Photo en microscopie optique polarisante d’une glace à la pomme

L’innovation dans la chimie de spécialités

Dossier : La chimie et les hommesMagazine N°576 Juin/Juillet 2002
Par Jean-Claude BRAVARD (67)

Alimentation

Alimentation

Lorsque le consom­ma­teur déguste une glace, il n’i­ma­gine pas immé­dia­te­ment que ce pro­duit, si agréable au palais, est en fait un mélange com­plexe, rede­vable de son goût et de sa tex­ture à une orga­ni­sa­tion par­ti­cu­lière de la matière. On y trouve de l’eau sous forme de cris­taux de glace, de l’air sous forme de mousse, des matières grasses où sont par­tiel­le­ment solu­bi­li­sés cer­tains arômes et des poly­mères natu­rels qui se mélangent aux dif­fé­rents ingré­dients et les lient ensemble…

Les mêmes consti­tuants répar­tis dif­fé­rem­ment dans l’es­pace condui­raient à un pro­duit d’une tout autre nature. La for­mu­la­tion est tout à la fois le choix des consti­tuants et leur mise en forme (via un pro­cé­dé de fabri­ca­tion). C’est cet ensemble qu’il faut maî­tri­ser pour pré­pa­rer de façon repro­duc­tible un pro­duit pro­cu­rant du plai­sir au consom­ma­teur. La glace, qu’elle soit fabri­quée arti­sa­na­le­ment ou indus­triel­le­ment, est un des nom­breux pro­duits for­mu­lés aux­quels le consom­ma­teur est habitué.


Pho­to en micro­sco­pie optique pola­ri­sante d’une glace à la pomme. On voit une bulle d’air entou­rée de cris­taux de dif­fé­rents types.

Au cœur de la chi­mie de per­for­mance, la for­mu­la­tion a pour fonc­tion prin­ci­pale de mélan­ger des pro­duits en géné­ral incom­pa­tibles et de les orga­ni­ser dans l’es­pace afin que la pro­prié­té d’ap­pli­ca­tion, ici le goût et la tex­ture, soit optimale.

La chi­mie en déve­lop­pant de nou­veaux addi­tifs de tex­tu­ra­tion et des arômes rend pos­sible la mul­ti­pli­ca­tion de pro­duits tou­jours plus éla­bo­rés sur les rayons ali­men­taires de nos supermarchés.

Bricolage

Il y a quelques années, lors­qu’un par­ti­cu­lier déci­dait de repeindre sa chambre à cou­cher, il ne trou­vait sur le mar­ché que des pein­tures à base de sol­vants orga­niques. À cause de l’o­deur et de la toxi­ci­té liée à l’é­va­po­ra­tion de ce sol­vant, il ne pou­vait pas dor­mir dans sa chambre pen­dant plu­sieurs jours. Désor­mais, l’u­ti­li­sa­tion de pein­tures sans sol­vant (c’est-à-dire » à l’eau ») per­met de dor­mir sans pro­blème le soir même dans la pièce juste repeinte.

Une pein­ture est, de façon extrê­me­ment sim­pli­fiée, un mélange de par­ti­cules miné­rales ou orga­niques ame­nant la cou­leur et un poly­mère per­met­tant de lier ces par­ti­cules miné­rales entre elles en assu­rant l’adhé­sion sur le sup­port où la pein­ture est appli­quée. La for­mu­la­tion tra­di­tion­nelle consiste à dis­per­ser les par­ti­cules miné­rales ou orga­niques dans un sol­vant conte­nant le poly­mère. Une fois le pro­duit appli­qué, le sol­vant s’é­va­pore et le poly­mère enrobe le miné­ral pour conduire à un revê­te­ment sec.

