu­laire localisée.

LE PARI DE GOOGLE

Les applications dans le champ émergent de la médecine personnalisée sont considérables en ouvrant la possibilité d’une mesure ciblée dont les résultats instantanés conditionnent le choix et/ou l’intensité de la thérapie.
Cela constitue un nouveau paradigme, remplaçant le diagnostic par le suivi continu individualisé, qui est déjà exploré notamment par Google.

Les dis­po­si­tifs micro et nano­flui­diques peuvent créer des sti­mu­la­tions struc­tu­rées dans l’espace tan­dis que les sys­tèmes élec­tro­niques minia­tu­ri­sés per­mettent le contrôle et la mesure de l’activité élec­trique avec une réso­lu­tion sub­cel­lu­laire. L’association de ces outils per­met alors d’envisager des études por­tant sur des sys­tèmes cel­lu­laires com­plexes contrô­lés, dans une approche de type organ on chip avec une pré­ci­sion nano­mé­trique pour le sui­vi de leur activité.

Ces avan­cées per­mettent d’envisager la mesure et le contrôle nano­mé­trique des voies de signa­li­sa­tion dans une cel­lule choi­sie, qui sera une approche puis­sante pour le diag­nos­tic et la concep­tion de trai­te­ments innovants.

La nano­bio­lo­gie ouvre ain­si la voie, au-delà de la méde­cine per­son­na­li­sée, vers la nano­mé­de­cine, où l’action thé­ra­peu­tique serait loca­li­sée à l’échelle subcellulaire.

Les atouts de Paris-Saclay

La nano­bio­lo­gie se situe à une conver­gence entre science des maté­riaux, bio­lo­gie molé­cu­laire, cel­lu­laire et sys­té­mique. La capa­ci­té de créer une syner­gie entre les mul­tiples com­pé­tences néces­saires, déjà pré­sentes au plus haut niveau inter­na­tio­nal à Paris-Saclay, à com­men­cer par l’affirmation de la nano­bio­lo­gie comme dis­ci­pline au niveau de la recherche et de l’enseignement, semble essen­tielle pour abor­der cette nou­velle frontière.

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