Mobilité urbaine et politique du logement :

Dossier : Environnement et FiscalitéMagazine N°534 Avril 1998
Par Jean-Pierre ORFEUIL

Dans le domaine des trans­ports, ceux qui sont proches de la pre­mière option estiment que cha­cun doit sup­por­ter l’in­té­gra­lite des coûts atta­chés à ses choix et aux pré­fé­rences qu’il exprime, et ils se sen­ti­ront à l’aise avec des formes de régu­la­tion tou­chant direc­te­ment le » déci­deur final » au moment de son dépla­ce­ment : un relè­ve­ment impor­tant du coût des dépla­ce­ments auto­mo­biles en zone urbaine – contre­par­tie de la sup­pres­sion des sub­ven­tions aux dif­fé­rents modes de trans­port et de l’in­té­gra­tion de leurs coûts externes – sera l’ins­tru­ment qui vient natu­rel­le­ment à l’es­prit ; pour mini­mi­ser les coûts d’a­jus­te­ment, ce relè­ve­ment peut être pro­gres­sif et les sommes col­lec­tées peuvent ser­vir à aider des popu­la­tions en situa­tion par­ti­cu­liè­re­ment délicate.

Ceux qui sont plus proches de la seconde option consi­dèrent qu’on se déplace moins par choix que par obli­ga­tion , du moins dans les cadres urbains, inter­rogent l’or­ga­ni­sa­tion urbaine, le zonage, les dif­fi­cul­tés ren­con­trées par les indi­vi­dus à rap­pro­cher habi­tat et emploi et consi­dèrent qu’une part notable de la mobi­li­té urbaine est subie. Ain­si, la Com­mis­sion fran­çaise du déve­lop­pe­ment durable a‑t-elle ins­crit « la réduc­tion des besoins de mobi­li­té subie » dans la liste de ses 35 prio­ri­tés (1).

Nous avons dres­sé ici un tableau quelque peu tran­ché et cari­ca­tu­ral , alors que ces visions sont moins incom­pa­tibles qu’il n’y paraît au pre­mier abord, dès lors qu’on intro­duit la durée et la dimen­sion tem­po­relle dans l’a­na­lyse. Pour ne prendre qu’un exemple, de faibles coûts (moné­taires et tem­po­rels) de dépla­ce­ments orientent les pra­tiques de consom­ma­tion vers les lieux offrant une grande varié­té de pro­duits, pos­sible grâce à l’é­ten­due de leur aire d’at­trac­tion, mais dans le même temps déva­lo­risent pro­gres­si­ve­ment les com­merces de proxi­mi­té dont cer­tains sont condam­nés à dis­pa­raître, ce qui induit à moyen terme une mobi­li­té subie (2). En termes d’ac­tions, ces visions sont même com­plé­men­taires dans la mesure où là tari­fi­ca­tion du trans­port à son juste coût doit s’ac­com­pa­gner de la sup­pres­sion de méca­nismes d’in­ci­ta­tion défaillants qui restreignent les marges de choix des acteurs (le » droit au trans­port » de la LOTI(3) se réduit dans cer­taines zones à l’o­bli­ga­tion de dis­po­ser d’une auto­mo­bile). Nous nous concen­trons dans cet article sur les défaillances de méca­nismes dans le sec­teur de l’habitat.

Questions sur la périurbanisation

L’é­vo­lu­tion de nos villes est mar­quée depuis près d’un quart de siècle par une trans­for­ma­tion majeure qua­li­fiée tour à tour de rur­ba­ni­sa­tion, de péri­ur­ba­ni­sa­tion, d’é­ta­le­ment urbain. Plus récem­ment on a par­lé de « ville émer­gente » pour qua­li­fier ces ter­ri­toires péri­phé­riques et leurs fonc­tion­ne­ments. Les uns y voient l’ac­com­plis­se­ment nor­mal du désir de mai­son indi­vi­duelle et de vie « à la cam­pagne » des cita­dins, tan­dis que d’autres sou­lignent l’im­por­tance des poli­tiques publiques dans le domaine du loge­ment (aides pri­vi­lé­giant l’ha­bi­tat neuf et la sol­va­bi­li­sa­tion des accé­dants), de l’ur­ba­nisme (POS(4) sou­vent assez res­tric­tifs dans les com­munes déjà urba­ni­sées), des trans­ports (inves­tis­se­ments en voi­ries rapides, sous-tari­fi­ca­tion de la mobi­li­té) ou tout sim­ple­ment les effets natu­rels du mar­ché immobilier.

