Musiques rares

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°634 Avril 2008Rédacteur : Jean Salmona (56)

Baroques

De Gio­van­ni Bat­tis­ta Fon­ta­na, mort à Padoue vers 1630 à près de 40 ans, on ne connaît rien d’autre que ses Sonates, enre­gis­trées par l’Ensemble Alma­geste, qui les joue sur ins­tru­ments d’époque1 (vio­lon baroque, fagot­to, ser­pent, théorbe, etc.). Ce qui pour­rait n’être que l’exhumation d’un nième com­po­si­teur jus­te­ment oublié est en fait un petit joyau. Fon­ta­na bâtit non des danses, comme tout le monde à l’époque, mais, à par­tir de mélo­dies héri­tées du chant gré­go­rien, des pièces abs­traites qui sont une tran­si­tion entre la musique de la Renais­sance et celle, un siècle plus tard, de Bach.

Avec le Tom­beau pour M. de Sainte-Colombe et autres por­traits, on est en ter­rain plus connu : Sainte-Colombe nous a été révé­lé naguère par le film Tous les matins du monde. Le genre du por­trait, à la mode dès le XVIIe siècle en pein­ture et en lit­té­ra­ture, a fait flo­rès aus­si en musique ; l’Ensemble Spi­rale pré­sente ain­si, à côté des Tom­beaux de Marin Marais (pour M. de Sainte-Colombe, pour M. de Lul­ly), des « por­traits » comme La Cou­pe­rin, de For­que­ray, et même des por­traits croi­sés : La For­que­ray de Rameau, et La Rameau de For­que­ray2. Musiques sub­tiles, et qui, sous une appa­rence mon­daine, vont bien au-delà du pro­pos.
Pierre Dani­can Phi­li­dor (1681−1731) était haut­boïste à l’Écurie puis à la Chambre du roi Louis XIV. L’Assemblée des Hon­nestes Curieux a enre­gis­tré cinq Suites pour un ou deux haut­bois et basse conti­nue3, pièces qui portent clai­re­ment la marque du style Lul­ly, c’est-à-dire du goût de Louis XIV, mon­trant ain­si com­ment un monarque, dont les musi­ciens étaient pen­sion­nés à vie par lui, déci­dait d’un style de musique qui, de ce fait, deve­nait celui de son époque.

Romantiques et autres Français

Un siècle plus tard, un autre Ver­saillais, Boë­ly, issu d’une lignée de musi­ciens du roi, né avant la Révo­lu­tion et mort sous le Second Empire, com­pose une musique de pia­no qui n’a rien à envier à Schu­mann ou Men­dels­sohn, ni même à Bee­tho­ven pour les Sonates, et qui est res­tée qua­si igno­rée jusqu’à l’enregistrement récent d’une dou­zaine de pièces4. Sonates, Caprices, Études, et aus­si des pièces comme l’ébouriffante Gigue op. 54, le Mode­ra­to op. 50 digne de Brahms, sont non d’un petit maître mais d’un com­po­si­teur majeur, un maître fran­çais du pia­no, injus­te­ment occul­té par ses contem­po­rains d’outre-Rhin, à décou­vrir toutes affaires ces­santes, avec un coup de cha­peau, au pas­sage, pour l’interprète, la regret­tée Jac­que­line Robin, pré­cise, sen­sible, schu­man­nienne, par­faite sur son Bösen­dor­fer, et à la prise de son, remarquable.

Si vous aimez Saint-Ex (qui ne l’aime ?), vous vous inté­res­se­rez peut-être à son ascen­dance, et donc à son arrière-grand-père, l’Aixois Emma­nuel de Fons­co­lombe (1810−1875), juriste et com­po­si­teur. Un disque récent pré­sente des mélo­dies et duos pour sopra­no et bary­ton (Anna-Maria Pan­za­rel­la et Mario Hac­quard), avec pia­no et vio­lon­celle, et quelques pièces reli­gieuses5. Musique agréable, dans le goût des salons de l’époque, qui rap­pelle par­fois Ber­lioz et, pour les pièces reli­gieuses, Ros­si­ni, et qui donne une bonne idée de ce que l’on écou­tait, en Pro­vence, au cœur du XIXe siècle.

Last but not least, un disque récent est consa­cré à la musique de chambre de Raphaël Fumet, com­po­si­teur hors école du XXe siècle : deux Qua­tuors pour bois, un Quin­tette à vents, par des solistes de l’Orchestre Natio­nal, et le Qua­tuor à cordes, par le Nou­veau Qua­tuor de Saint-Péters­bourg6. C’est de la belle, de la mer­veilleuse musique que nous offre cet ami de Sou­tine et Modi­glia­ni, une musique raf­fi­née, sen­suelle, aux har­mo­nies exquises, dans la lignée à la fois de Debus­sy-Ravel et de Mil­haud-Auric mais très per­son­nelle. Et l’on se prend à rêver de ce qu’aurait été la musique fran­çaise de la deuxième moi­tié du xxe siècle si les aya­tol­lahs de la musique sérielle n’avaient pas jeté sur la musique tonale, pen­dant près de cin­quante ans, une chape de plomb.

1. 1 CD ARION 
2. 1 CD ZIG ZAG 
3. 1 CD ZIG ZAG
4. 2 CD ARION
5. 1 CD HYBRID MUSIC
6. 1 CD Musique et Esprit

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