L’urbanisme de projet doit suivre la planification régionale

Dossier : Le Grand Paris : Les territoires, espaces d‘anticipationMagazine N°676 Juin/Juillet 2012
Par Vincent FOUCHIER

Ces der­nières années ont vu se mul­ti­plier les pro­jets, les plans et les pro­grammes de tous ordres, cha­cun étant sup­po­sé contri­buer à amé­lio­rer le sort des Fran­ci­liens et de leur ter­ri­toire. On a ain­si vu de nom­breuses col­lec­ti­vi­tés lan­cer des pro­jets urbains par­fois très ambi­tieux, dans des lieux d’Île-de-France qui n’avaient pas connu de telles dyna­miques depuis longtemps.

REPÈRES
Le sché­ma direc­teur régio­nal d’Île-de-France (SDRIF) est le seul docu­ment régio­nal qui aborde l’ensemble des pro­blé­ma­tiques d’aménagement du ter­ri­toire et qui peut être inté­gra­teur et por­teur de vision globale.
Sa révi­sion est une occa­sion à ne pas man­quer pour que la cohé­rence d’ensemble de l’aménagement régio­nal soit garan­tie. À ce titre, il est un sup­port et un cadre pour les pro­jets locaux. Ce n’est pas un empê­cheur de tour­ner en rond, c’est un hori­zon col­lec­tif potentiel.

Importance de la planification régionale

Les lois ont créé de nou­veaux plans à l’échelle régionale

Les lois, notam­ment les lois issues du Gre­nelle de l’environnement, ont créé de nou­veaux plans ou sché­mas sec­to­riels à dimen­sion envi­ron­ne­men­tale, d’échelle régio­nale (pour l’air, pour l’énergie, pour l’agriculture, pour les conti­nui­tés éco­lo­giques, etc.), qui doivent tous par­ti­ci­per à la pla­ni­fi­ca­tion. Les pro­jets de trans­ports et de contrats de déve­lop­pe­ment ter­ri­to­rial, issus de la loi du Grand Paris et de l’accord entre l’État et la région, ont géné­ré de vraies dyna­miques accom­pa­gnant le futur réseau de métro auto­ma­tique Grand Paris Express, relan­çant aus­si le débat sur la logique de clus­ters éco­no­miques spécialisés.

Une planification itérative

Des docu­ments de référence
Les docu­ments d’urbanisme locaux et les pro­jets urbains n’attendent pas le SDRIF pour exis­ter. Inver­se­ment, le SDRIF ne défi­nit pas le cadre glo­bal en atten­dant que d’hypothétiques pro­jets locaux le concré­tisent fidè­le­ment. Mais il est néces­saire d’avoir des docu­ments de réfé­rence, et le SDRIF est utile en cela. Aujourd’hui, faute de docu­ment de réfé­rence, c’est le règne de la caco­pho­nie et de la concur­rence. Les habi­tants, les entre­prises, les inves­tis­seurs, les asso­cia­tions n’ont pas de visi­bi­li­té sur le deve­nir de leur ter­ri­toire. L’émergence de pro­jets locaux s’en trouve fra­gi­li­sée car pri­vée de garan­tie, tout pro­jet pou­vant être com­pro­mis par des pro­jets voi­sins. Une par­tie des inves­tis­se­ments publics et pri­vés est de ce fait gelée ou ralen­tie, avec un impact pro­gres­si­ve­ment signi­fi­ca­tif sur l’attractivité régionale.

Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans le prin­cipe d’une pla­ni­fi­ca­tion qui s’impose aux éche­lons infé­rieurs par emboî­te­ments suc­ces­sifs du natio­nal au local. Ce prin­cipe théo­rique n’étant plus ima­gi­nable tech­ni­que­ment et poli­ti­que­ment, nous sommes dans un jeu per­ma­nent d’ajustements et d’itérations. Au niveau stric­te­ment juri­dique, l’Île-de-France pré­sente cette ori­gi­na­li­té de béné­fi­cier d’une pla­ni­fi­ca­tion régio­nale qui doit être impé­ra­ti­ve­ment res­pec­tée au niveau local. Nous ne sommes pas seule­ment dans l’affichage d’une poli­tique régio­nale, comme cela se fait dans les autres régions fran­çaises, mais bien dans l’élaboration d’un cadre à la pla­ni­fi­ca­tion locale. Depuis 2005, les débats, les échanges et les négo­cia­tions qui ont accom­pa­gné le SDRIF ont fait évo­luer les pra­tiques et les men­ta­li­tés. Il est déjà ins­crit dans les esprits et pro­duit déjà des effets tan­gibles, même s’il n’est pas encore approu­vé, notam­ment parce qu’il y a eu beau­coup de concer­ta­tions. Mais en matière d’urbanisme, les chan­ge­ments de pra­tiques se font dans des délais extrê­me­ment longs et toute évo­lu­tion prend beau­coup de temps et d’énergie. Vingt ans sont nécessaires.