Sans entrer ici direc­te­ment dans ce débat, nous nous effor­ce­rons de répondre à deux types de questions.

• Y a‑t-il des dif­fé­rences notables dans les sché­mas de mobi­li­té entre les rési­dants de la ville tra­di­tion­nelle et ceux de la ville émer­gente, et ces dif­fé­rences ont-elles des consé­quences impor­tantes sur l’en­vi­ron­ne­ment urbain ?

• Y a‑t-il des élé­ments fac­tuels sup­por­tant l’i­dée que les poli­tiques publiques, voire les « stra­té­gies de pré­cau­tion » mises en oeuvre par les acteurs de l’im­mo­bi­lier (pas plus de x % du reve­nu consa­cré aux loyers ou aux rem­bour­se­ments), jouent un rôle dans l’ex­ten­sion urbaine par les inci­ta­tions qu’elles suscitent ?

Espaces peu denses, espaces hypermobiles et pollutions

Les exploi­ta­tions réa­li­sées à l’Inrets(5) des enquêtes sur la mobi­li­té (panel annuel parc auto­mo­bile, enquête natio­nale trans­ports de 1994, enquête glo­bale trans­ports de 1991 en Île-deFrance) offrent des résul­tats conver­gents et éclairants :

– les ménages » péri­ur­bains » ont un niveau d’é­qui­pe­ment auto­mo­bile beau­coup plus impor­tant que les » urbains « , y com­pris à struc­ture fami­liale ou sociale comparable ;
– leurs auto­mo­biles sont en moyenne plus âgées et plus sou­vent des voi­tures diesel ;
‑la dis­tance entre l’ha­bi­tat et tra­vail est beau­coup plus élevée ;
– glo­ba­le­ment sur l’an­née, la cir­cu­la­tion en auto­mo­bile pro­duite par chaque ménage (ou chaque per­sonne des ménages) est beau­coup plus élevée.
– pen­dant la semaine, les péri­ur­bains par­courent des dis­tances beau­coup plus impor­tantes et uti­lisent beau­coup plus la voiture ;
– au sein de l’es­pace péri­ur­bain, les rési­dants des com­munes rurales par­courent des dis­tances plus impor­tantes et uti­lisent plus la voi­ture que les rési­dants des com­munes urbaines qui béné­fi­cient d’un mini­mum de ser­vices de proximité.

Ces dif­fé­rences dans les pra­tiques s’ac­com­pagnent évi­dem­ment de dif­fé­rences notables en matière d’é­mis­sions pol­luantes. Les études menées à l’ln­rets sur les agglo­mé­ra­tions de Gre­noble et Bor­deaux, l’ar­ron­dis­se­ment de Lille et la région Ile-de-France montrent toutes une crois­sance éle­vée des émis­sions de pol­luants, des émis­sions de gaz car­bo­nique et des consom­ma­tions de car­bu­rant avec l’é­loi­gne­ment des centres et la déden­si­fi­ca­tion des tis­sus de rési­dence (voir tableau 2).

Les écarts concer­nant les émis­sions sont toute fois en moyenne un peu plus faibles que les écarts concer­nant les kilo­mé­trages par­cou­rus, en rai­son de l’a­mé­lio­ra­tion notable des condi­tions de circulation.

Tableau 1 – Carac­té­ris­tiques d’é­qui­pe­ment et d’u­sage de l’au­to­mo­bile selon la loca­li­sa­tion résidentielle
Ville-centre Banlieue Péri­phé­rie urbaine Péri­phé­rie rurale
Voi­tures pour 100 ménages(1) 89 110 129 136
% diesel(1) 24 26 31 36
Âge moyen des voitures(2) 6,6 6,7 7,5(*) -
Dis­tance moyenne au travail(3) 8,5 12,2 15,7 16,0
Dis­tance en voi­ture conduc­teur par adulte et par jour (km)(4)
• Province 11 18 19 23
• Île-de-France 7 13 21 30

(1) Source : L Hivert, « le porc auto­mo­bile des ménages en décembre 1994·, INRETS/ADEME.
(2) Source : P. Mar­tin et G. Rennes, « le parc auto­mo­bile des ménages « , INSEE Résul­tats n » 569 à 571. Champ : grandes agglo­mé­ra­tions de pro­vince, année 1994.
(3) Source : J.-P. Orfeuil, « Les depla­ce­ments domi­cile tra­vail dans l’en­quête trans­ports », INRETS.
(4) Source : C. Gal­lez et J.-P. Orfeuil. tra­vaux en cours sur l’en­quête transports.