Le rem­pla­ce­ment du sol­vant orga­nique par de l’eau dans les pein­tures a été une étape-clé vers un pro­duit fon­ciè­re­ment dif­fé­rent, appor­tant des avan­tages éco­lo­giques indé­niables. Pour ce faire, il a fal­lu dis­per­ser le poly­mère inso­luble dans l’eau sous la forme de petites par­ti­cules (appe­lées par­ti­cules de latex). La pein­ture conte­nant alors à la fois des par­ti­cules solides et liquides en sus­pen­sion doit cepen­dant gar­der toutes ses pro­prié­tés, que ce soit au moment de l’ap­pli­ca­tion ou dans le temps. Cela n’au­rait pas été pos­sible sans des pro­grès très impor­tants dans la science des col­loïdes qui étu­die la matière fine­ment divi­sée dans des orga­ni­sa­tions fluides com­plexes (pro­blé­ma­tique d’ailleurs com­mune à l’alimentaire).

Automobile

La chi­mie contri­bue très sen­si­ble­ment à dimi­nuer la consom­ma­tion et les rejets de nos voi­tures modernes. L’u­ti­li­sa­tion de nou­velles silices pré­ci­pi­tées à haute dis­per­si­bi­li­té en rem­pla­ce­ment du noir de car­bone a per­mis d’a­bais­ser signi­fi­ca­ti­ve­ment la résis­tance au rou­le­ment des pneu­ma­tiques. Ceci a conduit au déve­lop­pe­ment d’une nou­velle géné­ra­tion de pneu­ma­tiques qui per­met soit de réduire la consom­ma­tion de car­bu­rant de plu­sieurs % (gamme Ener­gy de Miche­lin par exemple), soit d’adhé­rer mieux sur la neige.

Par ailleurs, asso­cié avec un filtre à par­ti­cules, l’ad­di­tif Eolys à bases d’oxydes de terres rares de Rho­dia per­met d’é­li­mi­ner plus de 99,9 % des par­ti­cules reje­tées par les moteurs Die­sel. Ce sys­tème unique équipe aujourd’­hui les der­niers modèles Die­sel du groupe PSA (607, 406, 307 et C5).

Ces quelques exemples ne sont qu’une infime par­tie de l’in­no­va­tion dans laquelle la chi­mie est impli­quée. Néan­moins on voit clai­re­ment que l’in­no­va­tion dans la chi­mie de spé­cia­li­tés ne peut se faire qu’en com­bi­nant sou­vent plu­sieurs tech­no­lo­gies avan­cées, et une bonne connais­sance des attentes du marché.

La chimie de spécialités, perspective d’ensemble

Très sché­ma­ti­que­ment, elle com­porte deux catégories :

  • la chi­mie fine, qui pro­duit des molé­cules com­plexes assu­jet­ties à des spé­ci­fi­ca­tions rigou­reuses (matière active pour un médi­ca­ment par exemple),
  • la chi­mie de per­for­mance, qui véhi­cule une pro­prié­té d’u­sage (par exemple goût, par­fum, tex­ture, pro­tec­tion aux UV, hydro­fu­ga­tion, adhé­sion…) et où la com­po­si­tion chi­mique en soi est moins impor­tante pour l’u­ti­li­sa­teur que la per­for­mance apportée.


La chi­mie, sou­vent mal com­prise du public, est pré­sente pra­ti­que­ment dans tous les pro­duits de notre vie cou­rante, sans que nous nous en ren­dions compte. En effet, le mar­ke­ting de ces pro­duits, qui ne pour­raient exis­ter sans la chi­mie, s’ac­com­mode mal de l’i­mage qu’a le grand public de cette industrie.

Beau­coup d’entre nous ont comme seul sou­ve­nir de la chi­mie celui de leurs cours de lycées ou de classes pré­pa­ra­toires. C’est-à-dire celui d’une science expé­ri­men­tale un peu sta­tique, peu sym­pa­thique car sou­vent dan­ge­reuse, où la mémoire était essen­tielle et où les mani­pu­la­tions fas­ti­dieuses – car conve­nues à l’a­vance – lais­saient peu de place à l’i­ma­gi­na­tion et à la créativité.

