Naissance d’une civilisation

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°543 Mars 1999Par : Yves BRUNSVICK et André DANZIN (39)Rédacteur : Silvère SEURAT (37)Editeur : Éditions Unesco, 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP. Fax au 33.01.45.68.57.41

Nom­breux sont encore les soi-disant pro­phètes qui se plaisent à dis­ser­ter de l’éventuel déve­lop­pe­ment de la mondialisation.

Le point de vue des auteurs de cet ouvrage, alliant à la pro­fon­deur de la réflexion une inha­bi­tuelle com­pa­ci­té du texte, est tout autre. Il rap­pelle la réponse de l’alpiniste Mal­lo­ry à la ques­tion : “ Mais pour­quoi esca­la­dez-vous ces mon­tagnes ? ” “ Parce qu’elles sont là. ”

Et il en est de même de la mon­dia­li­sa­tion : elle est là, omni­pré­sente, inexo­rable, et se riant de toute fron­tière terrestre.

Ce phé­no­mène inexo­rable peut-il au moins être iso­lé pour être mieux obser­vé ? Les auteurs rejettent cet illu­soire iso­le­ment : ils per­çoivent en effet la mon­dia­li­sa­tion comme un élé­ment par­mi d’autres d’un mou­ve­ment plus vaste, véri­table méta­mor­phose entraî­nant la socié­té mon­diale. Et c’est de cette obser­va­tion que naî­tra le thème cen­tral de leur ouvrage : Nais­sance d’une civi­li­sa­tion.

Pour étayer leur pro­pos ils pro­posent en une longue revue d’autres élé­ments de cette méta­mor­phose, en inter­ac­tion, en coévo­lu­tion entre eux. Revue qui com­mence par “ les sur­pre­nants mou­ve­ments de la démo­gra­phie ” pour conduire à “ l’extraordinaire pous­sée de la com­plexi­té sociale ”.

Ain­si éclai­rés par de nom­breux fais­ceaux jaillis­sant cha­cun d’un des élé­ments de la trans­for­ma­tion se des­sinent les contours de la nou­velle civilisation.

Celle-ci sera-t-elle bonne, sera-t-elle mal­fai­sante, créa­trice ou des­truc­trice, elle sera à la fois l’une et l’autre, por­teuse sou­lignent les auteurs “ de fruits par­fois heu­reux, par­fois vénéneux ”.

Doit-on alors, face à cet éveil, affi­cher opti­misme ou pes­si­misme ? Si l’ouvrage incite à la pre­mière atti­tude, il le fait avec nombre de pré­cau­tions dont la prin­ci­pale porte sur les dan­gers de la période de tran­si­tion qui est jus­te­ment celle que nous vivons.

En une inévi­table ren­contre avec Toyn­bee, “ Je crois que l’avenir d’une civi­li­sa­tion se trouve aux mains d’une mino­ri­té créa­trice ”, les auteurs placent leur confiance en l’émergence d’hommes de chan­ge­ment dont le rôle est dévoi­lé tout au long de l’ouvrage. Ils sont par­fois “ hommes-car­re­fours ”, à l’interface entre plu­sieurs dis­ci­plines, ils sont par­fois “ des agents sin­gu­liers, des mutants, unis en des nucléa­tions de pion­niers à l’aise dans la dis­con­ti­nui­té et l’innovation ”.

Les innom­brables ques­tions que le lec­teur se pose­ra à pro­pos de ces hommes pro­vi­den­tiels ne sont pas esqui­vées : com­ment les détec­ter, les for­mer, leur pro­po­ser des méthodes en har­mo­nie avec leur rôle futur ? Insis­tant sur ce der­nier point, les auteurs ne cachent pas, face à l’envahissante com­plexi­té, le rejet de tout ratio­na­lisme sim­pli­fi­ca­teur. Ils prônent au contraire la démarche expé­ri­men­tale, apa­nage des sciences de la nature et de la vie, par tâton­ne­ments, essais, erreur puis cor­rec­tion d’erreur.

Mais la géné­ra­li­sa­tion de pareille méthode scien­ti­fique n’est conce­vable, et ce sera une des prin­ci­pales conclu­sions de l’ouvrage, que si elle est enca­drée, tem­pé­rée par un immense besoin uni­ver­sel d’éthique.

Avoue­rai-je que, adhé­rant à cette conclu­sion, je n’ai pu évi­ter de la rap­pro­cher de l’aphorisme de Fran­çois Rabe­lais : “ Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. ”

Un livre impor­tant donc, qu’il faut lire d’abord pour appré­hen­der le grand théâtre de notre ave­nir ensuite pour adhé­rer ou récu­ser les thèses des auteurs, en un dia­logue que, à l’évidence, ces der­niers appellent de tous leurs voeux.

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