La localisation en zone périurbaine est-elle un choix ?

Les phé­no­mènes de choix sont gui­dés par des phé­no­mènes d’at­trac­tion et de répul­sion. Les termes du choix en faveur de l’ha­bi­tat péri­ur­bain com­prennent sans doute l’at­trait de la mai­son indi­vi­duelle, des condi­tions plus favo­rables à l’ac­ces­sion et la pos­si­bi­li­té de dis­po­ser d’un loge­ment plus grand, tan­dis que les condi­tions défa­vo­rables com­prennent sans doute l’im­por­tance des dis­tances à par­cou­rir par les dif­fé­rents membres de la famille, voire des temps pas­sés qui leur sont associés.

Les études natio­nales de mobi­li­té rela­ti­visent assez for­te­ment le der­nier point : les bud­gets-temps de trans­port des rési­dants péri­ur­bains sont en moyenne com­pa­rables ou légè­re­ment plus faibles que ceux des rési­dants des zones plus denses (ce qui n’ex­clut pas la pos­si­bi­li­té de situa­tions par­ti­cu­lières où les temps de dépla­ce­ments seraient par­ti­cu­liè­re­ment longs). Cette équi­va­lence des bud­gets-temps, mal­gré des dis­tances beau­coup plus impor­tantes à par­cou­rir est en par­tie due à la place crois­sante de l’au­to­mo­bile dans le choix modal, en par­tie due à la vitesse de cir­cu­la­tion auto­mo­bile, beau­coup plus impor­tante sur les réseaux rapides dédiés à l’au­to­mo­bile que sur les réseaux urbains tra­di­tion­nels : on peut donc consi­dé­rer que les poli­tiques rou­tières conduites par l’É­tat et les dépar­te­ments ont levé la contrainte de bud­get-temps dans un sens très favo­rable aux zones péri­phé­riques et assez peu favo­rable aux zones denses : la vitesse glo­bale de dépla­ce­ment (quo­tient de la dis­tance quo­ti­dienne par­cou­rue par le bud­get- temps de trans­port) a aug­men­té de 40 % en péri­phé­rie contre seule­ment 20 % en ville-centre.

Dès lors que le choix est pos­sible et n’est pas incom­pa­tible avec des temps de dépla­ce­ments » accep­tables « , il reste à com­prendre pour­quoi il a été fait par une frac­tion impor­tante de nos conci­toyens. Les grandes repré­sen­ta­tions (attrait de la mai­son indi­vi­duelle, peurs urbaines et rejet de la ville) sont-elles suf­fi­santes, ou doivent- elles être com­plé­tées par des élé­ments plus tri­viaux, rele­vant de l’é­co­no­mie du loge­ment par exemple ? S’il n’y a pas, à notre connais­sance, d’é­tude glo­bale sur ce sujet, une étude récem­ment ter­mi­née à l’Inrets(6) et rela­tive à l’Île-de-France apporte quelques éclai­rages sur cette ques­tion : on y a ana­ly­sé les dépenses (moné­taires et tem­po­relles) des ménages pour leurs dépla­ce­ments, leurs dépenses de loge­ment, ces dépenses ont été confron­tées à leurs reve­nus, et cela dans neuf zones de coûts immo­bi­liers de la région(7). La zone aux coûts les plus éle­vés est sans sur­prise l’ouest de Paris, sui­vie d’autres arron­dis­se­ments pari­siens et de com­munes rési­den­tielles de proche ban­lieue. Les zones de prix inter­mé­diaires cor­res­pondent soit à des zones de pre­mière cou­ronne, soit à des zones urbaines de deuxième cou­ronne à carac­tère rési­den­tiel. Les zones les moins chères sont en moyenne les zones les plus péri­phé­riques de la région. On retien­dra huit ensei­gne­ments de cette étude.