La réa­li­té de la chi­mie de spé­cia­li­tés est bien dif­fé­rente. C’est une science diver­si­fiée à évo­lu­tion rapide en sym­biose avec les métiers les plus avan­cés comme l’élec­tro­nique, la phar­ma­cie, l’a­groa­li­men­taire, la cos­mé­tique, les trans­ports. Cette indus­trie va bien au-delà de la simple fabri­ca­tion de com­po­sés. Grâce à des com­pé­tences comme la phy­si­co­chi­mie qui per­met de com­bi­ner plu­sieurs pro­duits ou sys­tèmes non com­pa­tibles a prio­ri, la chi­mie de spé­cia­li­tés four­nit à ses clients des for­mu­la­tions com­plexes qui com­binent sou­vent plu­sieurs pro­prié­tés d’usage.

Notre exi­gence accrue d’au­jourd’­hui quant à la san­té, la sécu­ri­té des pro­duits et la per­for­mance dans leurs appli­ca­tions n’est satis­faite que parce que la chi­mie per­met de réa­li­ser des pro­duits nou­veaux plus per­for­mants, plus sélec­tifs, plus stables et moins agres­sifs envers l’homme et son environnement.

Les facteurs favorables au développement de la chimie de spécialités

L’in­no­va­tion dans la chi­mie de spé­cia­li­tés est favo­ri­sée par une conver­gence entre les nou­veaux besoins du mar­ché et de la socié­té moderne, d’une part, et l’ap­pa­ri­tion de nou­velles tech­niques et outils, d’autre part.

Sans pré­tendre être exhaus­tif, plu­sieurs ten­dances lourdes de notre socié­té favo­risent le déve­lop­pe­ment de la chi­mie de spécialités.

  • L’exi­gence accrue en matière de qua­li­té de la vie et de san­té, qui se tra­duit par une demande plus sophis­ti­quée en matière de qua­li­té des pro­duits, par exemple la recherche de nou­veaux médi­ca­ments sans effets secon­daires signi­fi­ca­tifs, de pro­duits ali­men­taires plus sûrs, de nou­veaux cos­mé­tiques encore plus pro­tec­teurs pour la peau, de nou­veaux pro­duits plus éco­lo­giques (pein­tures sans sol­vants, nou­velles les­sives, réduc­tion des quan­ti­tés de matières actives dans les pro­duits agro­chi­miques, véhi­cules moins polluants…).
     
  • La néces­si­té de pro­duits aux pro­prié­tés ou aux per­for­mances nou­velles répon­dant à des besoins nou­veaux, on peut citer le déve­lop­pe­ment de l’élec­tro­nique et de toute la chi­mie asso­ciée mais aus­si l’in­dus­trie aéro­nau­tique et spa­tiale. Cela se tra­duit aus­si dans la plu­part des indus­tries plus tra­di­tion­nelles (nou­veaux tex­tiles, nou­velles pein­tures, nou­veaux par­fums, maté­riaux de construc­tion plus résis­tants, pneu­ma­tiques plus per­for­mants…). Le sou­ci accru de dif­fé­ren­cia­tion des grands clients sur leurs mar­chés s’est tra­duit au cours de ces dix der­nières années par le déve­lop­pe­ment de par­te­na­riats avec les chi­mistes de spé­cia­li­tés qui ont adap­té leurs méthodes et leurs moyens à cette évolution.
     
  • La recherche de pro­cé­dés de fabri­ca­tion plus per­for­mants en termes de coûts et de res­pect de l’en­vi­ron­ne­ment est un sou­ci per­ma­nent des chi­mistes, d’au­tant plus que les deux concepts sont sou­vent liés. Entre 1980 et 2000, la pro­duc­tion fran­çaise a dou­blé alors que les rejets dans l’eau ont été divi­sés par 4, les émis­sions de SO2 par 5 et des oxydes d’a­zote NOx par plus de 2.


