Mille francs de récompense

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°582 Février 2003Par : Victor Hugo, dans une mise en scène de Françoise SpiessRédacteur : Philippe OBLIN (46)

On ne doit pas abor­der Vic­tor Hugo sans pré­cau­tion. “Il vaut par sa masse et a le don d’être mau­vais avec éclat ” en écrit Klé­ber Hae­dens dans son His­toire de la lit­té­ra­ture fran­çaise.

Bicen­te­naire obli­geant et affron­tant avec cou­rage l’effet de masse, je viens de lire le théâtre hugo­lien en tota­li­té. Pour faire sérieux, je pour­rais écrire “relire” mais ce serait insin­cère de ma part, et sur­tout peu vrai­sem­blable : il y a des auteurs qu’on peut relire vingt fois, et chaque fois avec un plai­sir renouvelé.

Vic­tor Hugo n’est pas de ceux-là. On ne le rouvre guère que par néces­si­té pro­fes­sion­nelle, ou devoir de bien­séance. Et c’est à coup sûr pré­fé­rable ain­si. Mieux vaut en effet res­ter sur les bonnes impres­sions de jeu­nesse lais­sées – sou­vent mais pas tou­jours – par les très par­tielles incur­sions dans son oeuvre colos­sale impo­sées par la pré­pa­ra­tion de feu le cer­ti­fi­cat d’études, ou du bac­ca­lau­réat de l’enseignement secondaire.

Retournez‑y, l’âge mûr venu, et toutes les ficelles de métier que maî­tri­sait à la per­fec­tion ce gigan­tesque manieur de mots et de sono­ri­tés vous éclatent au regard, comme si des écailles vous tom­baient des yeux. Se révèle alors une stu­pé­fiante indi­gence de pen­sée. N’est-il pas désas­treux d’avoir écrit Le dix-neu­vième siècle a été grand mais le ving­tième sera heu­reux ? Manière sin­gu­lière, vous l’avouerez, de pro­phé­ti­ser Ver­dun, Ausch­witz, Hiro­shi­ma et le Goulag.

Quoi qu’il en soit, le Théâtre du Nord-Ouest aura, cette année, don­né l’intégrale du théâtre de Vic­tor Hugo, plus quelques adap­ta­tions à la scène de textes qui n’y étaient pas des­ti­nés par leur auteur, et quelques lec­tures, soit trente-cinq spec­tacles, joués en alter­nance de juin à décembre 2002.

Ce sym­pa­thique théâtre ne manque pas de pit­to­resque : pour aller s’asseoir, on des­cend dans la pénombre un long et jadis noble esca­lier, en par­tie à double volée, puis on tra­verse le pla­teau de scène en enjam­bant, le jour où nous y étions, quelques cous­sins épars consti­tuant le décor du pre­mier acte. Ce jour-là, on jouait Mille francs de récom­pense : un éton­nant mélo­drame, dont je n’ai pas trou­vé le texte dans les Œuvres com­plètes, édi­tion Het­zel, atter­ries de la biblio­thèque de mon grand-père dans la mienne, tome “Œuvres post­humes – Théâtre en liber­té”. Peut-être ce texte dor­mait-il encore dans des archives inex­plo­rées lorsque M. Het­zel se mit au tra­vail ? Je l’ignore.

Dans sa mise en scène en tout cas, Fran­çoise Spiess avait choi­si de jouer sérieux ce drame noir, si noir que l’on peut se deman­der si le père Hugo, en un de ses moments de rigo­lade – rares mais il en a : lisez cer­tains de ses sou­ve­nirs d’enfance, iro­niques à sou­hait – n’a pas vou­lu s’amuser à écrire un pas­tiche de mélo : tous les ingré­dients y sont en effet. On y voit une mère éplo­rée, une héroïne lim­pide aimée d’un excellent jeune homme qui tente de se noyer dans la Seine après avoir per­du au jeu en vou­lant y gagner la somme qui eût sau­vé de la ruine la famille de sa dul­ci­née, un fon­dé de pou­voir véreux gui­gnant la dul­ci­née et se livrant à d’odieux chan­tages finan­ciers pour l’obtenir, un baron ban­quier et fumeur de gros cigares, un sub­sti­tut impi­toyable, défen­seur des coffres-forts, un clo­chard au grand coeur – très hugo­lien – qui conclut l’affaire par la satis­fac­tion des bons et la déroute des méchants, grâce à une heu­reuse recon­nais­sance à la fin du der­nier acte, tout à fait dans le style “croix de ma mère ” à la Pixerécourt.

Joué en charge, à la façon d’un faux drame inven­té par Obal­dia, ç’aurait pu être très drôle. Et peut-être était-ce l’intention de l’auteur : avec lui, on ne sait pas tou­jours trop bien sur quel pied dan­ser. Tou­jours est-il que cela ne l’était pas, sans pour­tant vous prendre à la gorge comme une pièce de Becque. L’on res­tait assis entre deux chaises.

Vic­tor Hugo serait-il mal­ai­sé à jouer, et le ton juste dif­fi­cile à trou­ver avec lui ? Un des comé­diens du moins l’avait trou­vé et s’y mon­trait plus qu’à l’aise : Mel­chi­se­dek Gad­jian, dans le rôle de Gla­pieu, le clo­chard à l’âme géné­reuse. Avec ses yeux éton­nés, son léger accent des Isles, sa bon­dis­sante sou­plesse de corps, il nous enchan­tait chaque fois qu’il appa­rais­sait sur scène, même si c’était pour ne rien dire et écou­ter seule­ment. Frère de Ruy Blas, d’Aïrolo, de Tri­bou­let, il incar­nait d’évidence ce type de per­son­nage en qui Vic­tor Hugo, tel Dieu le Père, place toutes ses com­plai­sances. Cela rend sans doute le rôle por­teur. M. Gad­jian en tout cas le por­tait bien.

Bra­vo à lui.

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