• De la zone la plus chère à la zone la moins chère, le niveau de reve­nu des ménages décroît et la taille des familles croît, si bien que le niveau de reve­nu dis­po­nible par uni­té de consom­ma­tion (8) décroît encore plus net­te­ment : l’es­pace opère un tri à la fois social et fami­lial, les zones les plus cen­trales appa­raissent dif­fi­ci­le­ment acces­sibles aux familles modestes. Sauf à sup­po­ser des struc­tures de pré­fé­rence spé­ci­fiques aux familles modestes, le choix de l’é­loi­gne­ment appa­raît signi­fi­ca­ti­ve­ment lié à une dif­fi­cul­té à se loger dans les zones plus cen­trales .

• la super­fi­cie des loge­ments aug­mente certes avec l’é­loi­gne­ment, mais la super­fi­cie dis­po­nible par per­sonne varie en moyenne très peu d’une zone à l’autre : l’é­loi­gne­ment ne se tra­duit pas par une super­fi­cie par per­sonne plus grande, mais une recherche en zone cen­trale n’au­rait pas per­mis de trou­ver cette super­fi­cie, compte tenu des contraintes budgétaires.

• Les accé­dants – qui repré­sentent 12 % des ménages fran­ci­liens – sont pra­ti­que­ment absents des deux pre­mières zones, ne repré­sentent que 5 % des ménages dans les deux zones sui­vantes, tan­dis que leur pro­por­tion s’é­lève à 24 % dans la zone la plus péri­phé­rique. Si l’on consi­dère que le choix de l’ac­ces­sion est pre­mier, il implique de fait un choix tou­jours plus péri­phé­rique que celui de la location.

Le taux d’ef­fort pour le loge­ment varie en revanche assez peu selon les zones, autour d’une moyenne de 26 % pour les loca­taires et de 28 % pour les accé­dants. Les méca­nismes de pré­cau­tion mis en place par les pro­prié­taires bailleurs ou les orga­nismes finan­ciers (limite au reve­nu consa­cré aux loyers ou aux rem­bour­se­ments) inter­disent pro­ba­ble­ment des dérives exces­sives de ce poste.

• Le bud­get-temps de trans­port des per­sonnes varie assez peu d’une zone à l’autre, comme le lais­saient pré­voir les obser­va­tions natio­nales, autour d’une moyenne de quatre-vingt minutes par jour. En revanche, dès lors qu’on est dans des zones non cen­trales, les accé­dants ont un bud­get-temps signi­fi­ca­ti­ve­ment supé­rieur aux loca­taires : l’ac­ces­sion s’ac­com­pagne pro­ba­ble­ment de l’ac­cep­ta­tion de quar­tiers ou de com­munes moins bien des­ser­vis ou moins bien posi­tion­nés par rap­port aux lieux de vie des membres du ménage.

• Les dis­tances par­cou­rues varient très for­te­ment d’une zone à l’autre (de 10 à 24 km par jour et par per­sonne entre zones extrêmes, de 12 à 34 pour les seuls chefs de ménage) et la part assu­rée par l’au­to­mo­bile est crois­sante : la contri­bu­tion aux pol­lu­tions régio­nales (N0x et ozone) et aux émis­sions de gaz car­bo­nique varie dans un rap­port de 1 à 5 selon la posi­tion dans l’agglomération.

• Crois­sance des dis­tances, crois­sance du rôle de l’au­to­mo­bile et baisse du reve­nu moyen impliquent une part for­te­ment crois­sante de la dépense pour les dépla­ce­ments dans le reve­nu en fonc­tion de l’é­loi­gne­ment : limi­tée à 5 % dans l’ouest pari­sien, elle grimpe à 26 % dans la zone la plus péri­phé­rique et même à 30 % chez les accé­dants de cette zone.

• Glo­ba­le­ment, les dépenses de loge­ment et de trans­port passent du tiers des reve­nus dans les zones cen­trales à la moi­tié des reve­nus dans les zones les plus péri­phé­riques : la logique des méca­nismes de pré­cau­tion rela­tifs à la dépense loge­ment uti­li­sés par les pou­voirs publics, les bailleurs et les banques est mise en défaut par la crois­sance très vive – et incon­trô­lée – de la dépense transport.