Face à cette demande, la chi­mie de spé­cia­li­tés, qui inves­tit entre 3 et 6 % de son chiffre d’af­faires en recherche et déve­lop­pe­ment, a pu inno­ver grâce à l’é­vo­lu­tion d’ou­tils et de tech­niques. On peut citer entre autres :

  • les pro­grès consi­dé­rables des outils d’a­na­lyses (micro­sco­pie élec­tro­nique, réso­nance magné­tique nucléaire, chro­ma­to­gra­phies…), dans l’ap­proche des sys­tèmes réac­tion­nels com­plexes et la déter­mi­na­tion pré­cise de la struc­ture molé­cu­laire ou cris­tal­line de pro­duits ou mélanges complexes ;
     
  • la dis­po­si­tion d’ou­tils nou­veaux d’ex­pé­ri­men­ta­tion et d’a­na­lyse des résul­tats. Les tests hauts débits extra­po­lés de ceux uti­li­sés en phar­ma­cie per­mettent de tes­ter expé­ri­men­ta­le­ment un nombre très impor­tant de solu­tions. Depuis cinq ans, pour étu­dier une réac­tion nou­velle, on peut mul­ti­plier le nombre de cata­ly­seurs tes­tés par 100 ou par 1 000 selon les cas. Une telle capa­ci­té d’ex­plo­ra­tion per­met de recher­cher des solu­tions ori­gi­nales voire exo­tiques que l’on ne pou­vait pas envi­sa­ger d’é­tu­dier avec des moyens plus limités ;
     
  • le déve­lop­pe­ment des moyens de cal­cul et d’ou­tils de modé­li­sa­tion, qui ont signi­fi­ca­ti­ve­ment amé­lio­ré l’ef­fi­ca­ci­té et la sécu­ri­té des ins­tal­la­tions indus­trielles et per­mis de mettre au point de nou­veaux procédés ;
     
  • des nou­velles méthodes de ges­tion de l’in­no­va­tion faci­li­tées par les méthodes modernes de com­mu­ni­ca­tion, qui faci­litent la fer­ti­li­sa­tion croi­sée entre spé­cia­listes de dis­ci­plines ou tech­no­lo­gies dif­fé­rentes pou­vant être géo­gra­phi­que­ment éloi­gnés. Ceci per­met de mettre au point des inno­va­tions plus com­plexes, véri­tables solu­tions éla­bo­rées répon­dant aux pro­blèmes des clients. Aujourd’­hui, la majo­ri­té des inno­va­tions de Rho­dia pro­vient de la fer­ti­li­sa­tion croi­sée entre plu­sieurs tech­no­lo­gies du groupe. Le quart des pro­jets est conduit au sein d’é­quipes dont les membres sont éloi­gnés les uns des autres de cen­taines voire mil­liers de kilomètres.

L’avenir de la chimie de spécialités

Même si sa per­cep­tion par le grand public est déca­lée par rap­port à la réa­li­té, la chi­mie de spé­cia­li­tés inno­vante devrait res­ter au cœur de notre déve­lop­pe­ment éco­no­mique, car elle est, comme nous l’a­vons vu dans les exemples pré­cé­dents, un par­te­naire essen­tiel pour per­mettre aux autres indus­tries de pro­gres­ser. Rien qu’en France, la chi­mie est le deuxième sec­teur manu­fac­tu­rier avec un chiffre d’af­faires de l’ordre de 80 mil­liards d’euros.

Alors que cer­taines pro­duc­tions bana­li­sées se dépla­ce­ront vers des pays à main-d’œuvre bon mar­ché comme la Chine ou cer­tains pays de l’est de l’Eu­rope, la chi­mie de spé­cia­li­tés, pour se main­te­nir en Europe occi­den­tale et contri­buer de manière effi­cace au déve­lop­pe­ment du tis­su indus­triel de haute valeur ajou­tée, doit gagner deux défis : l’in­no­va­tion et l’a­mé­lio­ra­tion de son image auprès du public.

Si dans l’a­ve­nir, nous dis­po­sons de médi­ca­ments plus per­for­mants, de voi­tures plus éco­no­miques dont la pein­ture s’au­to­ci­ca­trise lors­qu’elles sont rayées, de mai­sons qui se net­toient toutes seules sous l’ef­fet de la lumière ou de vête­ments qui nous assurent un confort égal mal­gré de fortes varia­tions de tem­pé­ra­tures ambiantes, il est cer­tain que la chi­mie aura joué un rôle essen­tiel dans l’a­mé­lio­ra­tion de notre vie de tous les jours. 

Photos concernant la chimie par RHODIA COMMUNICATION
© RHODIA COMMUNICATION POUR LES 13 PHOTOS

Poster un commentaire