Mozart en vacances

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°547 Septembre 1999Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Comme tous les créa­teurs majeurs, Mozart est inclas­sable, ce qui auto­rise toutes les inter­pré­ta­tions, qui vont en géné­ral du clas­sique pur et dur style Haydn au roman­tique style Bee­tho­ven. Et cha­cun de nous a, dans un coin de son cœur (ou de sa tête), ses dis­ques­cultes, pour tel concer­to, tel opé­ra, telle sym­pho­nie. Aus­si, quand arrivent des inter­pré­ta­tions qui sortent des sen­tiers bat­tus, a‑t-on la sen­sa­tion d’ouvrir la fenêtre et de res­pi­rer une grande gou­lée d’air frais.

Les Sonates pour violon et piano

La belle musique que voi­là ! Si vous connais­sez mal les Sonates pour vio­lon et pia­no, ou bien si vous consi­dé­rez que l’on n’a pas fait mieux depuis Gold­berg-Kraus ou Gru­miaux-Has­kil, cou­rez écou­ter l’intégrale par Hiro Kuro­sa­ki et Lin­da Nichol­son, enre­gis­trée entre 1991 et 1996 et tout juste publiée en France1. La nou­veau­té réside dans l’enregistrement sur ins­tru­ments d’époque, et notam­ment un pia­no-forte (de 1794).

Et sou­dain, tout change : légè­re­té, dis­tan­cia­tion, une sorte d’air de ne pas y croire, et voi­là Mozart mis à nu, par­fois insou­ciant, par­fois amer, mais jamais lyrique ; un jeune homme génial et pué­ril, comme Rim­baud, hyper­créa­tif, mais qui ne s’appesantit pas sur ses trou­vailles, dont cer­taines sont par­fois en avance d’un siècle. Comme le pia­no-forte est léger, com­pa­ré à un pia­no moderne type Stein­way, le vio­lon se fait aérien, évite le vibra­to qui prend aux tripes, et le résul­tat est non une musique de salon inco­lore (c’était le risque) mais une musique séra­phique, fraîche, faite pour l’été.

L’Enlèvement au Sérail

L’Enlèvement est un opé­ra à part par­mi les “ grands ” de Mozart, et un peu bâtard, oscil­lant entre l’ope­ra seria et l’ope­ra buf­fa. D’où des inter­pré­ta­tions sou­vent ambi­guës, et tou­jours un peu sou­li­gnées, avec force per­cus­sions pour accom­pa­gner cette quasi-turquerie.

Là aus­si, la pon­dé­ra­tion et la finesse qu’exige la musique baroque apportent un dépous­sié­rage salu­taire, avec un enre­gis­tre­ment inat­ten­du par William Chris­tie et les Arts Flo­ris­sants, pro­duit par l’Opéra du Rhin, avec six solistes hors pair : Chris­tine Schäf­fer dans Constanze, Patri­cia Peti­bon (sopra­no léger) dans Blonde, Ian Bos­tridge dans Bel­monte2. L’orchestration de Mozart, faite pour sou­li­gner les effets “ farce ”, et qui sup­porte mal les grandes for­ma­tions clas­siques, révèle, grâce aux Arts Flo­ris­sants, une grande sub­ti­li­té d’écriture : de la vraie musique vien­noise comme on pou­vait l’entendre du temps de Joseph II. Et l’on découvre des airs superbes que l’on avait oubliés (on écoute peu L’Enlèvement, en définitive).

Don Giovanni

De tous les opé­ras de Mozart, le plus com­men­té, le plus adu­lé (si bien qu’une sorte de concours un peu ridi­cule le pla­ça, il y a quelques années, en tête de toutes les œuvres musi­cales de tous les temps) est aus­si le plus joué. Et si l’on peut varier à l’infini la mise en scène, il n’est pas facile de faire du nou­veau avec la musique d’une œuvre aus­si intem­po­relle. Là aus­si, allé­ger était la solu­tion, et jouer la par­ti­tion orches­trale à mi-che­min entre la musique baroque et la musique contemporaine.

C’est ce qu’a fait Roger Nor­ring­ton à la tête des Lon­don Clas­si­cal Players3, avec une dis­tri­bu­tion de solistes très homo­gène : Andreas Schmidt en Don Juan, Lynne Daw­son en Dona Elvire, Aman­da Hal­grim­son en Dona Anna en par­ti­cu­lier. C’est très intel­li­gent, très clair, très fort. Ajou­tons que la mer­veille du CD, c’est-à-dire l’accès direct, per­met d’entendre au choix la “ ver­sion Prague ” ou la “ ver­sion Vienne”.

C’est Sha­kes­peare joué par Peter Brook par oppo­si­tion aux pro­duc­tions clas­siques et gran­dioses. Vivent les vacances !

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1. 4 CD ERATO 3984 25489 2.
2. 2 CD ERATO 3984 25490 2.
3. 3 CD VIRGIN 5 61601 2.

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