Avant d’en­trer dans l’a­na­lyse de pistes d’ac­tion pos­sibles, il faut d’a­bord lever une ambi­guï­té : comme toutes les sta­tis­tiques, les sta­tis­tiques pré­sen­tées ici sont des moyennes. Toutes les familles implan­tées dans les zones éloi­gnées ne sont pas dans une situa­tion dif­fi­cile et ne créent pas toutes des cir­cu­la­tions exces­sives : ce n’est pas le « péri­ur­bain » en soi qui est en cause ‑l’emploi s’y déve­loppe d’ailleurs un peu plus qu’au centre (9) – c’est le rôle de ces espaces dans l’ac­cueil de popu­la­tions qui ne peuvent pas faire autre­ment qui pose pro­blème. Cela ren­voie au fonc­tion­ne­ment de l’aire métro­po­li­taine dans son ensemble et aux méca­nismes qui gou­vernent les stra­té­gies de loca­li­sa­tion et de mobi­li­té dans l’en­semble du bas­sin de vie.

Quand on observe que 40 % des conjoints des ménages accé­dants biac­tifs des zones éloi­gnées partent tra­vailler dans la même direc­tion le matin, on peut pen­ser que c’est un « choix » dont une frac­tion notable se serait pas­sé si elle avait pu faire autrement.

Quelle philosophie pour un développement plus durable des aires métropolitaines ?

Les prin­cipes du déve­lop­pe­ment durable éla­bo­rés par la Com­mis­sion Brunt­land visent à conci­lier déve­lop­pe­ment éco­no­mique, équi­té et qua­li­té envi­ron­ne­men­tale dans une optique où l’ac­tion de court terme est com­pa­tible avec les sen­tiers de crois­sance à long terme. Les obser­va­tions pré­sen­tées ici sug­gèrent que cette exi­gence de cohé­rence dis­qua­li­fie les posi­tions les plus extrêmes : une régu­la­tion incon­si­dé­rée de la cir­cu­la­tion rou­tière en île-de-France pour­rait » mettre en crise » cer­tains des ménages qui ont été » contraints au choix péri­ur­bain « , tan­dis que la recon­duc­tion des poli­tiques actuelles condui­rait un nombre crois­sant de familles dans des situa­tions finan­cières à risque et géné­re­rait de nou­veaux sur­plus de cir­cu­la­tion. La ques­tion est alors de savoir com­ment ne pas mettre en crise des familles conduites – d’in­ci­ta­tion en inci­ta­tion restrei­gnant leurs choix – dans des situa­tions fra­giles, sans en inci­ter d’autres à suivre la même voie obligée.

Un pre­mier prin­cipe pour­rait gou­ver­ner l’ac­tion : la désec­to­ri­sa­tion des approches « loge­ment » et « trans­port « .

On pour­rait par exemple modu­ler les seuils accep­tables du taux d’ef­fort pour le loge­ment en fonc­tion des dépenses de dépla­ce­ment anti­ci­pées, évi­ter de ren­ché­rir à l’ex­cès le coût de l’im­mo­bi­lier neuf en centre et en ban­lieue en impo­sant trop de construc­tions d’emplacements de sta­tion­ne­ment pri­va­tif, réin­tro­duire plus net­te­ment les liens habi­tat-emploi dans l’af­fec­ta­tion de l’aide patro­nale au loge­ment ou dans les attri­bu­tions de loge­ment du parc social. On avance sou­vent que la biac­ti­vi­té des ménages dis­qua­li­fie ce der­nier type d’ap­proche. Nos obser­va­tions ne confirment pas cette opi­nion : la dis­tance moyenne au tra­vail des actifs des ménages biac­tifs n’est que de 15% supé­rieure à celle des mono­ac­tifs, alors que les dis­tances moyennes au tra­vail varient de 1 à 3 selon les types de loca­li­sa­tion résidentielle.

Un second prin­cipe vise­rait à orga­ni­ser une plus grande flui­di­té du mar­ché du loge­ment : réduc­tion des droits de muta­tion, condi­tions de durée d’oc­cu­pa­tion d’un loge­ment dans l’ha­bi­tat social, fis­ca­li­té immo­bi­lière alour­die sur les loge­ments inoc­cu­pés ou sur les grands loge­ments très fai­ble­ment occupés.