Quelle place pour l’État ?

La métro­pole risque de se construire par addi­tion non régu­lée de pro­jets contradictoires

Le débat autour du sché­ma direc­teur (SDRIF) et du Grand Paris montre que plu­sieurs acteurs ont toute légi­ti­mi­té pour reven­di­quer l’intérêt géné­ral et por­ter un pro­jet pour la métro­pole, cha­cun pou­vant blo­quer ou frei­ner l’autre (par­fois accé­lé­rer). La place de l’État dans l’aménagement régio­nal est ce qui dis­tingue le plus l’Île-de-France des autres régions fran­çaises. Le mil­le­feuille ins­ti­tu­tion­nel, quant à lui, n’est pas spé­ci­fique à l’Île-de-France. Mais comp­ter 1 981 maires et 8 dépar­te­ments dans la région capi­tale n’aide pas à faci­li­ter la cohé­rence de l’ensemble des déci­sions ; la métro­pole risque de se construire par addi­tion non régu­lée de pro­jets par­fois contra­dic­toires. La décen­tra­li­sa­tion n’a pas confé­ré au conseil régio­nal un rôle suf­fi­sam­ment fort et trans­ver­sal pour répondre à cet enjeu. La pré­sence d’élus fran­ci­liens de « dimen­sion natio­nale » (par exemple, des ministres, d’anciens ministres ou pré­sident de la Répu­blique) est vrai­sem­bla­ble­ment une autre sin­gu­la­ri­té à rele­ver. Que l’État agisse de façon légi­time parce que l’Île-de-France est la région capi­tale et que cer­tains enjeux sont natio­naux, ce n’est pas contes­table. Mais faut-il pour autant que l’État prenne la main sur les prin­ci­paux domaines liés à l’aménagement du ter­ri­toire régio­nal et inter­vienne fine­ment dans les pro­jets locaux ? Ces der­nières années, on a plu­tôt opté pour cette voie, mais une alter­na­tive décen­tra­li­sa­trice est possible.

Lever les tabous et les freins
Le SDRIF a‑t-il fait naître des pro­jets ? On peut pen­ser que oui. Il a par exemple décris­pé un cer­tain nombre d’acteurs, d’élus et d’associations sur la ques­tion de la den­si­fi­ca­tion. Le Gre­nelle ou l’Atelier inter­na­tio­nal du Grand Paris ont aus­si contri­bué à ces chan­ge­ments. Un ensemble d’événements a per­mis de lever des tabous et des freins à la trans­for­ma­tion urbaine au niveau local. La muta­tion des espaces urbains est main­te­nant plu­tôt bien vue. Elle n’est plus per­çue comme géné­ra­trice de satu­ra­tions, de lai­deur ou d’espaces verts en moins. L’émergence de la notion d’urbanisme de pro­jet, qui pour­rait lais­ser pen­ser que la pla­ni­fi­ca­tion n’est plus utile, a eu au moins le mérite de sti­mu­ler des dyna­miques locales, par­fois inci­tée par l’État à tra­vers les contrats de déve­lop­pe­ment territorial.

L’échelle régionale est la bonne

L’échelle admi­nis­tra­tive de la région, à quelques détails près, couvre bien la plu­part des grands enjeux fonc­tion­nels de la métro­pole fran­ci­lienne ; c’est une chance que d’autres métro­poles n’ont pas.

Pas d’exemple étranger
Il y a peu d’exemples à l’étranger de gou­ver­nance métro­po­li­taine dont on pour­rait direc­te­ment s’inspirer. Même le « Grand Londres », sou­vent évo­qué, a des limites qu’il ne faut pas més­es­ti­mer : son péri­mètre est rela­ti­ve­ment modeste ; le pou­voir du maire du Grand Londres ne couvre pas tous les enjeux métro­po­li­tains ; le recours à la sphère pri­vée (par­te­na­riats public-pri­vé) pose de sérieuses dif­fi­cul­tés pour le loge­ment et pour les trans­ports notam­ment ; l’ingénierie métro­po­li­taine est frag­men­tée entre plu­sieurs agences « thématiques ».

