Marion Guillou (73), le sens du collectif

Dossier : Le quarantième anniversaire des polytechniciennesMagazine N°677 Septembre 2012Par : Sylvie HATTEMER-LEFÈVRE

Dif­fi­cile, quand on entre dans l’antichambre du bureau de Mme la Pré­si­dente Marion Guillou, de ne pas com­prendre que l’on est aux portes du saint des saints de la recherche sur l’avenir de l’agriculture. Lorsqu’elle arrive, impos­sible de ne pas être impres­sion­née par son cha­risme natu­rel né de ce sub­til alliage de séré­ni­té, d’écoute et de densité.

Cette poly­tech­ni­cienne, née en 1954 à Mar­seille, pré­side l’Inra, le pre­mier ins­ti­tut de recherche agro­no­mique en Europe, le deuxième dans le monde. À ce poste, cette scien­ti­fique très en pointe sur les ques­tions de sécu­ri­té ali­men­taire fera prendre à l’Inra, autre­fois plus tour­né vers l’agriculture inten­sive, le virage du déve­lop­pe­ment durable.

En blouse grise

Son père était méde­cin, sa mère cher­cheur spé­cia­li­sée en paly­no­lo­gie (étude des pol­lens). La jeune Marion réus­sit le concours d’entrée à Nor­male sup. Mais, à l’époque, les débou­chés de cette filière vers l’université sont satu­rés. Coup de chance, un an plus tôt, l’École poly­tech­nique ouvrait pour la pre­mière fois ses portes aux jeunes filles.

Sans bien com­prendre cepen­dant où la mène­raient des études d’ingénieur, « car je n’avais aucune idée de ce qu’était pour moi, être ingé­nieur – juste un homme en blouse grise », elle passe le concours d’entrée à l’X et, en 1973, fait par­tie des treize jeunes femmes reçues sur les trois cents élèves admis.

Pas­sion­née de bio­lo­gie, à sa sor­tie de l’X, elle intègre l’École natio­nale du génie rural, des eaux et des forêts, en sort ingé­nieur du Génie rural, décroche un doc­to­rat en phy­si­co-chi­mie des bio­trans­for­ma­tions et tra­vaille dans un labo­ra­toire du CNRS, à l’université de Nantes.

Le défi de la normalité

À Poly­tech­nique, Marion Guillou découvre le défi de la nor­ma­li­té : « Nous avions été accueillies un peu comme des bêtes de cirque, et mon pre­mier enjeu a été de me faire accep­ter comme quelqu’un de nor­mal : à l’École, je n’étais pas dif­fé­rente des gar­çons. Ce fut par­fois dif­fi­cile d’accepter d’être regar­dée pro­fes­sion­nel­le­ment comme quelqu’un de dif­fé­rent et de singulier. »

Cette sin­gu­la­ri­té la sui­vra pour­tant. En 1980, lorsqu’elle devient conseillère tech­nique d’un ministre de l’Agriculture. À Londres, entre 1993 et 1996, aux pre­mières loges de la ges­tion de la crise de la vache folle, elle devient la pre­mière femme direc­trice géné­rale de l’alimentation. Ses com­pé­tences, comme son ouver­ture d’esprit, lui valent le res­pect des cher­cheurs comme des poli­tiques. « Le fil rouge de ma vie, amor­cé à Poly­tech­nique, c’est le sens du col­lec­tif, décrypte-t-elle aujourd’hui. Une école qui apprend à s’engager, pousse à une construc­tion citoyenne, à la par­ti­ci­pa­tion et la prise de res­pon­sa­bi­li­té dans le collectif. »

Faire évoluer l’Ecole

Marion Guillou est aus­si quelqu’un qui veut faire bou­ger les choses. En 2008, elle accepte la pré­si­dence du conseil d’administration de Poly­tech­nique et sera à nou­veau la pre­mière femme à occu­per ce siège. Un poste vite chro­no­phage, puisque, comme d’habitude, Marion Guillon fait les choses à fond. Arri­vée à une période char­nière de la pres­ti­gieuse ins­ti­tu­tion, elle prend les dif­fé­rents chan­tiers à bras-le-corps : l’évolution d’une école qui forme les fonc­tion­naires de l’État à com­pé­tence scien­ti­fique et tech­nique aux besoins du monde moderne, son inter­na­tio­na­li­sa­tion, la contri­bu­tion à la créa­tion d’un pôle d’excellence, sans oublier la néces­si­té de trou­ver de nou­velles sources de finan­ce­ment pour atti­rer les plus grands noms étran­gers sur le Campus.

Dans son champ d’intervention qui croise l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, elle a mis ses capa­ci­tés de défri­cheuse et d’anticipation au ser­vice d’une cause uni­ver­selle : la sécu­ri­té ali­men­taire. Marion Guillou a publié l’an der­nier, en col­la­bo­ra­tion, 9 mil­liards d’hommes à nour­rir, un défi pour demain. Sa façon à elle d’accélérer une prise de conscience de l’opinion sur l’urgence d’un chan­ge­ment de comportement.

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