Un troi­sième prin­cipe vise­rait à aug­men­ter le pou­voir de réso­lu­tion de l’ac­tion publique vers des cibles stra­té­giques : les aides publiques au loge­ment pour­raient être concen­trées sur les loca­li­sa­tions béné­fi­ciant d’une bonne acces­si­bi­li­té en trans­ports publics aux emplois et lieux de vie de l’ag­glo­mé­ra­tion, ou sur les loca­li­sa­tions proches des lieux de tra­vail des membres du ménage. Des aides spé­ci­fiques pour­raient être ciblées sur des ménages qui, en » situa­tion à risque « , expri­me­raient le sou­hait de démé­na­ger pour réduire leur mobi­li­té contrainte.

Ces pistes n’ont évi­dem­ment de sens que si les réac­tions du mar­ché immo­bi­lier n’an­nulent pas l’ef­fet des aides envi­sa­gées. Pour cela, fau­dra-t- il sans doute sti­mu­ler un cer­tain renou­veau de la construc­tion dans les zones béné­fi­ciant d’une bonne acces­si­bi­li­té et donc évi­ter les POS trop res­tric­tifs et requa­li­fier cer­tains espaces. Elles n’au­ront de sens éga­le­ment que si les poli­tiques d “infra­struc­ture – un peu plus de trans­port public dans les zones denses, un peu moins de routes dans les espaces péri­ur­bains – sont cohé­rentes avec ces objectifs.

Le gou­ver­ne­ment fran­çais a adop­té en février 1997 une stra­té­gie de déve­lop­pe­ment durable (10). Concer­nant » l’u­ni­vers urbain « , il est indi­qué au titre des fon­de­ments que » l’é­ta­le­ment urbain et la crois­sance très rapide des dépla­ce­ments résul­tant de l’al­lon­ge­ment des dis­tances domi­cile-tra­vail et d’une mixi­té habi­tat-ser­vice sou­vent insuf­fi­sante sont l’une des prin­ci­pales causes d’ab­sence de carac­tère durable « . Au titre des orien­ta­tions on relève » le besoin d’é­va­lua­tion, sous l’angle du déve­lop­pe­ment urbain durable , de cer­taines poli­tiques de l’E­tat : acces­sion à la pro­prié­té du loge­ment, infra­struc­tures, sub­ven­tions aux trans­ports publics « .

Nous igno­rons si ces orien­ta­tions géné­rales ont reçu un début de » mise en musique « . Les élé­ments pré­sen­tés ici sug­gèrent qu’il y aurait quelque inté­rêt, pour l’en­vi­ron­ne­ment comme pour les contraintes qui pèsent sur les ménages modestes, à y réflé­chir : l’en­jeu en est de per­mettre à cha­cun de dis­po­ser de marges de manœuvre réa­listes dans ses choix de rési­dence et de mobi­li­té, et d’en assu­mer les coûts par le biais d’ins­tru­ments tari­faires appro­priés per­met­tant une cer­taine régu­la­tion de la mobi­li­té et de ses effets sur l’environnement.

Tableau 3 – Bud­get loge­ment et bud­get trans­port des ménages selon la zone de rési­dence en Icirc;le-de-France
Zone de prix immobilier
Très éle­vé (1) Éle­vé (2) Moyen (3) Faible (4) Île-de-France
Prix moyen du ml en loca­tion pri­vée (F) 91 79 62 54 71
Taille des ménages 1,8 2,2 2,7 2,8 2,5
Reve­nu men­suel par uni­té de consom­ma­tion (F) 11 500 8 800 7 300 6 200 7 800
% loca­taires du sec­teur privé 64 50 27 19 36
% loca­taires du sec­teur public 3 17 23 29 20
% accédants 1 6 16 18 12
% propriétaires 32 27 34 34 32
Dis­tance par­cou­rue par jour et par per­sonne (km) 10 13 18 20 16
Dis­tance par­cou­rue par le chef de ménage (km) 12 16 23 27 20
Bud­get-temps de trans­port par jour et par per­sonne (mn) 83 86 82 79 82
Bud­get-temps de trans­port du chef de ménage (mn) 92 97 96 94 96
Loca­taire du sec­teur privé
super­fi­cie dis­po­nible : m2 par personne 29 22 23 24 24
% du reve­nu consa­cré au logement 28% 26% 25% 26% 26%
% du reve­nu consa­cré aux déplacements 5% 9% 15% 19% 11%
Accédants
super­fi­cie dis­po­nible : m2 par personne ns 26 27 25 25
% du reve­nu consa­cré au logement ns 28% 26% 27% 28%
% du reve­nu consa­cré aux déplacements ns 9% 20% 26% 19%