Il manque en revanche trois choses : un lien plus orga­nique entre le régio­nal et le local (qu’il faut lui-même recon­fi­gu­rer par exemple avec des inter­com­mu­na­li­tés plus larges et inté­grées), un ren­for­ce­ment de l’échelon régio­nal (éven­tuel­le­ment dans une évo­lu­tion de Paris Métro­pole) et une orga­ni­sa­tion plus sys­té­mique de l’interrégional (mais qui ne néces­site pas une ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion). Le SDRIF ne doit pas être trop pres­crip­tif pour res­pec­ter le prin­cipe de sub­si­dia­ri­té fai­sant en sorte que les docu­ments locaux tra­duisent à leur manière les orien­ta­tions régio­nales. Cette notion de sub­si­dia­ri­té fixe une borne juri­dique qui est rela­ti­ve­ment appré­cia­tive. Les pres­crip­tions for­mu­lées dans le SDRIF doivent trou­ver un juste niveau de pré­ci­sion notam­ment dans le détail des règles, les seuils chif­frés, la finesse de la cartographie.

La perspective du citoyen

Dis­tin­guer ce qui relève de l’intérêt natio­nal et de l’intérêt métropolitain

L’objectif cen­tral d’une réforme devrait être gui­dé par la pers­pec­tive du citoyen : com­ment peut-il s’y retrou­ver ? À la base, le citoyen vote et paie des impôts. Le pro­ces­sus déci­sion­nel fran­ci­lien lui offre-t-il une réponse adé­quate en termes d’efficacité, et sait-il qui y est res­pon­sable de quoi ? Les récents débats sur le réseau de trans­port du Grand Paris ont été à ce titre illus­tra­tifs de la mul­ti­pli­ci­té des lieux de légi­ti­mi­té métro­po­li­taine (État, région, Paris Métro­pole, Ate­lier inter­na­tio­nal du Grand Paris, Socié­té du Grand Paris, Syn­di­cat des Trans­ports d’Île-de-France, etc., avec des repré­sen­ta­tions dans les conseils d’administration croi­sées entre ces dif­fé­rentes « institutions »).

Des arrondissements métropolitains

Une cohé­rence d’ensemble
Le droit fran­çais n’aime pas la notion de tutelle ou de « hié­rar­chie » d’une col­lec­ti­vi­té sur une autre. C’est peut-être un ver­rou que l’on gagne­rait à lever pour l’Île-de-France, en confiant à la région une capa­ci­té réelle à faire res­pec­ter les prin­ci­paux choix d’avenir, néces­si­tant une cohé­rence d’ensemble. Une telle tutelle pour­rait être enca­drée, y com­pris d’ailleurs par l’État, avec la défi­ni­tion d’un inté­rêt métro­po­li­tain : il a été pos­sible de défi­nir un inté­rêt com­mu­nau­taire dans les inter­com­mu­na­li­tés ; pour­quoi ne serait-il pas pos­sible de le faire pour l’échelle métro­po­li­taine ? La condi­tion d’une telle tutelle pour­rait repo­ser sur des moda­li­tés de concer­ta­tion renouvelées.

À terme, ne faut-il pas ima­gi­ner une gou­ver­nance mixte : État-région-repré­sen­ta­tion des col­lec­ti­vi­tés infra­ré­gio­nales ? La loi Paris-Lyon- Mar­seille (1982) gagne­rait à être refon­due pour répondre à l’évolution du contexte. Pour l’Île-de-France, cette loi n’avait géré que Paris intra-muros (maires d’arrondissements). Il est temps de chan­ger d’échelle et, pour­quoi pas, de cou­vrir la région d’arrondissement métro­po­li­tains (à l’échelle des inter­com­mu­na­li­tés éten­dues) et de confor­ter le conseil régio­nal en lui don­nant de réels pou­voirs déci­sion­nels. Il en va de la force et de la cohé­rence de l’aménagement du ter­ri­toire fran­ci­lien ; il en va de la lisi­bi­li­té des grandes déci­sions et des res­pon­sa­bi­li­tés. Il reste, enfin, à mieux bor­ner l’intervention de l’État, en dis­tin­guant ce qui relève de l’intérêt natio­nal et de l’intérêt métropolitain.

BIBLIOGRAPHIE

■ « Stra­té­gies métro­po­li­taines », Paris, Ins­ti­tut d’aménagement et d’urbanisme de la région Îlede- France, Les Cahiers, n° 151, juin 2009.
■Vincent Fou­chier, « Le SDRIF, illus­tra­tion d’une décen­tra­li­sa­tion inache­vée ? », Pou­voirs locaux, n° 73 II, 2007.
■Chris­tian Lefèvre, Le Sys­tème de gou­ver­nance de l’Île-de-France : entre décen­tra­li­sa­tion et glo­ba­li­sa­tion, Paris, 2009.
■ OCDE, Villes et com­pé­ti­ti­vi­té, Paris, OCDE, 2007

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