(1) Zones 1 et 2 : ouest pari­sien et une com­mune des Hauts-de-Seine,
(2) Zones 3 â 5 : reste de Paris, zones des Hauts-de-Seine et des Yve­lines à coût élevé,
(3) Zones 6 et 7 : zones à prix moyen de la petite cou­ronne, zones à coût éle­vé en grande couronne,
(4] Zones 8 et 9 : zones a prix faible de Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne et grande couronne,
Source : recons­ti­tué à par­tir de Poloc­chi­ni et Orfeuil (1998) « Bud­get loge­ment et bud­get trans­port en Île-de-France » INRETS/DREIF.


(1) CFDD, Contri­bu­tion au debat natio­nal , Rap­port 1996, Prio­ri­tés d’actions.
(2) Les pro­ces­sus de ce type sont très fré­quents (voir Schel­ling, La tyran­nie des petites déci­sions , PUF, (1980) pour une pré­sen­ta­tion péda­go­gique et pleine d’hu­mour), en par­ti­cu­lier dans le domaine urbain où l’in­te­rac­tion entre les com­por­te­ments des uns et des autres est maxi­male. Leur com­pré­hen­sion est au cœur de la pro­blé­ma­tique du déve­lop­pe­ment durable, qui exige la recherche de cohé­rence entre l’ac­tion à cours terme et les sen­tiers de crois­sance de long terme.
(3) Loi d’o­rien­ta­tion sur les trans­ports intérieurs.
(4) Plans d’oc­cu­pa­tion des sols.
(5) L’au­teur remer­cie C. Gal­lez, L. Hivert, A. Polac­chi­ni à qui il emprunte ici de nom­breux résul­tats, publies ou en cours de publi­ca­tion, ain­si que les finan­ceurs de ces tra­vaux : ADEME (Agence de l’en­vi­ron­nenent et de la maî­trise de l’éner­gie), DREIF et DTT (Direc­tion des trans­ports terrestres),
(6) Polac­chi­ni A. el Orfeuil J.-P.: Bud­get Loge­ment et Bud­get Trans­ports en Île-de-France. INRETS pour la Direc­tion régio­nale de l’é­qui­pe­ment d’lle-de-France (DREIF), à paraître en 1998.
(7) On n’en­tre­ra pas ici dans les détails tech­niques de l’é­tude. II suf­fit au lec­teur de savoir que le bud­get loge­ment com­prend soit la dépense de loca­tion, soit les rem­bour­se­ments d’emprunt (à l’ex­clu­sion de l’ap­port ini­tial), qu’il n’est pas com­pen­sé par d’é­ven­tuelles aides reçues, et qu’il n’est clai­re­ment éta­bli que pour les loca­taires du sec­teur pri­vé et les accé­dants. Les dépenses de trans­port sont rela­tives aux dépla­ce­ments en région, et com­prennent aus­si bien les « frais fixes » (dépenses d’ac­qui­si­tion et de pos­ses­sion d’au­to­mo­bile, carte orange) que les frais variables (car­bu­rants, tickets de trans­port col­lec­tif public, etc.), Toutes les dépenses sont esti­mées en francs 1994. Les com­por­te­ments de dépla­ce­ments sont appré­hen­dés sur l’En­quête glo­bale trans­port de 1991.l(8) Le pre­mier adulte du ménage compte pour 1 uni­té de consom­ma­tion, les autres pour 0,7 et les enfants pour 0.5.
(9) Ce qui ne manque pas d’ailleurs de poser des pro­blèmes à la fis­ca­li­té des grandes villes. L’As­so­cia­tion des maires des grandes villes publie régu­liè­re­ment des études mon­trant l’é­ro­sion des bases de la taxe pro­fes­sion­nelle sur leur ter­ri­toire alors même que les charges d’a­ni­ma­tion de l’ag­glo­mé­ra­tion conti­nuent de peser avant tout sur le bud­get de la ville prin­ci­pale (voir Les Echos 26.01.98).
(10) Stra­té­gie natio­nale du déve­lop­pe­ment durable. Fon­de­ments el orien­ta­tions, Série des » Bleus de Mati­gnon ». Février 1997.

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